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La pitoyable colonne d’hommes et de femmes brisés progressait péniblement sur la route qui menait du spatioport de Jericho Falls au plateau. Tous avaient l’échine courbée, beaucoup étaient blessés et ne survivraient pas longtemps sans un minimum de soins.

Mais les Iron Warriors qui les conduisaient ne prêtaient pas la moindre attention à leur santé. Tout ce qui leur importait était qu’ils puissent encore marcher.

La colonne comptait des milliers d’esclaves émaciés et mal nourris, débarqués sur Hydra Cordatus pour y travailler et y mourir. Venaient s’y ajouter les soldats capturés lors de l’attaque contre le spatioport, et dont les vies avaient été épargnées selon la volonté du maître de forge.

Kroeger marchait en silence, plein de mépris à l’égard de ces humains pathétiques. Comment cette misérable espèce pouvait-elle prétendre régner sur la galaxie ? Non seulement ils étaient faibles, mais ils suivaient les enseignements d’un corps décomposé situé sur une planète dont la plupart ne connaissaient même pas le nom, sans parler qu’aucun n’y mettrait jamais les pieds.

Il était dégoûté à l’idée de devoir utiliser ces nullités comme bétail, mais il n’avait pas le choix. Le maître de forge avait décrété qu’ils seraient les premiers à partir au combat, un affront que Kroeger avait décidément du mal à avaler.

Sentant sa rage gonfler, il déglutit difficilement en se forçant à garder son calme. Il s’enfonçait chaque jour davantage sur la voie frénétique du dieu du sang et savait qu’il devait se contrôler.

Pour l’heure, il lui fallait tout de même assouvir ses envies de meurtre. Il balança rageusement son poing en direction du prisonnier le plus proche, lui broyant littéralement la poitrine. L’homme s’effondra au sol, les yeux grands ouverts d’agonie. Quelques captifs firent mine de s’approcher pour l’aider, mais un grognement de Kroeger les en dissuada aussitôt et ils furent renvoyés dans les rangs sans ménagement par d’autres Iron Warriors.

— Vous marchez vers votre mort sans même avoir conscience de l’honneur qui vous est accordé ! lança Kroeger alors qu’ils s’approchaient du sommet d’une colline. Il grimpa rapidement la pente et mit les mains de chaque côté de sa bouche afin que chacun put l’entendre. Je vais vous faire une promesse : tous ceux qui survivront à la tâche qui les attend auront la vie sauve. Vous avez ma parole d’Iron Warrior !

Satisfait, Kroeger allait poursuivre son chemin lorsque la voix d’une femme se fit entendre :

— Ta parole ne vaut rien, traître !

Un silence glacial s’abattit sur la colonne. Kroeger, le visage déformé par la rage, dégaina lentement son épée tronçonneuse.

— Qui a osé m’adresser la parole ? beugla-t-il. Quel est le petit tas d’ordures qui a parlé ?

Terrifiés, les esclaves se pressèrent à l’opposé de Kroeger qui commença à trancher têtes et membres tout autour de lui. Son épée tronçonneuse s’abattit encore une dizaine de fois avant que la voix féminine ne s’élève à nouveau.

— C’est moi. Lieutenant Larana Utorian, du 383e des Dragons de Jouran. Je me demande ce que peut bien valoir la parole d’un hérétique tel que toi…

Kroeger ressentit le voile rouge tomber devant ses yeux ; sa vision se réduisit soudain à la femme qui avait osé lui parler et il n’eut plus d’autres pensées que l’arc qu’allait décrire son épée pour lui trancher la tête. Mais il finit par se maîtriser tant bien que mal et abaissa son arme. Il s’approcha de la prisonnière, qu’il dominait largement. Elle était vêtue de l’uniforme bleu ciel des gardes impériaux qu’ils avaient combattus. Elle était blessée, son bras enveloppé dans une écharpe de fortune, mais cela ne l’empêchait pas de lui adresser un regard impertinent empli de haine.

Un étrange sentiment de familiarité envahit Kroeger, même s’il ne pouvait pas dire pourquoi. Curieusement, sa rage s’estompa. Qu’espérait-elle obtenir en le défiant ouvertement, si ce n’était une mort rapide ? Kroeger plongea son regard dans celui de Larana, puis se saisit de son bras blessé et se mit à serrer.

Le visage de la femme se tordit de souffrance, mais il continua de serrer jusqu’à ce qu’il sente les os se briser.

— Que vaut ta parole ? répéta Larana en serrant les dents.

— Pas grand-chose, admit Kroeger en tournant le poing, ce qui eut pour effet immédiat d’arracher un cri de douleur à Larana. Mais garde ton courage pour tout à l’heure, esclave, car tu vas en avoir désespérément besoin !

Il la relâcha en riant, puis s’adressa à l’un de ses hommes :

— Je veux que celle-là soit en première ligne.