LETTRE 5
AU MÊME
1er avril 1941.
(ce n’est pas un poisson d’avril).
Mon cher et fidèle ami, je suis bien heureux pour ce que vous me dites de la santé de Madame Fernandes, mais bien embêté pour ce que vous me dites de la vôtre. Je vois bien que je ne peux vous quitter un instant sans que vous couriez le risque de faire des sottises – et la pire de toutes, c’est d’être malade.
(Il est vrai qu’à nos âges, c’est à peu près la seule qui soit réellement à notre portée.)
Ce ne sont pas seulement les circonstances favorables, c’est aussi une espèce de pressentiment qui me fait accueillir ce deuxième printemps de la guerre avec une immense espérance. De voir en face du maître de l’Allemagne, ce petit prince de dix-sept ans, je dis que c’est un signe augural. Sur nos vieilles terres d’Europe, voilà l’honneur qui revient avec les premières hirondelles.
Les gens qui se disent sérieux ont bien tort de juger des événements actuels comme ils ont l’habitude de juger des autres événements de l’histoire. Car l’histoire des dictatures appartient beaucoup plus à l’ordre du rêve qu’à celui de l’action. C’est une hallucination des peuples, dont les économistes, plongés dans leurs statistiques, avaient oublié qu’ils possédaient un coeur et des entrailles – une hallucination où il entre d’ailleurs une grande part de simulation comme dans tous les rêves éveillés. Qui saurait exactement la part de simulation dans cette crise d’hystérie collective en saurait prévoir la fin beaucoup plus exactement que les experts politiques ou militaires. Je ne crois pas à la sincérité des peuples totalitaires au lieu que je crois à la sincérité du peuple anglais, dans son geste si naturel de défense. Cela seul permet de prévoir, à coup sûr, le dénouement de cette affreuse aventure. La crise d’excitation se résoudra dans une brusque crise de dépression, un flot de larmes, et contrairement à ce qu’on imagine d’habitude, au cours de cette phase ultime, l’Allemagne sera plus répugnante à observer que l’Italie, voilà ce que je pense.
Que Dieu vous bénisse, cher ami. Mon affectueux hommage à Sainte Lucie.
Votre vieil ami qui vous est si reconnaissant de votre amitié.
G. BERNANOS.
LETTRE 6
À VIRGILIO MELLO-FRANCO
Barbacena, 26 janvier 1942.
Mon bien cher ami,
Je ne me suis jamais senti plus angoissé depuis le mois de juin 1940. Les événements nous révèlent un peu plus chaque jour la médiocrité incurable des Démocraties. Elles font semblant de croire à ce qu’elles défendent, mais elles n’y croient pas. Au réalisme cynique des Dictatures, elles n’opposent qu’un opportunisme hypocrite. Décidément j’aime mieux qu’on étrangle publiquement la Morale que de la voir servir à tout. Je préfère pour elle le peloton d’exécution au bordel.
Votre vieil ami,
G. BERNANOS.