Chapitre 13
Cibles faciles

Dark Sidious était particulièrement agacé d’avoir été dérangé en pleine méditation. Le temps de remonter du sanctuaire jusqu’au sommet de la flèche du Palais où l’attendait Mas Amedda, il se sentait d’humeur à faire tomber quelques têtes.

— Dois-je donc assister à toutes ces réunions futiles, Vizir ?

— Pardonnez-moi, monseigneur. Mais je pense que vous souhaiterez participer à celle-là.

Sidious le dévisagea l’espace d’un instant.

— Murkhana, dit-il avec un dégoût évident.

Le Chagrien inclina sa tête cornue en signe d’acquiescement.

— Tout juste, monseigneur.

Sidious se dirigea vers son fauteuil à haut dossier tandis qu’Amedda préparait l’holoprojecteur de la table. Ce dernier alla ensuite se placer en silence devant la baie vitrée. Dans l’hologramme qui émergea, plusieurs membres du Renseignement Militaire et du Bureau de la Sécurité Impériale étaient rassemblés devant une grille de positionnement dans l’une des salles de crise du BSI.

— Monseigneur, commença Harus Ison. Je suis désolé de…

— Gardez vos excuses pour l’heure où elles seront vraiment nécessaires, directeur adjoint, l’interrompit Sidious d’un ton sec.

— Bien sûr, monseigneur, croassa Ison.

Il déglutit avec peine et retrouva l’usage de sa voix :

— Nous avons jugé prudent de vous faire part des derniers développements sur Murkhana.

— Je suis parfaitement au courant que le Seigneur Vador et le gouverneur Tarkin ont trouvé et enquêté sur le dépôt secret d’outils de communication.

— Bien sûr, monseigneur, répéta Ison. Mais nous avons depuis reçu une transmission subspatiale du Seigneur Vador et du gouverneur Tarkin nous informant que le Pic de la Charogne a été dérobé.

Sidious se redressa dans son fauteuil.

— Dérobé ?

— Oui, monseigneur. Sur un terrain d’atterrissage de Murkhana… par des inconnus.

Sidious se servit de l’accoudoir de son fauteuil pour couper le son de la diffusion audiovisuelle et pivota vers Amedda.

— Pourquoi n’ai-je reçu aucune nouvelle du Seigneur Vador à ce sujet ?

— Sans le Pic de la Charogne, ni le Seigneur Vador ni le gouverneur Tarkin n’ont accès à l’HoloNet impérial ou à tout autre dispositif de communication dûment crypté. Le premier message subspatial provenait de la résidence de l’ambassadrice du Système Murkhana. Le second a été envoyé d’un vaisseau stellaire.

— Le Seigneur Vador s’est procuré un véhicule de remplacement ?

— Oui, monseigneur.

Sidious réactiva l’holodiffusion de la salle de crise.

— Poursuivez votre rapport, directeur adjoint.

Ison inclina de nouveau la tête.

— Le Seigneur Vador et le gouverneur Tarkin ont réquisitionné le vaisseau d’un baron du crime local et se sont lancés à la poursuite du Pic de la Charogne. Lors de leur dernière transmission, ils ont déclaré qu’ils passaient en vitesse-lumière pour rejoindre le Système Fiai, plus proche du Noyau que Murkhana, mais toujours à bonne distance de la Route Commercial Perlemienne.

— Disposons-nous d’une présence militaire dans ce système ?

Le vice-amiral Rancit s’avança d’un pas pour lui répondre :

— Non, monseigneur. Nous disposons, néanmoins, de troupes dans le Système Belderone, qui se trouve à proximité.

— Monseigneur, si je puis intervenir brièvement…, requit Ison.

Sidious esquissa un geste de la main droite.

— Monseigneur, la plupart des systèmes stellaires de cette région de l’Amas de Tion sont dépourvus de stations relais hyperspatiales. Comme il y a de grandes chances que le vaisseau réquisitionné par le Seigneur Vador soit équipé d’un navordinateur standard, le gouverneur Tarkin et lui seront forcés de naviguer de borne en borne.

— Où voulez-vous en venir ?

— Tout simplement au fait que nous ne pouvons espérer pouvoir établir un rendez-vous tant que la poursuite est en cours.

Sidious fit légèrement pivoter son fauteuil.

— Vice-amiral Rancit ?

— Le Renseignement Militaire se charge en ce moment même de calculer et de prioriser les points de saut et de sortie potentiels dans les systèmes voisins, et ce jusqu’au Secteur Nilgaard. Des vaisseaux peuvent être dépêchés en conséquence, monseigneur.

Sidious coupa de nouveau le son de la diffusion, joignit ses mains en pyramide, et les porta à ses lèvres. Au cours de ses méditations, il avait essayé, sans succès, de remonter un courant sinueux du Côté Obscur jusqu’à sa source. Qu’avait-il essayé de lui communiquer ?

Il ne faisait aucun doute que Vador pistait le Pic de la Charogne en focalisant son attention sur sa chambre de méditation. Mais pourquoi n’avait-il pas perçu de perturbation dans la Force lorsque le vaisseau de Tarkin avait été volé ? Dans la transmission privée qu’il avait envoyée de Murkhana, le Seigneur Noir avait jugé le dépôt secret comme sans importance ; rien de plus que du matériel égaré hérité de la guerre. Alors est-ce que son inattention était due à un sentiment latent de frustration vis-à-vis de la mission ? Peut-être Tarkin et lui étaient-ils en désaccord ? Ou avait-il sciemment laissé le piège se refermer sur eux, comme Sidious l’avait encouragé à le faire ?

— Dites-moi, directeur adjoint, reprit-il lorsque la diffusion audio fut rétablie, pensez-vous qu’il existe le moindre lien entre les outils de communication et le vol du vaisseau du gouverneur Tarkin ?

— Monseigneur, nous enquêtons sur les preuves répertoriées et sur leurs numéros de série dans le but de vérifier l’identité de ceux qui ont rassemblé les composants. Pour le moment, néanmoins, nous n’avons encore aucune piste.

— Il doit y avoir un lien d’une manière ou d’une autre, monseigneur, intervint Rancit. Ceux qui sont désormais en possession du Pic de la Charogne ont dû s’introduire dans le système de sécurité du vaisseau et tout porte à croire qu’il s’agit des mêmes assaillants qui ont attaqué la base du gouverneur Tarkin. Cela signifie qu’ils ont ajouté maintenant l’un des vaisseaux les plus sophistiqués de la Marine à leur arsenal de cuirassés et de chasseurs-droïdes.

Harus Ison secouait la tête.

— Rien ne le prouve. Nous n’avons pas assez d’informations pour établir un lien solide entre les deux.

Sidious s’accorda un instant pour étudier les options, puis ordonna :

— Vice-amiral Rancit, dites à vos analystes de poursuivre leurs calculs. Vous tiendrez également informée l’Amirauté que les ressources situées dans le Système Belderone doivent se tenir prêtes à sauter en hyperespace pour rejoindre toute cible que le Seigneur Vador et le gouverneur Tarkin auront estimé important.

Il se pencha vers l’objectif de l’holocam et ajouta :

— Directeur adjoint Ison, avec tous les autres, vous vous emploierez à découvrir les intentions de notre nouvel ennemi.

— La Sécurité Impériale ne prendra pas de repos avant d’y être parvenu, rétorqua Ison en inclinant la tête avec raideur.

— Nous les appréhenderons, monseigneur, ajouta Rancit. Même s’il faut pour cela déplacer la moitié des vaisseaux capitaux de la flotte.

Lorsque le Pic de la Charogne regagna l’espace réel dans le Système Fiai, les yeux des six pirates étaient fixés sur l’écran principal du réseau de senseurs.

— Tu vois quelque chose ? demanda Teller à Cala.

— Aucun signe du Predator pour le moment.

Teller attendit un long moment, puis poussa un soupir de soulagement et se leva.

— Il est temps de se mettre au travail ! annonça-t-il en se tournant vers Salikk. Les coordonnées pour Galidraan ?

Salikk regarda le navordinateur.

— Ça arrive.

Les mots avaient à peine quitté les lèvres charnues du Gotal que Cala s’écria :

— Teller !

— Je le savais, je le savais ! marmonna Hask en décrivant des petits cercles sur elle-même tandis que Teller s’empressait de revenir devant le réseau de senseurs.

Le dos raide dans son fauteuil, Cala observait fixement l’écran.

— Le Predator !

— À point nommé, nota Artoz depuis l’autre côté de la cabine de commandement.

Teller cligna des yeux, incrédule.

Inquiet, Cala porta une main à son front, juste en dessous de sa coiffe.

— C’est le Predator et il vient vers nous à pleine vitesse !

— Même Vador n’est pas capable d’une chose pareille ! s’exclama Teller. Il y a une balise de repérage cachée quelque part à bord de ce vaisseau !

— Ou sur la coque, ou dissimulée dans un train d’atterrissage ou encore à peu près n’importe où, intervint Hask, mais à moins que tu ne veuilles couper l’alimentation pour faire une sortie extravéhiculaire et procéder à une fouille complète, tu ferais mieux de revoir ton plan.

Teller crispa les muscles de sa mâchoire.

— On ne revoit rien du tout. Ni maintenant, ni jamais.

Il balaya la pièce du regard.

Artoz et Salikk acquiescèrent, imités par Cala et Anora, puis finalement par Hask.

Teller détendit les muscles de son cou dans un mouvement circulaire de la tête, puis fit signe à Hask.

— La console comm est à toi.

Alors que Cala se levait de son fauteuil, Teller ajouta :

— Doc, Cala et toi feriez mieux de vous mettre en position.

Puis il se tourna vers Salikk :

— En route pour Galidraan.

 

Assis dans le fauteuil du copilote, Tarkin observait Vador dans l’expectative tandis que le Predator émergeait de l’hyperespace.

— Pleins gaz, droit devant !

Tarkin s’exécuta avec plaisir bien qu’il ne vît rien d’autre à travers la baie d’observation que l’espace constellé d’étoiles, et rien d’autre sur les écrans des senseurs qu’un bruit de fond.

Les mains gantées de Vador, crispées l’instant d’avant sur le manche, fusèrent en direction de la console de navigation.

— Ils sont de nouveau passés en vitesse-lumière.

— J’en aurais fait tout autant à leur place, commenta Tarkin.

Vador resta silencieux quelques instants, puis releva la tête comme s’il venait de se réveiller d’un somme et pivota vers l’affichage du navordinateur, les doigts de sa main gauche enfonçant les touches du panneau de commande.

— Galidraan, annonça-t-il finalement.

Tarkin lui laissa un moment pour entrer les coordonnées de saut, puis déclara :

— La chambre. C’est grâce à elle que vous arrivez à les suivre.

Vador se tourna vers lui, le regard toujours aussi impénétrable.

— Voilà qui est perspicace de votre part, gouverneur.

Tarkin fit apparaître une carte du Système Galidraan et commença à l’étudier.

— Un saut encore plus court. Deux planètes habitées, indiqua-t-il avant de froncer les sourcils, perplexe.

— Pourquoi ne pas sauter beaucoup plus loin ? Une erreur de jugement ?

Vador ne répondit pas.

Tarkin récupéra des informations supplémentaires sur le système :

— Il y a une station spatiale impériale en orbite stationnaire autour de Galidraan III.

À en croire l’image projetée à l’écran, la station était une roue désuète dotée de nombreux spatiodocks équidistants du périmètre.

— Ça ne servirait pas à grand-chose d’avertir la station, déclara Vador, vu que notre arrivée précéderait celle d’une transmission subspatiale.

— La station ne sera pas capable de voir les déplacements du Pic de la Charogne, en tout état de cause.

Vador grommela et tendit la main vers le levier de commande de l’hyperdrive. De l’autre côté de la baie d’observation, les étoiles s’allongèrent et le Predator bondit en vitesse-lumière.

Tarkin s’appuya contre le dossier de son fauteuil et laissa ses yeux s’ajuster au couloir marbré dans lequel le vaisseau était entré. Ni passé ni avenir, ici, se dit-il. Le temps est une toile blanche. Et pourtant, il ne pouvait empêcher son esprit de vagabonder en tous sens.

Repensant au sage conseil de Jova, il se remémora les innombrables fois où, au cours de ses années d’entraînement sur le plateau, il avait vécu chacun des scénarios évoqués par son oncle. Des animaux s’étaient échappés malgré les efforts des chasseurs pour remonter leur piste et les traquer. D’autres, tapis dans un coin, avaient jailli de leur cachette et auraient, à une occasion, dévoré les Rodiens si Jova, Tarkin et Zellit n’étaient pas venus à leur secours. Certains, en poussant des braiements, avaient appelé des renforts bien trop importants pour que les humains et les Rodiens osent un affrontement. Et en effet, beaucoup avaient également fini par arrêter de rôder autour d’eux pour se mettre en quête d’un gibier plus vulnérable, de cibles plus faciles. Au fin fond de l’espace, il avait constaté les mêmes ressorts. Des groupes de pirates avaient fini par se retourner contre leurs poursuivants, appelé des renforts au secours, délaissé le Grand Seswenna pour des zones moins fortifiées et employé toutes sortes de méthodes de dissimulation, comme celles consistant à tirer profit de l’éclat de la lumière stellaire, des queues scintillantes des comètes ou des nuages iridescents du gaz interstellaire.

Une fois de plus, Tarkin essaya d’assembler tous les morceaux du puzzle : le faux appel de détresse, l’attaque furtive contre Sentinelle, l’appât placé sur Murkhana, le vol du vaisseau, et maintenant cette fuite.

Pour aller où ? Dans quel but ?

Du coin de l’œil, il vit Vador préparer le Predator pour le passage en vitesse subluminique. Le couloir intemporel s’étrécit, puis disparut et les lignes stellaires se contractèrent en points lumineux qui se déformèrent légèrement lorsque le vaisseau regagna l’espace réel. À peine Vador avait-il mis en service la propulsion ionique que le hurlement des alarmes de proximité emplit le cockpit. Et quelque chose de gros et blanc rebondit contre le bouclier déflecteur avant.

Tarkin s’empressa de capturer une image de l’objet sur l’un des écrans d’affichage. C’était le cadavre mutilé et givré d’un stormtrooper.

Au second plan, de violentes explosions flamboyaient non loin de l’enveloppe atmosphérique de Galidraan III. Des volutes incandescentes, à l’image de proéminences stellaires, jaillissaient dans l’espace.

Vador poussa à fond la manette des gaz et le Predator s’enfonça plus avant dans le système. Ils bénéficiaient désormais d’un visuel direct sur la station. Un arc de sa jante argentée était éventré et il s’en déversait gaz, flammes, objets et cadavres. La cause de la destruction était invisible à l’œil nu comme pour les scanners du Predator, donnant l’impression que des rayons d’énergie concentrée étaient décochés depuis les profondeurs de l’espace. Les armes à faisceaux de particules placées le long de la coque incurvée de la station répliquaient vainement en direction du vide. À la manière d’une créature marine qui harcèle sa proie de morsures et se retire avant qu’elle puisse contre-attaquer, la menace invisible continua d’alterner attaques et replis, ses lasers lacérant de manière chirurgicale les rayons de la roue comme pour chercher à détacher la jante du moyeu. De nouvelles explosions plus importantes se déployèrent en corolles, agrémentées de grappes denses de débris surchauffés.

Tarkin se pencha sur les commandes à la recherche d’une signature thermique, d’un flux gravitationnel, d’un rayonnement de carburant, tout ce qui aurait pu lui permettre de localiser le Pic de la Charogne avec précision. En dépit de ses efforts, il savait toutefois qu’il n’était pas de taille à traquer la corvette. Elle pouvait se dissimuler à n’importe quel senseur, circonscrire sa propre chaleur et sa propre réverbération, accélérer pour éviter un danger, manœuvrer avec une aisance dépassant de beaucoup celle des vaisseaux de sa taille. Mais ce qui inquiétait plus encore Tarkin concernait son nouvel équipage : il ne s’agissait pas de simples voleurs de vaisseaux ; ils étaient, comme Vador l’avait pressenti plus tôt, des dissidents. Des militants, chargés d’une mission à accomplir.

Tels des essaims de moustiques, des volées d’ARC-170 et de chasseurs V-wings s’échappaient des baies de lancement de la station pour attaquer la chose mystérieuse qui pilonnait leur nid. En retrait des combats pour éviter d’être pris pour cible par inadvertance, Vador bascula vivement le Predator à tribord avec l’intention évidente de suivre en parallèle l’ouragan de destruction que semait le Pic de la Charogne.

Tarkin assista à l’éruption de sphères en fusion le long de la coque déjà grêlée de la station, véritable efflorescence d’explosions globulaires.

Vador vira de bord et décéléra pour ajuster sa vitesse à celle du Pic de la Charogne.

— Cette fois, je te tiens ! l’entendit murmurer Tarkin.

À travers la baie d’observation, il pouvait voir les ARC-170 et les V-wings se livrer à un jeu dangereux avec leur adversaire : plongeant droit au cœur de la pluie de décharges d’énergie, ils espéraient forcer le Pic de la Charogne à trahir sa position, même si cela impliquait de se sacrifier pour y parvenir.

Les mains crispées sur le manche, Vador ordonna :

— Sergent Crest, préparez-vous à tirer.

La voix du stormtrooper s’éleva du nonciateur du cockpit dans un grésillement :

— Prêt à faire feu, Seigneur Vador. Mais nous n’avons pas de visuel de la cible.

— Remontez les faisceaux des décharges jusqu’à leur source, sergent, et concentrez toute la puissance des quadrilasers vers ce point d’origine.

— Ce qui revient à tirer à l’aveugle, nota Tarkin.

— De votre point de vue uniquement, répliqua Vador, puis il lâcha le manche directionnel et se tourna vers lui. C’est votre vaisseau. Vitesse maximale.

Tarkin tira à lui le manche du copilote et commença à faire slalomer le Predator à travers le champ de débris projetés par la station mutilée. Simultanément, Vador fit pivoter son siège pour se placer devant les commandes des canons avant. Tout en veillant à ne pas faire surchauffer les moteurs ioniques, Tarkin dirigea le vaisseau à travers des agrégats de métaux scorifiés, de chasseurs stellaires carbonisés et de cadavres tourbillonnants.

Loin à tribord, le nombre d’explosions diminuait. Le Pic de la Charogne disposait d’assez de puissance pour détruire la station entière, mais les dissidents tempéraient leur attaque, peut-être pour économiser de l’énergie en vue de futures cibles. Était-ce là leur but ? s’interrogea Tarkin. Utiliser son vaisseau pour infliger autant de dégâts que possible ?

L’idée que le Pic de la Charogne puisse laisser un tel héritage le démoralisait.

— Ouvrez le feu ! ordonna Vador.

Des lances d’énergie brute jaillirent du Predator et le crachotement saccadé de ses quadrilasers alternatifs résonna à travers le cockpit. Les salves allèrent éclabousser les boucliers à rayons et à particules du Pic de la Charogne, et l’espace d’un court instant, le vaisseau apparut. Puis, très rapidement, les rayons du Predator ne rencontrèrent plus que le vide de l’espace.

Tarkin fit une embardée à bâbord dans l’espoir d’éviter la riposte du Pic de la Charogne, mais les pirates en firent de même et leur première salve faillit avoir raison des boucliers inférieurs du Predator. Tarkin poussa le manche loin de lui, frôla l’atmosphère de Galidraan III et la corvette suivit la même trajectoire, prête à lui bondir dessus. Victime d’un second tir de barrage, le Predator trembla sous l’assaut et les lumières du tableau de bord se mirent à vaciller.

— Laissez-les passer devant vous, suggéra Vador.

Tarkin décéléra brutalement et feignit de virer à tribord dans l’objectif de pousser les pirates à passer au-dessus d’eux. Au lieu de cela, le Pic de la Charogne bondit et exécuta un demi-tour – une manœuvre que Tarkin ne comprit qu’à l’instant où il vit une tempête de rayons énergétiques converger vers le cockpit.

L’embardée et la rotation brutale qu’enchaîna le Moff faillirent projeter Vador hors de son fauteuil.

— Ils se servent des canons à pivot, déclara vivement Tarkin. Ils vont nous transpercer de part en part. Nous n’avons qu’une solution pour nous en sortir : reportez toute la puissance sur les boucliers arrière.

Vador crut Tarkin sur parole, et le Predator ralentit considérablement en conséquence. Les rayons du Pic de la Charogne les percutèrent, n’ayant pour effet que de projeter le petit vaisseau en avant.

— Boucliers à quarante pour cent, indiqua Vador.

Tarkin tira sur le manche tremblotant et entraîna le Predator dans une ascension soudaine, mais tenter d’échapper à son propre vaisseau était voué à l’échec. Un nouveau tir de barrage secoua le Predator.

Vador écrasa un poing sur la console.

— Ils ont brouillé nos instruments. Boucliers à vingt pour cent.

Venue de l’arrière, une puissante détonation se fraya un chemin jusqu’au cockpit. Des flammes apparurent à la surface des instruments parcourus d’étincelles et le vaisseau se retrouva sans boucliers ni propulsion, tel un poids mort flottant dans l’espace.

 

— Évaluation des dégâts ! cria Teller vers le capteur audio du Pic de la Charogne en se relevant péniblement.

Toujours sanglé dans le fauteuil du pilote, Salikk était occupé à ranimer les systèmes groggy, des touffes de sa fourrure flottant à travers la cabine, portées par les courants d’air recyclé.

La voix d’Anora jaillit de l’un des haut-parleurs :

— Les commandes des sas des capsules de secours sont grillées.

— On n’aura pas besoin de ces capsules, Anora. Quoi d’autre ?

La voix d’Hask résonna à son tour :

— L’incendie dans la soute à fret numéro trois a été éteint.

— Verrouille la soute et désactive les ventilateurs d’extraction, répondit vivement Teller. Je ne tiens pas à ce qu’on ventile de la fumée ou de la mousse extinctrice.

Il frotta ses mains poussiéreuses, puis se laissa tomber dans le fauteuil de l’officier comm.

— Cala, où es-tu ?

Le haut-parleur crépita :

— Dans l’aire de maintenance arrière. Le générateur d’hyperdrive semble en état de marche, mais il émet des bruits franchement bizarres. Je ne sais pas ce que ça donnera au prochain saut. Impossible à dire, pour le moment en tout cas, tant que l’autodiagnostic n’est pas terminé.

— Il reste combien de temps ?

— Dix minutes. Quinze, tout au plus, répondit-il avant de pousser un soupir sonore. Ils savaient exactement où frapper, Teller.

— Bien sûr qu’ils le savaient : c’est le vaisseau de Tarkin !

— Et ils ont réussi une fois de plus à nous suivre à travers l’hyperespace.

Salikk intervint avant que Teller puisse répondre :

— La station vient de nous envoyer un autre escadron de chasseurs. Ils volent en formation d’exploration, en rayonnant à partir du Parsec Predator.

Teller fit apparaître une vue agrandie du vaisseau paralysé.

— J’avais espéré qu’ils le prendraient pour nous, mais Tarkin doit encore bénéficier d’un système comm limité.

Contrarié, il secoua la tête et ajouta :

— On a dû offrir un sacré spectacle au personnel de la station.

— Les chasseurs…, répéta Salikk.

Teller regarda les ARC-170 et les V-wings commencer à se déployer.

— La propulsion subluminique fonctionne ?

— Oui. Mais ce qui m’inquiète, c’est que les chasseurs pourront renifler la piste de notre signature ionique.

— Inquiète-toi plutôt de Vador. Il est probablement en train de les guider droit sur nous.

Teller réfléchit un instant, puis ajouta :

— Manœuvre d’évitement. Déplacement en silence complet.

Salikk lui jeta un coup d’œil.

— Est-ce qu’on ne devrait pas plutôt leur porter le coup fatal ? Je veux dire, une opportunité pareille – tuer deux commandants en chef de l’Empire –, ça ne se présente pas deux fois !

— Ils sont remplaçables.

— Tarkin, peut-être. Mais Vador ?

— Qui sait ? L’Empereur garde peut-être une dizaine de types comme lui au frais. De plus, on doit profiter au maximum de ce vaisseau tant qu’il est entre nos mains.

Salikk hocha la tête.

— D’accord, j’accepte, mais avec réticence.

— La réticence, ça me va.

Teller pivota vers le capteur audio :

— Doc, où es-tu ?

— Dans la soute de fret numéro un, répondit Artoz. Et il y a quelque chose ici que tu devrais venir voir avant qu’on passe en vitesse-lumière.

Teller échangea un regard avec Salikk.

— Ça ira, ici ?

— Vas-y, dit le Gotal d’une voix bêlante.

Teller s’extirpa du fauteuil et se hâta de franchir l’écoutille pour rejoindre le pont arrière. Il traversa la cabine de conférence au pas de course, puis emprunta la coursive de jonction menant au turbo-ascenseur, lequel s’avéra hors d’usage. Il s’empressa de regagner la cabine principale et prit l’escalier de secours pour descendre l’étage qui le séparait de la salle des machines, puis il se fraya un chemin à travers un batardeau étroit donnant accès aux soutes de fret. Lorsqu’il passa la porte de la soute numéro un, il vit Artoz sortir à quatre pattes de derrière une grande sphère noire. Cette dernière était posée sur une estrade hexagonale qui occupait la majeure partie de la pièce.

— Qu’y a-t-il de si important ?

Le Mon Cal se releva et indiqua la sphère d’un geste.

— Ça.

Teller observa l’orbe de haut en bas.

— Ouais, j’avais vu ça lorsqu’on avait fouillé le vaisseau la première fois. Quel est le problème ?

— Pour commencer, sais-tu ce que c’est ?

— Cala pense qu’il s’agit d’un composant du système de furtivité…

— Non, ce n’est pas le cas, le coupa Artoz. Si le champ de dissimulation était alimenté à l’hybridium, alors oui, cette explication serait plausible. Mais la furtivité du vaisseau fonctionne à partir de cristaux de stygium, ce qui rend inutile un appareil de ce type.

— D’accord, dit Teller avec circonspection.

Artoz montra les joints verticaux de la sphère.

— Les hémisphères sont conçus pour se séparer de manière longitudinale, mais je ne vois aucun tableau de contrôle ni aucun autre moyen de déclencher l’ouverture.

Teller contourna la sphère et s’arrêta en cours de route.

— Tu penses qu’elle abrite une sorte de mouchard ?

— Nos scanners n’en ont pas détecté.

Les yeux de Teller se mirent à briller de perplexité.

— Alors ?

— Je pense que c’est la balise de repérage.

Teller le dévisagea, bouche bée.

— Ce que je veux dire, c’est que je pense que cette chose appartient à Vador, et que s’il a été capable de nous pister jusqu’à Fiai, puis jusqu’à Galidraan, c’est parce qu’il l’a suivie, elle.

Le front de Teller se plissa.

— Écoute, il a beau être plus une machine qu’un homme, il…

— On a passé le vaisseau au peigne fin de la proue à la poupe et des soutes au plafond, et on n’a trouvé aucune sorte de localisateur capable de suivre notre position à travers l’hyperespace.

Le comlink de Teller sonna avant qu’il puisse répondre.

— Le générateur d’hyperdrive a terminé son autodiagnostic, l’informa Cala. Il continue de faire des bruits bizarres, mais on devrait pouvoir filer.

— Alors descends nous rejoindre, ordonna-t-il avant d’appeler le cockpit. Salikk, conduis-nous au point de saut, mais attends sur place jusqu’à ce que je te donne le feu vert. Il y a une chose dont nous devons nous occuper avant de passer en hyperespace.

— Compris, répondit Salikk.

— Oh… et une dernière chose : détruis la borne hyper-spatiale de Galidraan au passage. Que personne ne puisse nous suivre, cette fois.

 

Immobile, Vador se tenait debout devant la baie d’observation du Predator, la lueur écarlate des éclairages se réfléchissant sur son casque, les globes noirs de son masque vraisemblablement fixés sur le Pic de la Charogne en fuite.

— La station de Galidraan vient de dépêcher une navette et prépare sa corvette la plus rapide pour se lancer à leur poursuite, l’informa Tarkin depuis le fauteuil du copilote. Le sergent Crest fait état de trois morts.

— Votre vaisseau n’a pas encore quitté le système, annonça lentement Vador, puis il tourna la tête et aboya : commandant d’escadrille, vous me recevez ?

Une voix gazouillante s’éleva du nonciateur du cockpit :

— Haut et clair, Seigneur Vador. Nous attendons vos ordres.

— Commandant, dirigez votre escadrille de chasseurs vers la face éclairée de la lune la plus éloignée de Galidraan IV.

— Mes scanners ne détectent rien dans ces alentours, Seigneur Vador.

— Je fournirai toutes les données de ciblage dont vous aurez besoin, commandant.

— Affirmatif, Seigneur Vador. Nous gardons le réseau de combat et le réseau tactique ouverts.

Tarkin appuya l’écouteur capitonné d’un casque comm contre son oreille gauche.

— Les navordinateurs de la station calculent tous les points de sortie potentiels, indiqua-t-il.

Vador joignit les mains derrière son dos.

— La Route Commerciale Perlemienne est à un petit saut de ce système.

— La fuite n’est pas leur intention, commenta Tarkin.

Vador se détourna de la baie d’observation pour le regarder.

— Si la fuite était leur objectif, expliqua le Moff, ils ne seraient déjà plus là.

Il se racla la gorge de manière éloquente et poursuivit :

— Non. Ils ont autre chose en tête. Peut-être une autre cible à attaquer.

Il appuya de nouveau l’écouteur contre son oreille, puis actionna un interrupteur qui bascula la diffusion audio sur le nonciateur.

— … calculs sont terminés, gouverneur Tarkin, annonça une voix grave. Nous les transmettons à la navette, pour que le Seigneur Vador et vous puissiez y accéder immédiatement.

— Merci, colonel, répondit Tarkin dans le micro du casque. En attendant, je souhaite une liste des systèmes locaux abritant des ressources impériales.

— Je peux vous fournir cette information dès à présent, gouverneur. Nous disposons d’une importante garnison dans le Système de Felucia. Rhen Var possède un petit avant-poste en surface. Nam Chorios abrite une colonie minière ainsi qu’un petit établissement pénitentiaire impérial. Nous disposons d’avant-postes supplémentaires à Trogan et Jomark. Et, bien sûr, de la base navale et du chantier mobile réparation et maintenance numéro quatre de la Marine Impériale à Belderone.

— Qu’avons-nous de stationné au chantier, colonel ?

— Plusieurs corvettes CR-90, deux croiseurs légers de classe Carrack, une paire de Victory et un Destroyer de classe Venator, le Liberator.

— Un instant, colonel.

Tarkin coupa le son de la diffusion audio et pivota en direction de Vador.

— Vous êtes à peu près certain que nos faisceaux de particules les ont touchés ?

Vador hocha la tête.

— Si l’hyperdrive est endommagé, ils pourraient faire le choix de se tapir dans un coin le temps d’effectuer les réparations, soumit Tarkin.

Vador acquiesça de nouveau.

— Ou de chercher à se procurer des pièces de rechange, suggéra le Seigneur Noir.

— Et s’ils ne sont pas endommagés ?

— De poursuivre leur mission, répondit Vador sur un ton définitif.

Tarkin resta silencieux un long moment. N’ayant jamais eu, par le passé, l’opportunité de mettre le Pic de la Charogne à l’épreuve, la récente confrontation avait hissé le vaisseau encore plus haut dans son estime.

— Pourquoi ne nous ont-ils pas tués lorsqu’ils en ont eu l’occasion ? Se pourrait-il qu’ils se croient poursuivis pas le seigneur de guerre sugi ?

— Non, répondit sèchement Vador. Ils savent que c’est nous.

— Alors peut-être qu’ils ne nous ont pas tués parce qu’ils ont un rendez-vous ou un programme à honorer ?

— Possible.

Tarkin pivota pour se remettre en place.

— Belderone ?

— Trop bien protégée… même pour votre corvette.

— Felucia, alors : pour se venger de la façon dont la République l’a abandonnée ?

— Sans intérêt.

— Rhen Var n’est rien de plus qu’un avant-poste… Alors : Nam Chorios ?

Vador prit un moment pour répondre :

— Ordonnez à Belderone d’y envoyer le Liberator.

Tarkin réactiva le micro de son casque audio.

— Colonel, nous avons besoin de contacter Belderone et Coruscant, commença-t-il à dire, puis il s’interrompit en entendant gronder Vador.

— Qu’y a-t-il ?

— Qui qu’ils soient, ils ne manquent pas de ressources, répondit le Seigneur Noir en se tournant lentement vers la baie d’observation. Ils ont largué la chambre de méditation.

La voix du commandant de l’escadrille de chasseurs jaillit du nonciateur :

— Seigneur Vador, nos scanners ont détecté un objet…

— Commandant, ordonnez à vos pilotes d’ouvrir le feu le long de ce vecteur. Lasers et torpilles à protons s’ils en sont équipés.

— Seigneur Vador, nous avons une détonation, annonça le commandant quelques instants plus tard.

Tarkin bondit de son fauteuil pour rejoindre Vador.

— Ont-ils touché le Pic de la Charogne ?

La réponse fut longue à arriver :

— Seigneur Vador, dit le commandant, l’ennemi a détruit la borne hyperspatiale du système. Nos senseurs détectent également un tourbillon de sillage.

— Ils sont passés en vitesse-lumière, en déduisit Vador.

Tarkin frotta son front immense.

— Alors maintenant, ils ne sont plus seulement invisibles, mais intraçables.