Quatre

L’aube s’était déjà levée depuis une heure et ses rayons rasants commençaient tout juste à pointer le bout de leur nez au-dessus des fortifications renégates.

À mesure que le soleil montait dans le ciel enflammé, les sens de Honsou se mirent en état d’alerte. Les artilleurs impériaux avaient engagé un duel d’artillerie avec les chars de siège des Iron Warriors, déclenchant un concert d’explosions et de fumée. Mais le combat était inégal et les chars détruisaient les emplacements d’artillerie ennemis les uns après les autres.

Honsou avait rassemblé ses guerriers derrière les blindés. Du coup, ils se trouvaient aux premières loges pour sentir le sol trembler sous la violence des tirs, sans parler du vacarme phénoménal. Sous peu, il lâcherait ses guerriers contre le Ravelin Primus dans le but d’en capturer les points-clés et d’éviter aux hommes de Kroeger de tomber dans un tir croisé meurtrier. Forrix avait reçu l’honneur d’attaquer la brèche tandis que Kroeger et ses berserkers auraient pour tâche de prendre d’assaut le bastion Mori. Ces deux assauts étaient voués à l’échec si le Ravelin Primus tenait bon.

Lorsque Honsou en serait venu à bout, il était prévu qu’il conduise ses hommes à travers les douves pour aller prêter main-forte à Forrix au niveau de la brèche. Ensuite, il était inutile de prévoir un quelconque plan, car une fois que des soldats avaient traversé l’enfer d’un tel assaut, ils étaient si assoiffés de sang que rien ne pouvait plus les arrêter. Honsou attendait cet instant avec impatience.

Pour l’heure, Forrix et ses guerriers se rassemblaient dans la tranchée d’approche qui partait du troisième parallèle en zigzaguant. Honsou put constater que le capitaine vétéran s’accoutumait chaque jour davantage à son nouveau corps mécanique. À l’autre extrémité du parallèle, Kroeger se tenait immobile sur la marche de tir, le regard braqué sur la brèche qu’il allait bientôt prendre d’assaut. D’ordinaire, il arpentait les tranchées de long en large, exhibait ses armes ou invectivait Honsou avec mépris. Mais aujourd’hui, il n’en était rien. Kroeger demeurait plongé dans un sinistre silence.

Honsou avait essayé de lui parler peu de temps auparavant, plus que jamais conscient des changements qui affectaient sa némésis.

« Le maître de forge t’a fait un grand honneur », lui avait-il dit, mais Kroeger n’avait pas daigné lui répondre. Pire, il n’avait même pas pris acte de sa présence.

« Kroeger ? », avait insisté Honsou en posant son gantelet sur l’épaulière de son homologue commandant.

À l’instant où il avait posé ses doigts sur le métal froid de son armure, Kroeger s’était vivement saisi de son poignet avant de le repousser sans ménagement. Offensé, Honsou avait immédiatement dégainé, mais Kroeger s’était détourné, laissant son assaillant empli de la sombre prémonition que passer à l’attaquer reviendrait à mourir. Un pâle halo de lumière semblant émaner de ses yeux perçait à travers ses lentilles optiques. Il s’en dégageait une malveillance si prenante qu’Honsou préféra rengainer lentement son arme et retourner parmi les guerriers de sa compagnie.

Il secoua la tête pour s’éclaircir les idées et se débarrasser de ce souvenir ennuyeux. Il était désormais impatient de passer aux choses sérieuses, ne serait-ce que pour penser à autre chose. Les tirs des Vindicators cessèrent soudain, puis, dans un puissant grondement de moteurs, ils firent marche arrière pour retourner à l’abri des fortifications. C’était le signal que tous attendaient. Honsou brandit son épée au-dessus de la tête et après avoir lancé un tonitruant : « Mort au Faux Empereur ! », il sprinta hors des protections des fortifications, suivi de près par le reste de sa compagnie.

Le bord des douves ne se trouvait qu’à quelques dizaines de mètres, et Honsou dut franchir la distance sous une pluie de tirs venus du sommet des remparts endommagés et des flancs de chacun des bastions latéraux. Plusieurs tirs de laser atteignirent son armure sans grand effet, mais la plupart se contentèrent de vaporiser la poussière tout autour de lui. Lorsqu’il arriva enfin au bord des douves, il s’y jeta, le cœur empli d’une haine brûlante envers l’ennemi.

Une mer de corps revêtus de rouge en tapissait le fond. Ils avaient déjà commencé à pourrir sous la chaleur du jour. Il chargea sans s’en émouvoir, écrasant sous ses pas les chairs en décomposition de ses anciens alliés humains. Les tirs des défenseurs s’intensifiaient d’une seconde à l’autre. Mais si les soldats du Ravelin Primus avaient livré d’âpres combats ces derniers jours, ils n’avaient toutefois pas encore affronté les Iron Warriors en personne. À présent, il allait leur falloir tout donner.

Des impacts de laser plus gros que les autres foraient des trous dans la marée de cadavres, mais Honsou ne s’en soucia guère, vu la médiocrité des soldats humains qui avaient tendance à tirer trop haut. Cette fois, il n’était plus question de faire feu sur une masse grouillante de soldats et leurs tirs se révélaient peu précis, de sorte qu’à peine une poignée d’Iron Warriors furent abattus.

Honsou avait atteint le pied du rempart où se trouvaient suffisamment d’éboulis pour pouvoir grimper facilement. Il tira une rafale en direction du sommet puis commença son ascension. Un impact l’atteignit sur l’épaulière, mais il l’ignora et continua de grimper.

Un véritable rideau de balles et de tirs de laser s’abattait sur eux en provenance du bastion Mori. Cependant, les rugissements qu’il percevait provenant de cette direction lui indiquaient que les hommes de Kroeger et Forrix étaient eux aussi passés à l’attaque.

Des dizaines de guerriers escaladaient à présent les gravats, en dépit des constantes explosions des grenades et des incessants tirs de laser. L’Iron Warrior qui se trouvait juste à côté de Honsou lâcha prise lorsqu’un obus explosa juste au-dessus de lui, lui pulvérisant la tête sur le champ. En tombant, son corps imposant entraîna dans sa chute plusieurs autres assaillants.

Honsou secoua la tête pour se débarrasser du sang qui lui avait giclé dessus, puis prit appui sur une barre de renforcement protubérante pour reprendre son ascension. Au même moment, il aperçut un chapelet de grenades rouler dans sa direction le long de la pente. Instinctivement, il pressa son corps contre les rochers juste avant la détonation, qui déclencha un gros éboulement. Le souffle faillit lui faire dévaler la pente, mais il s’accrocha fermement à la barre de renforcement, en dépit du fait que les ligaments de son bras droit se déchirèrent sous la violence du choc. Les runes rouges qui avaient envahi ses lentilles optiques ne firent que lui confirmer les nombreuses blessures qu’il pouvait sentir. Il serra les dents et reprit l’escalade.

Mais plus il montait et moins les prises se faisaient nombreuses. En outre, le tir de soutien fourni par les Iron Warriors situés plus bas diminuait à mesure qu’ils étaient obligés de rengainer leurs armes pour pouvoir continuer de monter.

Honsou jeta un regard vers le bas. Il avait perdu une bonne dizaine de ses hommes et il leur fallait encore nettoyer le rempart.

Il était quasiment arrivé à destination lorsqu’il fut accueilli par un Imperial Fist qui tenta de le décapiter d’un grand coup de son épée énergétique crépitante. Il se colla contre le rempart, abandonnant à la lame un morceau de son épaulière, puis roula sur lui-même pour éviter un second coup, qui trancha net une barre de renforcement en produisant une gerbe d’étincelles.

L’Imperial Fist se prépara à porter le coup de grâce, laissant tout juste à Honsou le temps de dégainer sa propre épée et de l’empaler jusqu’à la garde. La voie était libre pour investir le rempart, mais déjà, un groupe de gardes impériaux accourait.

Honsou fonça tête baissée dans leur direction, envoyant valdinguer les frêles défenseurs. Dans la foulée, il fit un roulé-boulé pour accueillir un Imperial Fist qui se jetait sur lui. D’un premier coup de son épée, il lui trancha net les deux jambes, puis d’un second, il le décapita presque involontairement dans une tentative désespérée pour parer une autre épée énergétique, cette fois brandie par un officier impérial qui arborait les galons d’un major.

Il para de justesse un autre assaut bien ajusté, puis riposta d’un coup de poing qui brisa le nez de l’humain et l’envoya au sol en criant de douleur.

« Iron Warriors, avec moi ! », hurla-t-il tout en continuant de faire le vide tout autour de lui à grands coups d’épée, tandis que des rafales ricochaient sur son armure énergétique.

Au même instant, deux de ses guerriers grimpaient par-dessus le sommet du rempart, prêts à venir lui prêter main-forte. À eux trois, ils se frayèrent un sanglant chemin à travers la marée de soldats impériaux, jusqu’à ce qu’un sergent Imperial Fist, conscient du danger, ne charge dans leur direction, pistolet à plasma brandi droit devant lui. Honsou fit un écart, évitant de justesse la boule incandescente qui atteignit un infortuné compagnon et le fit basculer par-dessus le rempart.

Honsou se saisit de son épée avec ses deux mains et contre chargea droit devant. Il se pencha pour esquiver l’assaut de son adversaire puis riposta d’un unique coup puissant qui le décapita.

À présent, de nombreux Iron Warriors avaient gagné les remparts tandis que d’autres étaient encore en train d’escalader les éboulis. Satisfait, Honsou poursuivit le nettoyage des lieux, tuant tout sur son passage. Devant tant de sauvagerie, les défenseurs finirent par céder et abandonnèrent les remparts, leur retraite ressemblant davantage à une déroute. Seuls quelques Imperial Fists empêchaient encore les renégats de pouvoir se déclarer maîtres des lieux.

Honsou sauta soudain dans la cour en contrebas, ayant repéré une batterie d’armes lourdes commandée par un jeune officier qui se préparait à faire feu. Il atterrit lourdement tandis que l’officier attendait le meilleur moment pour donner l’ordre de tirer.

Ce dernier abattit son épée et les armes lourdes se mirent aussitôt à arroser le rempart, abattant quatre Iron Warriors. Un tir de riposte leur répondit aussitôt, abattant quelques-uns des artilleurs.

Le vacarme de la fusillade et les cris des belligérants étaient à leur comble. À la confusion générale venait s’ajouter la fumée des feux déclenchés par les impacts d’obus.

L’officier impérial abaissa son arme une nouvelle fois, ignorant les pertes parmi ses hommes qui essuyaient un tir nourri de bolters. Mais il était déjà trop tard : Honsou se jeta sur eux et les massacra avec l’abandon de la frénésie. Dans un concert de membres sectionnés et d’entrailles répandues, il arracha le cœur de la défense impériale.

Tout autour de lui, quelques Space Marines en armure jaune constituaient les derniers îlots de résistance acharnée, mais il était évident qu’ils n’allaient pas tarder à être débordés.

Non loin se dressaient les massives portes dorées de la citadelle, flanquées par deux hautes tours surmontées de tourelles d’artillerie. Sans l’appui de leurs propres machines démon, elles demeureraient inviolables, mais à leur droite, la brèche était le théâtre de combats féroces.

« Iron Warriors, ralliez-vous à moi ! », rugit-il en espérant être entendu en dépit du vacarme ambiant. Le Ravelin Primus était tombé entre leurs mains, il était temps d’aller prêter main-forte sur la brèche principale.

« En avant ! », cria Forrix qui ne se trouvait plus très loin de la cime de la brèche, son gantelet énergétique parcouru d’éclairs mortels. Ils étaient si proches du but qu’il percevait déjà le goût de la victoire. Son armure était criblée d’impacts et de cratères, mais il ne sentait aucune douleur à présent qu’il était doté d’un corps mécanique. Plusieurs bolts explosèrent contre sa plaque pectorale, lui arrachant un sourire malsain couplé à un sentiment d’invincibilité.

La brèche, enveloppée de fumée, était en proie à la confusion. Il y avait des corps de partout, amis et ennemis. À trois reprises, ils avaient atteint le sommet pour en être repoussés par les laquais de Dorn.

En rien démotivé, il reprit son ascension à grandes enjambées. Mais il fut surpris par l’explosion d’une mine ensevelie directement sous lui. Un gros morceau de béton retomba sur son casque récemment remis en état, brisant ses lentilles optiques au point qu’il ne pouvait plus rien voir. Il tomba à la renverse pour se retrouver plusieurs mètres plus bas, arrêté par un rocher protubérant.

Énervé, il se remit sur pieds et arracha son casque inutile. Dans la fumée qui entourait la brèche, il put distinguer plusieurs formes diffuses, sur lesquelles il fit feu à l’aide de son bolter combiné. Un ennemi tomba, mais les autres tournèrent leurs armes dans sa direction.

Ils n’eurent toutefois pas le temps de l’inquiéter, réduits au silence par une violente rafale d’autocanon faucheur. Forrix en profita pour regarder autour de lui. Sa compagnie avait encaissé de lourdes pertes pour parvenir si près de la brèche, et s’ils échouaient à la prendre, cela n’aurait servi à rien. Plusieurs Iron Warriors le dépassèrent, impatients d’atteindre le sommet.

Des cris de victoire venant d’en dessous lui apprirent que le demi-sang était parvenu à s’emparer du Ravelin Primus. En revanche, il n’avait aucune idée de la façon dont se déroulait l’attaque menée par Kroeger sur l’autre bastion. Il abandonna ses réflexions et se remit à grimper, tirant à l’aveuglette dans la fumée. Près de vingt Terminators l’entouraient à présent, tirant eux aussi en direction de la brèche.

Il ignora la grêle de lasers qui s’abattait sur lui, se concentrant sur son objectif. Il l’avait presque atteint lorsqu’une terrible explosion retentit devant lui, envoyant de gros morceaux de roche dans les airs. Six Iron Warriors furent oblitérés sur le champ. Un autre fut atteint par un rayon d’énergie qui vaporisa littéralement la partie supérieure de son corps. Ses jambes restèrent dressées quelques instants avant de s’effondrer et de glisser en bas de la pente. Forrix parcourut les derniers mètres qui le séparaient de la cime de la brèche en rampant et prit le risque de jeter un regard même s’il n’était désormais plus protégé par son casque.

De l’autre côté se trouvaient, menaçantes, deux bêtes de légende. Des Titans Warhounds, qui allaient et venaient dans la zone qui se trouvait entre les remparts externes et internes de la citadelle. Toujours en mouvement, on aurait dit des animaux en cage, s’arrêtant uniquement pour faire feu sur l’ennemi à l’aide de leurs méga bolters Vulcan.

Le cœur de Forrix se serra.

Tant que ces machines couvriraient la brèche, ils n’auraient aucune chance de passer.

L’ancien lieutenant des Dragons de Jouran se frayait un chemin à travers la brèche jonchée de débris de métal et de béton du bastion Mori. La chose qu’elle était devenue, infiniment plus vieille et malveillante, n’était autre que l’avatar de Khorne en personne. Il poussa un rugissement primal d’une haine qui puisait ses racines dans le cœur de Larana Utorian.

Elle haïssait les soldats qui lui tiraient dessus.

Elle haïssait Kroeger pour l’avoir transformée en ce qu’elle était devenue.

Elle haïssait l’Empereur qui avait laissé tout ceci de se produire.

Elle n’était plus que haine.

Les guerriers de la compagnie de Kroeger suivaient la chose qu’ils croyaient être leur chef, galvanisés par sa férocité et sa chance insolente.

Les balles semblaient flotter autour de lui, les rayons laser le traversaient sans le blesser tandis que des explosions qui auraient dû le pulvériser ne faisaient que l’égratigner. Alors qu’ils devaient redoubler d’efforts pour progresser de quelques mètres, leur leader grimpait comme s’il s’était trouvé sur une route plate. À ce rythme, la distance entre lui et eux augmenta rapidement.

L’avatar finit par atteindre le sommet de la brèche, où sa redoutable épée traça dans les airs des symboles hypnotiques à mesure qu’elle abattait les défenseurs. À chacun de ses coups, un ennemi mourait. Profitant du fait que l’avatar se trouvait isolé du reste des assaillants, plusieurs Imperial Fists se jetèrent sur lui les armes au clair. Mais il n’en avait cure. Au contraire, il n’attendait que ça.

D’un bond impressionnant, il sauta par-dessus le groupe de ses assaillants et en décapita deux avant de retomber dans leur dos. D’un puissant coup de pied, il broya la colonne vertébrale d’un autre puis trancha en deux un dernier d’un revers à deux mains. D’autres Imperial Fists accoururent, soutenus par une flopée de gardes, mais malgré leurs efforts combinés, aucun ne parvint ne fût-ce qu’à l’atteindre.

L’avatar envoya son poing dans la figure d’un soldat, pénétrant profondément dans la boîte crânienne. Puis il agrippa son uniforme et le souleva au-dessus de lui afin de permettre au sang de se répandre sur son armure. À son contact, le liquide fut aspiré avec un affreux bruit de succion.

Une brume se forma peu à peu autour de la forme grossissante de l’avatar, comme s’il s’avérait incapable de contenir la vitalité qui l’animait. Il éclata alors d’un rire sardonique empreint d’une malice indicible qui retentit dans tout le bastion Mori. Les défenseurs impériaux tressaillirent face à cette manifestation du mal à l’état brut.

Les Iron Warriors franchirent à leur tour le sommet de la brèche pour se répandre autour de l’avatar et se joindre aux combats.

Ce dernier observa une pause pour s’abreuver des flux de haine palpable qui s’élevaient du carnage tout autour de lui. Mais une vive douleur le tira de sa transe, allumant dans le regard déjà brûlant qui transperçait la visière de son casque une lueur de rage plus vive que l’éclat d’un soleil.

Un Space Marine arborant l’armure finement ciselée d’un archiviste Imperial Fist avançait dans sa direction, armé d’un bâton de force entouré d’énergie crépitante. L’avatar éclata de rire en reconnaissant un psyker : il allait enfin pouvoir donner la mort à un adversaire digne de ce nom.

Un halo d’énergies psychiques entourait le casque de l’archiviste, qui était gravé de puissants symboles et orné de nombreux sceaux de pureté.

— Abomination, lui lança Corwin d’une voix déterminée. Je vais te renvoyer dans l’enfer d’où tu t’es échappée !

Un rayon de lumière aveuglante jaillit soudain de son bâton et frappa l’avatar en pleine poitrine. Ce dernier vacilla puis tomba à genoux, baigné de l’énergie projetée par l’archiviste. Il beugla de douleur et empala dans sa rage un Iron Warrior qui se trouvait à proximité.

Le sang de sa victime coula le long de l’épée et l’avatar grogna de plus belle alors que ses forces se renouvelaient. Revigoré, il se releva d’un bond, son armure encore parcourue de crépitements électriques.

— Tu as échoué, tonna la voix altérée de Larana Utorian. Ne sais-tu pas que Khorne est le pire ennemi de tout psyker ?

Tout autour d’eux, les combats faisaient rage, bien qu’aucun des belligérants n’osât intervenir dans cet affrontement spirituel.

— La puissance de l’Empereur va te faire entendre raison ! rétorqua Corwin en libérant un nouvel éclair d’énergie qui cloua une fois de plus l’avatar au sol. Hors de ma vue, vil démon !

Encore et encore, il délivra des rayons d’énergie psychique sur l’avatar, prenant appui contre le bord du rempart tandis que ses forces diminuaient. Combattre une telle créature l’obligeait à mettre en péril jusqu’à son âme.

L’avatar écarta soudain les bras et poussa un hurlement qui ébranla les murs du bastion. Un tourbillon de haine à l’état pur jaillit alors de son armure comme sous l’effet d’une explosion interne et faucha tous les combattants sur plusieurs dizaines de mètres à la ronde. Le bastion Mori se retrouva enseveli sous une véritable tempête de haine rouge. Chaque guerrier dans les parages explosa littéralement, son sang aspiré par le tourbillon éthéré dont l’avatar était l’épicentre.

Ce dernier gonfla dans des proportions monstrueuses, son armure se craquelant alors qu’elle tentait de contrôler l’énergie procurée par les innombrables morts dont elle était la cause.

Abreuvé du sang des Jourans, des Iron Warriors et des Imperial Fists, l’avatar se releva et de toute sa hauteur, il dominait la brèche.

Face à lui ne restait plus qu’un seul opposant : Corwin. Ce dernier était tombé à genoux, et les symboles sacrés qui protégeaient son armure n’étaient plus que des marques calcinées. Appuyé sur son bâton, il avait toutes les peines du monde à maintenir son équilibre, tandis que l’avatar s’avançait vers lui d’un pas lourd et menaçant.

— Toujours pas mort, psyker ? rugit ce dernier en brandissant son épée. Bientôt tu regretteras de ne pas l’être !

Corwin croisa le regard enflammé de l’avatar et put y voir sa mort.

Ce dernier amorça son coup. Sur son passage, la lame de son épée trancha le fragile voile de la réalité en produisant un son effroyable rappelant celui de milliards de mouches issues de quelque dimension corrompue. Une langue d’un noir de jais apparut sur le passage de la lame.

Corwin ferma les yeux et mourut sans un bruit lorsque l’épée le sectionna en deux parties qui furent aspirées par la langue noire.

L’avatar se reput de cette âme exceptionnelle et se réjouit à l’idée de l’océan de sang qu’il allait encore verser. Des galaxies entières contenant des milliards de milliards d’âmes n’attendaient qu’à être moissonnées pour la plus grande gloire du dieu du sang. Et peut-être qu’enfin, il parviendrait à assouvir pour un temps l’incommensurable soif de son maître ?

L’avatar éclata de rire : non, une telle chose ne pourrait jamais se produire ! La soif de Khorne était un océan sans fond que rien ne pourrait jamais rassasier.

Larana Utorian poussa un hurlement de désespoir au plus profond de son âme en réalisant l’éternité de massacres qui l’attendait. Toutes ces morts à venir, et pourtant, une partie d’elle s’en réjouissait. Voilà pourquoi elle hurlait au fond d’elle.

Sans un regard en arrière, l’avatar abandonna Hydra Cordatus à son destin et plongea dans le portail noir vers un lieu et un temps au-delà de la compréhension des mortels.

Honsou escaladait les rochers, avide de se jeter dans la mêlée. Les Iron Warriors s’étaient rassemblés aux abords de la brèche, bloqués par les tirs ravageurs d’une arme dont le propriétaire était caché par la fumée des nombreuses explosions. Vu la puissance des tirs, il devina qu’il s’agissait probablement d’un Titan.

Le voyant arriver, Forrix lui dit en criant pour couvrir le fracas des tirs :

— On ne peut pas aller plus loin !

— Mais les canons des bastions vont nous tailler en pièces si nous restons ici, répliqua Honsou. Il faut prendre cette brèche à tout prix !

Forrix ne répondit rien et se contenta de désigner du doigt la forme fantomatique du bastion Mori. Honsou fut soudain alarmé par l’arrêt total des bruits de la bataille : plus un tir, plus un cri, plus une explosion. Il remarqua alors la langue noire qui s’élevait juste au-dessus de la brèche.

— Au nom du Chaos, qu’est ce que c’est que ça ?

— Aucune idée, demi-sang, mais Kroeger vient juste de s’y engouffrer.

— Je ne comprends pas, dit simplement Honsou alors que la tâche noire disparaissait peu à peu.

— Moi non plus, mais Kroeger est pour l’instant le dernier de nos soucis. Il nous faut trouver un moyen de nous débarrasser de ces trois fois damnés Warhounds.

En guise de réponse, le tonnerre de quelque chose d’incroyablement lourd heurtant le sol retentit et les vibrations firent dégringoler de nombreux rochers le long de la pente. Sans même se retourner pour en contempler la source, Honsou pouvait sentir que quelque chose de terriblement ancien et malveillant s’approchait.

Non loin émergea de la fumée la forme inquiétante du Dies Irae.

Du haut du pont de commandement de l’Honoris Causa, le princeps Daekian écoutait la voix de son homologue Carlsen à travers le canal radio.

— C’est le Dies Irae, il est à nouveau mobile ! L’Empereur seul sait comment, mais il fonce droit sur le bastion Vincare !

L’avertissement de Carlsen était inutile : les observateurs avancés de Daekian lui avaient déjà rapporté la venue du Titan corrompu. Il pouvait sentir le désir muet de Carlsen de se joindre au combat contre le Dies Irae, mais un simple coup d’œil à sa carte tactique lui permettait de voir que les Warhounds seraient mieux employés en couvrant la brèche.

— Tenez bon, princeps Carlsen, et restez où vous êtes, ordonna-t-il.

— Bien, princeps, répondit celui-ci, incapable de masquer sa déception.

Daekian mena son Warlord d’une main experte à travers la porte du rempart intérieur, courbant sa tête massive pour éviter que ses armes de carapace ne soient arrachées. Les deux Reavers qui le suivaient, l’Armis Juvat et le Pax Imperator, étaient plus petits, ce qui leur permettait de passer sans difficulté. Les trois machines de guerre avaient bénéficié de réparations hâtives suite à leur premier engagement, mais aucune n’était à nouveau entièrement opérationnelle. Daekian avait toutefois confiance en son équipage et en l’esprit combatif de l’Honoris Causa.

Cela ne l’avait pas empêché de confier son âme à l’Empereur avant de se rendre à son poste. Il lui revenait de venger le princeps Fierach, même si cela devait lui coûter la vie à lui aussi.

Déjà, le Dies Irae avait un impact sur la bataille. Les troupes impériales détalaient en proie à la terreur face à cette apparition gargantuesque qui avait émergé de la fumée. Les Imperial Fists se repliaient en bon ordre, réalisant qu’il était inutile de tenir tête à une telle créature. Les remparts n’offraient en effet aucune protection contre ses armes, capables d’oblitérer les murs d’un seul tir.

Daekian jura, la débâcle l’empêchant de se mouvoir de peur d’écraser des pelotons entiers sous ses pas. Le Dies Irae avait atteint le troisième parallèle et ce n’était plus qu’une question de secondes avant qu’il n’atteigne les murs.

« Moderati Issar, débarrassez-moi des boucliers de cette abomination ! », ordonna-t-il tout en priant pour que les soldats en dessous déguerpissent.

« À l’attention du pont d’ingénierie : je veux une cadence de pas plus lente. »

Les blasters Gatling de carapace ouvrirent le feu, propulsant une kyrielle d’obus à haute vélocité sur le Dies Irae. D’étincelants feux d’artifice indiquèrent la perte de nombreux boucliers, mais Daekian savait qu’il faudrait davantage pour venir à bout de ce monstre.

L’Armis Juvat et le Pax Imperator se positionnèrent sur ses flancs tout en faisant feu, tandis que Daekian manœuvrait avec précaution l’Honoris Causa à travers le flot humain des troupes qui se repliaient. Une explosion gargantuesque envoya voler des morceaux de rocher dans toutes les directions, lorsque le Dies Irae vaporisa une tourelle d’arme du bastion Vincare d’un tir de son annihilateur plasma. Le béton fondit en l’espace de quelques secondes, provoquant l’éboulement de toute une section des remparts.

Daekian jura en sentant plusieurs de ses boucliers céder sous la puissance de feu du Dies Irae, l’obligeant à diriger son Titan vers la gauche du bastion. Son ennemi se trouvait désormais droit devant. Une boule naquit au creux de son estomac lorsqu’il put contempler clairement la forme du Dies Irae dépasser des remparts externes partiellement effondrés. Son corps était noirci et déformé, tandis que sa tête n’était plus qu’une masse de métal broyé dont émergeait un unique œil qui brillait d’un halo vert malsain. Toutes ses armes de carapace faisaient feu sur les remparts et les Titans impériaux.

L’Armis Juvat vacilla après que le canon fournaise du Dies Irae ne l’ait dépouillé de ses derniers boucliers et ait endommagé la jointure de sa jambe gauche.

« Armis Juvat et Pax Imperator, feu à volonté ! », cria Daekian tout en augmentant la vitesse de son propre Titan qu’il dirigeait vers le flanc du bastion.

Les princeps des Reavers ancrèrent fermement leurs pieds dans le sol et lâchèrent une redoutable volée sur le Dies Irae, qui retourna le tir tout en continuant d’avancer. Daekian réinitialisa les accélérateurs linéaires qui alimentaient son canon Volcano et en prit lui-même les commandes. Non pas qu’il ne faisait pas confiance au moderati qui en avait la responsabilité, mais s’il fallait délivrer le coup de grâce, c’était à lui que revenait cet honneur.

Un nouveau tir de l’annihilateur plasma du Dies Irae arracha une section de remparts alors qu’il pénétrait dans les douves, broyant des centaines de corps sous chacun de ses pas.

Une violente explosion sur sa droite fit vaciller l’Honoris Causa et illumina le pont de commandement. Daekian tourna la tête de son Titan pour voir quelle en était la cause.

L’Armis Juvat basculait en arrière, la partie supérieure de son corps littéralement explosée. Dans un flot de plasma s’écoulant du générateur, le Titan s’effondra sur le sol. Le Pax Imperator, quant à lui, résistait encore aux tirs de barrage du Dies Irae.

— On n’a plus aucun bouclier actif, princeps ! cria le moderati Issar suite à une nouvelle volée qui faucha de plein fouet l’Honoris Causa.

— Vitesse maximale ! Il faut se rapprocher du monstre avant de subir le même destin que l’Armis Juvat, répliqua Daekian.

Les deux Titans ennemis n’étaient plus séparés que par une centaine de mètres. À présent il pouvait apercevoir les terribles dommages que Fierach avait infligés à cette maudite machine démon avant de périr. D’énormes plaques de métal avaient été soudées à la va-vite sur sa partie centrale, et toutes sortes de mécanismes auxiliaires avaient été greffés à ses jambes pour lui permettre de se déplacer à nouveau.

Une rafale de ses blasters gatling abattit plusieurs des boucliers qui protégeaient la bête, et Daekian repéra un unique obus qui explosa contre sa partie supérieure, indiquant qu’elle était à présent vulnérable.

Il avança droit devant tout en braquant son canon Volcano.

« En souvenir du princeps Fierach », dit-il entre ses dents serrées, puis il ouvrit le feu.

Le rayon d’énergie d’une puissance incroyable fonça droit en direction de la tête du Dies Irae, mais avant même de tirer, Daekian savait qu’il viserait juste.

Son triomphe se mua en incrédulité lorsque le rayon fut absorbé par un unique bouclier qui avait, semblait-il, été réparé à la dernière seconde. Le Dies Irae se tourna immédiatement vers l’Honoris Causa, son canon fournaise chauffé à blanc braqué sur lui.

« Manœuvre d’évitement ! », hurla Daekian tout en sachant qu’il était trop tard.

Son Titan fit un pas de côté au moment où la boule de plasma volait dans sa direction.

Daekian réussit presque à s’en tirer. Presque.

Le tir toucha le canon Volcano du Warlord, le vapo-risant instantanément dans une aveuglante boule de plasma. L’explosion arracha le bras du Titan, sa structure d’adamantium fondant sur le champ sous l’effet de l’intense chaleur.

Daekian poussa un cri d’agonie, convulsant alors que l’influx de la destruction de son bras remontait le long des câbles reliés directement à son cerveau. Malgré le sang qui coulait de son nez et de ses oreilles, il tint bon et continua de diriger son Titan vers la silhouette du Dies Irae en dépit de la fumée qui commençait à se répandre dans le pont de commandement.

Il atteignit les murs en même temps que ce dernier, le sol surélevé à l’intérieur du bastion Vincare l’élevant juste au niveau de la tête de la machine démon. Dans le même temps, le Pax Imperator s’était positionné sur le flanc droit en boitant, la jointure de sa jambe produisant d’inquiétantes gerbes d’étincelles et sa carapace en proie aux flammes.

Daekian donna un grand coup avec le seul bras qui lui restait, et sa pince de combat s’abattit sur la poitrine du Dies Irae. La machine démon recula sous l’impact, tentant de rétablir son équilibre en lançant ses bras en avant. Ces derniers pulvérisèrent le sommet du bastion et heurtèrent la partie supérieure de la jambe de l’Honoris Causa.

Daekian entendit le choc sourd suivi des cris des membres de son équipage situés dans les ponts d’ingénierie. Il ne lui restait plus beaucoup de temps.

Il frappa à nouveau son adversaire, arrachant les plaques d’armure qui protégeaient son abdomen, tandis que ce dernier s’employait à marteler ses flancs à l’aide de ses armes. Son réacteur étant devenu vulnérable, le Dies Irae recula pour tenter de se protéger.

Le Pax Imperator, affreusement endommagé, chargea à son tour dans la mêlée et enfonça son poing tronçonneur dans les bastions supérieurs du Dies Irae. La lame siffla tandis qu’elle entaillait profondément les ponts de la machine démon.

Cette dernière riposta d’un coup de sa queue barbelée dans l’articulation de la jambe du Pax Imperator, puis s’ébranla pour se libérer de la lame tronçonneuse.

Impuissant, Daekian contempla le Dies Irae se retourner puis diriger son annihilateur à plasma droit sur le pont de commandement du Pax Imperator puis ouvrir le feu à bout portant.

La partie supérieure du Reaver disparut dans une monstrueuse explosion qui enveloppa les deux Titans dans un feu liquide. Les restes du Pax Imperator s’effondrèrent contre les murs du bastion puis glissèrent dans les douves en produisant d’énormes volutes de fumée noire.

Sa mort avait toutefois fourni à Daekian l’occasion qu’il attendait. Il enfonça sa pince dans le réacteur exposé du Dies Irae pour remuer le couteau dans la plaie qu’avait ouverte Fierach. Il se saisit du cœur nucléaire et le broya en poussant un cri de rage et de vengeance.

À travers la fumée qui dérivait au gré du vent, Honsou observait la bataille titanesque qui se déroulait tout près, espérant que le vénérable Dies Irae réduise ses adversaires inférieurs à l’état de ferraille.

Il abandonna le combat des Titans pour se concentrer sur sa situation. Chaque rafale délivrée par les Warhounds prélevait un lourd tribut et faisait se décupler sa frustration.

— Forrix ! lança-t-il en criant pour couvrir le vacarme des explosions. Cette bataille touche à sa fin, il est temps de se replier !

Forrix secoua la tête et répondit :

— J’aurai dû me douter que ta couardise finirait par prendre le dessus ! On reste ici pour prendre cette brèche !

Honsou sentit la rage l’envahir et il agrippa l’armure de Forrix.

— Il faut partir. L’assaut a échoué et l’ennemi va se regrouper derrière les remparts. En insistant, nous ne ferons que renforcer notre échec. Nous aurons une autre occasion !

L’espace d’un instant, Honsou crut que Forrix allait encore le rabrouer, mais la fureur quitta son regard et il se contenta d’acquiescer. Puis, sans un mot, il se retourna et dévala la pente.

Honsou fit de même, suivi par le reste des Iron Warriors qui se replièrent en petits groupes disciplinés. Alors qu’il grimpait par-dessus une imposante barre de métal recouverte de béton, le jour fut éclairé d’une lumière extrêmement vive, comme si un soleil venait de naître juste au-dessus de leurs têtes.

Le Dies Irae était enveloppé d’une boule incandescente, et de son abdomen coulaient de longs jets de plasma liquide. Le Titan ennemi, dont les yeux brillaient d’un éclat vengeur, avait enfoncé son poing dans son ventre et arraché le cœur de l’antique machine de guerre. Accrochés l’un à l’autre, les deux Titans tentaient de s’échapper.

Soudain, un terrible rugissement de frustration se fit entendre : les deux machines, rivées l’une à l’autre, avaient perdu l’équilibre et basculaient lentement mais inexorablement dans les douves.

« Courez ! », hurla-t-il, toute pensée d’une retraite disciplinée l’ayant abandonné face à ce nouveau danger. Il sprinta aussi vite qu’il put. Les machines de guerre heurtèrent la face extérieure du mur d’enceinte, entre le bastion Vincare et la Porte de la Destinée. Leurs carcasses l’aplatirent sans autre forme de procès, creusant une nouvelle brèche dans les remparts.

Honsou avait à présent traversé les douves et en escaladait le versant en toute hâte dans une tentative désespérée visant à regagner les fortifications à temps. En dépit de son armure Terminator, Forrix sprintait à ses côtés, bien aidé par ses nouveaux implants bioniques.

Les deux Titans heurtèrent enfin le sol. L’impact fut si puissant qu’Honsou se retrouva projeté en l’air. Il heurta le sommet des fortifications des renégats et bascula de l’autre côté au moment où une rivière de plasma issue des réacteurs rompus se déversait à toute vitesse dans les douves, incinérant la multitude de corps qui les jonchaient.

Le Ravelin Primus fut ravagé par des tonnes d’armaplast et de céramite en fusion. Tout le long des douves, d’énormes flammes et geysers vitrifièrent la roche. Des débris chauffés à blanc tombèrent en pluie sur la citadelle, et une section du pont de l’Honoris Causa atterrit à tout juste cinq mètres du castellan Leonid.

Les deux machines de guerre s’enfoncèrent lentement dans le flot de magma, enlacées pour l’éternité.

L’attaque des renégats avait échoué.