Chapitre 18
Suspendu la tête en bas
La respiration lente et profonde, Vador observait, dans une immobilité inquiétante, la soute illuminée du cargo YT. Il semblait à deux doigts de tirer son sabre laser pour trancher et déchiqueter tout ce qui l’entourait. Tarkin doutait, lui aussi, qu’ils découvrent quoi que ce soit d’intéressant parmi ces caisses de cargaison empilées pêle-mêle, mais il tenait néanmoins à y jeter un œil.
Le vieux vaisseau désordonné et malodorant se tenait campé sous les feux des projecteurs de l’un des hangars auxiliaires du Destroyer Stellaire, à la manière d’un insecte médusé et méfiant. De forme circulaire, doté d’un cockpit en saillie flanqué d’une paire de mandibules rectangulaires, le Réticent avait dû connaître des jours meilleurs voilà de ça un bon siècle, et se montrait désormais tout juste apte à voler. La rampe de chargement située sous le cockpit avait été abaissée et des bâtons lumineux installés dehors comme dedans de façon à inonder la soute de lumière. La fouille sommaire effectuée par Vador et Tarkin avait mis à jour une cargaison d’outils, de fournitures médicales, de rouleaux de tissu, de bacs de bijoux fantaisie kitch, de cuves pleines de boissons alcoolisées et de pièces détachées de droïdes. Scanners et dispositifs d’enregistrement à la main, le lieutenant Crest et deux autres stormtroopers – tous trois délestés de leurs casques et plastrons – suivaient Vador et Tarkin dans leur perquisition.
Le Réticent était le seul vaisseau à avoir été séquestré suite à la catastrophe survenue en bordure de l’espace d’Obroa-skai. Les autres victimes du champ d’interdiction défectueux avaient été vérifiées et autorisées à poursuivre leur route, ce qui pour la plupart avait consisté à rejoindre directement la planète qui avait donné son nom au secteur afin de réparer les dégâts causés par des collisions avec les capsules de sauvetage et les débris provenant du paquebot stellaire mon cal. Ce dernier ainsi que le Détenteur avaient également été remorqués jusqu’à Obroa-skai, et le nombre des victimes estimé à onze cents morts. L’Immobilisateur ultramoderne dont les dispositifs de sécurité s’étaient avérés défaillants avait été renvoyé à la Corporation Technique Corellienne pour être réévalué. D’authentiques holovids des événements avaient inondé l’HoloNet, filmées pour la plupart par des passagers du paquebot de luxe et par des équipes média qui avaient appris par des sources non identifiées qu’une opération impériale allait se dérouler à la périphérie du système stellaire. Quant au Pic de la Charogne, il n’était réapparu dans aucun système encore. Le temps que la frégate la plus rapide de la force opérationnelle rejoigne Thustra, le vaisseau de Tarkin avait déjà sauté en direction d’une région spatiale inconnue.
Crest lisait sur son datapad :
— La signature d’identification du vaisseau ne semble pas avoir été modifiée. Il n’a même pas changé de nom depuis des décennies. L’équipage se l’est procuré il y a trois ans auprès d’un négociant sur Lantillies. L’itinéraire que nous avons hacké sur le navordinateur corrobore l’histoire du capitaine. Ils ont sauté depuis Taris jusqu’à Thustra afin de récupérer des pièces de rechange pour une flotte d’appareils Sephi qui avaient été vendues en vrac à la fin de la guerre à un centre de secours medevac d’Obroa-skai.
— Comment ont été organisés la livraison et le chargement ? demanda Tarkin.
— Par l’intermédiaire d’un courtier sur Lantillies – probablement le même négociant que celui qui leur avait fourni le vaisseau. Il s’informe sur ce qui est désiré, où et quand, puis dépêche ses équipes pour réaliser les transferts.
— L’équipage du Réticent est constitué d’opérateurs free lance ?
Crest hocha la tête.
— Ils se décrivent comme des commerçants itinérants.
— Où devaient-ils se rendre après Obroa-skai ? voulut savoir Vador.
— Sur Taanab, répondit Crest, pour acheter des denrées alimentaires. Leurs contacts de Thustra, Obroa-skai et Taanab ont confirmé tout cela.
— Et la console comm ? demanda Tarkin.
Crest se tourna vers lui.
— Elle n’est pas configurée pour enregistrer les appels entrants et sortants, mais le journal de bord concorde, en tout cas en ce qui concerne le nom des gens que le capitaine dit avoir contactés et le lieu où se trouvait le vaisseau à ce moment-là.
Vador scruta la soute, comme en quête d’une chose indéterminée.
— Combien de temps sont-ils restés à Thustra ?
— Trois heures, Seigneur Vador.
Le Sith jeta un coup d’œil à Tarkin.
— Pourquoi une telle hâte ?
Le gouverneur réfléchit.
— Apparemment, la marchandise – les pièces de rechange des appareils Sephi – avait déjà été mise en caisses et n’attendait plus qu’eux. Le centre médical d’Obroa-skai avait demandé qu’ils accélèrent la livraison.
Il marqua une courte pause, puis reprit :
— L’hyperdrive du Réticent est très largement inférieur à celui du Pic de la Charogne. Il ne dépasse pas les compétences d’un Classe Cinq, je dirais. Ce qui signifie que même s’ils ont pénétré dans le Système Obroa-skai à l’instant précis où l’on attendait le Pic de la Charogne, le Réticent a dû passer la barre de l’hyperespace bien avant lui. Un tel timing pourrait être dû à une simple coïncidence, mais une autre question qu’on peut se poser, c’est : pour quelle raison les dissidents sont-ils restés si longtemps dans le Système Thustra ?
Au mot « coïncidence », Vador s’était brusquement tourné vers Tarkin. Le Seigneur Noir s’élança alors vers la cargaison et, tel un tourbillon, se mit à déplacer les caisses sur son passage – sans qu’il lui soit nécessaire d’en toucher une seule.
— Ce vaisseau avait rendez-vous avec le Pic de la Charogne. J’en suis persuadé !
Tarkin questionna Crest du regard.
— En tout cas, Seigneur Vador, déclara le stormtrooper, rien n’indique que les deux appareils aient été en contact. La console comm ne fait état d’aucune transmission inter-vaisseau et rien n’indique dans la mémoire du sas de l’anneau d’amarrage que le Réticent ait partagé une liaison avec un autre engin.
Vador ne répondit pas tout de suite, et lorsqu’il prit la parole, ce fut pour poser une question à Tarkin :
— Pourquoi les dissidents auraient-ils choisi de nous envoyer un vaisseau, d’ailleurs ?
Tarkin esquissa un léger sourire, conscient qu’il s’agissait d’une question rhétorique.
— Pour nous mettre sur une fausse piste, si je me rappelle correctement vos propos. Pour nous donner amplement de quoi nous occuper pendant qu’ils se préparent à frapper autre part.
Vador tourna les talons et se dirigea vers la rampe de chargement de la soute.
— Voyons ce que le capitaine de ce tas de ferraille trouvera à dire pour sa défense.
— Vous n’êtes pas un commerçant itinérant, capitaine, gronda Vador, le bras tendu devant lui. Vous avez partie liée avec un groupe de dissidents résolus à détruire des installations militaires dans le but d’ébranler la souveraineté de l’Empire.
Nu et menotté, le capitaine du Réticent, un Koorivar doté d’une longue corne crânienne, était suspendu à trois mètres du sol, captif d’un champ de force produit par un dispositif dont le prototype avait été fabriqué sur Géonosis longtemps avant la guerre. Pour autant que Tarkin le sache, l’Exécutrice était le seul vaisseau capital de la Flotte Impériale à être équipé d’un tel appareil, qui créait et alimentait le champ au moyen de générateurs en forme de disques fixés au pont et au plafond, à la verticale l’un de l’autre. Version carcérale du champ d’interdiction, cette cage d’énergie nécessitait que le prisonnier porte des menottes magnétiques servant non seulement à le maintenir en place, mais aussi à surveiller ses signes vitaux : trop puissant, le champ pouvait provoquer un arrêt cardiaque ou causer des dégâts cérébraux irréversibles. Par ailleurs – et comme si le champ lui-même ne suffisait pas –, les menottes pouvaient servir d’instruments de torture, capables de libérer de puissantes décharges électriques. Vador, cependant, n’avait nul besoin d’utiliser ces menottes. En proie à ses pouvoirs obscurs, le capitaine se tordait de douleur.
— Seigneur Vador, intervint Tarkin, nous devrions au moins lui laisser la possibilité de répondre.
Le Sith baissa la main à contrecœur, et le visage strié du Koorivar se détendit avec une expression de soulagement teinté de prudence.
— Je suis un commerçant, rien de plus, parvint-il à articuler. Torturez-moi autant que vous le voulez, mais ça ne changera pas le fait que nous nous rendions sur Obroa-skai pour affaires.
— Des affaires de conspirateurs ! rétorqua Vador. Des affaires de saboteurs !
Le Koorivar secoua faiblement la tête.
— Des affaires d’acheteurs et de vendeurs. Car c’est ce que nous sommes, et rien d’autre.
Il marqua une pause, puis ajouta :
— Nous n’étions pas tous des Séparatistes.
Tarkin sourit intérieurement. C’était vrai : les populations des mondes et des villes koorivar ne s’étaient pas toutes associées à Dooku. Même chose pour les Sy Myrthiens, dont deux représentants constituaient le reste de l’équipage.
Mais qu’est-ce que le capitaine voulait dire par là ?
— Pourquoi tenez-vous à rappeler ce fait, capitaine ? demanda-t-il.
Le regard trouble du Koorivar se posa sur lui.
— En représailles à la guerre, l’Empire châtie aussi bien les innocents que les coupables et nous tient tous pour responsables.
— Responsables de quoi, capitaine ? Pensez-vous que les Séparatistes ont eu tort de faire sécession vis-à-vis de la République ?
— Si je passe mon temps à bouger, c’est pour éviter d’avoir à décider de qui a tort et de qui a raison.
— Un individu sans attache, nota Tarkin. Comme votre espèce, autrefois sans planète.
— Je vous dis la vérité.
— Vous mentez ! répliqua Vador. Admettez que vous avez prêté allégeance à l’alliance séparatiste ! C’est vous et vos alliés actuels qui cherchez à exercer des représailles !
Anticipant une nouvelle vague de souffrance, le Koorivar ferma vivement les yeux, mais Vador n’en fit rien.
— Parlez-moi du courtier qui vous a fourni ces clients, demanda Tarkin.
— Knotts. C’est un humain qui travaille depuis Lantillies. Contactez-le, il confirmera tout ce que je vous ai dit.
— Il vous a aidés à vous procurer le Réticent ?
— Il nous a avancé les crédits, oui.
— Et vous êtes ses employés depuis trois ans.
— Pas ses employés. Nous sommes free lance. Il fournit des missions à plusieurs équipes, et nous, on en accepte de la part de plusieurs courtiers.
— Qu’est-ce qui, à l’origine, vous a amenés à travailler pour un courtier humain sur Lantillies ?
— Une réclame ou quelque chose de ce genre. Je ne sais plus exactement.
— Et cette fois-ci, il vous a donné pour instruction de vous rendre de Taris à Thustra ?
— Oui.
— Un travail à effectuer en urgence, présuma Tarkin.
— Sans ses appareils Sephi, le med-centre ne peut pas effectuer d’évacuation médicale.
— Donc, un simple aller-retour. Aucune interaction avec qui que ce soit à part le fournisseur.
— Aucune interaction. C’est exactement ça.
— Ni même d’interaction de vaisseau à vaisseau ?
— Inutile. La cargaison était à récupérer au sol sur Thustra.
Tarkin décrivit un cercle autour du Koorivar.
— Au cours de vos derniers voyages, avez-vous vu des holovids montrant des attaques d’installations impériales ?
— Nous essayons de ne pas prêter attention aux médias.
— Pas de racines, et une belle paire d’œillères, résuma Tarkin. C’est cela ?
Le capitaine ricana.
— Je plaide coupable.
Tarkin échangea un regard avec Vador.
— Voilà une tournure de phrase intéressante, capitaine.
Le Sith laissa échapper une sorte de grognement.
— Nous ne sommes pas dans une salle d’audience de Coruscant, gouverneur. Les questions de ce genre ne mènent à rien.
— Vous préférez l’usage de la souffrance.
— Si nécessaire. À moins, bien sûr, que vous n’y voyiez à redire ?
Le ton menaçant de Vador laissa Tarkin indifférent.
— Je pressens que notre capitaine perdra la raison avant de se mettre à table. Mais je reconnais également que nous perdons notre temps. À chaque seconde passée ici, le Pic de la Charogne augmente ses chances de nous échapper définitivement, déclara le Moff tout en observant le Koorivar du coin de l’œil.
Vador regarda le capitaine droit en face.
— Oui, celui-là est plus résistant qu’il n’y paraît, et il n’est pas innocent. Je veux passer plus de temps avec lui. Si ça se trouve, les dissidents ont abandonné votre vaisseau à Thustra pour monter à bord du cargo YT. Il pourrait s’agir de l’un d’eux.
— Alors quelqu’un d’autre est en possession du Pic de la Charogne, car on n’en a trouvé aucune trace là-bas.
Tarkin jeta un dernier coup d’œil au capitaine et poussa un soupir :
— Je vous laisse travailler, Seigneur Vador.
Les cris d’angoisse du Koorivar l’accompagnèrent tout le long du couloir menant aux turbo-ascenseurs du centre de détention.
Teller trouva Anora dans le cockpit baigné de pénombre, se balançant distraitement dans l’un des fauteuils de la corvette, les jambes croisées et ses pieds nus posés sur le tableau de bord. Salikk et les autres se reposaient, tout comme le Pic de la Charogne, flottant au gré des diverses forces de gravité du vide spatial.
— Tout sera bientôt terminé, dit-il en se laissant tomber dans un fauteuil.
Le visage de la jeune femme se figea.
— Il doit y avoir une façon plus rassurante de dire ça.
Il la dévisagea en fronçant les sourcils.
— C’est toi l’écrivain.
— Oui, mais là, tu parles, tu n’écris pas.
Son froncement de sourcils s’accentua.
— Tu sais bien ce que je veux dire. Plus qu’un seul saut et on passe aux choses sérieuses.
Les yeux d’Anora scrutèrent son visage.
— Et ensuite ?
Pris au dépourvu, il haussa les épaules.
— Si on a de la chance, on s’en sort et on poursuit la lutte.
Elle ferma les yeux et secoua la tête.
— Si on a de la chance… Et voilà, tu recommences à mettre des si partout !
Il ne voyait pas comment exprimer les choses autrement ; comment ne pas modérer ses propos. En y réfléchissant, il se rappelait avoir fait un commentaire quasi identique lorsque le Réticent était parti pour Obroa-skai. « Si on a de la chance, Tarkin et Vador estimeront que l’arrivée du vaisseau est une simple coïncidence, et l’équipage sera libéré après un rapide interrogatoire. » Mais ce n’est pas ce qui s’était passé. Les Impériaux avaient vu clair dans leur jeu, le vaisseau avait été saisi et l’équipage mis aux arrêts. Aux dernières nouvelles, ni Tarkin ni Vador n’avaient réussi à leur soutirer beaucoup d’informations, mais Teller savait que le gouverneur n’en resterait pas là. Tarkin ne prendrait pas de repos avant d’avoir mis à jour les bonnes connexions, et une fois son but atteint… Eh bien, il serait déjà trop tard.
Si on a de la chance.
Les dernières infos concernant la situation à Obroa-skai avaient aussi été accompagnées d’une bonne nouvelle. L’équipage de la corvette connaissait désormais le nom de la nouvelle cible à attaquer, ce qui lui épargnait la peine d’en désigner une dans la liste croissante des mauvais choix. L’objectif était encore un centre impérial à l’importance relative, mais Teller s’en contenterait. Personne à bord du Pic de la Charogne n’avait l’illusion de croire qu’ils pourraient renverser l’Empire à eux seuls. Ils contribuaient simplement à donner naissance aux prémices de ce que Teller espérait voir devenir un jour une vraie « cause ». À cela s’ajoutait le désir de vengeance pour tout ce qu’ils avaient eu à subir, les atrocités que l’Empire avait commises et qui les avaient poussés à se regrouper.
— C’était sympa de ta part de laisser à Cala le privilège de détruire la balise de repérage, déclara Anora.
— Il l’avait mérité.
Anora reposa les pieds sur le sol froid, bâilla et s’étira en tendant ses bras fins et noirs au-dessus de sa tête.
— On part quand ?
Teller jeta un coup d’œil à l’écran du chrono.
— Il nous reste deux heures environ.
— Est-ce que tu fais une entière confiance à ton contact ?
Teller balança la tête de gauche à droite.
— Jusqu’à un certain point, je dirais. Il est convaincu qu’il a autant à gagner que nous.
Anora esquissa un sourire.
— Je m’attendais à ce que tu ajoutes « ou à perdre ».
— C’était sous-entendu.
— Même pas un petit pincement au cœur pour nos doublures d’Obroa-skai ?
Teller poussa un soupir de déception.
— Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi.
— Je ne fais que demander.
— Ils connaissaient les risques, répliqua Teller, le visage impassible.
Anora prit un long moment avant de répondre :
— Je sais que je donne l’impression de parler comme Hask, mais c’est peut-être juste que je n’ai pas les épaules pour ça, Teller, déclara-t-elle avant de lui jeter un regard oblique. Devenir une révolutionnaire n’a jamais été mon ambition.
Il ricana.
— Je n’en crois rien. Bien avant que je te rencontre, tu te battais déjà à ta façon pour la bonne cause. À travers tes écrits, tout du moins.
Elle sourit tristement.
— Ce n’est pas vraiment la même chose que de tirer au canon laser sur des gens ou que de laisser des étrangers porter le chapeau pour toi.
Il l’observa un instant.
— Franchement, je suis étonné de t’entendre parler de cette façon. C’est toi qui as insisté pour participer quand l’occasion s’est présentée.
Elle opina du chef.
— Je ne le nie pas. Mais puisqu’il s’agit de se montrer franc l’un envers l’autre, je crois que c’était plus dans l’idée de booster ma carrière qu’autre chose.
— La gloire et la richesse.
— Sans doute. Et tout comme nos doublures, je connaissais les risques. Mais je sous-estimais le COMPORN et l’Empereur.
— L’étendue de son influence.
— Pas seulement, dit-elle, le visage grave. Sa puissance. Sa barbarie.
— Tu n’es pas la seule à l’avoir sous-estimé.
Anora jeta un regard furtif vers l’écoutille du centre de commandement et baissa la voix :
— Je me sens toujours aussi mal d’avoir entraîné Hask dans cette histoire.
Teller haussa les épaules.
— Il est toujours possible de la déposer quelque part.
Les yeux d’Anora le dévisagèrent.
— Vraiment ?
— Bien sûr, si c’est ce qu’elle veut.
— Tu crois que je devrais lui proposer ?
— Vas-y. Je te parie ce que tu veux qu’elle refusera.
Anora laissa échapper un petit rire.
— Je pense que tu as raison.
Elle resta silencieuse un instant, puis ajouta :
— Est-ce qu’on va gagner, Teller ?
Tendant la main, il lui tapota doucement l’épaule.
— Est-ce qu’on n’a pas gagné à chaque fois jusqu’à maintenant ?
Le sanctuaire Sith caché sous la surface n’était pas le seul endroit du Palais imprégné par le Côté Obscur. Plusieurs pièces et couloirs des niveaux inférieurs portaient encore les stigmates de la fureur pleine d’amertume que Dark Vador y avait déchaînée dans les derniers jours de la Guerre des Clones. Dans l’une de ces pièces, un humain et un Koorivar étaient agenouillés dans deux îlots distincts de lumière vive projetée depuis des sources dissimulées dans le plafond voûté. Aux yeux de Dark Sidious, cependant, il s’agissait moins d’êtres vivants que de tourbillons dans les eaux troubles qu’il traversait depuis que le dépôt secret découvert sur Murkhana avait été porté à son attention ; des obstacles qu’il devait franchir pour parvenir à un tronçon de cours d’eau plus serein.
Sidious occupait une simple chaise située bien à l’écart des deux îlots de lumière, le droïde 11-4D à ses côtés et, légèrement en retrait derrière lui, le Vizir Mas Amedda également à portée de main. Face à lui, de l’autre côté de la pièce dépouillée, deux soldats de la Garde Royale encadraient la porte en pierre sculptée.
Le Koorivar – Bracchia – était un informateur du Renseignement Impérial affecté à Murkhana ; l’humain – Stellan –, l’officier traitant du Koorivar au Bureau de la Sécurité basé sur Coruscant. Sidious savait déjà tout ce qu’il avait besoin de savoir sur leurs antécédents et leurs états de service. Il ne souhaitait rien de plus que les observer à travers la Force, et étudier leurs réactions face à quelques questions simples.
— Koorivar, appela-t-il depuis son siège, vous avez servi la République pendant la guerre, et plus récemment porté assistance au Seigneur Vador et au gouverneur Tarkin sur Murkhana.
La corne torsadée du Koorivar réfléchit la lumière lorsqu’il releva légèrement la tête.
— Je les ai aidés à débarrasser Murkhana des trafiquants d’armes, monseigneur.
— C’est ce qu’il paraît, oui. Mais racontez-nous ce que vous leur avez dit à l’époque à propos de votre première enquête sur les dispositifs de brouillage de l’HoloNet.
— Monseigneur, j’ai indiqué que je n’étais pas tombé moi-même sur cet équipement, et que je n’avais jamais eu connaissance de rumeurs affirmant qu’un tel dépôt existait dans Murkhana City. Je ne faisais qu’obéir aux instructions envoyées depuis Coruscant.
L’observant à travers la Force, Sidious vit les eaux agitées de remous commencer à se calmer et se soumettre au courant.
— Officier traitant, dit-il à Stellan. Par « Coruscant », c’est vous qu’il désigne, n’est-ce pas ?
— Oui, monseigneur. L’enquête a été réalisée à ma demande.
Humain trapu sans âge, Stellan avait une grosse tête coiffée de cheveux châtains ondulés et flanquée de grandes oreilles implantées bas.
— Alors expliquez-nous comment vous avez appris l’existence de ce dépôt.
L’homme leva son visage quelconque vers la lumière, clignant et plissant des yeux sous le coup de l’étonnement.
— Monseigneur, pardonnez-moi. Je pensais que vous étiez au courant que cette information avait été fournie au BSI par le Renseignement Militaire.
Le pouls de Sidious s’accéléra. Au lieu de s’aplanir, le tourbillon se contracta sur lui-même et se mit à tournoyer plus vite, comme s’il enjoignait le Sith à plonger dans son entonnoir giratoire pour découvrir quelle irrégularité, cachée sous la surface, avait entraîné sa formation.
Comme si le Côté Obscur lui susurrait d’une voix rauque : « Explique ça. »
Prenant une expression humble, l’officier traitant baissa la tête.
— Monseigneur, le Renseignement Militaire procédait à cette époque à un inventaire des dépôts secrets d’armement, de véhicules et d’équipement qui, pendant la guerre, avaient été laissés à l’abandon sur une multitude de mondes disputés, depuis Raxus jusqu’à Utapau. En ce qui concerne les dispositifs de brouillage de l’HoloNet, le RM ne savait pas avec certitude si le dépôt se trouvait sur Murkhana depuis plusieurs années, ou si, d’origine plus récente, il méritait une enquête plus approfondie. Étant donné qu’une enquête de cette sorte ne relevait pas de sa compétence, le RM a transmis l’affaire à la Sécurité Impériale.
— À vous, dit Sidious.
— Oui, monseigneur. J’ai reçu une holovid de qualité médiocre montrant l’équipement.
— Une holovid ? Filmée par quelqu’un du Renseignement Militaire ?
— C’est la conclusion à laquelle je suis arrivée, monseigneur. Je ne voyais pas la nécessité de chercher à en savoir plus, et le directeur adjoint non plus. Nous nous sommes contentés de charger… Bracchia de procéder à une enquête.
Sidious repensa au premier briefing qui s’était tenu dans la salle d’audience. Évoquant la crainte du BSI que les brouilleurs puissent être utilisés pour diffuser de la propagande anti-impériale, le directeur adjoint Ison s’était publiquement étonné que le Renseignement Naval se montrât subitement soucieux vis-à-vis de ce dépôt alors qu’il ne les avait pas inquiétés outre mesure lorsqu’ils en avaient entendu parler pour la première fois. Aucun des amiraux – ni Rancit, ni Screed, ni aucun des autres – n’avait répondu à la question d’Ison.
Sans quitter l’officier des yeux, Sidious s’adressa à voix basse à 11-4D :
— Droïde, localise cette holovid que le Renseignement Militaire a envoyée au BSI.
11-4D introduisit son bras à interface dans le port d’accès situé derrière le siège de Sidious. Après un long silence, il déclara :
— Votre Majesté, je ne trouve aucune trace de l’holovid.
— Je m’en doutais, rétorqua l’Empereur. Mais tu la trouveras dans les archives du BSI.
Quelques instants s’écoulèrent à nouveau, puis 11-4D reprit la parole :
— Oui, Votre Majesté. L’holovid est archivée.
Et dans les images projetées, songea Sidious, on devrait repérer des marques révélatrices d’altération. Parce que l’holovid était un montage. Truquée par quelqu’un ayant accès aux codes impériaux et à des dispositifs capables d’infiltrer l’HoloNet.
Il venait de découvrir, dans les profondeurs, les irrégularités responsables des turbulences en surface. Et tout portait à croire à présent qu’elles se trouvaient bien plus proches qu’il ne l’avait cru.