Cinq
Au cœur de la citadelle, le temple de la machine vibrait d’une puissance à peine contenue, comme si les murs eux-mêmes étaient animés d’une vie propre. Leur structure paraissait étrangement organique, bien qu’ils aient été construits avec du bon vieux plastobéton.
La pièce centrale était bourrée de machines baroques infestant l’espace tel un vivant parterre de corail gagnant chaque année un peu plus de terrain. Une lueur ambrée maladive flottait dans l’atmosphère, que seul venait troubler un sourd grondement à peine audible.
Des techniciens et des serviteurs en robes jaunes et aux crânes rasés erraient tels des fantômes dans ce complexe dépaysant de machines. Les tâches qu’ils devaient accomplir avaient été ritualisées depuis tant de milliers d’années que leur sens avait depuis longtemps été oublié.
Peu importait toutefois leur fonction puisque ces rituels et sanctifications ne servaient plus qu’un unique but : conserver en vie l’unique habitant du temple.
L’archimagos Amaethon, Gardien de la Lumière Sacrée, Maître d’Hydra Cordatus.
Au centre de la pièce principale, inséré dans un rhomboïde étiré, émergeait le visage du magos, qui constituait tout ce qu’il restait de son corps. Il baignait dans des fluides préservateurs, relié à de nombreux câbles de cuivre qui venaient s’insérer sous la peau pour y stimuler artificiellement les muscles atrophiés. Un autre tube approvisionnait en oxygène enrichi son cortex cérébral, seul vestige humain du cerveau, le reste ayant été remplacé par des kilomètres de barrettes mémorielles et autres processeurs logiques.
Les traits d’Amaethon se crispèrent alors que des impulsions électriques l’avertissaient qu’on essayait de s’adresser à lui.
— Archimagos Amaethon ? répéta le magos Naicin tout en tirant sur son inséparable cigare. La fumée s’échappa de son dos avant d’être immédiatement aspirée par les unités de recyclage de l’air.
— Naicin ? demanda Amaethon d’un ton hésitant, ses lèvres asséchées éprouvant les plus grandes difficultés à prononcer les syllabes. Pourquoi viens-tu perturber ma communion avec l’Omnimessie ?
— Je viens vous apporter des nouvelles de la bataille…
— Bataille ?
— Oui maître, la bataille qui fait rage à la surface.
— Ah ! Oui, la bataille…
Naicin fit mine d’ignorer la perte de mémoire de son supérieur. Cela faisait six siècles qu’Amaethon était relié au cœur de la citadelle, en contrôlant chaque facette depuis le laboratoire souterrain où il se trouvait. Depuis un siècle seulement, il n’était plus capable de quitter ce sanctuaire, devenant petit à petit partie intégrante de la citadelle, à mesure que ses organes lâchaient prise et mouraient. Bientôt, le vieil homme ne serait plus, son activité cérébrale réduite à celle d’un légume et guère plus efficace que celle d’un cyber-serviteur.
Naicin savait que l’emprise d’Amaethon sur la réalité était en train de s’étioler, et rares étaient les moments où il s’avérait capable de réunir assez de souvenirs pour parvenir à interagir avec les autres. Le courant de panique lié à l’attaque initiale avait procuré à l’archimagos une remarquable lucidité, mais déjà elle s’amenuisait.
— La bataille, répéta-t-il alors qu’un fragment de sa mémoire titanesque refaisait surface. Oui, je me rappelle à présent. Ils viennent chercher ce que nous protégeons. Ils ne doivent pas l’avoir, Naicin !
— Non, archimagos, ils ne doivent pas mettre la main dessus.
— Comment peuvent-ils seulement être au courant de son existence ?
— Je ne sais pas, maître, mais ils savent, et nous devons établir un plan pour le cas où les défenses de la citadelle ne suffiraient pas à retenir les envahisseurs…
Le visage d’Amaethon s’arqua en tirant sur ses suspenseurs amniotiques.
— Mais il n’y a pas le choix, Naicin. Cette citadelle a été construite par les plus éminents architectes militaires de l’époque, personne ne peut la prendre.
— Je suis certain que vous dites vrai, archimagos, mais nous devrions tout de même réfléchir à un plan d’urgence. Les gardes impériaux ne sont que des hommes : de la chair, des os et du sang. Organiques, et donc faibles. Il ne faut pas se fier à eux.
— Oui, oui, c’est vrai, reconnut Amaethon d’un ton songeur. Seule la Machine est forte. Nous ne permettrons pas que le laboratoire tombe aux mains de l’ennemi.
— Comme toujours, vos paroles sont emplies de sagesse, archimagos. Mais à l’heure où nous conversons, l’ennemi s’apprête à attaquer Tor Christo, et ce n’est qu’une question de jours avant qu’il ne parvienne à ses fins.
À cette nouvelle, les traits d’Amaethon se crispèrent et ses yeux furent parcourus d’une lueur de détresse.
— Et le tunnel qui nous relie à Tor Christo ! L’ennemi en a-t-il connaissance ?
— Je ne crois pas, archimagos, mais si Tor Christo venait à tomber, ils le découvriront inévitablement.
— Il ne faut pas qu’ils puissent s’en servir ! cria presque Amaethon.
— Je suis d’accord, c’est pourquoi j’ai armé les charges de démolition destinées à l’ensevelir.
— En as-tu informé Vauban ?
— Non, archimagos.
— Bien. Vauban ne comprendrait pas la nécessité d’un tel acte. Sa compassion pour ses hommes scellerait notre perte.
Amaethon parut réfléchir et resta silencieux un petit moment avant de rajouter :
— Je ne suis plus… aussi puissant que jadis, Naicin. Le fardeau que je porte est lourd.
Naicin courba la tête.
— Alors permettez-moi d’en supporter une partie avec vous, archimagos. Lorsque l’heure viendra où l’ennemi s’approchera des remparts de la citadelle, vous vous trouverez contraint à une immense pression pour maintenir le bouclier énergétique tout en vous assurant du bon fonctionnement du reste de la citadelle. Laissez reposer une partie de ce fardeau sur mes épaules.
Le masque de peau d’Amaethon hocha la tête, puis l’archimagos reprit la parole en changeant abruptement de sujet.
— Qu’en est-il des astropathes ? Es-tu parvenu à isoler la contagion qui les afflige et qui obstrue leurs esprits ?
Pris au dépourvu, Naicin s’accorda une pause avant de répondre.
— Ah ! C’est regrettable, mais non. Toutefois, je reste confiant car la réponse se trouve forcément dans vos processeurs logiques. Ce n’est qu’une question de temps avant que je ne parvienne à rétablir la situation. Nous pourrons alors à nouveau envoyer des messages extra-planétaires.
— Très bien. Il est impératif que nous lancions un appel à l’aide. Si nous venions à être défaits, l’ampleur des conséquences va au-delà de ton imagination.
— Nous ne serons pas vaincus, assura Naicin en courbant à nouveau la tête.
Le matin du onzième jour de siège, les batteries de Forrix étaient prêtes, et les canons géants qui devaient y être placés étaient soit tractés par des grappes d’esclaves en sueur, soit acheminés à l’aide de leurs propres pouvoirs diaboliques. Quelques minutes après que les observateurs postés sur les remparts de Tor Christo eurent constaté la mise en branle des pièces d’artillerie, les Basilisks ouvrirent le feu pour délivrer un interminable barrage d’obus qui transforma les abords de la forteresse en champ de mort.
Mais les tranchées élargies et approfondies s’avérèrent imperméables, et seuls les tirs directs chanceux pouvaient espérer occasionner quelques dégâts. C’est ainsi que deux machines furent détruites, tandis que leurs équipages et les esclaves qui les tractaient étaient lacérés par les shrapnels. Une autre de ces abominations, dont le long canon était orné de runes maléfiques, fut rendue folle de rage par une touche superficielle. L’entité du warp qu’elle renfermait rentra dans une rage folle et parvint à se libérer des liens magiques qui la retenaient. Elle se jeta dans la tranchée et massacra tous les esclaves et les soldats qui eurent la malchance de se trouver là.
Il ne fallut pas moins que les efforts combinés de Jharek Kelmaur et de sept de ses acolytes, sans compter le sacrifice d’une centaine d’âmes, pour reprendre le contrôle du démon. Mais bientôt, la machine se retrouva à sa place face aux remparts de la citadelle.
Les artilleurs impériaux tentèrent de modifier la trajectoire de leurs tirs pour atteindre directement les batteries, mais Forrix les avait placées avec discernement et protégés par d’imposants promontoires. Après trois heures de bombardements assourdissants, ce dernier fut satisfait du placement de son artillerie et somma les esclaves de riveter les machines démons au sol. Finalement, sept heures après que le soleil eut franchi le zénith, Forrix donna l’ordre d’ouvrir le feu.
Les premiers obus s’abattirent sur la face sud-est du bastion Kane, expédiant à terre les hommes qui s’y trouvaient. Le plastobéton se fissura sous les impacts, alors que pleuvaient des éclats gros comme le poing.
Quelques instants plus tard, une autre batterie s’en prit à la face opposée du bastion. Cette fois, la trajectoire était haute et les obus explosèrent au sommet des remparts, fauchant les soldats par dizaines.
En un instant, tout ne fut plus que confusion. Dans un concert de cris et de hurlements de douleur, des soldats traînaient leurs camarades blessés vers la sécurité de la cour où les médics verraient ce qu’ils pourraient faire. La minute suivante, une nouvelle salve d’obus vint s’abattre sur les remparts, les secouant jusque dans leurs fondations. Puis les batteries continuèrent de faire feu à tour de rôle.
Le vacarme était assourdissant, à tel point que Tedeski savait qu’il n’oublierait jamais la puissance hors du commun de ce bombardement. Il avait troqué sa panoplie habituelle d’officier contre l’uniforme standard bleu ciel du régiment, la manche vide coincée dans sa ceinture. Derrière lui, le capitaine Poulsen essayait tant bien que mal de se garder une contenance, mais il ne pouvait empêcher son visage de se crisper à chaque nouvelle explosion.
Tedeski observa la pièce d’artillerie située à l’angle du bastion s’effondrer en emportant avec elle une dizaine d’hommes.
— Par l’Empereur, ça chauffe ! lâcha-t-il soudain.
— Major ? s’enquit Poulsen.
— Non rien, répondit Tedeski en scrutant les remparts. Il faut les sortir de là. Laissez les pelotons un et cinq sur le rempart et ordonnez aux autres de se retirer.
Poulsen relaya l’ordre sans perdre une seconde, heureux d’avoir quelque chose à faire. Tedeski observa la chaîne de commandement faire son œuvre, pour arriver aux soldats concernés dont les visages exprimèrent un grand soulagement, tandis que ceux des autres se fermaient davantage sous l’effet de la peur. Le sol trembla une nouvelle fois et Tedeski poussa un juron lorsqu’une section entière du rempart sud se craquela avant de s’effondrer sur elle-même. Toutefois, en dépit de la puissance de feu déployée, il faudrait un certain temps avant qu’une brèche praticable ne soit créée et que suffisamment de débris ne se soient accumulés pour permettre aux troupes des renégats de les escalader.
Des échardes de pierre lacéraient les corps des soldats qui étaient restés en faction, mais Tedeski savait qu’il ne pouvait laisser les remparts sans défense dans l’éventualité où un assaut se préparerait. Ce faisant, il condamnait sans doute ces hommes à une mort certaine, ce qui ne faisait qu’accroître sensiblement son sentiment de culpabilité.
Soudain, il partit droit devant et se dirigea vers les marches couvertes de gravats qui conduisaient de la cour aux remparts.
— Major ? cria Poulsen. Où allez-vous ?
— Tenir les remparts au côté de mes hommes ! répliqua l’irascible major.
Les années d’obéissance aveugle prirent instinctivement le dessus, et Poulsen emboîta le pas à Tedeski avant même que sa conscience ne réalise ce qu’il faisait.
Une vague d’applaudissements accueillit Tedeski alors qu’il se rendait à la tête du bastion, défiant les canons ennemis. Le chemin de ronde était craquelé et couvert de gravats. Il en manquait même une partie considérable en un endroit. D’ici, Tedeski disposait d’une vue claire sur ce qu’il se passait en dessous.
Les deux emplacements d’artillerie étaient plongés dans un nuage d’épaisse fumée grise, périodiquement transpercée par des éclairs de feu. À chaque obus sifflant expectoré, un soldat criait inutilement « Impact ! »
À présent les projectiles étaient dirigés contre la base de la muraille sur laquelle se trouvait Tedeski, envoyant à chaque impact des tonnes de roche voler dans les airs, sans parler des volutes de poussière soulevées. Tedeski ne broncha pas, et lorsque la poussière fut retombée, il se contenta d’épousseter son uniforme de sa main valide.
Entre deux explosions, il lança à ses soldats : « L’ennemi doit être en proie à une mauvaise fièvre ! Ne les entendez-vous pas tousser ? Peut-être devrions-nous leur offrir quelques bouteilles de vin doux ! »
Des rires et des acclamations fusèrent des gorges des soldats du bataillon A. Les paroles de leur commandant galvanisaient leur courage.
Suite à cela, le major Tedeski resta une longue heure auprès de ses hommes, empreint d’un silence déterminé, à endurer le terrible bombardement.
Lorsqu’il y eut suffisamment de poussière pour que la couleur du ciel prenne celle du sang congelé, Tedeski se tourna vers Poulsen et se saisit d’une main tremblante de la fiche de données de son aide de camp.
Après l’avoir consultée, il lui fallut un considérable effort de volonté pour contrôler sa voix : « Ordonnez à nos canons cachés là-dessous de se déployer et de réduire au silence ces batteries ! »
Forrix se frayait un chemin à travers la plaine recouverte de cratères aussi rapidement que son armure Terminator le lui permettait, suivi de près par une trentaine de ses guerriers triés sur le volet. Comme lui, ils avaient recouvert leurs armures métallisées d’une couche de poussière rouge, ce qui leur laissait l’espoir de passer inaperçus aux yeux des soldats postés sur les remparts, qui en outre étaient occupés par le bombardement.
Il savait qu’ils ne disposaient pas de beaucoup de temps. Le commandant de la garnison devait avoir réalisé à quel point l’artillerie des Iron Warriors pouvait être dévastatrice ; s’il ne la détruisait pas rapidement, sa forteresse était perdue. Il fallait donc s’attendre à ce qu’il déploie ses canons dissimulés, et c’était justement ce que Forrix espérait. De son côté, Honsou attendait dans le parallèle le plus avancé avec quarante de ses guerriers et quasiment six mille soldats, répartis le long du boyau.
Il leur faudrait être en parfait timing. S’ils passaient à l’action trop tôt, les impériaux scelleraient les tunnels menant aux canons. Et s’ils attendaient trop, l’artillerie des forces du chaos serait réduite en poussière.
Lorsqu’il arriva à une cinquantaine de mètres de l’entrée dissimulée, Forrix se mit à couvert, imité par ses vétérans, le bruit du bombardement couvrant sans problème celui de leurs pas.
Ils n’eurent pas à attendre bien longtemps : le grondement de quelque chose de lourd roulant sur des rails annonça que les canons étaient tractés en position.
« Honsou », lança Forrix en chargeant droit devant. « C’est le moment ! »
En entendant dans son casque le feu vert de son supérieur, Honsou afficha un sourire carnassier. Il s’ouvrit un passage sur la plaine en donnant un grand coup de pied dans les sacs de sable entassés devant lui et sprinta en avant, suivi de près par ses guerriers. Dans le même temps, des milliers de soldats en livrée rouge escaladèrent la tranchée pour se lancer en avant, couverts par les tirs incessants des pièces d’artillerie qui bombardaient le bastion central dans la perspective d’y forer une brèche.
Les muscles hyper développés des Iron Warriors leur permirent de distancer rapidement les soldats humains qui se déversaient dans la plaine, éclairés à intervalles réguliers par les explosions sur les remparts.
Honsou et ses guerriers seraient les premiers à atteindre la forteresse. On appelait ce type d’assaut un Fol Espoir, car les premiers à prendre d’assaut la brèche étaient invariablement les premiers à périr, leur sacrifice permettant au reste de l’armée de se placer à portée d’assaut. Les hommes qui faisaient partie d’un Fol Espoir avaient pour rôle d’attaquer la brèche et de gagner le plus de temps possible avant de mourir. Des centaines de soldats périssaient ainsi juste pour permettre aux suivants de prendre pied sur les remparts.
Si l’ennemi savait exactement où l’attaque allait se produire et était donc préparé en conséquence, Honsou se consolait en espérant que le bombardement incessant obligerait les défenseurs à garder profil bas.
Il escalada agilement les premiers rochers, chacune de ses puissantes enjambées le menant plus près du sommet. Le vacarme des explosions s’intensifiait à chaque minute, jusqu’au moment où, regardant à travers la pénombre ambiante, il eut le plaisir de voir se détacher un pan entier des remparts. Les tonnes de débris qui se déversèrent allaient leur fournir une rampe d’accès rêvée.
« À tous les artilleurs, cessez le feu ! », ordonna Honsou au moment même où il atteignait la base de l’éboulis.
Des cris d’alerte fusaient depuis le sommet des remparts et déjà, une poignée de tirs de laser mal ajustés l’accueillirent.
Pour Honsou et ses hommes, c’était maintenant que les choses commençaient vraiment. Il marqua cet instant en martelant leur cri de guerre :
« Cœur de fer, main de fer ! »
Comme un seul homme, ses guerriers se jetèrent en avant et le suivirent en direction de la brèche.
Forrix enfonça son gantelet énergétique dans la poitrine d’un artilleur qui portait un gilet pare-balles renforcé. La partie supérieure de son corps explosa comme un fruit trop mur. Le rugissement caractéristique des autocanons faucheurs se fit entendre, et instantanément, soldats et artilleurs furent balayés par poignées, aspergeant de leur sang leurs propres pièces d’artillerie.
« Protégez les canons ! », eut le temps de crier un jeune officier avant que Forrix ne le réduise au silence en lui broyant la tête.
Pauvres fous ! Comment pouvaient-ils croire que les canons étaient leurs cibles ? Les Iron Warriors n’avaient-ils pas déjà la suprématie ?
Ils avaient attaqué de manière si imprévue que les premiers soldats impériaux étaient morts sans même réaliser qui les attaquait. Les survivants tentèrent de se défendre tant bien que mal, avant de réaliser qu’ils n’avaient aucune chance et de se replier devant Forrix et ses terribles Terminators. Mais le vétéran n’était pas disposé à laisser s’échapper sa proie si facilement : trois de ses guerriers levèrent leurs autocanons faucheurs hérissés de piques et cueillirent les soldats dans leur retraite.
Forrix ignora les canons et fonça aussi vite qu’il le put en direction des larges portes ancrées dans la montagne. Déjà, l’alarme avait été déclenchée et elles commençaient à se refermer, mais pas assez rapidement. Les Terminators eurent juste assez de temps pour se faufiler à l’intérieur du tunnel.
Ils y furent reçus par une volée de tirs de fusil laser qui n’eurent d’autre effet que de creuser de petits cratères fumants dans les armures Terminator trop épaisses. En dépit des dizaines de soldats qui s’opposaient à eux, Forrix ignora le déluge de tirs et se mit à la recherche du mécanisme qui commandait les portes. D’épais rails fixés sur le sol de béton aboutissaient à trois imposantes baies de stockage.
Une volée de marche menait quelque part au-dessus, et la majorité des défenseurs s’étaient regroupés à leurs pieds, protégés derrière des barricades de fortune. Un autre groupe s’abritait derrière deux bulldozers géants et arrosait les envahisseurs de tirs de laser. Forrix devina qu’ils essayaient de protéger l’accès au mécanisme qui commandait les portes. Ce fut donc dans leur direction qu’il chargea, insensible au rideau de feu qui s’abattit sur lui. Imité par les Terminators de sa suite, il vida le chargeur de son bolter combiné sur les flancs des bulldozers, de sorte qu’en ricochant, les bolts explosifs lacérèrent une dizaine de soldats.
Un autre groupe de Terminators s’occupait des soldats qui défendaient l’accès à l’escalier. Forrix changea son chargeur et contourna le premier engin de levage pour arroser d’une nouvelle rafale de bolts les soldats qui se cachaient derrière. Plusieurs grenades inoffensives explosèrent à ses pieds, mais elles suffirent à détourner son attention du soldat qui braqua un lance-plasma dans sa direction.
Un rayon d’un blanc éblouissant le heurta en pleine poitrine, oblitérant sur le champ l’icône qui s’y trouvait et pénétrant profondément à travers les couches de céramite. Forrix ressentit la chaleur du plasma lui brûler la peau et il recula sous l’impact. Mais son armure avait été forgée sur l’Enclume d’Holades à Olympia même ; l’antique esprit qu’elle renfermait était au moins aussi corrompu que celui de Forrix et n’était pas prêt à lâcher prise. Il rétablit son équilibre et donna un grand coup de gantelet énergétique au soldat, dévastant sa cage thoracique. Il souleva alors le corps sans vie et l’envoya voltiger à l’autre bout du tunnel dans un arc sanglant.
Tandis que d’autres soldats étaient réduits au silence à grand renfort de griffes énergétiques et de bolters, Forrix se dirigea vers les panneaux de contrôle des portes sur la paroi du fond et actionna le levier d’ouverture. Dans un crissement strident, les larges battants métalliques se rouvrirent lentement. Ceci fait, il recula de quelques pas et arrosa le panneau de contrôle d’une rafale de bolts.
À présent assuré que personne ne pourrait refermer les portes, il contourna un des bulldozers couvert de sang et contempla ses guerriers venir à bout des derniers soldats en prenant soin d’économiser leurs munitions. Les impériaux finirent par lâcher prise et prirent la fuite pour se réfugier sous les escaliers. Ceux qui ne se montrèrent pas assez rapides furent impitoyablement laminés par la puissance de feu des Iron Warriors, leurs cris couverts par le rugissement assourdissant des autocanons dans cet espace confiné. Ceux qui échappèrent à la fusillade ne connurent pas un sort meilleur, puisqu’ils furent sauvagement écrasés lorsque l’escalier s’effondra sur eux, brisé par les puissants projectiles faucheurs. En quelques secondes, il ne restait plus des défenseurs que des corps fumants et démembrés.
Un dernier soldat terrifié surgit de ce qu’il restait des escaliers et tenta de s’enfuir, mais il fut immédiatement traqué par les trois autocanons faucheurs. Ces derniers étaient sur le point de rattraper leur cible lorsque Forrix intervint :
« Non, celui-ci est à moi. »
Forrix laissa l’homme courir, le temps de lui redonner espoir, puis il ouvrit le feu à son tour. Ses bolts déchirèrent les panneaux de contrôle sur le mur, juste derrière sa proie. Le soldat se révéla rapide, mais cela ne fut pas suffisant : un projectile l’atteignit à la cuisse alors qu’il courait tête baissée pour essayer d’échapper au feu meurtrier. Sa jambe fut instantanément déchirée juste au-dessous de la hanche.
L’homme atterrit dans une mare de sang et hurla d’agonie en voyant ce qu’il restait de sa jambe. Satisfait, Forrix s’accorda un rare sourire et se dirigea vers lui. L’homme était en train d’hyper ventiler et regardait son moignon le visage tordu d’horreur et de douleur.
« L’hémorragie aura tôt fait de priver ton cœur de sang », dit simplement Forrix, dont la voix était déformée par le filtre de son casque.
L’homme le regarda d’un air hébété, ses yeux déjà à demi vitreux.
« Tu as de la chance », rajouta Forrix. « En mourant, tu vas échapper à l’avènement du maître de forge. Tu peux remercier ton Empereur. »
La caverne était à présent entre leurs mains et ses Terminators le dépassaient déjà, pressés de pousser leur avantage.
Il ouvrit un canal destiné à l’ensemble de sa compagnie.
« Le niveau inférieur du fort est à nous. Envoyez le reste des hommes. »
Forrix abandonna le soldat mourant à son sort et gravit les escaliers au sommet desquels deux Terminators s’attaquaient déjà aux points de jonction de larges portes en métal à l’aide de leurs poings tronçonneurs. Une pluie d’étincelles s’abattit sur lui alors qu’il les rejoignait.
Honsou escaladait l’éboulis qui avait résulté de l’effondrement d’une portion des remparts. Des barres de renforcement tordues dépassaient ici et là tels des tendons arrachés. L’air était saturé de poussière. Des tirs de laser perçaient la fumée en grand nombre, faisant surchauffer la roche ou ricochant sur les armures des assaillants. Un tir l’atteint au niveau de l’épaulière, ce qui le déstabilisa un instant, mais il poursuivit l’ascension. Une grenade explosa à ses pieds, envoyant des fragments de métal s’enfoncer profondément dans ses jambières.
Il avait remarqué que l’ennemi avait déjà fabriqué une barricade de fortune à l’aide de plaques de métal rouillées et de bidons éventrés. L’ensemble formait tout de même une barrière arrivant à hauteur de poitrine et allait ralentir leur charge.
Or Honsou savait que plus ils passeraient de temps sous le feu ennemi, moins leurs chances de prendre la brèche seraient grandes. C’était le moment précis où bien des assauts tournaient à la débandade, stoppés par des obstacles et laminés par les tirs des défenseurs.
S’ils voulaient avoir une chance de réussir cet assaut, il allait leur falloir submerger les défenseurs en une seule et unique vague. Honsou glissa alors qu’un morceau de rocher se dérobait sous ses pieds, ce qui lui évita de justesse d’être atteint en pleine figure par un tir de canon laser. Pas plus tôt remis sur pieds, il poussa un juron en apercevant trois longs tubes noirs reliés entre eux déposés le long de la brèche.
Il se jeta instinctivement à terre au moment même où les charges de démolition explosaient. Ses auto-senseurs protégèrent ses yeux et ses oreilles de la violence de l’explosion. L’onde de choc délogea d’énormes morceaux de béton et il se sentit lui-même glisser le long de la pente. Deux de ses guerriers n’eurent pas sa chance et furent démembrés, leurs armures incapables de les protéger contre une telle agression. Honsou roula sur lui-même pour reprendre ses esprits, puis il poursuivit inexorablement son ascension.
Le comité d’accueil de tirs s’intensifia, vitrifiant la roche tout autour de lui. Honsou sentit les impacts caractéristiques d’un bolter lourd contre son armure et la douleur envahit son bras gauche lorsque l’un des bolts finit par toucher la zone située entre sa coudière et son avant-bras. Les soldats situés sur le bastion nord fournissaient un tir croisé meurtrier, et la puissance de feu cumulée de l’ennemi commençait à payer. Honsou vit un autre de ses Iron Warriors tomber, son armure percée d’un trou fumant au niveau de la plaque pectorale.
Les grenades pleuvaient, mais il les ignora et poussa de l’avant. De chaque côté de lui, les épais murs des remparts le dominaient de toute leur hauteur. Le seul moyen de passer était cette brèche de six mètres de large qu’avait forée l’artillerie, et l’éclat du ciel rouge entre les remparts brillait à ses yeux comme une balise dans la nuit.
Ils mettaient trop de temps ! Déjà, les soldats humains à la solde du Chaos commençaient à escalader les débris en deçà, et il n’était même pas parvenu à atteindre l’embouchure de la brèche. Il finit par rejoindre la barricade de fortune destinée à les ralentir, et grâce à sa force décuplée par sa rage, il la saisit des deux mains avant de l’expédier en rugissant au bas de la pente, écrasant au passage une bonne dizaine de soldats.
Un autre Iron Warrior vint le rejoindre, et côte à côte, ils se jetèrent en avant tout en ouvrant le feu avec leurs pistolets bolter. À travers le rideau de poussière et de fumée, Honsou pouvait apercevoir des formes spectrales à la cime de la brèche. Un chapelet de cris et d’ordres lui indiqua que l’ennemi s’organisait, et il tira au jugé dans cette direction. Des hurlements de douleur lui indiquèrent que ses bolts avaient fait mouche.
La pente s’inclinait et il dut s’aider de ses mains pour continuer de progresser. Un tir l’atteint en plein torse, un autre sur le casque. Tout autour de lui, les rayons laser fusaient en vaporisant la fumée. L’unique tour encore debout, à l’extrémité du bastion, arrosait la brèche de balles, sans oublier les nombreuses explosions de grenades. Le guerrier qui se trouvait à ses côtés tomba, son casque complètement fondu, mais Honsou ne se laissa pas impressionner et pressa encore le pas, imperméable aux gémissements de ses soldats qui mouraient tout autour de lui, et même au cri de guerre poussé par les centaines d’hommes qui commençaient à escalader la pente.
À présent, le sommet de la brèche était tout proche ; Honsou pouvait discerner les silhouettes ennemies à travers la fumée. Il aperçut un soldat s’apprêtant à lancer une nouvelle charge de démolition et attendit qu’il se relève pour lui tirer un bolt en pleine figure. Dans une grande gerbe de sang, l’homme décapité tomba à la renverse et laissa s’échapper la charge qui tomba à ses pieds. Honsou se jeta à plat ventre au moment où le sommet de la brèche était débarrassé de ses défenseurs en une unique explosion massive. Un concert de cris et d’ordres désespérés s’ensuivit.
Honsou bondit sur ses pieds, dégaina son épée et sprinta aussi vite qu’il le put en direction du nuage de fumée noire qui à présent recouvrait le sommet de la brèche.
Il percuta deux soldats en uniforme bleu ciel, qu’il lacéra d’un revers de son épée. Des renforts accouraient déjà pour boucher ce soudain trou dans leur défense.
« Iron Warriors, avec moi ! », hurla-t-il désespérément, mais il était seul. Il para au plus pressé en s’occupant des gardes qui se jetaient sur lui. Il les élimina sans difficulté, mais déjà, d’autres commençaient à l’encercler dans le but de restreindre ses mouvements par le seul poids du nombre. Il se fendit habilement et fit décrire à son arme un arc meurtrier. En retour, des tirs et des chocs retentirent sur son armure.
Où étaient donc passés ses hommes ?
Il prit le risque de jeter un œil par-dessus la brèche. La zone en dessous était un véritable enfer couvert de rayons laser et d’explosions, sans compter le tir croisé fourni par le bastion latéral, qui fauchait les renégats tandis qu’ils s’évertuaient à escalader les rochers. Des centaines d’entre eux étaient déjà tombés, massacrés par les armes automatiques ou à rayon des défenseurs. Jusqu’ici, le bastion nord s’en était plutôt bien tiré, l’essentiel des bombardements ayant été concentrés sur celui où il se trouvait. Ceux qui lançaient l’assaut en payaient à présent le prix fort.
Toujours plus d’adversaires se rassemblaient autour d’Honsou, l’obligeant à trancher, frapper, esquiver… traçant un sillon de mort à travers les défenseurs. Il rugit de triomphe à la vue des premiers guerriers de sa compagnie atteignant le sommet et envahissant les remparts. À grand renfort de bolts, les Iron Warriors finirent par repousser peu à peu leurs adversaires pour prendre fermement pied sur le bastion Kane.
Profitant de la débandade, Honsou sauta dans la cour en contrebas. Tout autour de lui, l’ennemi tentait de se réfugier à l’abri, ses guerriers sur leurs talons. Il ne fallait pas qu’ils perdent leur avantage si chèrement acquis, car en dépit de leur succès, ils avaient encore à affronter des milliers de soldats tapis dans les bastions latéraux.
Honsou courut à travers la confusion de la bataille tout en ouvrant le feu, abattant les soldats à la traîne.
Arrivé à l’autre bout du bastion, il découvrit que les soldats impériaux se dirigeaient vers une large tranchée que franchissait un pont de fortune. En dépit des ordres de leurs officiers, ils s’agglutinaient à l’entrée et sur le pont, qui finit par céder sous le poids du nombre, entraînant vers une mort affreuse ceux qui se trouvaient dessus. Certains soldats sautaient dans la tranchée et se retournaient pour tirer sur les Iron Warriors, mais la plupart étaient sous l’emprise de la panique et se dirigeaient vers l’esplanade principale où se trouvait une tour ronde et massive.
Des officiers en uniforme noir, un crâne incrusté sur le devant du képi, ordonnaient à leurs hommes de tenir et en exécutaient quelques-uns dans l’espoir de se faire obéir. Honsou les laissa abattre leurs propres soldats et se concentra sur ceux qui ne couraient pas. Soudain, un rugissement de haine se fit entendre, annonçant l’arrivée au sommet de la brèche des renégats à la solde des Iron Warriors. Ces derniers se répandirent comme une marée rouge sur les remparts, dans les escaliers et la cour.
Ils tenaient le bastion, à présent il leur fallait poursuivre l’assaut.
Un tir nourri de lasers provenait de la tranchée, mais il en fallait davantage pour le stopper, et Honsou bondit dans le fossé rempli de soldats. Il se fraya un passage sanglant parmi les défenseurs qui n’avaient d’autre choix que de reculer de terreur devant les moulinets mortels de son épée. Perpétrer un tel massacre avec autant d’aisance le transcendait littéralement, et c’était dans des moments pareils qu’il comprenait le mieux à quel point la voie de Khorne pouvait être attirante. Tout autour de lui, ses camarades Iron Warriors finissaient de purger la tranchée avec la rage de ceux qui avaient connu l’enfer et en étaient revenus indemnes, ou presque…
Au cœur de Tor Christo, le major Gunnar Tedeski observait le massacre, empli de désespoir. Ses hommes mouraient et il n’y avait rien qu’il pût faire pour l’éviter. Il avait joué la carte des canons dissimulés, espérant qu’ils parviendraient à stopper l’avance implacable des Iron Warriors, mais l’ennemi les avait doublés, et à présent, la forteresse était sur le point de tomber.
Il avait échoué. Bien qu’il n’ait jamais réellement pensé que Tor Christo tiendrait, la vitesse avec laquelle le fort avait cédé lui faisait honte. Les attaquants n’avaient certes pas encore terminé le boulot, mais ils allaient probablement prendre d’assaut les tranchées qui se trouvaient à l’arrière du bastion. Il savait au fond de lui que les images qu’il avait sous les yeux ne retranscrivaient pas l’ampleur du carnage qui était perpétré au dehors. Des milliers d’ennemis se répandaient sur les remparts, et ce n’était qu’une question de temps avant que les bastions Mars et Dragon ne soient attaqués par l’arrière, leur point le plus vulnérable. S’il ne faisait rien, ses hommes allaient se battre courageusement, certes, mais ils mourraient tous.
Or Tedeski avait suffisamment de morts sur la conscience comme cela.
— Poulsen ! lança-t-il en essuyant une goutte de sueur mêlée de poussière sur son front.
— Major ?
— Envoyez le signal du Crépuscule à tous les commandants de compagnies et au castellan Vauban.
— Le Crépuscule, major ? répéta Poulsen d’un air hébété.
— Oui, nom d’un chien ! Et faites vite !
— Ou… oui, major, acquiesça Poulsen rapidement avant de transmettre à son tour aux opérateurs radio le code d’évacuation.
Tedeski se tourna vers son aide de camp et arrangea sa veste d’uniforme avant de s’adresser aux officiers qui se trouvaient avec lui dans le centre de commandement :
— Messieurs, il est temps que vous quittiez ce lieu. Cela me coûte de le reconnaître, mais Tor Christo est sur le point de tomber. En tant qu’officier de plus haut rang, je vous ordonne d’emmener avec vous le plus d’hommes possible à travers les tunnels qui mènent à la citadelle. Le castellan Vauban aura besoin de tous les soldats disponibles dans les jours à venir et je ne laisserai pas les miens mourir ici inutilement.
La pièce resta plongée dans le silence jusqu’à ce qu’un jeune officier se décide à poser la question qui leur brûlait tous les lèvres :
— Vous ne nous accompagnez pas, major ?
— Non. Je reste. Je ferai exploser le réacteur à la fin. Je n’ai pas l’intention d’abandonner cette forteresse aux mains de l’ennemi.
Tedeski leva le bras pour interrompre les objections qui fusèrent.
— J’ai pris ma décision, il est inutile de discuter. À présent, partez ! Vous n’avez guère de temps…
— Le signal du Crépuscule a été envoyé par Tor Christo, archimagos, rapporta Naicin à son maître.
— Déjà ? murmura Amaethon. Bien que sa chair ait depuis longtemps perdu toute qualité émotive, Naicin perçut quelque chose qui ressemblait à une vague de panique dans son regard.
— Il semblerait que les soldats impériaux s’avèrent encore plus faibles que je ne le craignais, renchérit Naicin d’un ton désolé.
— Il faut nous protéger ! La citadelle ne doit pas tomber !
— Non, elle ne le doit pas, agréa Naicin. Qu’ordonnez-vous, archimagos ?
— Faites s’effondrer les tunnels, Naicin, faites-le maintenant !
Une pile de dossiers sous le bras, le capitaine Poulsen pressait le pas, animé par une peur telle qu’il n’en avait jamais encore ressenti. Il ne s’était jamais retrouvé au front, ses compétences en matière d’organisation et de logistique s’avérant bien plus utiles à l’arrière au sein de la chaîne de commandement.
Mais lorsqu’il s’était tenu sur les remparts du bastion Kane, avec tous ces obus explosant dans les parages, il avait ressenti la terreur d’un barrage d’artillerie et s’était félicité de s’être vu épargner l’horreur des combats.
Des centaines de soldats s’engouffraient à l’entrée du tunnel creusé à même la roche et qui s’enfonçait profondément sous le niveau de la terre pour rejoindre la citadelle. Il s’agissait des combattants des bastions latéraux ; par contre, il était trop tard pour les hommes du bastion Kane…
Certains devraient mourir afin de permettre aux autres de s’échapper.
Grâce à la lumière glauque fournie par les globes luminescents accrochés au plafond, Poulsen pouvait lire sur les visages de ses camarades officiers qui l’entouraient des expressions de peur mêlée de culpabilité. De la poussière pleuvait du plafond, tandis que les unités de recyclage peinaient à brasser l’air chaud et stagnant du tunnel.
Les marches qu’il descendait prirent fin et il déboucha dans une caverne large et circulaire, d’où s’échappaient plusieurs passages qui devaient mener sous Tor Christo. Les hommes des bastions Dragon et Mars arrivaient en masse. Des prévôts en uniformes jaunes tentaient d’imposer un semblant d’ordre avec un succès mitigé. La retraite ordonnée par le major Tedeski était appliquée sans traîner. Au-delà de quatre élévateurs géants, la caverne cédait la place à un imposant tunnel bien éclairé, faisant près de douze mètres de large sur sept de haut.
En temps normal, ce niveau du fort était utilisé pour acheminer des pièces d’artillerie et de barrage entre Tor Christo et la citadelle, mais il pouvait tout aussi bien servir à déplacer de grandes quantités de soldats. Poulsen emboîta le pas aux soldats en sueur, à moitié assourdi par les cris des prévôts. La masse humaine se déplaçait en direction du couloir principal, de sorte qu’il se sentit transporté malgré lui. Quelqu’un lui donna un douloureux coup de coude, ce qui le fit lâcher ses dossiers sur le sol.
Le bureaucrate qu’il était se jeta à genoux pour essayer de récupérer les précieuses données en maugréant. Il poussa un juron quand une botte écrasa l’une de ses bases mémorielles. Puis une main le saisit par le coude et le releva sans ménagement.
— Laissez-les ! lui cria un des prévôts au visage repoussant. Continuez d’avancer !
Poulsen allait protester lorsque le sol trembla et que des cris d’alarme retentirent dans la caverne. Une pluie de poussière s’abattit sur eux, suivie d’un calme étrange.
— Qu’est-ce que c’était ? murmura Poulsen. Un tir d’artillerie ?
— Non, répondit le prévôt, on ne peut pas entendre l’artillerie d’ici. C’est quelque chose d’autre…
— Quoi alors ?
— J’en sais rien, mais je n’aime pas ça…
Une nouvelle vibration grondante vint secouer la caverne, suivie d’une autre encore. Les cris d’alarme se muèrent en hurlements de terreur lorsque Poulsen aperçut une boule de feu orange leur foncer dessus le long du couloir principal, précédée par un féroce bruit de souffle. Il contempla la sphère lumineuse approcher sans comprendre. Que se passait-il donc ?
Il eut soudain la réponse à sa question, lorsque quelqu’un cria : « Par le sang de l’Empereur, ils scellent les tunnels ! »
Sceller les tunnels ? Inconcevable : il y avait encore des hommes dedans ! Le castellan Vauban ne donnerait jamais un tel ordre. C’était tout simplement impossible. Pourtant, des centaines de soldats avaient déjà fait demi-tour, et cédant à la panique, tentaient de revenir en courant dans la grotte qu’ils venaient de quitter, se poussant les uns les autres. Certains tombaient et étaient impitoyablement piétinés par leurs camarades terrifiés qui fuyaient les éboulis.
Poulsen ne se fit pas prier plus longtemps pour faire lui aussi demi-tour, laissant retomber les bases de données qu’il venait de rassembler, oubliant leur valeur. Les charges de démolition explosèrent les unes après les autres le long du tunnel, faisant s’effondrer sur les soldats des milliers de tonnes de roche.
Poulsen tituba vers la grotte qu’il venait de quitter et s’accrocha au soldat qui se trouvait devant lui dans une tentative désespérée de s’en sortir.
Mais le tunnel principal explosa, broyant ou carbonisant des centaines de soldats en un seul instant. Poulsen écarta violemment l’homme qui se tenait devant lui et se mit à courir au moment même où ses oreilles l’avertirent que le plafond se fissurait. La charge de démolition placée au centre de la caverne explosa à son tour, faisant s’effondrer la voûte sur les soldats qui se trouvaient là.
Poulsen cria de désespoir en voyant des rochers tomber tout autour de lui. L’un d’entre eux finit par lui broyer le crâne, puis d’autres réduisirent à l’état de pulpe le reste de son corps.
Alors que l’ensemble des tunnels situés sous Tor Christo étaient scellés, presque trois mille hommes subirent le même sort que le capitaine Poulsen.
Les yeux rivés sur les écrans qui lui retransmettaient ce qu’il se passait à l’extérieur, le major Tedeski s’empara d’une bouteille d’amasec. Des milliers de soldats en uniforme rouge envahissaient les murs de sa forteresse. Les bastions Mars et Dragon étaient couverts de soldats ennemis qui vidaient leurs chargeurs en l’air tout en lançant des cris de victoire. Il avait observé, furieux, ses hommes se faire capturer, puis aligner contre un mur et exécuter sans autre forme de procès. Sans parler de ceux qu’on avait entassés dans la tranchée arrière puis incinérés au lance-flammes. Tedeski n’avait jamais ressenti une haine aussi féroce, et ses lèvres étaient tordues en un sourire revanchard : il allait renvoyer ces bâtards en enfer.
Il avala une nouvelle rasade et hocha la tête lentement. Le centre de commandement était vide, excepté lui et le magos Yelede, qui s’était assis dans un coin et affichait une mine abattue. Le prêtre de la machine avait protesté lorsqu’il lui avait ordonné de rester, mais Tedeski lui avait répondu que soit il restait de son plein gré, soit il l’exécutait sur-le-champ.
Tedeski acheva la bouteille d’amasec et se détourna des atrocités commises à l’extérieur. Il attrapa le magos par ses robes et le remit sur pieds.
« Venez, Yelede, il est temps de montrer ce que vous avez dans le ventre ! »
Tedeski entraîna le magos réticent à l’extérieur du poste de commandement, puis à travers un complexe de corridors et de barrières de sécurité scellées. Finalement, ils pénétrèrent dans un ascenseur à l’aide de la clé personnelle de Tedeski et descendirent jusqu’à la chambre d’alimentation, plusieurs niveaux plus bas. Alors que l’ascenseur se trouvait à mi-course, une puissante vibration secoua la cabine et les lumières vacillèrent. Les flancs de l’ascenseur heurtèrent les murs en produisant un bruit sinistre.
« Que se passe-t-il ? », articula Tedeski au moment où l’ascenseur reprenait sa descente.
À peine les portes se furent-elles ouvertes que Tedeski poussait le magos Yelede dans le corridor aux murs gris qui menait à la chambre aux réacteurs. En chemin, il essaya de rentrer en contact avec le capitaine Poulsen et les autres commandants de sa compagnie, mais sans succès. À chaque minute qui s’écoulait, son inquiétude grandissait.
La puissante vibration qu’ils avaient ressentie dans l’ascenseur lui avait fait penser à une détonation souterraine, et pour autant qu’il en savait, il n’y avait qu’une seule explication. Mais le castellan Vauban n’aurait jamais permis à l’Adeptus Mechanicus de détruire les tunnels en sachant que cela couperait tout espoir de retraite à des milliers de soldats. Un terrible pressentiment l’envahit toutefois et il croisa les doigts pour que ses suspicions s’avèrent infondées.
Ils finirent par atteindre la porte qui permettait d’accéder à la chambre aux réacteurs. Tedeski s’écarta pour laisser le prêtre rentrer le mot de passe.
— Ouvrez ces maudites portes ! ordonna-t-il en voyant que Yelede restait planté devant lui.
— Je ne peux pas, major Tedeski…
— Quoi ? Et pourquoi donc ?
— J’ai reçu des instructions ne m’autorisant pas à permettre la destruction de ces installations…
Tedeski colla Yelede contre le mur et dégaina son pistolet bolter.
— Si vous n’ouvrez pas ces portes, je vous fais sauter la cervelle, c’est clair ?
— Il est inutile de me menacer, major, protesta Yelede. J’ai reçu un ordre sacré de mes supérieurs et je ne peux désobéir. Notre parole est indéfectible.
— Et mon bolt est d’un calibre 75, pointe en diamant, avec un noyau d’uranium enrichi. Si vous n’ouvrez pas ces foutues portes maintenant, je vous l’envoie à travers ce qui vous fait office de cerveau !
— Je ne peux p… commença à rétorquer Yelede au moment où un terrible crissement du métal déchiré se fit entendre. Les deux hommes se retournèrent pour voir un énorme poing crépitant d’énergie se frayer un passage à travers les portes de l’ascenseur. Puis une silhouette géante en émergea, emplissant le couloir de toute sa stature.
Haut de presque trois mètres, l’intrus fit un pas en avant et apparut dans toute sa splendeur. Tedeski sentit les battements de son cœur s’accélérer de manière incontrôlée. Il avait sous les yeux un Terminator en livrée gris métallisé tâchée de sang, rehaussée de chevrons noirs et jaunes. Son casque avait la forme d’un chacal grimaçant, et sa plaque pectorale fondue arborait les restes de l’emblème des maudits Iron Warriors.
Yelede gémit de terreur et se dégagea de l’emprise de Tedeski pour s’empresser de poser sa main sur le panneau d’identification.
— Sainte Machine, je te conjure de laisser entrer ton indigne serviteur en ton saint sanctuaire où bat ton cœur, débita-il d’une voix désespérée.
— Vite, par l’Empereur, lâcha Tedeski tout en ne quittant pas le Terminator qui déjà se rapprochait. D’autres apparaissaient à travers les portes déchirées de l’ascenseur et emboîtaient le pas à leur chef. Tedeski tira une courte rafale de son pistolet bolter, mais sans effet apparent.
La porte de la salle des réacteurs glissa doucement, permettant à Yelede et Tedeski de s’y engouffrer avant de la refermer derrière eux.
Tedeski poussa le magos vers le centre de la pièce où se trouvaient autour d’un promontoire une dizaine de colonnes de cuivre crépitant d’énergie encastrées dans le sol.
Tedeski y traîna le magos et sourd à ses protestations, il braqua son pistolet sur sa tempe.
— Désobéissez-moi encore une fois et je vous abats. Est-ce bien clair ?
Yelede hocha la tête. Le peu de chair qui restait encore sur son visage se tordit de peur. Des puissants coups contre la porte, qui se bomba dangereusement vers l’intérieur, le firent bondir prestement sur ses pieds. Il se dirigea hâtivement vers la première colonne de cuivre et posa sur son sommet la paume de sa main. Puis il se mit à psalmodier la prière du Pardon de l’Omnimessie tout en dévissant. Ceci fait, il monta sur le promontoire où il pianota quelques informations.
Tedeski s’efforçait de garder son calme.
La première colonne s’éleva enfin du sol dans une gerbe de vapeur. Des sirènes d’alerte se mirent aussitôt à retentir, accompagnées d’un flot de paroles débitées par les hauts parleurs incrustés dans le promontoire. Tedeski n’en comprenait pas un mot, mais peu lui importait à présent.
— Vous ne pouvez pas aller plus vite ? demanda-t-il tandis que la porte essuyait un nouvel assaut.
— Je fais aussi vite que possible. Si je ne respecte pas le protocole destiné à apaiser l’Esprit de la Machine qui a investi le réacteur, je ne pourrai pas le persuader de nous aider.
— Alors ne perdez pas de temps en palabres, répliqua Tedeski en se retournant.
Forrix donna un violent coup de son gantelet énergétique contre la porte, qui commençait à céder. Il savait qu’il n’avait pas beaucoup de temps. La magos capturé par le maître de forge leur avait avoué que le commandeur de Tor Christo se réservait la possibilité de détruire sa forteresse, et Forrix ne devinait que trop bien quelles étaient les intentions des deux hommes qui se trouvaient dans la chambre des réacteurs.
Ses guerriers se tenaient tout autour de lui, impatients d’atteindre leurs proies et par là même de devenir les maîtres des lieux.
Un nouveau coup de gantelet énergétique finit par traverser la porte. Forrix agrippa le métal déchiré et se fraya un passage en poussant un rugissement de triomphe.
À l’intérieur, le magos vêtu de robes blanches s’affairait sur une machine située au centre de la pièce, tandis que l’officier manchot qu’il avait aperçu se tenait fermement devant lui. Ce dernier fit feu de son pistolet bolter et Forrix fut repoussé en arrière par les puissants impacts contre son armure. Il ressentit même quelque chose qu’il avait presque oublié au cours des siècles : la douleur.
En retour, il leva sa propre arme et lâcha une courte rafale qui atteignit le magos entre les épaules, désintégrant son torse tout en l’éjectant du promontoire.
L’officier se précipita à son tour sur le promontoire dans une pathétique tentative de terminer ce que le magos avait entrepris. La scène arracha un sourire à Forrix, qui lui tira un bolt dans les jambes. L’homme s’affala sur le sol dans un cri de douleur guttural. Forrix désactiva le champ d’énergie de son gantelet et souleva l’officier pour le jeter à l’un de ses Terminators.
Puis il prit place à son tour sur le promontoire et constata qu’ils avaient sacrément eu chaud : quelques instants de plus et Tor Christo aurait été réduit à un tas de ruines fumantes. En deux tirs bien ajustés, il fit taire les hauts parleurs.
« Remettez en place les colonnes. Il ne faut pas que le réacteur surchauffe », lança-t-il à ses Terminators avant de quitter les lieux.
Tor Christo était tombée.