Trois
Après un court voyage dans l’atmosphère, la première salve de modules d’atterrissage lancée par le Stonebreaker toucha terre en soulevant des nuages de poussière tandis que leurs réacteurs baissaient de régime. À chaque fois que l’un d’entre eux atterrissait, le piston d’ouverture situé à sa base s’enfonçait, entraînant le déploiement des pans latéraux.
Tous les modules de la première vague étaient de classe Deathwind, équipés d’un système d’armes lourdes autonomes. Aussitôt les pans déployés, les armes déclenchaient un barrage mortel sur toute la zone les entourant. Les bunkers équipés de tourelles antiaériennes contre-attaquèrent, les prenant pour cible l’un après l’autre et les détruisant par des tirs bien ajustés. Les salves orbitales de la barge de bataille cessèrent avec la seconde vague de modules d’atterrissage, dont les réacteurs laissaient des traînées rouges dans leur sillage. Les Deathwind ayant joué leur rôle en occupant les artilleurs, la seconde vague de modules put atterrir près de la base sans encombres.
Kroeger saisit son épée tronçonneuse fermement et ressassa la Litanie de la Haine des Iron Warriors pour la dix-neuvième fois depuis que son module Dreadclaw avait été propulsé des entrailles du Stonebreaker. Pendant leur traversée de l’atmosphère, le module les avait ballottés comme s’il avait été animé d’une rage insatiable, mais à présent, leurs nombreuses prières aux Dieux du Chaos semblaient l’avoir apaisé. Il sourit derrière son casque en regardant les chiffres de l’altimètre décoré de crânes dégringoler : plus que quelques secondes avant l’atterrissage.
Ils devaient à présent être à portée des batteries antiaériennes du spatioport, et si le demi-sang, Honsou, avait rempli sa mission, ils ne devraient pas essuyer beaucoup de tirs. Ses lèvres se tordirent en rictus de dénigrement à l’idée que ce bâtard soit à la tête de l’une des grandes compagnies du maître de forge. Il était surprenant qu’un demi-sang se voie confier une telle responsabilité. Chaque fibre de son être haïssait Honsou.
Il parcourut des yeux les guerriers qui étaient assis à côté de lui face aux cloisons d’acier du module. Leurs armures énergétiques dentelées avaient la couleur de l’acier usé par pas moins de dix milles années de combats, et l’arme de chacun d’entre eux avait été ointe par le sang de nombreux prisonniers. L’odeur de la mort remplissait l’atmosphère confinée du module. Ses hommes s’accrochaient au harnais qui les maintenait en place, les yeux rivés sur l’écoutille qui leur faisait face, les pensées tournées vers le massacre imminent de leurs ennemis.
Kroeger avait personnellement sélectionné ces tueurs : les berserkers les plus avides de sang de toute sa grande compagnie, ayant choisi la voie de Khorne depuis plus longtemps que quiconque. Assouvir la soif de crânes du Dieu du Sang était devenu leur unique raison de vivre, et il était plus qu’improbable qu’ils se détournent un jour de cette voie jonchée de meurtres et de cadavres. Kroeger lui-même avait ressenti à de nombreuses reprises la joie intense que procuraient les massacres qui plaisaient tant à Khorne, mais il n’avait pas encore totalement succombé à la frénésie assassine du Dieu du Sang.
Une fois que le voile rouge s’était abattu devant les yeux d’un guerrier, sa survie était hypothéquée, or Kroeger avait de l’ambition. Khorne n’était pas du genre à faire dans la dentelle : il se foutait d’où venait le sang, tant qu’il coulait à flots. Telle était la cruelle vérité que découvraient, souvent trop tard, les adorateurs de ce dieu.
Les rétrofusées du module s’activèrent soudain, remplissant l’air d’un hurlement strident proche de celui d’une banshee. Kroeger assimila ce son haineux à un bon présage.
Il brandit son épée et rugit :
« Que le sang soit votre but, la mort votre compagnon et la haine votre force ! »
Peu de guerriers répondirent, trop immergés dans leurs pensées sanglantes pour ne serait-ce que remarquer qu’il s’était adressé à eux.
À présent, Kroeger crevait d’impatience : ces maudits serviteurs du dieu-cadavre allaient connaître leur douleur, il allait leur arracher l’âme à mains nues… Son rythme cardiaque s’accéléra à la perspective de massacrer ses ennemis jurés et il pria les entités du warp pour avoir l’honneur du premier sang.
Malgré les systèmes de compensation de son armure énergétique, il eut le souffle coupé par l’impact du Dreadclaw sur le sol d’Hydra Cordatus. Pour autant, il n’attendit pas que le panneau latéral du module soit entièrement ouvert et sauta par-dessus, enchaînant avec un roulé-boulé, suivi de près par le reste de son escouade. La fumée grise et dense qui s’échappait des rétrofusées ne permettait pas d’apercevoir grand-chose, sans compter que les nombreux incendies du spatioport annulaient sa vision infrarouge.
Il leva son arme, remerciant les puissances du Chaos pour lui donner la chance d’apporter la mort à ses ennemis.
L’adepte Cycerin était au bord de la panique. Ses appels à l’aide auprès de la citadelle demeuraient sans réponses, alors qu’ils étaient forcément au courant de leur situation désastreuse. La pensée que leur ennemi était capable de passer outre leurs systèmes de surveillance et de s’approcher si près sans être identifié le troublait profondément. Il maudit la composante organique de son être, capable de ressentir une telle terreur et envia une fois de plus le détachement émotionnel de ses supérieurs.
Un des écrans situés devant lui indiquait une brèche dans le mur d’enceinte extérieur et retransmettait des bribes de communication faisant état de guerriers géants en armures de métal qui massacraient tous ceux qui tentaient de s’interposer. Il lui était impossible d’organiser la défense au milieu d’un tel chaos…
Chaos.
La seule évocation de ce mot fit descendre un frisson glacial le long de son échine. Il comprenait à présent comment leurs ennemis étaient parvenus à déjouer leur surveillance. Leur maudite sorcellerie issue du warp devait avoir dérouté les esprits de la machine, les rendant aveugles aux incursions du Chaos en direction d’Hydra Cordatus. À peine cette première pensée eut-elle traversé son esprit qu’une seconde, encore plus terrifiante, suivit.
Il ne pouvait y avoir qu’une seule raison pour que les serviteurs des Puissances de la Ruine s’en prennent à cette planète. Une pléiade de runes clignotaient sur l’holocarte de la base, représentant les forces amies déployées le long des baraquements et tentant d’engager les envahisseurs. Mais Cycerin vit de suite que cela ne suffirait pas : ils avaient subi trop de pertes lors des premiers instants du bombardement.
Il se laissa tout de même rassurer par l’idée qu’ici à l’intérieur de l’Espoir, lui et ses opérateurs étaient en sécurité. Vu la structure blindée qui les entourait, il n’y avait aucun moyen pour y pénétrer de force. Absolument aucun.
Honsou abattit son épée sur le torse d’un soldat en pleurs, le séparant d’un seul coup en deux morceaux. Leur attaque à travers la brèche avait pris les impériaux totalement au dépourvu. La plupart étaient déjà morts, broyés par les effondrements engendrés par le tir nourri de son équipe d’armes lourdes.
Un officier ennemi tenta de rallier ses hommes depuis la tourelle de sa Chimère de commandement, leur hurlant de tenir bon. Honsou lui tira en pleine tête et bondit par-dessus un monceau de débris tout en faisant aller et venir sa redoutable épée parmi les soldats horrifiés. Des tirs fusaient tout autour de lui, auxquels vinrent s’ajouter ceux du bolter lourd de la Chimère. Honsou fit un roulé-boulé sur le côté, suivi de près par les explosions des bolts.
« Débarrassez-moi de ce véhicule ! », ordonna-t-il.
Positionnés sur le haut des remparts, deux géants portant d’énormes armes sur leurs épaules se tournèrent vers la Chimère. Une paire de rayons incandescents la transperça de part en part et elle disparut dans une boule de feu orange, envoyant des débris mortels tout autour d’elle. Honsou remarqua qu’une autre Chimère tentait de battre en retraite à l’opposé de la brèche en faisant feu de toutes ses armes. Mais ses artilleurs postés sur le mur tournèrent méthodiquement leurs canons laser vers elle et la détruisirent sans autre forme de procès.
Bien que la base fût inondée par les flammes, l’œil exercé d’Honsou lui apprit que la plupart des pistes d’atterrissage avaient échappé au gros des bombardements. Tandis que ses hommes se rassemblaient aux pieds des remparts, il projeta la carte du site à l’intérieur de son viseur. À travers la fumée et les flammes, il pouvait distinguer la forme d’une haute tour surmontée d’un cylindre écrasé. Ce devait être la tour de contrôle, sa cible suivante. Des carcasses et des corps jonchaient le champ de bataille : modules d’atterrissage, avions, véhicules… dont les équipages, lorsqu’ils n’étaient pas morts, se battaient pour leur survie.
Le ciel, toujours strié par les tirs des lasers de défense, continuait à vomir son flot d’Iron Warriors. Ses homologues commandants de compagnie, Forrix et Kroeger, devaient déjà être en train de semer la mort chez l’ennemi. Il allait devoir rivaliser avec eux aux yeux du maître de forge.
« Ils sont à nous à présent, frères. Suivez-moi et je vous apporterai la victoire ! », Honsou brandit son épée avant de se lancer dans un sprint jusqu’à la tour de contrôle, sachant que sa capture lui vaudrait beaucoup de reconnaissance. Il zigzagua en direction de la tour, forcé à faire plusieurs détours par les carcasses fumantes qui se trouvaient sur son chemin. Après ces trois longs mois passés dans les montagnes, c’était une véritable libération de pouvoir ainsi donner libre cours à sa rage. Même s’il n’était pas un psyker, il pouvait sentir l’odeur de mort qui flottait dans l’air.
Ici et là, ils rencontrèrent quelques poches de résistance, mais la vue de trente guerriers assoiffés de sang se jetant sur eux venait à bout du courage des plus endurcis. Lorsque Honsou et ses hommes atteignirent la tour, son épée dégoulinait du sang des vaincus.
Il devait tout de même admettre que sa construction était remarquable. Des soldats étaient postés tout autour à l’abri de redoutes angulaires parfaitement disposées, délivrant un rideau de tirs de laser. Derrière les redoutes, Honsou pouvait voir dépasser les tourelles de plusieurs chars, bien qu’il fût incapable d’en déterminer le type.
Des bunkers blindés situés à chacun des points cardinaux sulfataient les environs de la tour de contrôle d’une grêle de bolts, transformant le secteur en peloton d’exécution.
Honsou et ses sbires se faufilèrent derrière le couvert de la carcasse d’un bombardier Marauder, menacés par le tir de barrage d’un char ennemi. L’explosion assourdissante activa les filtres de ses auto-senseurs, tandis qu’une pluie de poussière et de débris s’abattait sur eux. Honsou put entendre les cris de douleur de ceux qui avaient été touchés. Il leur fallait agir vite s’ils ne voulaient pas laisser aux défenseurs l’occasion de contre-attaquer avant que les Iron Warriors n’aient le temps de consolider leurs positions.
Il franchit un trou béant dans le flanc du Marauder, dégagea le corps informe du pilote et se mit à réfléchir à la situation. Les bunkers situés aux angles étaient la clef : s’ils s’en emparaient ils pourraient remonter les lignes impériales sans problème. Cependant, le rideau de feu délivré par les bunkers était redoutable, et quiconque était assez stupide pour s’en approcher devait s’attendre à en payer le prix fort. Il ricana en apercevant plusieurs hommes de Kroeger, des berserkers, jonchant le sol, leur sang se répandant dans la poussière grise. Il se demanda si Kroeger avait connu le même sort, mais il savait bien qu’en dépit de sa témérité, ce dernier n’était pas fou : il ne risquerait pas sa propre vie si ce n’était pas nécessaire.
Alors que ses pensées étaient focalisées sur sa némésis, le sort voulu qu’il l’aperçût à quelques centaines de mètres de là, tirant inutilement au pistolet bolter sur les défenseurs. L’attaque de Kroeger contre la tour avait échoué, c’était le moment ou jamais pour Honsou de tenter sa chance. Il se faufila vers son équipe d’armes lourdes et frappa du poing les épaulières de ceux qui portaient des canons laser. Les armes imposantes ne semblaient pas les encombrer le moins du monde. Les artilleurs se retournèrent et adressèrent à leur chef un mouvement de tête en guise de reconnaissance.
Une nouvelle volée de débris leur tomba dessus tandis qu’un autre obus explosait dans les parages. Sans perdre de temps, Honsou pointa le doigt en direction du bunker le plus proche et cria :
« Quand je vous en donnerai l’ordre, visez l’angle saillant de ce bunker et continuez de tirer jusqu’à ouvrir une brèche. »
Les artilleurs acquiescèrent et Honsou poursuivit son chemin. Il savait qu’il condamnait ces hommes, mais il n’en avait cure. Un autre de ses artilleurs portait une arme étrange dotée d’un large canon agrémenté d’ornements en forme de flammes. Son armure dentelée était calcinée en de nombreux endroits, ce qui contrastait avec l’arme qui elle semblait sortir tout droit des forges démoniaques.
« Lorsque les canons laser auront percé le bunker, je veux que tu y balances assez de jus pour transformer tout ce qui restera en bouillie. »
Sans attendre la réponse, Honsou se tourna vers les canons laser et brandit son poing en direction du bunker, ordonnant dans le même temps à ses escouades de se tenir prêtes. Il escalada la carcasse du Marauder, observant les deux artilleurs se déplacer pour prendre de bonnes positions de tir, puis diriger calmement leurs canons laser vers le bunker et ouvrir le feu, salve après salve. À chaque impact, de gros morceaux de plastobéton volaient en éclats. Réalisant le danger, les impériaux tournèrent leurs armes vers les artilleurs, les noyant sous un déluge de tirs de laser et de bolts.
Les deux Iron Warriors ne prêtèrent pas la moindre attention à la menace, maintenant leur cadence de tir. Honsou fut soulagé lorsque l’angle blindé céda enfin, le plastobéton rougi par les multiples impacts de laser. L’espace d’un instant, il sembla que les deux artilleurs héroïques allaient s’en tirer, mais le tonnerre caractéristique des obusiers impériaux scella leur sort ; le tir d’artillerie les pulvérisa l’un et l’autre. Avant même que la poussière ne soit retombée, le Space Marine équipé du multifuseur sortit à découvert et fonça droit devant pour se mettre à portée. L’arme émit un horrible crissement avant de vomir sa cargaison de mort. L’artilleur avait visé juste, faisant monter la température à l’intérieur du bunker à des degrés inimaginables. Tandis que tout ce qui s’y trouvait était littéralement vaporisé, une brume rougeâtre s’échappait des bouches latérales du multifuseur.
À présent que la ligne de défense de la tour de contrôle était brisée, Honsou sortit de derrière son abri et cria :
« Mort au Faux Empereur ! »
Il bondit au-dessus du fuselage du Marauder et sprinta en direction du bunker incandescent dont les murs étaient en train de s’effondrer. Ses hommes le suivirent sans se poser de question. Sur sa gauche, il put apercevoir Kroeger en train de rassembler ses guerriers en prévision d’un assaut. Il avait probablement compris que son rival allait le coiffer au poteau.
Honsou fonça à travers les restes du bunker, ses bottes de métal s’enfonçant dans la roche en fusion. Une chaleur infernale enveloppa le bas de son corps, mais il tint bon, continuant de progresser jusqu’au cœur de la défense ennemie.
Il prit un instant pour contempler le carnage perpétré par ses hommes et se réjouit de voir que ses efforts avaient porté leurs fruits sanglants. Des membres calcinés jonchant le sol, voilà ce qu’il restait de ceux qui s’étaient trouvés à proximité du bunker. Le tir du multifuseur dans un espace aussi restreint avait vaporisé chair et os en un clin d’œil. Une tête dont la mâchoire était grande ouverte reposait bizarrement sur un tas de gravats, comme si elle y avait été placée par une main malintentionnée. Honsou donna un grand coup de pied dedans au passage.
Les soldats impériaux réorganisaient à la hâte leurs lignes, tandis que les Iron Warriors s’engouffraient dans la brèche. Honsou vit un char, un Leman Russ Demolisher, pivoter sur place pour braquer son imposante tourelle en direction des assaillants. Il se jeta instantanément à terre au moment même où les tourelles de flanc arrosaient sa position de bolts, envoyant des débris valser tout autour de lui. Un nouveau tir de multifuseur transforma la tourelle principale en un véritable enfer, mais lorsque la vapeur et la fumée se furent dissipées, le char continua d’avancer, aussi incroyable que cela puisse paraître.
Le temps ralentit tandis qu’Honsou regardait, impuissant, le canon démolisseur s’abaisser pour ajuster son tir : d’une seconde à l’autre, il serait réduit à l’état d’atomes. L’explosion terrifiante qui s’ensuivit ne fut pas celle à laquelle il s’attendait : à la place, la tourelle vola en éclats, puis ce fut au tour du tank d’exploser lorsque ses munitions prirent feu. Une volée de shrapnels balaya les lignes impériales, fauchant les gardes par dizaines. Honsou se détendit, devinant que la chaleur générée par le rayon du multifuseur avait du déformer le fût du canon, entraînant l’explosion prématurée de l’obus.
Il mit un genou à terre et ouvrit le feu de son pistolet bolter, abattant rageusement ceux qui avaient eu l’audace de survivre à l’explosion du Demolisher.
Les berserkers assoiffés de sang de Kroeger escaladaient les murs éboulés de la redoute, ignorant des blessures qui seraient venues à bout d’un soldat ordinaire une bonne dizaine de fois. On ne pouvait pas dire qu’il s’agissait là d’une attaque savamment orchestrée et encore moins d’un modèle d’assaut militaire : les corps étaient sauvagement démembrés, à mains nues lorsqu’il n’y avait plus d’arme disponible.
Honsou observait Kroeger évoluer parmi ses hommes, perché sur une pile de cadavres, tranchant de droite et de gauche à grands renforts d’épée tronçonneuse. Il leva sa propre épée en signe de reconnaissance en direction de son homologue commandant, mais Kroeger l’ignora, comme il s’y attendait. À l’intérieur de son casque, un large sourire illumina son visage. Il était temps de s’occuper de la tour…
L’adepte Cycerin observait la bataille évoluer avec détachement. Son moment de panique était passé. À présent, en sécurité à l’intérieur de l’Espoir, il suivait le ballet des attaquants et des défenseurs représentés par des runes colorées se déplaçant sur une carte topographique de la base. Les points rouges encerclaient la tour, se rapprochant peu à peu, mais de moins en moins nombreux grâce au tribut que les défenseurs prélevaient parmi leurs rangs.
Il se sentait un peu honteux de la panique qu’il avait éprouvée plus tôt et résolut à nouveau de solliciter son ascension vers le prochain niveau de symbiose avec la Machine. Il demanderait la permission aussitôt que ces envahisseurs impudents seraient hors d’état de nuire. En dépit des refus précédents, il ne faisait aucun doute que l’archimagos Amaethon accéderait à sa demande au vu de sa défense menée de main de maître à Jericho Falls. Il sourit discrètement tout en observant d’autres runes rouges disparaître.
Le sourire mourut sur ses lèvres lorsque l’icône représentant le bunker sud vacilla avant de passer du bleu au noir.
— Opérateur trois, que s’est-il passé ? demanda-t-il.
— Disparu, détruit ! répliqua Koval Peronus. Il était encore là il y a quelques instants…
Horrifié, Cycerin observa les runes rouges s’engouffrer à l’endroit même qui, l’instant d’avant, constituait l’épine dorsale de leur défense. Dès lors, leur ligne s’effondra avec une rapidité stupéfiante. Les runes bleues s’évaporaient tandis que les escouades étaient éliminées les unes après les autres. Cycerin parvenait à peine à se représenter le carnage perpétré à tout juste vingt mètres de là.
Des lueurs orangées miroitaient sur la vitre blindée de l’Espoir, mais aucun son n’y pénétrait, comme si les événements qui se produisaient à leur porte avaient lieu sur une autre planète. Des milliers de soldats avaient déjà donné leur vie pour défendre la tour, et d’ici la fin de la journée, beaucoup d’autres connaîtraient le même sort.
Il trouva du réconfort à l’idée que de toute façon, la tour était inviolable et qu’il n’aurait rien pu faire de mieux pour éviter ce désastre.
Un murmure d’inquiétude se répandit parmi les opérateurs au son assourdissant de quelque chose d’énorme frappant la porte principale.
« Au nom de la Machine, qu’est ce que c’est que ça ? », murmura Cycerin de terreur.
Fût-elle épaisse de plusieurs couches, la porte d’adamantium branlait sous les coups du marteau de siège du Dreadnought. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne cède aux assauts répétés de la machine de guerre déchaînée. Tenant fermement les chaînes attachées à ses jambes et ses épaules, une vingtaine des Iron Warriors les plus costauds se tenaient prêts à retenir la machine une fois qu’elle aurait rempli sa tâche.
Forrix, qui observait la scène, tentait de se représenter le tourment que vivait l’âme enfermée dans le sarcophage blindé. Être privé de la sensation du sang coulant dans ses veines au moment de la mise à mort. Être privé du contact de la chair contre la chair pendant un carnage. Un tel destin était bel et bien misérable. Il n’était pas étonnant qu’en se réveillant confiné dans une telle prison de métal, et se sachant condamné à y rester pour l’éternité, l’on finisse inéluctablement par perdre la raison.
Au moins, pour ces machines de guerre lunatiques, la folie était-elle une échappatoire. Tandis que pour Forrix, cela faisait bien longtemps que tuer ne lui procurait plus de plaisir. Dix mille années de massacres lui avaient permis d’explorer en profondeur chacune des facettes de l’âme humaine. Il avait découpé, torturé, étranglé, broyé, lacéré et démembré un nombre incalculable de créatures au cours de sa longue vie, même s’il était à présent incapable de se remémorer la moindre de ces scènes. Elles se confondaient toutes en un vague souvenir d’horreur banale dans lequel s’était peu à peu dilué son intérêt pour le massacre.
Des tirs éclataient sporadiquement, à mesure que les dernières poches de résistance étaient balayées. Les guerriers du demi-sang étaient en train de débarrasser les restes des baraquements des derniers soldats impériaux qui s’y étaient réfugiés. En dépit du mépris que Forrix ressentait pour l’héritage contaminé d’Honsou, il devait reconnaître que son rival était un commandant plus que compétent. Même mieux, il croyait toujours au rêve d’Horus et à l’unification de l’Humanité sous la bannière noire des Puissance du Chaos.
Forrix porta son attention sur son autre rival, Kroeger, qui tournait comme un animal en cage, agacé de devoir attendre que la porte de la tour de contrôle cède. Cela faisait longtemps que son impatience ne l’agaçait plus, c’était tout juste si cela l’irritait encore. L’homme était un tueur efficace, qui affrontait les ennemis du maître de forge depuis dix mille ans, il fallait bien le reconnaître. Mais le recul qu’aurait dû lui apporter une éternité de guerre et de désespoir lui faisait défaut. À la différence d’Honsou, Kroeger avait perdu toute notion de bien de l’Humanité. Il ne combattait que pour se procurer de nouveaux massacres et surtout, se venger de ceux qui leur volaient la vedette depuis si longtemps.
Pour ce qui était de lui-même, Forrix ne savait plus pour quelles raisons il se battait. Il n’avait simplement rien de mieux à faire. Il avait été damné dès l’instant où il avait renié ses vœux de loyauté envers l’Empereur. Dès lors, il n’avait pas eu d’autre choix que de suivre la voie de la damnation.
Ses guerriers se tenaient derrière lui en bon ordre, prêts à commencer le débarquement de dix mille esclaves, ouvriers, soldats et autres machines de guerre qui attendaient en orbite. Au cours des siècles qui suivirent la trahison de Terra, Forrix avait organisé des centaines d’opérations de ce type, de sorte qu’il était devenu capable d’avoir dix mille hommes fraîchement débarqués et opérationnels en moins de cinq heures.
Tant que la tour ne serait pas tombée entre leurs mains, il ne pourrait pas prendre le risque de laisser s’approcher les imposants vaisseaux de débarquement des Titans, pour l’instant à l’abri en orbite basse. Il était en effet plus que probable que des silos de torpilles orbitales soient disséminés dans les montagnes, attendant l’occasion d’abattre de telles cibles. Or le maître de forge lui avait fait clairement comprendre que la rapidité de cette campagne était essentielle. Dès que Kroeger aurait réglé son compte à la tour, il ordonnerait le débarquement.
Et alors, ce monde brûlerait.
Le Dreadnought finit par arracher la porte cabossée de ses gonds et la jeta au loin. Le hurlement de frustration de la machine résonna lugubrement à travers le spatioport tandis que ses gardiens la traînaient péniblement loin de la tour aux couloirs trop étroits pour elle.
Un large sourire sur les lèvres, Kroeger sauta par-dessus les restes de la porte, son rythme cardiaque s’accélérant sous l’effet de l’excitation. Sa soif de sang, qu’il avait été obligé de contenir en attendant de pouvoir accéder à la tour, avait atteint son paroxysme. Il pouvait entendre un concert de cris et de grognements dans son dos, émis par la marée de tueurs en armures rouges qui le suivaient.
Des tirs de laser l’accueillirent, ricochant sur son armure, mais ce n’était pas cela qui allait l’arrêter. Une cinquantaine de soldats défendaient l’intérieur de la tour : d’abjects couards qui avaient regardé leurs camarades se faire massacrer en se croyant à l’abri en ces lieux, priant sans doute pour que des renforts leur viennent en aide.
Kroeger chargea droit au cœur des défenseurs, soutenu par les tirs des Iron Warriors armés de bolters lourds qui avaient pris position de chaque côté de la porte.
En cinq puissantes enjambées, Kroeger fut au milieu des impériaux, frappant de taille et d’estoc. Le sang coulait à flots, se répandant sur le sol du hall à présent empli des cris de terreur des défenseurs. Le combat était inéquitable et Kroeger passa son épée à travers le ventre du dernier soldat avec un sentiment aigu d’insatisfaction. Massacrer de telles mauviettes était sans intérêt : l’Imperium n’était plus ce qu’il était.
Pas un de ces soldats n’aurait pu se trouver sur les murs de Terra lors des derniers jours et garder la tête haute. Mais tout ceci était du passé : il y avait encore une bataille à gagner.
L’adepte Cycerin était assis à son poste de commandement, attendant la mort. Il écoutait les cris de ses hommes à travers les hauts parleurs, sentant sa terreur revenir peu à peu, terriblement oppressante. Ses mains tremblaient sans qu’il ne puisse les contrôler, et il n’avait pas levé le moindre petit doigt depuis plusieurs minutes. Il allait mourir. Les processeurs logiques de son cerveau modifié ne décelaient aucune autre issue possible et ses prières n’y changeraient rien.
L’équipe de commandement s’était réfugiée, tremblante, à l’extrémité de la pièce, attendant épaule contre épaule que la mort les fauche à leur tour. Koval Peronus se tenait seul à part, une paire de pistolets laser brandis en direction des portes. Cycerin ne se faisait aucune illusion : Peronus ne leur sauverait pas la vie, mais la détermination qui animait ses traits était sidérante.
Soudain, la clameur des combats cessa, ce qui ne pouvait que signifier que tous les soldats avaient péri. Il était étrange de constater à quel point un lieu réputé inviolable s’était montré si vulnérable. En observant le visage de Peronus, il découvrit que des gouttelettes de sueur perlaient le long de ses tempes et que les muscles de ses mâchoires étaient contractés. Il remarqua également le tremblement tout juste perceptible de ses mains. Il était certes terrifié, mais il semblait déterminé à faire face. Cycerin n’était pas un soldat, mais il savait reconnaître le vrai courage. D’un bond, il se leva de son siège et força son corps tremblant à avancer en direction de Peronus. Sa fin ne faisait aucun doute, mais il était un adepte du Dieu de la Machine, et en tant que tel, il se devait de faire face à l’ennemi la tête haute. Un léger sourire sur les lèvres, Koval l’accueillit d’un hochement de tête qui disait sa gratitude pour le soutien que venait lui apporter son supérieur.
Il saisit l’un de ses pistolets par le canon et en offrit la poignée à Cycerin.
— Avez-vous déjà utilisé une arme ? demanda-t-il.
Cycerin secoua la tête.
— J’ai supervisé leur production dans une forge de Gryphonne IV pendant cinquante ans, mais je n’ai jamais eu l’occasion de m’en servir.
Il déglutit avec difficulté : c’était la plus longue phrase qu’il ait jamais adressée à l’un de ses subordonnés.
— Ce n’est pas difficile. Il suffit de le pointer vers l’ennemi et d’appuyer sur la gâchette, expliqua Peronus. J’ai réglé la puissance au maximum pour qu’on ait une chance de blesser l’un de ces hérétiques, ce qui fait que vous ne disposez que de trois ou quatre coups. Ne les gaspillez pas.
Cycerin hocha la tête, trop tétanisé pour répondre. Heureusement, le poids du pistolet dans sa main lui apporta un léger réconfort. Qu’on en finisse, pensa-t-il. L’adepte Etolph Cycerin était prêt à accueillir l’ennemi.
Kroeger s’accroupit à l’extrémité du couloir qui menait à la salle de contrôle et observa deux Iron Warriors placer des bombes à fusion sur la porte. Une fois qu’ils eurent réglé la minuterie, ils se retournèrent vers lui et acquiescèrent, avant de battre en retraite rapidement pour se mettre à l’abri. Les bombes explosèrent en une boule de lumière incandescente.
Kroeger fut momentanément aveuglé quand le mécanisme de compensation de son casque assombrit ses auto-senseurs. Lorsque sa vue fut revenue, un rictus de satisfaction déforma ses lèvres : la porte et la moitié du mur avaient disparu.
Pas un seul tir, pas une seule grenade, pas un seul guerrier déterminé à mourir avec honneur ne franchit le trou. Énervé de se voir refuser une occasion de se couvrir de gloire, Kroeger se lança dans le corridor et franchit le trou béant rendu opaque par la fumée et la poussière de l’explosion. Deux hommes se tenaient devant lui, pistolet à bout de bras. Peut-être était-il enfin tombé sur un ennemi digne de sa lame ? L’odeur de leur peur le fit sourire.
Mais sa joie s’évapora lorsqu’il réalisa que ni l’un ni l’autre n’étaient des guerriers. Le premier était un technicien tonsuré, le second un de ces pitoyables prêtres de la Machine.
Que pouvaient-ils donc lui offrir qu’il n’ait déjà pris chez des milliers d’humains ? L’adepte vêtu de robes poussa un cri et ouvrit le feu, mais le tir n’eut d’autre effet que de creuser un joli trou dans le mur derrière lui. Le technicien tira un battement de cœur plus tard et Kroeger accusa le coup alors que l’impact creusait un cratère dans sa plaque pectorale. Avant que l’homme n’ait le temps de tirer à nouveau, il fut sur lui. D’un seul coup de poing, il lui transforma le visage en une soupe faite d’os et de chair.
L’adepte ouvrit à nouveau le feu. Cette fois son tir fit mouche et atteignit Kroeger dans le dos. Ce dernier jura en se saisissant en même temps du poignet et du pistolet de l’homme, et en arrachant violemment le tout. L’adepte tomba à genou, horrifié, la bouche béante tandis que le sang giclait de son moignon.
Kroeger dégaina son propre pistolet, s’apprêtant à en finir avec ce pantin, lorsqu’une voix sibylline, aussi douce que le velours s’éleva depuis l’entrée dévastée.
— Serais-tu sur le point de me faire échouer, Kroeger ? Ce serait là bien malavisé…
Kroeger sentit le sang lui monter à la tête tandis qu’il abaissait son arme.
— Non, mon seigneur, lâcha-t-il en mettant humblement genou à terre, déstabilisé par la présence inattendue du maître de forge, l’un des plus puissants leaders de l’histoire des Iron Warriors.
Lorsqu’il entra dans la pièce, l’atmosphère s’assombrit soudain. Kroeger pouvait tout juste percevoir une armure de l’acier le plus sombre, presque noire, et une face ravagée de laquelle émanait un halo pâle accompagné d’une incroyable vitalité. Kroeger lutta pour se retenir de vomir à l’intérieur de son casque : tels étaient les effets de la présence de son chef.
L’armure polie du maître de forge était magnifique, et bien qu’il gardât soigneusement les yeux baissés, Kroeger devinait les formes mouvantes et les visages grimaçants qui en parcouraient la surface translucide. Liés à jamais à l’enveloppe corporelle de son maître, leurs gémissements d’agonie résonnaient atrocement dans sa tête. À chacun de ses pas, il pouvait sentir le poids des âges et l’autorité d’un homme qui avait combattu aux côtés du primarque, le grand Perturabo, sur le sol même de Terra la maudite.
Sur son passage, des traînées de fumée fantomatique tourbillonnaient telle une âme tourmentée avant de s’estomper. Kroeger n’osait pas poser son regard sur lui sans en avoir reçu l’ordre, de peur d’être instantanément foudroyé par l’un de ses gardes du corps infernaux en armure Terminator. Ces derniers se tenaient à distance respectueuse de leur seigneur, qui se mit à tourner lentement autour de Kroeger.
Le maître de forge fit courir ses doigts gantés sur l’armure de son officier, qui sentit de fortes nausées l’envahir à nouveau. Chacune des cellules de son corps se crispa et s’il parvint à rester conscient, ce fût en se réfugiant dans un océan de haine. En dépit de la douleur fulgurante, il enviait une telle puissance : quel plaisir ce devait être que de commander aux puissances de l’Empyrean, de savoir qu’une telle force coulait dans son sang ?
— Tu es un imprudent, Kroeger. Dix mille années de combats ne t’ont-elles donc rien appris ?
— Mon seul désir est de vous servir et d’éliminer ceux qui se mettent en travers de notre destin.
Le maître de forge émit un son étrange que Kroeger assimila à un ricanement.
— Ne me parle pas de destin, Kroeger. Je sais pourquoi tu te bats et cela n’a rien à voir avec un concept aussi subtil que le destin.
Le crâne de Kroeger fut parcouru de vagues d’une intense douleur lorsque son seigneur se rapprocha de lui par-derrière.
— Contente-toi de tuer les laquais du Faux Empereur, mais prends bien garde à ce que tes intérêts n’interfèrent pas avec les miens.
Kroeger acquiesça, incapable de faire quoi que ce soit d’autre. Totalement dominé par l’emprise du maître de forge, il luttait pour rester conscient.
Kroeger fut grandement soulagé quand le maître de forge l’abandonna enfin pour reporter son attention sur l’adepte, qui était dans un sale état.
— Mon sorcier, Jharek Kelmaur, m’a parlé de cet humain. Le serviteur du Dieu de la Machine avec un seul bras. Il fait partie de mes plans, Kroeger, et tu as failli le tuer.
— Je… je demande votre pardon, mon seigneur… murmura Kroeger.
— Arrange-toi pour qu’il reste en vie et tu seras pardonné.
— Il ne mourra pas…
— S’il meurt, tu le suivras en enfer ! promit le maître de forge tout en quittant la pièce.
En regardant son seigneur s’en aller, Kroeger sentit les contractions nauséeuses disparaître et il put enfin se relever. Il se tourna vers l’adepte qui baignait désormais dans son sang. Il le tira brutalement par les robes et le traîna dehors.
Il ne comprenait pas pourquoi le maître de forge tenait tant à la vie de cet homme, mais si sa volonté était d’épargner leurs ennemis, qu’il en soit ainsi.