l’herbe du temps

par Norman SPINRAD

 

 

Je, moi, l’étincelle d’esprit qui est ma conscience vit dans un endroit qui n’est ni lieu ni temps. La durée objective de mon existence est de cent dix ans, mais de mon propre point de vue conscient je suis immortel – la conscience de ma propre conscience ne peut jamais cesser d’être. Je suis un bébé suis un garçon suis un jeune homme suis un vieillard agonisant entre des draps blancs. Je suis tous ces mois, ai toujours été tous ces mois serai toujours tous ces mois dans le lieu où vit mon esprit dans un instant éternel détaché du temps…

Un siècle et dix ans, voilà mon éternité. Ma vie est comme une biographie dans un livre : immuable, invariable, fixée dans sa longueur, illimitée dans sa durée. Je suis né le 3 avril 2040. Le 2 décembre 2150, je meurs. Les événements entre ces deux dates ont lieu en un seul instant. Disons que je les passe en revue à volonté, revivant chacun d’eux encore et encore et encore éternellement. Même cela n’est pas tout à fait vrai : je revis chaque moment de mon siècle et dix ans simultanément, une fois et à jamais… Comment puis-je raconter mon histoire ? Comment la faire comprendre ? Le langage que nous avons en commun, vous et moi, est fondé sur des concepts de temps que nous ne partageons pas.

Pour moi, ce que vous appelez le temps n’existe pas. Je ne passe pas de moment en moment, chronologiquement, comme un aveugle tâtonnant dans un tunnel. Je suis simultanément en tous les points de ce tunnel, et mes yeux sont grands ouverts. Le temps est pour moi, dans un sens, ce que l’espace est pour vous, un domaine, dans lequel je puis me mouvoir dans plus d’une direction.

Comment vous l’expliquer ? Comment vous faire comprendre ? Nous sommes, tous, des hommes nés de femmes, mais d’un certain côté vous avez moins de points communs avec moi qu’avec un singe ou une amibe. Cependant, il faut que je vous dise tout, comme je pourrai. Il est trop tard pour moi, il sera trop tard, il a été trop tard. Je suis pris au piège dans cet enfer éternel et je ne pourrai jamais m’en évader, même dans la mort. Ma vie est immuable, invariable, car j’ai mangé du Tempo, l’Herbe du Temps. Mais vous ne devez pas ! Il faut m’écouter ! Il faut comprendre ! Ne goûtez jamais à l’Herbe du Temps ! Je vais essayer de vous faire comprendre, de mon mieux. Il est inutile de commencer au commencement. Il n’y a pas de commencement. Il n’y a pas de fin. Rien que des lieux-temps importants. Permettez-moi de les décrire. Ainsi, je parviendrai peut-être à vous faire comprendre…

8 septembre 2050. J’ai dix ans. Je suis dans le bureau du DPhipps, qui est le directeur de l’hôpital psychiatrique où je suis enfermé depuis huit ans. Le 12 juin 2053, on finira par comprendre que je ne suis pas fou. C’est tout ce qu’on verra, mais cela suffira pour qu’on me libère. Mais, le 8 septembre 2050, je me trouve dans un hôpital psychiatrique.

Le 8 septembre 2050 est le jour où la première expédition revient de Tau Ceti. L’arrivée doit être télévisée, et c’est pourquoi je suis dans le bureau du DPhipps, assis devant la télévision en compagnie du directeur. L’expédition de Tau Ceti est la raison pour laquelle je suis interné. J’en parle depuis dix ans. J’ai exigé que le vaisseau soit mis en quarantaine, que les échantillons de plantes qu’il rapporte soient détruits, qu’on n’autorise pas leur culture sur le sol de la Terre. Depuis toujours on a considéré cela comme un symptôme évident de schizophrénie car, après tout, avant le 12 juillet 2048 le vaisseau n’était pas parti pour Tau Ceti, et jusqu’à ce jour il n’était pas encore revenu.

Mais, ce 8 septembre 2050, on s’interroge. C’est de ce jour que je parle depuis que je suis sorti du sein de ma mère, et il est arrivé. Alors je suis maintenant seul avec le DPhipps tandis que l’image du vaisseau apparaît sur l’écran de télévision et se pose sur l’image d’une vaste piste de béton…

Je hurle, sachant que cela ne sert à rien :

— Faites-leur comprendre ! Arrêtez-les, docteur, arrêtez-les !

Le DPhipps me regarde, avec inquiétude. Ses petits yeux bleus expriment à la fois la pitié, la perplexité et la peur. Il connaît trop bien mon cas. Sur son bureau, à côté du poste de télévision portatif, il y a un épais dossier me concernant, rempli de centaines de feuillets, de rapports, de traitements. Sur chacun de ces rapports, une date est mentionnée : 8 septembre 2050. J’ai répété mon histoire, toujours la même, inlassablement. Le vaisseau partira pour Tau Ceti le 12 juillet 2048. Il reviendra le 8 septembre 2050. L’expédition révélera que Tau Ceti a douze planètes… Seule la cinquième est semblable à la Terre et on y trouve une vie végétale et animale… l’expédition rapportera des échantillons et des graines d’une petite plante cétienne aux larges feuilles vertes et aux petites fleurs violettes… On appellera la plante tempis ceti… Elle sera plus connue sous le nom de Tempo… Avant que ses propriétés soient bien connues, des graines se seront dispersées et le Tempo poussera partout sur Terre… Quelque part, pour une raison inconnue, des gens commenceront à manger les feuilles de Tempo. Ils se transformeront. Ils parleront follement de l’avenir et on les croira déments… jusqu’à ce que les événements futurs dont ils parlent se produisent…

Alors la plante sera considérée comme une drogue dangereuse et sa culture interdite. Manger du Tempo deviendra un délit… Mais, comme pour le fruit défendu, les gens continueront d’en manger… Et finalement les tempomanes deviendront les criminels les plus recherchés du monde entier. Les gouvernements de la Terre tenteront de soutirer de leurs esprits torturés les secrets de l’avenir…

Tout cela est dans mon dossier, que le Dr Phipps connaît bien. Pendant huit ans, on a jugé que c’était un exemple remarquablement constant de délire psychotique.

Mais aujourd’hui nous sommes le 8 septembre 2050. Comme je l’ai prédit, le vaisseau revient de Tau Ceti. Le Dr Phipps me regarde fixement tandis que la passerelle est avancée et que l’équipage débarque. Je vois ses mâchoires se crisper tandis que les journalistes se pressent autour du capitaine, un homme grand et maigre portant un petit sac.

Le capitaine secoue la tête, ahuri par le déluge de questions des reporters.

— Permettez-moi de faire d’abord une brève déclaration, dit-il. Nous gagnerons tous du temps.

La figure pâle et maigre du capitaine apparaît en gros plan sur l’écran de télévision.

— L’expédition est une réussite, dit-il. Le système de Tau Ceti que nous avons découvert a douze planètes, la cinquième ressemblant à la Terre, et où nous avons découvert des plantes et une vie animale simple. Une vie animale très particulière…

— Qu’entendez-vous par particulière ? lance un journaliste.

Le capitaine fronce les sourcils et fait un geste vague.

— Eh bien, tout d’abord tous ces animaux semblent être herbivores et ils se nourrissent uniquement d’une espèce de plante qui pousse en abondance sur la planète. Pas d’animaux de proie. Et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Je ne sais pas trop comment vous l’expliquer, mais toutes ces créatures semblent savoir à l’avance ce que les autres bestioles vont faire. Et ce que nous allions faire aussi. Nous avons eu un mal fou à nous procurer des spécimens. Nous pensons que cela a un rapport quelconque avec la plante. Comme si elle agissait sur leur notion du temps.

— Comment le savez-vous ? demande un reporter.

— Eh bien, nous avons fait manger de ces feuilles à nos animaux de laboratoire. Nous avons pu constater le même phénomène. Il devenait pratiquement impossible de les saisir. C’est pourquoi le Dr Lominov a baptisé cette plante tempis ceti.

— Ça ressemble à quoi ? demande un autre journaliste.

— Eh bien, c’est un peu semblable à… Mais attendez. J’en ai un spécimen ici même.

Il plonge la main dans son petit sac et en retire une plante. Zoom de la caméra sur la main du capitaine.

Il tient une tige avec ses racines, ses larges feuilles vertes et ses petites fleurs violettes.

Les mains du Dr Phipps se mettent à trembler. Il me regarde. Il me regarde et me regarde et me regarde…

12 mai 2062. Je suis dans une petite pièce. Pensez si vous voulez à une chambre d’hôpital. Ou à un laboratoire. Ou à une cellule de prison. Elle est tout cela. Il y a trois mois que j’y suis enfermé.

Je suis assis sur une confortable chaise longue. De l’autre côté de la table il y a un homme appartenant à un service de renseignements gouvernemental. Sur la table, il y a un magnétophone. Les bobines tournent. L’homme fronce les sourcils, l’air exaspéré.

— Notre sujet est le mois de décembre 2081, dit-il. Vous allez me dire tout ce que vous savez des événements de décembre 2081.

Je le regarde sombrement, sans un mot. J'en ai assez de tous ces hommes envoyés par des services de renseignements, des conseils économiques, des commissions scientifiques et de leurs interminables questions futiles.

— Écoutez, reprend sèchement l’homme, nous savons qu’il est inutile de faire appel à votre patriotisme inexistant. Nous savons tous trop bien que vous vous moquez éperdument de ce que vos connaissances peuvent signifier pour votre pays. Mais n’oubliez pas ceci : vous êtes un criminel, vous avez été condamné à une peine indéterminée. Coopérez, et vous serez libéré dans deux ans. Gardez le silence, et nous vous garderons enfermé ici jusqu’à ce que vous pourrissiez, ou jusqu’à ce que vous vous fourriez dans la tête que le seul moyen que vous avez de sortir est de parler. Notre sujet est le mois de décembre de l’an 2081. Maintenant parlez !

Je soupire. Je sais qu’il est inutile de leur expliquer que la connaissance de l’avenir ne sert à rien, que l’avenir ne peut être changé parce qu’il n’a pas été changé parce qu’il ne sera pas changé. Ils refusent de comprendre que le choix est une illusion provoquée par le fait que les lieux-temps de l’avenir sont cachés à ceux qui avancent chronologiquement le long du fleuve-temps, passant d’un moment à l’autre dans une ignorance béate. Ils ne veulent pas comprendre que les moments du temps à venir ne sont pas différents des moments du passé ou du présent ; fixes, immuables, invariables. Ils vivent dans l’illusion du temps séquentiel.

Alors je commence à parler du mois de décembre de l’an 2081. Je sais qu’ils ne seront pas satisfaits tant que je ne leur dirai pas tout ce que je sais des années entre le temps présent et le 2 décembre 2150. Je sais qu’ils ne seront pas satisfaits parce qu’ils ne sont pas satisfaits, qu’ils n’ont pas été satisfaits, ne seront pas satisfaits…

Alors je parle de ce terrible mois de décembre d’il y a neuf ans dans l’avenir…

 

2 décembre 2150. Je suis vieux, très vieux, j’ai cent dix ans. Mon corps usé par l’âge est couché entre les draps blancs et frais du lit d’hôpital, mes poumons, mon cœur, mes vaisseaux sanguins, mes organes sont tous malades. Seul mon esprit reste intact éternellement, l’esprit d’un bébé-enfant-adolescent-homme-vieillard. Je me meurs, dans un sens. Au-delà de ce 2 décembre 2150 mon corps n’existe plus en tant qu’organisme vivant. Pour moi, le temps au-delà de cette date est aussi inconnu que le temps au-delà du 3 avril 2040 dans l’autre direction temporelle.

D’une part, je meurs. D’autre part, je suis immortel. L’étincelle de ma conscience ne s’éteindra pas. Mon esprit ne connaîtra pas la fin, car il n’y a ni fin ni commencement. J’existe en un instant qui dure éternellement et couvre cent dix ans.

Pensez à ma vie comme à un chapitre d’un livre, le livre de l’éternité, un roman où il n’y a ni première ni dernière page. Le chapitre qui est mon existence a cent dix pages. Il a un point de départ et un point final, mais le chapitre existe tant que le livre existe, le livre infini de l’éternité.

Ou bien considérez ma vie comme une règle longue de cent dix centimètres. La règle « commence » à un et « finit » à cent dix, mais ce commencement et cette fin concernent la distance et non la durée.

Je meurs. Je fais constamment l’expérience de l’agonie, mais je n’ai jamais fait celle de la mort. La mort est l’absence d’expérience. Elle ne peut jamais venir pour moi.

Le 2 décembre 2150 n’est qu’un lieu-temps important pour moi, un mur sombre, une barrière au-delà de laquelle je ne vois rien. L’autre mur porte la date-lieu du 3 avril 2040.

3 avril 2040. La fin soudaine du néant, le commencement abrupt du non-néant. Je suis né.

Quelle impression cela me fait-il d’être né ? Comment vous l’expliquer ? Comment vous faire comprendre ? Ma vie, toute mon existence de cent dix ans, viennent au monde en même temps, en un instant. Au « moment » de ma naissance je vis le moment de ma mort et tous les autres moments entre ces deux pôles. J’émerge du sein de ma mère et je vois ma vie comme on regarde un tableau, la peinture d’un paysage complexe ; tout à la fois, entier, une gestalt complète. Je vois mon étrange, étrange enfance, leur incompréhension alors que je sors du vagin en m’exprimant parfaitement, mon langage à peine gêné par des cordes vocales pas encore développées, alors que j’émerge du sein de ma mère en exigeant que le vaisseau revenant de Tau Ceti en ce lieu-temps du 8 septembre 2050 soit mis en quarantaine, sachant que mon exigence est futile parce qu’elle était futile, sera futile, est futile, sachant à cet instant de ma naissance que je suis ai été serai tout ce que j’ai jamais été/suis/serai et que je n’en puis changer un seul moment.

J’émerge du sein de ma mère et je meurs dans des draps blancs et frais et je suis dans le bureau du Dr Phipps regardant à la télévision le vaisseau atterrir et je suis dans une prison pendant deux ans pour parler de l’avenir et je suis dans une clairière au fond des bois où pousse une plante aux larges feuilles vertes et aux petites fleurs violettes et je cueille la plante et je la mange et je sais ce que je ferai ai fait et fais…

J’émerge du sein de ma mère et je vois la peinture de toute ma vie, un tableau d’événements immuables peint sur le papier et l’éternelle toile du temps…

Mais je ne vois pas seulement le « tableau ». Je suis le « tableau » et je suis le peintre et je suis aussi en dehors de la toile je la regarde dans son ensemble et je ne suis rien de tout cela.

Et je vois l’immuable lieu-temps qui détermine tout le reste, le 4 mars 2060. Changez cela, et tout le tableau se dissout et je vis comme n’importe quel homme, béatement, un instant après l’autre, délivré de tout cet enfer d’omniscience. Mais le changement lui-même n’est qu’illusion.

Le 4 mars 2060 dans un bois proche du lieu où je suis né. Mais la connaissance de l’horreur que cette journée apportera, a apportée, apporte ne peut rien changer. Je ferai ce que je fais ferai ai fait parce que je le ferai le fais le…

3 avril 2040, et j’émerge du sein de ma mère, un bébé-enfant-adolescent-homme-vieillard, dans une cellule de prison dans un hôpital psychiatrique mourant entre des draps blancs et frais…

4 mars 2060. J’ai vingt ans. Je suis dans un bois, dans une clairière. Devant moi pousse une petite plante aux larges feuilles vertes et aux fleurs violettes… Tempo, l’Herbe du Temps, qui a hanté, hante, hantera ma vie sans fin. Je sais ce que je fais ferai ai fait parce que je le ferai l’ai fait le fais.

Comment l’expliquer ? Comment vous faire comprendre que cet instant est invariable, inévitable, que même si je connaissais, connaîtrai, connais ses redoutables conséquences je n’y puis rien changer ?

Le langage est inadéquat. Ce que je vous ai révélé est une semi-vérité inévitable. Tous les actes que j’accomplis durant mon existence de cent dix ans se produisent simultanément. Mais même cela ne donne qu’une faible idée de la vérité, car « simultanément » veut dire « en même temps » et le « temps » tel que vous le concevez n’a aucun rapport avec ma vie. Mais permettez-moi d’essayer de préciser.

Disons que tous les actes que j’ai accomplis, accomplirai, accomplis se produisent simultanément. Ainsi aucune connaissance inhérente à un lieu-temps particulier ne peut influer sur une action accomplie en d’autres lieux et d’autres temps. Permettez-moi d’élaborer un nouveau mensonge utile. Disons que pour moi l’action et la perception sont totalement indépendantes l’une de l’autre. A l’instant de ma naissance j’ai fait tout ce que je ferai jamais dans ma vie, instantanément, aveuglément, dans une Gestalt totale. C’est seulement dans le « moment » suivant que je perçois les résultats de ces myriades d’actes, l’horreur que ce 4 mars 2060 fera a fait fait de ma vie.

Ou bien… On dit qu’à l’instant de la mort on voit passer sa vie entière devant ses yeux. Au moment de ma naissance, toute ma vie est passée en un éclair devant mes yeux, mais pas seulement en images… dans la réalité. Je n’y puis rien changer parce que le changement est une chose qui n’existe qu’en fonction d’un rapport entre des moments différents dans le temps, et pour moi la vie est un instant éternel qui est long de cent dix ans…

Ainsi, cet abominable moment est invariable, irréversible.

4 mars 2060. Je me penche, je cueille la plante, le Tempo, j’arrache une large feuille verte, je la porte à ma bouche. Le goût est doux-amer, ferreux, désagréable. Je mâche et j’avale.

Le Tempo descend dans mon estomac, est digéré, passe dans mon sang, atteint mon cerveau. Là des changements se produisent que des hommes plus forts que moi ne peuvent comprendre, ne pourront jamais comprendre, du moins avant ce 2 décembre 2150, au-delà duquel c’est le néant. Mon corps demeure dans le cours du temps objectif, pour mûrir, vieillir, dépérir, mourir. Mais mon esprit est projeté hors du temps pour vivre tous les instants comme un seul.

C’est comme une impression de déjà vu(4). Parce que cela s’est passé le 4 mars 2060, je l’ai déjà vécu en vingt ans, depuis ma naissance. Cependant c’est le point de départ de ma Tempo-conscience dans le cours du temps objectif. Mais le cours du temps objectif n’a aucun rapport avec ce qui se passe…

Le langage, la forme même de pensée sont inadéquats. Un autre mensonge utile : dans le cours du temps objectif j’étais un être humain normal, jusqu’à ce tragique 4 mars, je vivais chronologiquement chaque instant de mes vingt précédentes années, dans l’ordre, moment après moment, après moment…

Maintenant, en ce 4 mars 2060, ma conscience se développe en deux directions, dans le cours du temps, pour emplir toute mon existence : en avant jusqu’au 2 décembre 2150 et ma mort, en arrière jusqu’au 3 avril 2040 et ma naissance. Tandis que ce lieu-temps du 4 mars « change » mon avenir, il « change » aussi mon passé, développant ma Tempo-conscience jusqu’aux deux extrémités de mon existence.

Mais une fois que le passé est changé, le passé précédent n’a jamais existé, et j’émerge du ventre de ma mère, un bébé-enfant-adolescent-homme-vieillard dans une cellule de prison dans un hôpital psychiatrique mourant entre des draps blancs et frais… Et…

Je, moi, l’étincelle d’esprit qui est ma conscience vit dans un endroit qui n’est ni lieu ni temps. La durée objective de mon existence est de cent dix ans, mais de mon propre point de vue conscient je suis immortel – la conscience de ma propre conscience ne peut jamais cesser d’être. Je suis un bébé suis un garçon suis un jeune homme suis un vieillard agonisant entre des draps blancs. Je suis tous ces mois, ai toujours été tous ces mois serai toujours tous ces mois dans le lieu où vit mon esprit dans un instant éternel détaché du temps