Cinq

À la tête de presque deux mille hommes, le castellan Vauban escalada la douve qui cintrait la citadelle et sprinta en direction du camp des Iron Warriors. Il n’y eut pas de cris de guerre ou d’encouragement : les soldats savaient pertinemment que leur seule chance de survie était la discrétion. Ils avaient grimé leurs visages de suie et troqué leurs uniformes bleu ciel contre des treillis sombres.

Dans le même temps, les groupes d’assaut de Leonid quittaient également les douves en protégeant les équipes de démolition.

Vauban se dit que cette opération était bien désespérée, mais comme Leonid le lui avait fait remarquer, ils n’avaient pas d’autre choix que de tenter de détruire les canons de l’ennemi. Ne rien faire revenait à laisser les Iron Warriors les réduire en poussière.

La perspective du combat imminent l’emplissait de peur et d’exaltation. Les lignes ennemies ne se trouvaient plus qu’à quelques centaines de mètres. Sa respiration lui semblait particulièrement forte, sans parler des bruits des bottes qui martelaient le sol tout autour de lui, aussi bruyants que s’il s’était agi d’un Titan Warhound. Mais pour l’instant, l’alarme n’avait pas été déclenchée. Peut-être que cette attaque avait une petite chance d’aboutir ?

Même dans la pénombre, Vauban discerna la tête d’une sentinelle dépasser des fortifications érigées par l’ennemi. Plus que quelques minutes avant qu’ils se lancent à l’assaut.

Uraja Klane s’accouda contre le rempart de la tranchée et scruta l’obscurité. Son fusil laser reposait sur le sol de terre. Il se passait quelque chose là devant, mais il n’arrivait pas à voir quoi. Le seigneur Kroeger leur avait confié la protection de ces canons et mieux valait ne pas le contrarier. Mais les lumières et les bruits qui provenaient de son campement l’empêchaient de déceler quoi que ce soit.

Derrière lui, plusieurs centaines de soldats dormaient à même la tranchée ou buvaient de l’alcool distillé.

Par acquit de conscience, il alla réveiller Yosha qu’il savait posséder une paire de jumelles infrarouges.

— Hé ! Yosha, espèce de gros tas… murmura-t-il.

Le soldat baragouina quelques injures inintelligibles et se retourna pour montrer son dos à Uraja.

Ce dernier le secoua de nouveau.

— Yosha, réveille-toi nom d’un chien. File-moi tes jumelles !

— Quoi ? Mes jumelles ?

— Ouais, je crois qu’il se passe quelque chose dehors.

Yosha grommela en se mettant debout. Il se frotta les yeux de ses mains sales et bâilla aux corneilles avant d’enfin scruter l’obscurité à son tour.

— Il n’y a rien du tout, déclara-t-il d’un ton endormi après quelques instants.

— Sers-toi de tes foutues jumelles, abruti !

Yosha jeta un regard mauvais à son camarade et sortit une paire de jumelles de combat, antiques mais fonctionnelles. Une protubérance curieuse était vissée au niveau des lentilles. Yosha l’appliqua contre son crâne rasé et après s’être accoudé sur le parapet, il balaya l’obscurité.

— Alors, s’enquit Uraja d’un ton empressé, tu vois quelque chose ?

— Ouais, murmura Yosha, y’a quelque chose qui bouge… On dirait…

— On dirait quoi ?

Uraja ne sut jamais la réponse. Il entendit un bruit sec et l’instant d’après, l’arrière du crâne de Yosha explosa dans une gerbe de sang et de matière cérébrale. Ce dernier s’effondra lentement et bascula dans la tranchée.

— Par les dents de Khorne ! jura Uraja, incapable de détacher son regard du corps décapité de son ancien camarade.

Un autre claquement retentit et souleva un petit nuage de poussière juste à côté de lui.

Des snipers !

Instinctivement, il baissa la tête et s’empara de son fusil. De toutes parts, d’autres sentinelles s’effondraient, exécutées par les snipers impériaux. Il jura à nouveau : une attaque se préparait !

Il rampa le long de la marche de tir, passant par-dessus des soldats endormis, jusqu’à la sirène d’alarme.

Des bruits de bottes s’approchant lui indiquèrent qu’il n’avait plus beaucoup de temps, et il se mit à tourner la poignée rouillée de la sirène. Le hurlement de celle-ci s’amplifia peu à peu alors qu’il tournait de plus en plus vite. Un tir éventra une poutre près de lui et il reçut une pluie d’échardes. Cela suffit à le convaincre d’abandonner la manivelle et de reprendre son fusil laser.

Déjà, des bottes retombaient lourdement de son côté du parapet. Damnés impériaux ! Il sourit, content de se voir offert une chance d’en tuer quelques-uns.

Il ne serait pas dit qu’Uraja Klane laisserait passer un seul de ces bâtards d’impériaux. Il hurla de haine et se jeta en avant, pour se retrouver nez à nez avec un géant en armure énergétique jaune dont la plaque pectorale était recouverte d’un aigle impérial violet.

« Qu’est-ce que… », furent les seuls mots qu’il eut le temps de prononcer avant que le Space Marine des Imperial Fists ne le tranche en deux d’un revers de son épée énergétique.

L’alarme avait été déclenchée et plusieurs sirènes perçaient la nuit de leurs hurlements. Vauban savait à présent que l’effet de surprise était passé, et le temps leur était compté pour atteindre leur objectif avant qu’il ne leur faille battre en retraite. Il entreprit de gravir l’autre versant de la tranchée ennemie en se servant de la crosse de son pistolet bolter comme d’un piolet. Tout autour de lui, ses soldats l’imitaient en criant leur juste rage.

Une grenade explosa dans les parages, l’éclaboussant de terre et lui faisant lâcher prise.

Mais une main gantée de jaune l’attrapa in extremis par l’avant-bras et le souleva sans effort d’un geste ferme. Il se retrouva sur la marche de tir à côté d’un corps tranché en deux. Le Space Marine qui venait de lui porter secours se retourna sans rien dire et commença à tirer des rafales de bolts sur les soldats ennemis en livrée rouge. Ses semblables soutenaient les gardes impériaux à présent à couvert dans la tranchée qu’ils avaient prise.

— Merci, frère-capitaine Eshara, dit simplement Vauban.

Le capitaine des Imperial Fists hocha la tête tout en engageant un nouveau chargeur dans son bolter, puis répondit :

— Vous me remercierez plus tard. Nous avons du pain sur la planche. Puis il se retourna et sauta en bas de la marche de tir pour charger l’ennemi.

Des tirs et des explosions éclairaient par intermittence les tranchées tels des stroboscopes. Les cris des mourants et des blessés fusaient de toutes parts. Des centaines de Jourans s’engouffraient dans le camp ennemi, tuant tout sur leur passage. Les renégats avaient beau être pris au dépourvu, les impériaux ne faisaient pas de quartiers. Les groupes d’assaut faisaient leur boulot, fusillant ou éventrant à coups de baïonnette les soldats ennemis qui tentaient de s’emparer de leurs armes.

Quinze machines de guerre gigantesques étaient stationnées là, d’énormes howitzers dont les canons étaient si gros qu’un homme aurait pu se tenir debout à l’intérieur. Leurs flancs arboraient des plaques de bronze incrustées de crânes et de symboles malsains, et chacune d’entre elles était fermement rivée au sol à l’aide de lourdes chaînes.

Une impression de menace écrasante émanait de ces engins de siège, à tel point que Vauban s’en sentait mal à l’aise. Il savait sans l’ombre d’un doute que de telles abominations n’auraient jamais dû être créées.

Les Imperial Fists sécurisèrent le périmètre autour des batteries avec leur habituelle efficacité, éliminant les artilleurs. Ceci fait, ils occupèrent les positions les mieux défendues dans l’attente de l’inévitable contre-attaque.

Vauban quitta la marche de tir et se mit à lancer ses ordres :

— Équipe de démolition Alpha, avec moi !

Une vingtaine de soldats le suivirent en direction des canons et Vauban frissonna en sentant le souffle démoniaque des créatures qu’ils abritaient. À mesure qu’il s’approchait en se frayant un chemin à travers les corps qui jonchaient le sol, son malaise grandissait, et lorsqu’il posa enfin le pied sur la plaque de métal sur laquelle les machines étaient rivetées, une terrible douleur l’envahit. Il sentit sa poitrine s’oppresser et ses genoux flancher. La terreur s’infiltra dans son esprit alors qu’il était gagné par la certitude inébranlable que toucher ces monstres maudits provoquait une mort instantanée.

Il n’était pas le seul à ressentir tout ceci. Les soldats autour de lui étaient également tombés à genoux, certains vomissaient du sang, pénétrés par l’aura démoniaque des machines. Ces dernières tiraient dangereusement sur leurs chaînes, excitées par l’effusion du précieux liquide rouge tant convoité, et faisaient gronder leurs moteurs en guise de défiance.

Les bruits de fusillade s’intensifièrent, indiquant à Vauban que les Iron Warriors devaient avoir lancé une contre-attaque, craignant de perdre leur artillerie infernale.

Ils ne devaient pas échouer, pas après être arrivés si près du but ! Il se força à se relever, serra les dents pour combattre la douleur qui le ravageait et obligea le soldat le plus proche à se remettre sur pied.

« Debout, par l’Empereur ! », hurla-t-il. « Suivez-moi, soldat ! »

L’homme se saisit de son sac de charges de démolition et tituba à la suite de Vauban, son visage contorsionné par la terreur et la douleur. Les deux hommes s’approchèrent de la machine la plus proche qui tirait furieusement sur ses chaînes et crachait des nuages de vapeur. La vision de Vauban fut perturbée, comme s’il voyait à travers une image holographique défectueuse. Le sang coula dans sa bouche lorsqu’il se mordit la langue pour se retenir de crier.

Puis, aussi soudainement qu’elles étaient apparues, la douleur et la terreur s’évanouirent. Vauban ressentit une force toute-puissante se répandre dans son esprit en même temps que quelqu’un se mettait à chanter derrière lui.

L’un des Imperial Fists, dont l’armure était décorée de nombreux sceaux de pureté et dont l’une des épaulières était peinte en bleu, se tenait devant les machines démoniaques, chantant d’une voix fière et claire. Il avait dans la main un bâton d’ébène parcouru d’éclairs de lumière bleue.

Vauban ne connaissait pas le nom de ce guerrier, mais il devinait qu’il était un psyker, l’un des archivistes du chapitre. Il luttait contre le pouvoir corrompu des machines démoniaques et tentait de protéger les soldats impériaux de leur influence maligne.

Des fumerolles fantomatiques commençaient à s’échapper des icônes et autres marquages situés sur les flancs des créatures. À la sueur qui perlait sur le front de l’archiviste, Vauban devina que ce dernier puisait dans ses derniers retranchements pour contenir le flot de corruption généré par les machines de guerre.

L’archiviste venait de leur offrir une dernière chance, mais il allait leur falloir faire vite.

« Dépêchez-vous ! », cria-t-il d’une voix suffisamment forte pour couvrir le fracas des combats. « Équipes de démolition, placez vos charges et débarrassez-moi les lieux ! »

Les soldats équipés des charges grimpèrent sur la plate-forme de métal et, selon les instructions de leurs officiers, les placèrent sur les points vitaux de la première des machines démon, qui tirait de toutes ses forces sur ses chaînes et crachait de rage en direction des mortels qui osaient la défier.

Au moment où les équipes passaient à la machine suivante, Vauban reçut un message du capitaine Eshara dans son oreillette :

— Castellan Vauban, il faut battre en retraite ! L’ennemi se présente en grande supériorité numérique, soutenu par des armes lourdes. Je ne pense pas que nous puissions faire face.

— Pas encore ! répondit Vauban. Donnez-nous juste le temps de placer les derniers explosifs puis retirez-vous.

— De combien de temps avez-vous besoin ? demanda Eshara, sa voix partiellement couverte par des détonations toutes proches.

Vauban jeta un œil sur la rangée de machines de guerre et prit sa décision :

— Tenez encore quatre minutes !

— Nous allons essayer, mais soyez prêts à bouger quand vous nous verrez reculer !

— Attendez ! s’exclama Hawke. Relier le câble de bronze marqué du symbole sacré aux deux fiches comment ?

Même à travers le combiné de la radio, il put déceler de l’impatience dans la voix du magos lorsqu’il lui répondit :

— Le câble de bronze doit être relié aux fiches avec le symbole de la demi-roue. Comme je vous l’ai déjà dit. Une fois que…

— Attendez, attendez… marmonna Hawke en se battant avec les extrémités du câble en forme de pince. Il devait en même temps s’assurer que ces derniers ne rentrent pas en contact avec le circuit exposé. Le faisceau de son masque commençait à faiblir, de sorte qu’il lui fallait loucher pour discerner les symboles dont Beauvais lui parlait. Là ! Il se saisit de la bonne fiche et y fixa les extrémités du câble. Les étincelles qui en jaillirent soudainement lui brûlèrent les bouts des doigts. Il fit un bond en arrière et faillit perdre l’équilibre.

Il se rattrapa in extremis au portique sur lequel il se trouvait, s’efforçant de ne pas penser à la chute qu’il aurait faite sans ce bon réflexe. Le portique se révéla heureusement solide. Il y en avait plusieurs autres accrochés au mur à différents endroits de la pièce, et ils devaient servir aux techniciens pour accomplir leurs opérations de maintenance de la torpille.

Il lui avait fallu vingt minutes pour grimper en haut de l’échelle, trouver le bon panneau d’accès sur le flanc de la torpille et dévisser les boulons consacrés à l’aide du couteau de Hitch.

Durant l’heure qui avait suivi, il avait réussi à s’électrocuter deux fois, à se cramer les doigts trois fois et avait bien failli faire une chute d’une trentaine de mètres. Bref, ce n’était pas une partie de plaisir !

Il respira un grand coup avant de se plaindre dans le combiné :

— Vous auriez pu me prévenir, merde !

— C’est fait ? fut la seule réponse.

— Oui, c’est fait.

— Parfait. Vous venez d’armer la torpille.

Hawke recula à l’opposé de la torpille jusqu’au bord du portique, soudain alarmé par la perspective de cette bombe titanesque à moins d’un pas de lui.

— Elle est armée… Et ensuite ?

— Maintenant il faut dire à l’esprit de la machine de la torpille quelle sera sa cible.

— Euh… Et comment je fais ? Je lui parle ?

— Vous ne faites rien. C’est moi qui vais accomplir cette tâche sacrée. Pour ça, il faut que vous retiriez le câble rouge et or marqué de la rune de télémétrie, puis…

— La quoi ? Dites-moi au moins à quoi elle ressemble !

Beauvais soupira.

— Elle ressemble à un triangle ailé avec une roue en son centre. Ce câble est connecté à la cellule d’acquisition de cible de l’esprit de la machine. C’est la boîte dorée que vous voyez à l’extrémité du panneau. Quand vous aurez trouvé le câble, branchez-le dans la fiche de sortie de votre radio et attendez. Lorsque les diodes de la radio s’arrêteront de clignoter, rebranchez le câble sur la cellule d’acquisition.

Hawke n’eut cette fois aucun mal à trouver le câble en question et à le débrancher, mais il pesta en constatant qu’il mesurait à peine cinquante centimètres de long. Il lui fallut déplacer sa radio jusqu’au bord du portique. Ensuite, il réalisa le branchement et attendit, observant les diodes situées sur le devant de la radio clignoter de manière étrange. Tandis que la séquence se poursuivait, il s’appuya sur le coude et observa le sommet de la torpille.

Ce dernier était arrondi et curieusement irrégulier, creusé d’une rainure en forme de spirale. Hawke estima que cela devait servir à pénétrer plus facilement la coque des vaisseaux spatiaux avant d’exploser une fois à l’intérieur.

Il patienta plusieurs minutes avant que la séquence lumineuse ne prenne fin, puis il débrancha le câble et le reconnecta à la torpille, comme on le lui avait demandé. Il lui sembla entendre un bruit et il regarda par-dessus le parapet. Comme il n’y avait rien de spécial, il laissa tomber et reporta son attention sur le combiné qui grésillait.

— À présent, l’esprit de la machine connaît sa proie, Hawke. Il vous faut maintenant chanter le Chant du Réveil pour lancer la traque.

— OK, le Chant du Réveil… bon. Et ensuite ?

— Il ne vous restera plus qu’à appuyer sur la rune de mise à feu au-dessus du…

Beauvais n’eut pas le temps de finir sa phrase. Une rafale de bolts déchira la radio. Hawke se jeta instinctivement de côté et se retrouva une fois de plus à deux doigts de basculer à la renverse.

— Par le sang sacré de l’Empereur ! pesta-t-il en se saisissant de son fusil laser. Il se colla contre le mur froid auquel était accroché le portique. Sa respiration battait la chamade et son cœur cognait dans sa poitrine. Qui cela pouvait-il bien être ?

Il risqua un regard par-dessus le bord du portique et aperçut un géant en armure énergétique gris métallisé qui brandissait un pistolet bolter fumant et dans le dos duquel ondulait un bras articulé qui semblait vivant. Des soldats en uniforme rouge étaient attroupés autour de lui, leurs fusils laser braqués dans sa direction.

— L’heure est venue pour toi de mourir. Tu nous as bien fait courir, mais à présent, c’est terminé !

Hawke ferma les yeux et soupira.

— Oh merde ! Oh merde ! Oh merde… !

Les charges de démolition explosèrent, vaporisant les chaînes qui retenaient la première des machines démoniaques. Sous la chaleur volcanique déclenchée par la détonation, les symboles arcaniques qui retenaient la créature à l’intérieur de son enveloppe de métal fondirent en même temps que l’ensemble de la structure. Le hurlement du démon enfin libéré de sa prison matérielle se propagea dans les alentours.

Les plus proches, bien qu’à l’abri de l’explosion, furent violemment jetés à terre par l’ouragan d’énergie psychique. Certains implosèrent carrément, incapables de résister. Mais une fois l’onde de choc passée, le cri s’éloigna pour finalement s’éteindre complètement. Le démon était retourné dans le warp.

Alerté par le vacarme, Honsou maudit Kroeger. Où étaient donc passés les hommes de sa compagnie censés protéger ces précieuses bêtes ? Il avait fallu un nombre incalculable d’âmes pour sceller les pactes diaboliques qui avaient permis de soumettre ces démons.

Honsou craignait cependant de connaître la réponse à sa question : les guerriers de Kroeger devaient être en train d’assouvir leur soif de sang dans une nouvelle orgie de massacres.

Une rafale l’obligea à baisser la tête et vint pulvériser la tranchée devant lui, fauchant au passage une poignée de soldats humains. Il arma son pistolet bolter et se prépara à riposter lorsqu’il réalisa que les explosions qu’il venait de voir étaient provoquées par des bolts. Il lui fallait en avoir le cœur net et il prit le risque de jeter un coup d’œil par-dessus la tranchée. Il eut la surprise de voir un Space Marine en armure jaune donnant du bolter. Tout le long de la tranchée d’en face se trouvaient des soldats impériaux, de sorte qu’il n’y avait aucun moyen d’accéder aux batteries d’artillerie menacées.

Honsou était lui-même entouré de centaines de soldats renégats armés de leurs fusils primitifs. Ils regardaient dans sa direction, attendant qu’ils les guident. Il grimaça et se saisit du plus proche en lui enserrant le cou, puis il le lança à découvert. L’homme retomba lourdement et alors qu’il tentait de se relever, il fut fauché impitoyablement par une nouvelle rafale de bolts.

Avant même que le cadavre ne soit retombé à terre, Honsou avait quitté son couvert et tiré une rafale contrôlée sur le Space Marine. Sa victime s’effondra, trahie par son armure. Il serra les mâchoires en découvrant le poing serré peint en noir sur l’épaulière du guerrier.

Les Imperial Fists ! L’ancien ennemi, la source de son sang pollué !

Soudain envahi par une rage noire, il poussa un tonitruant cri de guerre et chargea en direction de la tranchée adverse, guidé par l’irrépressible désir de tuer d’autres Imperial Fists. Un nouveau guerrier en armure jaune avait pris la place du précédent et leva son bolter, mais Honsou fut le plus rapide et vida le chargeur de son pistolet sur l’ennemi abhorré.

Cette fois, ses tirs ricochèrent sur l’armure en produisant des gerbes d’étincelles. Furieux, Honsou se débarrassa de son pistolet et dégaina son épée alors que l’Imperial Fist mettait un genou à terre et prenait le temps d’ajuster son tir.

Il sentit plusieurs impacts contre sa poitrine, mais rien, pas même la mort ne l’arrêterait avant qu’il n’ait atteint sa proie. Il ignora la douleur et envoya son pied sur la plaque pectorale du Space Marine, puis il retourna son épée et l’enfonça jusqu’à la garde dans sa poitrine. Au même moment, une nouvelle explosion retentissait, l’atroce hurlement qui parvint jusqu’à lui signifiant la disparition d’une machine démon supplémentaire. Il fut frappé de plein fouet par l’onde psychique et perçut la malice d’un esprit plus vieux que l’humanité l’envahir. N’offrant aucune résistance, il laissa le démon prendre place dans son enveloppe matérielle indigne. Une vigueur incroyable se répandit dans son corps et il écarta les bras, son corps parcouru d’éclairs d’énergie noire.

Transcendé par la nouvelle puissance qui l’habitait, Honsou riait, envoyant des décharges d’énergie warp dans la masse confuse d’hommes et de machines, transformant l’emplacement d’artillerie en un véritable lieu de mort et frappant indifféremment les deux camps. Il ne pouvait plus contenir en lui l’énergie du démon ; son corps était tendu à la limite de la rupture et sa bouche était grande ouverte dans un cri d’agonie pourtant muet.

De nouvelles détonations retentirent et Honsou put sentir une autre entité démoniaque être libérée de sa prison de métal. Il tomba à genoux lorsque la créature qui avait envahi son corps se retira soudain et se jeta sur l’autre dans un élan de haine indicible. Alors que la puissance le quittait, il contempla les deux entités s’enrouler l’une autour de l’autre dans un combat sans merci, puis s’évanouir peu à peu dans le warp. La toute puissance qu’il venait de ressentir lui manquait déjà, même s’il savait qu’elle aurait fini par le détruire.

Il grogna de douleur alors que les terribles blessures provoquées par sa brève possession commençaient à se répandre dans ses terminaisons nerveuses. Il se força à se remettre debout tandis que les soldats humains autour de lui tentaient de le protéger en tirant à volonté dans la masse des impériaux.

Un hurlement à perdre la raison suivit une nouvelle explosion qui illumina la nuit. La machine démon, blessée à mort, se débattit en faisant claquer ses chaînes et écrasa plusieurs hommes qui se tenaient trop près d’elle. Son puissant canon expectora plusieurs obus qui filèrent par-dessus la tête d’Honsou pour aller exploser loin dans le camp des Iron Warriors. Finalement, l’entité démoniaque parvint à s’extraire de son corps de métal agonisant et à s’enfuir dans le warp.

Honsou retira son épée du corps du Space Marine, grimaçant alors que ses muscles endoloris protestaient sous l’effort. Il restait des Imperial Fists à éliminer, et il braverait les flammes des batteries d’artillerie s’il le fallait.

Des bolts explosèrent contre le mur dans un fracas assourdissant. Hawke pouvait sentir d’innombrables impacts heurter le dessous du portique sur lequel il se trouvait. Désespéré, il s’appuya contre la grille et tira une rafale à l’aveuglette par-dessus le rebord.

Des tirs touchaient régulièrement la torpille ce qui faisait jurer Hawke sans cesse, persuadé qu’elle allait exploser d’un moment à l’autre. Des bruits de botte sur l’échelle de métal qui menait au portique l’alertèrent et il eut juste le temps de se retourner pour voir dépasser une tête mal intentionnée.

Il envoya son coude dans le nez du soldat, le lui brisant sur le coup. L’homme lâcha l’échelle et tomba à la renverse en criant.

« Et restes-y ! », lui lança Hawke d’un ton haineux en l’observant chuter. Une balle l’effleura au niveau de la tempe, lui arrachant un cri de douleur. Du sang commença à couler de l’estafilade. Déjà, un autre soldat grimpait à l’échelle.

Un tir traversa sa manche et une partie de son biceps. Sa main eut un spasme incontrôlé qui lui fit lâcher son fusil laser, mais il se jeta juste à temps pour le récupérer avant qu’il ne tombe dans le vide. Au même moment, quelque chose de lourd lui atterrissait dessus.

Un poing s’abattit sur sa mâchoire, puis un autre et encore un autre, alors que le soldat renégat essayait de le maîtriser. Mais Hawke lui envoya son genou dans l’aine et profita de l’effet de surprise pour donner un prodigieux coup de tête à son adversaire. Ce dernier s’affaissa, étourdi par la violence du choc et il en profita pour le faire basculer par-dessus bord.

Son sentiment de victoire fut de bien courte durée : un autre soldat le tenait en joue, debout devant lui.

Sans réfléchir, il frappa de toutes ses forces avec ses bottes dans les jambes de l’homme, fracassant ses rotules. Ce dernier hurla en s’effondrant sur le sol du portique et Hawke, qui n’avait pas lâché son fusil laser, lui tira plusieurs fois dans la poitrine à bout portant. Une nouvelle rafale de bolts l’obligea à se réfugier contre le panneau encore ouvert de la torpille.

Comment faire pour tirer cette foutue chose ?

Il ne se rappelait plus !

On montait à l’échelle et il se prépara à tirer mais jura en constatant que l’indicateur de charge de son fusil laser clignotait rouge. Presque vide.

Un nouvel assaillant se présenta au sommet de l’échelle. Sans traîner, Hawke s’empara du poignard qui avait jadis fait la joie et la fierté de Hitch et l’enfonça dans le cou du renégat. Du sang gicla à flots de l’artère et l’aspergea copieusement. Il s’essuya rapidement le visage et retourna près de la torpille après avoir remis le poignard dans son étui.

En bas, la fusillade continua, mais pour une fois les tirs ne lui étaient pas adressés. Piqué au vif, il risqua un coup d’œil par-dessus la rambarde et constata que le géant en armure énergétique venait d’exécuter les soldats restants. Sans doute avaient-ils rechigné à monter à leur tour à l’échelle de peur de connaître le même destin que leurs camarades ?

En tout cas, ce n’était pas lui qui allait s’en plaindre !

— Tu es plus courageux que je ne l’imaginais, soldat, lança le Marine du Chaos en commençant à grimper à l’échelle. Je te ferai l’honneur d’une mort particulièrement brutale.

— Ce sera tout le contraire ! cria Hawke en lui tirant quelques tirs de fusil laser dessus. Mais son arme se révéla inutile, les rayons rebondissant sur l’armure polie de son ennemi. Il chercha désespérément quelque chose qui puisse faire office d’arme, et son regard se posa sur la seule chose capable de le débarrasser de ce bâtard.

Mais comment devait-il s’y prendre ? Qu’est-ce que Beauvais avait voulu dire ?

Appuyer sur la rune de mise à feu au-dessus du… du quoi ? Il se mordit les lèvres en entendant le guerrier se rapprocher.

« Et merde ! », pesta-t-il avant de fermer les yeux et pianoter au hasard sur les runes à l’intérieur du panneau d’accès qu’il avait retiré.

Rien ne se produisit.

« Que l’Empereur ait ta peau ! », cria Hawke de frustration. « Espèce de tas de ferraille inutile ! Vas-y ! Allez, vas-y, feu ! »

Au moment où il prononçait ce dernier mot, un grondement sourd remplit la pièce, des sirènes d’alarme se mirent à vociférer et des lumières clignotèrent de toutes parts. Hawke partit d’un rire hystérique. Mais bien sûr ! Le Chant d’Activation ! Il avait fini par y arriver !

La température monta soudain alors que les puissantes fusées motrices éjectaient d’énormes jets de vapeur qui remontaient le long des murs. Hawke réalisa alors le danger.

L’échelle n’était certes pas la meilleure option et il fut soulagé en constatant que la grêle de tirs qu’il avait essuyée avait ravagé la grille qui barrait l’accès à un conduit s’enfonçant dans le mur sur lequel était fixé le portique. Il ne savait pas où ce conduit menait, mais ça valait forcément mieux que de rester là.

« Ok mon gars, il est temps de te barrer ! », se dit-il pour s’encourager.

Il s’engagea agilement dans le boyau, poussant son fusil laser devant lui. Il y avait suffisamment d’espace pour progresser, mais quelque chose l’attrapa par le pied. Il se retourna et constata avec effroi que l’affreux bras mécanisé du guerrier le tenait fermement dans sa gueule.

Le géant était trop imposant pour pénétrer dans le boyau, mais son bras d’acier aurait tôt fait de lui ramener sa proie.

— S’il faut mourir, ce sera ensemble, soldat, lui promit le Marine du Chaos.

— C’est ce qu’on va voir ! répondit Hawke en se saisissant de son couteau et en sectionnant les câbles qui couraient le long du bras malveillant. Un flot de liquide hydraulique noir lui gicla dessus et la pince se mit à avoir des spasmes incontrôlés.

Elle lâcha prise et Hawke en profita pour s’enfoncer plus profondément dans le tunnel. À chaque seconde qui s’écoulait, il s’attendit à recevoir un bolt dans le dos, mais à son grand soulagement, rien ne se produisit. Le boyau était secoué par d’intenses vibrations, l’incitant à pousser ses muscles dans leurs derniers retranchements pour ramper aussi loin que possible.

Un flot de vapeur chaude le rattrapait déjà et le conduit commençait à se craqueler en se dilatant.

Soudain, il arriva dans une grande salle. Il s’extirpa du boyau, prêt à se servir de son fusil laser. D’autres conduits aboutissaient dans cette salle, qui était en fait un vaste conduit d’aération menant à l’air libre. Une échelle menait vers le disque de ciel rouge au-dessus de lui et il se jeta dessus sans perdre un instant. Le grondement n’avait cessé de s’amplifier et semblait à présent à son apogée, tel un puissant dragon se réveillant d’un long somme.

Il grimpa aussi vite qu’il put malgré la chaleur devenue intolérable. Sa peau commençait à brunir mais il se força à ignorer la douleur pour grimper encore et toujours.

Il arriva enfin en haut de l’échelle au moment où, précédée par une vague de chaleur infernale, une colonne de flammes grimpa dans le conduit au-dessous de lui. Terrorisé, il fournit un dernier effort herculéen pour basculer par-dessus le sommet de l’échelle et rouler de quelques mètres avant qu’une véritable fontaine de gaz d’échappement enflammés ne jaillisse du conduit.

Hawke ferma les yeux de toutes ses forces et continua à rouler à l’opposé du jet de flammes jusqu’à ce qu’il se sente à l’abri. Il prit le temps de reprendre sa respiration et ouvrit les yeux juste à temps pour contempler la torpille percer le ciel dans une colonne de feu.

À cet instant, le soldat Julius Hawke se dit qu’il n’avait jamais rien vu d’aussi beau.

La torpille orbitale de classe Glaive grimpa rapidement dans le ciel d’Hydra Cordatus en laissant derrière elle une traînée de fumée grise, ses énormes réacteurs éclairant le champ de bataille au-dessous d’elle. Bientôt, elle ne fut plus qu’un point minuscule alors qu’elle atteignait une couche de l’atmosphère où l’air était plus rare et où elle pourrait prendre encore plus de vitesse. Lorsqu’elle eut atteint une altitude d’environ cent kilomètres, le premier étage de la torpille se détacha et le second se mit en route pour la guider vers sa cible.

Elle piqua du nez et fonça à près de quatorze mille kilomètres heure dans la direction calculée par son esprit de la machine. L’Adeptus Mechanicus avait condamné une cible et la torpille allait être l’instrument implacable de sa mise à mort.

Grâce à quelques ajustements correctifs du second réacteur, elle modifia sa trajectoire de vol pour faire coïncider son point d’impact avec sa cible. À présent, elle fonçait sur Hydra Cordatus.

Frustré par son impuissance, Forrix observait la bataille qui faisait rage depuis le promontoire sur lequel il se tenait. Les impériaux attaquaient ses batteries d’artillerie et il ne pouvait rien faire pour les en empêcher. Qui aurait cru que ces adorateurs du dieu-cadavre se montreraient si teigneux ? Il serra les poings et se jura que quelqu’un allait payer.

Des explosions répétées éclairaient la nuit et sa vision améliorée lui permettait de suivre les scènes de courage et d’héroïsme qui se déroulaient au cœur des combats. Il put également discerner les armures jaunes des Imperial Fists à la lueur des flammes. La présence de leur ancien ennemi en ces lieux lui semblait d’un synchronisme parfait, tel qu’il en aurait rêvé. Il se souvenait avoir combattu les laquais de Dorn sur les murs de la Porte d’Éternité sur Terra, dix mille ans plus tôt.

Mais que faisaient-ils là ? Il le saurait bientôt… Son cœur s’enflamma d’une haine telle qu’il n’en avait pas ressentie depuis bien longtemps.

Il avait observé la lance de lumière s’élever depuis les montagnes situées à l’est de la citadelle et s’était senti mal à l’aise alors que la torpille orbitale grimpait toujours plus haut. Qui avait bien pu opérer la mise à feu et quelle était sa cible ?

Mais ses craintes s’étaient dissipées lorsque la torpille avait disparu dans le ciel.

Forrix retourna son attention sur la bataille et grogna de contentement en constatant que les impériaux commençaient à reculer devant la fureur de la contre-attaque des Iron Warriors. Honsou guidait ses hommes vers les batteries, éliminant tous ceux qui ne se repliaient pas assez vite pour lui échapper.

Honsou était en train de devenir un redoutable chef de guerre à tel point que Forrix voyait potentiellement en lui l’un des plus grands maîtres de forge que la légion ait jamais connu.

La bataille touchait à présent à sa fin. Forrix fit demi-tour et marcha le long des nombreuses pièces d’artillerie qu’il avait fait assembler sur le promontoire, tout près de l’endroit où Honsou s’était frayé un chemin à travers la brèche. Demain, ils reprendraient le bombardement et les murs de la citadelle s’effondreraient.

Alors qu’il traversait une tranchée sur laquelle avaient été jetées plusieurs longues plaques de métal en guise de pont, un mauvais pressentiment l’envahit et il s’arrêta pour observer le ciel.

Ce dernier était, comme toujours la nuit, d’un rouge sombre, la couleur du sang, et quelques explosions venaient l’éclairer de temps à autre.

Qu’est-ce qui avait attiré son attention ?

Il scruta attentivement la voûte et trouva enfin ce qu’il cherchait. Un point lumineux descendait en direction de la planète avec une vitesse époustouflante. La mâchoire inférieure de Forrix se relâcha lorsqu’il réalisa quelle était la destination de la torpille. Son sang ne fit qu’un tour.

Il se connecta aux guerriers qui se trouvaient dans le poste de commandement que les impériaux avaient baptisé l’Espoir et leur adressa un message d’alerte :

« Dressez les boucliers ! Immédiatement ! »

Il se précipita aussi vite qu’il le put en direction des portes éventrées menant au poste de commandement, non sans jeter un regard inquiet par-dessus son épaule. Le point lumineux de la torpille s’était transformé en un œil mauvais lui fonçant droit dessus.

Tout en se rendant au centre de commandement, il perçut le générateur de bouclier situé juste en dessous de la tour se mettre en marche : il n’y avait plus qu’à espérer que le bouclier soit levé à temps…

Car sinon, lui et tous ceux qui se trouvaient à Tor Christo étaient morts.

Le point d’impact de la torpille fut précisément le centre du bastion Kane, où ses trois étages explosèrent avec un résultat dévastateur. L’élément de tête était désigné à percer les coques épaisses des vaisseaux spatiaux, tandis que la queue avait pour rôle de propulser la charge centrale jusqu’au cœur du navire.

Mais au lieu de rentrer en contact avec plusieurs mètres d’adamantium constituant la coque d’un navire, la torpille heurta le sol du bastion Kane à une vitesse de plus de mille kilomètres heure. La tête explosa avec une puissance phénoménale, couchant tout sur un rayon de trois cents mètres et forant un cratère de pas moins de cinquante mètres de profondeur. La section arrière explosa à son tour, propulsant la partie centrale au cœur de la roche qui constituait le promontoire. Là, la charge la plus importante détona tel un soleil, réduisant le rocher de Tor Christo à l’état d’éboulis.

La nuit se mua en jour alors qu’une lumière aveuglante jaillissait telle une fontaine. Des bouts de rochers de la taille d’un char furent expédiés à travers les airs comme de vulgaires cailloux, précédant une avalanche de fumée et de poussière qui se répandit dans la vallée. Le tonnerre de la détonation fut si tonitruant qu’on eut dit qu’un dieu en personne avait frappé la planète de son marteau. Au-dessus de ce qu’il restait de Tor Christo s’élevait un champignon de plus de mille mètres de haut.

Les remparts situés de part et d’autre du point d’impact s’étaient fissurés avant de céder complètement sous une pression qu’ils n’avaient pas été destinés à endurer. Le cratère s’était étendu avec une vitesse terrifiante, engouffrant dans son sein enflammé des tonnes de décombres et de pièces d’artillerie.

L’onde de choc déclencha une gigantesque avalanche de rochers et de gravats qui se déversa sur la partie occidentale du premier parallèle en produisant un grondement apocalyptique. Les sapes qui zigzaguaient jusqu’au second parallèle furent enfouies sous le flot de pierres, et dans l’affaire, des milliers de soldats périrent broyés.

Les batteries disposées devant le bastion Vincare disparurent dans le torrent de terre, enterrées à jamais sous des tonnes de débris.

Des centaines d’explosions secondaires retentirent alors que des débris en feu percutaient le camp des Iron Warriors et embrasaient des réserves de carburant ou de munitions. Au passage d’innombrables tentes prirent également feu et l’anarchie se répandit comme une traînée de poudre alors que les hommes tentaient d’éteindre les incendies. Mais à l’image de fourmis tentant de combattre un feu de forêt, ils étaient impuissants : rien ne pouvait empêcher les flammes voraces de se répandre.

Le souffle fit tituber le Dies Irae en personne, ses jointures grincèrent sinistrement tandis que ses stabilisateurs externes luttaient pour maintenir son équilibre. Mais les ouvriers avaient bien fait leur travail et les échafaudages tinrent le coup, permettant au monstrueux Titan de ne pas s’effondrer. Trois de ses semblables n’eurent pas autant de chance et furent fauchés par la pluie de roches ou soufflés par l’explosion.

Le nombre des morts avait presque atteint les dix mille lorsque les derniers échos de l’explosion moururent et que la lumière aveuglante commença à s’éteindre. De Tor Christo, il ne restait que l’Espoir, protégé par son bouclier et précairement perché sur une arrête esseulée.

En un seul tir, le soldat Hawke avait soudain rétabli l’équilibre des forces sur Hydra Cordatus.

Vauban s’extirpa du monticule de terre et de graviers qui le recouvrait et secoua la tête dans une vaine tentative de se débarrasser du tintement qui résonnait dans ses oreilles. La vallée était éclairée de mille feux et un énorme champignon recouvrait Tor Christo qui était en proie aux flammes. Il triomphait de joie !

Avec Leonid, ils avaient assisté au lancement de la torpille, mais trop occupés à organiser le repli de leurs hommes vers le Ravelin Primus, ils n’avaient pu suivre sa course dans le ciel.

Le chaos des combats drainant toute son attention, il ne sut que la torpille avait atteint sa cible que lorsque son ombre se mit à grandir étrangement avant d’être jeté au sol par une force inouïe. Ensuite, il ne se souvint que de vagues impressions de flash lumineux, d’explosions tonitruantes et de douleur.

Il se releva avec difficulté et scruta l’écran de poussière pour essayer d’évaluer l’étendue des dégâts, mais c’était inutile : il ne pouvait voir qu’à une dizaine de mètres devant lui. Ici et là des silhouettes se relevaient, titubantes, bien qu’il ne sût pas s’il s’agissait d’amis ou d’ennemis.

Des cris de ralliement lancés par des sergents parvenaient à ses oreilles, étouffés par la poussière omniprésente. Il eut même l’impression d’entendre la voix de Leonid l’appeler, sans toutefois en être certain. Il tenta à son tour d’ordonner le repli général, mais sa bouche était à ce point asséchée qu’il ne parvint à produire rien d’autre qu’un son rauque. Il cracha de la poussière et s’essuya le visage avant d’épousseter inutilement sa veste.

Il fallait agir, aussi se dirigea-t-il vers l’endroit où il lui avait semblé entendre la voix de Leonid, mais en vérité, il avait perdu tout sens de l’orientation.

Une voix perça la fumée et le fit frissonner de terreur. L’instant d’après, une imposante silhouette en armure métallisée couverte de sang émergeait de l’écran de poussière juste devant lui.

Le guerrier ne portait pas de casque. Sous une crinière de cheveux noir de jais perçait un regard empli d’une telle haine que Vauban s’en trouva glacé jusqu’à l’âme.

Les deux généraux se firent face silencieusement un long moment jusqu’à ce que Vauban dégaine son épée énergétique et se mette en position de combat. S’il paraissait détendu, l’ensemble de son corps était tétanisé par la peur.

D’une voix calme, il dit :

— Je suis le castellan Prestre de Roche Vauban, sixième du nom, héritier du pays de Burgovah sur la planète Jouran, fils de la Maison de Vauban. Croise donc le fer avec moi si tu tiens à mourir, vil démon !

Le guerrier sourit et déclara à son tour :

— Je n’ai pas de titres aussi impressionnants, humain. Je m’appelle Honsou, le demi-sang, le bâtard, la raclure… Mais je vais croiser le fer avec toi.

Vauban activa le champ de son épée et adopta une attitude défensive lorsque Honsou s’approcha. Les deux combattants se tournèrent autour quelques instants, à la recherche d’une faiblesse dans la garde de l’autre.

Vauban brandit son épée dans un geste de salut, et sans prévenir, bondit sur Honsou l’arme en avant. Ce dernier esquiva et avec sa propre lame para celle de son assaillant. Puis il fit un pas en arrière et attendit, son épée à nouveau prête à agir.

Vauban retrouva son équilibre et avança vers son ennemi pour lui porter un coup d’estoc, qu’Honsou para avec expertise, mais cette fois, il ne se contenta pas de reculer. Il dévia la lame du castellan et riposta d’un revers dirigé vers le cou. Vauban, qui avait lu le mouvement dans le regard du Marine du Chaos, anticipa et esquiva le coup juste à temps.

Échaudée, la paire recommença à se tourner autour, les sens aux aguets, prêts à réagir à toute tentative d’assaut.

Cette fois, Honsou fut le premier à se décider. Il se lança dans un tourbillon de coups qui forcèrent Vauban à céder du terrain. Ce dernier para une attaque brutale destinée à sa poitrine et riposta en un éclair. Sa lame traça une profonde estafilade dans l’armure du renégat, d’où se mit à couler un filet de sang presque noir.

Honsou fut obligé de battre à son tour en retraite, suivi de près par Vauban que ce petit succès venait de revigorer. Si Honsou était un guerrier puissant, Vauban avait étudié l’escrime tout le long de sa vie, à tel point qu’à présent, chacun de ses assauts se soldait par une blessure.

Il s’acharna sur la défense d’Honsou encore et encore, le forçant à reculer peu à peu jusqu’à ce qu’il bute contre un rocher et perde l’équilibre.

C’était l’occasion que le castellan attendait. Il fit un bond de côté et frappa le bras de son adversaire, mais Honsou était rapide et parvint à bloquer le coup juste à temps. Les deux lames s’entrechoquèrent en provoquant des gerbes d’étincelles, mais Vauban avait mis toutes ses forces dans le coup à tel point que l’épée d’Honsou céda et que la sienne poursuivit son chemin à travers le bras de l’Iron Warrior, le sectionnant juste au-dessus du coude.

Honsou recula en grognant de douleur, vacillant alors que le sang giclait de son moignon. Profitant de l’opportunité, Vauban se jeta en avant pour délivrer le coup de grâce, mais au tout dernier moment, il réalisa que son adversaire venait de lui tendre un piège.

En rugissant, Honsou se jeta à la rencontre de Vauban, passant sa garde de manière inattendue, et il enfonça son épée brisée à travers la plaque pectorale du castellan, lui transperçant le cœur.

Une douleur fulgurante se répandit dans la poitrine de Vauban, tandis qu’Honsou faisait pivoter sa lame dans la blessure. Le sang se mit à couler par sa bouche et un voile d’obscurité s’abattit devant ses yeux. Ne venait-il pas d’entendre quelqu’un crier son nom ?

Alors que la vie le quittait, il rouvrit les yeux pour plonger son regard dans celui de son assassin.

— Sois damné… murmura-t-il.

— C’est déjà fait depuis bien longtemps, humain, répondit Honsou dans un sifflement, mais Vauban était déjà mort.