V. LA RÉVOLUTION DE LA LIBERTÉ
(Décembre 1944)
(… Il y a vingt ans, le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu’alors réservée aux forçats. Oh ! oui, je sais, vous vous dîtes que ce sont là des bagatelles.) Mais l’homme de mon pays, l’homme de l’ancienne France attachait à ces bagatelles une importance énorme. Chaque citoyen, chaque corporation, chaque état, chaque confrérie, chaque ville et presque chaque village, avait ses privilèges et les maintenait coûte que coûte. Durant des siècles pas un homme de police n’eût franchi le seuil inviolable de l’Université de Paris, sans être massacré par les étudiants. L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, comme beaucoup d’autres, jouissait du droit d’asile. Les immenses terrains qu’elle possédait au bord de la Seine, étaient ainsi devenus un repaire de malandrins. L’Abbé leur proposa de les embarquer à ses frais pour l’Amérique, avec un petit pécule. Dix-huit refusèrent pour lesquels on exigea du Roi une lettre de pardon. L’homme de l’ancienne France, cher lecteur, vous paraîtrait aisément aujourd’hui un anarchiste. Ce que vous appelez désordre, il l’appelait ordre. Je suis un homme de l’ancienne France, les Démocraties uniformisées me font rire. L’opinion publique, au XVIIIe siècle, s’est soulevée contre l’usage traditionnel d’enrôler de force, dans les ports, en cas de nécessité, un certain nombre de jeunes marins. Elle accusait aussi les sergents recruteurs de payer trop généreusement à boire aux garçons dont ils sollicitaient la signature qui allait les faire, pour six ans, soldats du Roi… Aujourd’hui l’exception est devenue la règle, la Démocratie mobilise tout, hommes, femmes, enfants, animaux et machines, sans même nous demander de trinquer à sa santé. Je suis un homme de l’ancienne France, j’ai la liberté dans le sang. Vous me direz que l’ancienne France n’a pas été tendre pour les Juifs. Je n’approuve pas ces injustices, mais il faut les comprendre. Les Juifs ont toujours été des précurseurs. Dès le onzième siècle, ils se sont efforcés par tous les moyens de constituer, à l’intérieur de la Cité Chrétienne, une Société Capitaliste. Les hommes de l’ancienne France empruntaient au Juif. Au bout de quelques années, leurs terres, leurs bestiaux, leurs maisons transformés en or par la redoutable alchimie de l’usure, avaient fini par venir s’entasser dans les caves de la Communauté juive, du ghetto. Lorsque nos aïeux ne possédaient plus qu’une chemise, ils se souvenaient tout à coup – un peu trop à propos, je l’avoue – que les Juifs avaient crucifié Notre Seigneur, et ils allaient piller la cave du juif. On les aurait difficilement convaincus de mourir de faim devant la porte de cette cave, dans le but de rendre hommage par leur sacrifice volontaire au sacro-saint principe de la Propriété, seul dieu de la civilisation moderne.
L’ancienne France n’était pas tendre non plus pour les hérétiques ; mais il ne s’est jamais passé chez nous ce qui s’est passé en Espagne. Nos guerres de religion furent des guerres civiles, des guerres de partis. La preuve que l’ancienne France ne haïssait pas les hérétiques, c’est qu’elle a follement aimé Henri IV pour avoir précisément réconcilié tout le monde, renvoyé dos à dos la haute noblesse protestante payée par l’Allemagne ou l’Angleterre, et le parti clérical subventionné par l’Espagne, comme hier par Mussolini et Franco. En ce temps-là, d’ailleurs, l’Église était la seule force capable de faire contrepoids à l’État, aux nobles, aux riches. Les pauvres diables, qui avaient tant des leurs parmi les clercs, se trouvaient flattés qu’un seigneur dût céder le pas à un simple frocard, et ils se pressaient aux sermons terriblement démagogiques des moines mendiants, comme à présent aux meetings ouvriers. Tous ces gens-là comprenaient que ce qui était perdu par l’Église n’était pas gagné par eux, et ils voyaient très justement dans l’Évangile la charte des misérables. Au cours d’un entretien comme celui-ci, je ne voudrais rien écrire qui rappelle les phrases rituelles des écrivains catholiques sur un tel sujet, je ne désire ennuyer personne. Qu’il me soit seulement permis de dire ce que l’Église a été hier, elle le redeviendra peut-être demain.
Tandis que j’écris ces lignes, quelques centaines d’hommes dont les noms sont ignorés du public mais la puissance presque sans bornes, réunis par groupes dans de somptueux bureaux standard, discutent entre eux les ressources de chaque nation en fer, en cuivre, en manganèse, en phosphates, en pétrole, et se croient capables de fixer en dernier ressort, appuyés sur leurs statistiques, la destinée du genre humain. J’ai bien le droit d’établir des statistiques, moi aussi. Je me demande quel est le pays où l’on trouve, sinon le plus d’hommes libres, du moins le plus d’hommes héréditairement et traditionnellement attachés non à l’idée vague, théorique ou juridique de la liberté – comme un philosophe déiste au concept de l’Être Suprême inaccessible et inconnaissable – mais à leurs libertés, à leurs droits, si humbles qu’on les suppose, à leurs droits, à leur dignité ! Car pour qu’un homme puisse se dire libre, il importe absolument qu’il ait fait de la Liberté son point d’honneur. Un homme d’honneur peut se passer de radio, de cinéma, d’auto, de frigidaire, mais il ne peut pas se passer d’honneur. Il refuse de céder la plus petite parcelle de son honneur, c’est-à-dire de ses libertés légitimes. Un homme d’honneur peut très bien mourir par point d’honneur – pour une raison en apparence futile. Elle n’est futile que pour les imbéciles. Un imbécile en effet est seul capable de se demander sérieusement si le simple geste à peine esquissé d’un soufflet, doit être considéré moins insultant qu’un coup de pied au derrière. Lorsqu’on comprend cela, on est beaucoup moins tenté de rire du brave bourgeois français refusant de laisser prendre ses empreintes digitales. Il avait parfaitement le droit de se demander si on s’en tiendrait là, si on ne finirait pas par lui imprimer au fer rouge un numéro sur la cuisse, afin de faciliter le travail des fonctionnaires. Et d’ailleurs les raisons par lesquelles on justifie la première mesure, serviraient aussi pour la seconde. Elles serviraient pour beaucoup d’autres, elles serviraient presque à l’infini. L’erreur commune est de se dire, à chaque nouvelle restriction : « Après tout, ce n’est qu’une liberté qu’on me demande. Lorsqu’on se permettra d’exiger ma liberté tout entière, je protesterai avec indignation !» Il y a ainsi des femmes qui se croient en sûreté auprès d’un homme parce qu’il ne leur a pas encore demandé franchement de coucher avec elles. Il ne leur demandera jamais. Elles auront couché avec lui bien avant qu’il le leur ait demandé.
Il y a une religion de la Liberté, il y a une religion de l’Honneur, il y a une religion de l’Homme. Aux grands jours de son histoire, notre peuple n’a jamais voulu distinguer entre elles. C’est au nom de l’honneur, et non de l’intérêt, de la sécurité, du bien-être, c’est au nom de la dignité incessible et insaisissable de l’homme en face de l’État, qu’il exige la liberté. N’est-ce pas une étrange imposture que de prétendre mettre au service de toutes les conceptions inspirées par le déterminisme, une Révolution qui a eu Rousseau pour parrain ? « L’homme est libre, la société le déprave » ; je me demande ce que peuvent tirer de là, pour leur cause, des gens qui légifèrent, réglementent du matin au soir, sous le prétexte – non toujours avoué, mais évident, mais certain – de défendre leur système contre son pire ennemi, l’individu, l’homme seul, l’animal redoutable aux réactions imprévisibles qu’ils n’estiment maniable, comme les taureaux d’Andalousie, qu’en troupeau. « L’homme est bon, la société le déprave. » Je reconnais l’erreur, mais elle est généreuse, elle est noble. Depuis cent cinquante ans, les écrivains catholiques la criblent de sarcasmes, et elle fait écumer Maurras. Il est triste pour les catholiques de lui préférer si souvent un stérile pessimisme qui n’est pas loin de faire de l’homme, avec Taine, une bête méchante et incorrigible. Ils trouvent cette conception plus ou moins d’accord avec le dogme du péché originel. En flattant leur croyance au péché originel, on les engage dans des erreurs mille fois pires que l’optimisme de Rousseau, on les associe non à des illusions, mais à des crimes. Ils savent pourtant très bien que s’il existe dans l’homme un principe de péché, la grâce lui donne les moyens de se surpasser indéfiniment lui-même. N’importe ! Ils ne veulent plus que nous espérions, comme nos pères, le Royaume de Dieu en ce monde, ils ont peur d’y perdre leur place. Ils laissent diffamer l’être mystérieux fait à l’image de son Créateur, élevé jusqu’à lui, frère du Christ, Christ lui-même, associé à l’universelle Rédemption. Ils le laissent diffamer non par malice, sans doute, mais par une habitude invétérée de servilité envers les pouvoirs constitués, pour faire plaisir aux gens sérieux, aux juges, aux gendarmes, dans la crainte de se faire traiter d’anarchistes par les propriétaires… « L’homme est bon, la société le déprave. » Je trouve qu’une telle maxime aurait parfaitement sa place parmi ces idées que Chesterton appelait « des idées chrétiennes devenues folies ». Après tout, à la fin des fins, l’homme a été créé sans malice, non pas la Société, qui, bien que voulue par Dieu, est l’oeuvre de l’homme. Et quel chrétien ne reconnaîtrait dans cette méfiance de Rousseau pour elle, un souvenir déformé, affaibli, de la malédiction portée par Jésus-Christ contre le Monde, la Sagesse du Monde, le réalisme du Monde. – « Je ne prie pas pour le Monde. »
Je m’excuse de dire ici en peu de mots ce qui ferait la matière d’un livre, mais qu’importe ! Ceux qui lisent ces lignes avec indifférence s’endormiraient sur le livre. Je n’ai jamais parlé pour les gens qui, sous prétexte de comprendre, exigent de moi que je les rassure, que je les rende rassurés à leurs habitudes de penser et de sentir, à leurs pantoufles. À ceux qui veulent courir le risque de penser par eux-mêmes, je n’ai pas de consigne à donner, j’essaie de leur ouvrir un chemin. Je ne suis pas un philosophe, un penseur, un professeur. Je suis un homme comme vous, comme n’importe lequel d’entre vous, mais je sens ce que vous ne sentez pas, ce que vous subissez sans le sentir – l’immense pression exercée à chaque heure, jour et nuit, sur nous tous, par le conformisme universel, anonyme, disposant de ressources inépuisables, de méthodes ingénieuses et implacables pour la déformation des esprits. Ces ressources, ces méthodes sont entre les mains d’un petit nombre d’hommes d’argent sans scrupules, beaucoup plus puissants que les gouvernements, et dont la bonne volonté stupide serait plus à craindre que la malice. Sous leurs coups répétés, je vois s’effondrer l’une après l’autre des traditions spirituelles mille fois plus précieuses et vénérables encore que la vénérable et précieuse abbaye du Mont-Cassin. Je ne suis ni professeur, ni philosophe, mais si je l’étais, je ne croirais pas qu’il suffise d’opposer quelques définitions irréprochables à des milliers de slogans manoeuvrant bien en ordre et chargeant ensemble comme des tanks. On se moque toujours des gens qui se paient de mots. Il existe aussi des gens qui se paient d’idées. Qu’importe l’idée inscrite sur un papier froid, ou dans un cerveau presque aussi froid que le papier ! Il faut qu’une idée s’incarne dans nos coeurs, qu’elle y prenne le mouvement et la chaleur de la vie. C’est un point de vue qui devrait être familier à tous les chrétiens, si la plupart n’avaient depuis longtemps préféré la Lettre à l’Esprit – le Verbe de Dieu s’est fait chair. Lorsque l’idée de liberté ne sera plus que dans les livres, elle sera morte. Ô vous qui me lisez, commencez par le commencement, commencez par ne pas désespérer de la Liberté ! L’énorme mécanisme de la Société moderne en impose à vos imaginations, à vos nerfs, comme si son développement inexorable devait tôt ou tard vous contraindre à livrer ce que vous ne lui donnerez pas de plein gré. Le danger n’est pas dans les machines, sinon nous devrions faire ce rêve absurde de les détruire par la force, à la manière des iconoclastes qui, en brisant les images, se flattaient d’anéantir aussi les croyances. Le danger n’est pas dans la multiplication des machines, mais dans le nombre sans cesse croissant d’hommes habitués, dès leur enfance, à ne désirer que ce que les machines peuvent donner. Le danger n’est pas que les machines fassent de vous des esclaves, mais qu’on restreigne indéfiniment votre liberté au nom des Machines, de l’entretien, du fonctionnement, du perfectionnement de l’universelle Machinerie. Le danger n’est pas que vous finissiez par adorer les Machines, mais que vous suiviez aveuglément la Collectivité – dictateur, état ou parti – qui possède les Machines, dispose des Machines, vous donne ou vous refuse la production des Machines. Non, le danger n’est pas dans les Machines, car il n’y a d’autre danger pour l’homme que l’homme même. Le danger est dans l’homme que cette civilisation s’efforce en ce moment de former.
L’individu dispose d’un petit nombre de moyens, chaque jour réduit, de résister à la pression de la masse, comme un sous-marin en plongée, à celle de l’eau. Tous les régimes, au cours de l’Histoire, ont tenté de former un type d’homme accordé à leur système, et présentant par conséquent la plus grande uniformité possible. Il est inutile de dire une fois de plus que la civilisation moderne dispose, pour atteindre ce but, de moyens énormes, incroyables, incomparables. Elle est parfaitement en mesure d’amener peu à peu le citoyen à troquer ses libertés supérieures contre la simple garantie des libertés inférieures, le droit à la liberté de penser – devenu inutile puisqu’il paraîtra ridicule de ne pas penser comme tout le monde – contre le droit à la radio ou au cinéma quotidien.
Je m’excuse de donner à une pensée absolument juste cet accent d’ironie, cette pointe d’humour. Il est évidemment difficile de se représenter un citoyen des Démocraties venant échanger, au guichet de l’État, sa liberté de penser contre un frigidaire. Les choses ne se passeront pas exactement ainsi, bien entendu. Mais nous savons la tyrannie que l’habitude exerce sur presque tous les hommes. Nous voyons aujourd’hui la spéculation exploiter avec une espèce de rage croissante les habitudes de l’homme. Elle en crée sans cesse de nouvelles – en même temps que les joujoux mécaniques que ses ingénieurs lui fournissent, et qu’elle jette inlassablement sur le marché. La plupart de ces besoins, constamment provoqués, entretenus, excités par cette forme abjecte de la Propagande qui s’appelle la Publicité, tournent à la manie, au vice. La satisfaction quotidienne de ces vices portera toujours le nom modeste de confort, mais le confort ne sera plus ce qu’il était jadis, un embellissement de la vie par le superflu, le superflu devenant peu à peu l’indispensable, grâce à la contagion de l’exemple sur les jeunes cerveaux de chaque génération. Comment voulez-vous qu’un homme formé, dès les premières heures de sa vie consciente, à ces innombrables servitudes, attache finalement grand prix à son indépendance spirituelle vis-à-vis d’un système précisément organisé non seulement pour lui donner au plus bas prix ce confort, mais encore pour l’améliorer sans cesse ?
En face de ce système, la France refuse d’abdiquer. Non par attachement au passé, mais par fidélité à l’avenir, car elle croit que ce système porte en lui le principe de sa propre destruction, se détruit lui-même à mesure. Les guerres ne le sauveront pas de la faillite, la faillite ne le sauvera pas des guerres. Les guerres se font chaque fois plus instructives, et sa faillite est permanente – je veux dire qu’il subsiste grâce aux faillites, une faillite compensant l’autre. Notre pays a fait envers lui ce qu’il a pu. Il y a perdu sa fortune, jadis la plus saine et la plus solide de l’Europe, engagé et perdu sa puissance militaire. Je répète qu’il refuse d’engager pour une cause déjà condamnée ce qui lui reste, ce qui lui rendra tôt ou tard ce qu’il a perdu, sa magistrature spirituelle. L’intrépide vice-président des États-Unis désignait impitoyablement l’autre jour M. Mac Cormick comme le type même de ces Maîtres du Système que je viens de décrire, et auquel on voudrait que la France continuât de s’associer. La France refuse de s’associer avec M. Mac Cormick. Il y a trop longtemps que la France essaie poliment de se faire comprendre de M. Mac Cormick. À essayer de nous faire comprendre de M. Mac Cormick, nous risquons de finir par ne plus nous comprendre nous-mêmes. Le vice-président des États-Unis dit de M. Mac Cormick qu’il met l’argent au-dessus de l’homme. Il serait plus juste de dire « les Affaires », car M. Mac Cormick doit être végétarien comme M. Hitler et la plupart des milliardaires américains, il est très possible qu’il ait personnellement des besoins d’argent fort modestes. En sacrifiant l’homme aux Affaires, M. Mac Cormick est absolument dans l’esprit du système qui a l’air d’immoler l’homme sur n’importe quel autel – celui du Parti, de la Nation, du Déterminisme économique –, mais qui en réalité ne le sacrifie qu’à lui-même, c’est-à-dire à ses innombrables expériences. Nous en avons assez de ces expériences. Le système prétend faire le bonheur de l’homme malgré lui. Le système ne fait pas l’homme, mais il met cet échec sur le compte de l’homme, de la résistance de l’homme, et il resserre chaque fois d’un cran sa discipline. Il demandera demain ce que le Christianisme n’exige de personne, ce qu’il conseille seulement à ses Saints, l’obéissance totale, l’obéissance spontanée, simple et joyeuse au Maître. Nous savons ce que la France y a perdu, nous savons ce qui la menace encore. Pour maintenir vingt années notre pays dans la ligne d’une politique qui devait le mener logiquement au sacrifice total, froidement escompté, on l’a systématiquement entretenu dans la double terreur, la terreur alternée, du Nazisme et du Communisme. La guerre n’a nullement interrompu cette manoeuvre de division et d’émiettement. Durant des mois, on a feint d’opposer Laval à Pétain, comme jadis Daladier à Blum. Les premières victoires russes, à l’heure où l’on ne craignait pas encore qu’elles décidassent du sort de la paix, ont orienté la politique réaliste vers notre Résistance nationale. Dans la période d’euphorie qui a suivi le débarquement américain, elle s’est rapprochée du Conservatisme français jugé – non sans raison, hélas ! – capable de négocier son ralliement à la démocratie aux dépens de l’intérêt, ou même de l’intégrité nationale. En abattant l’homme choisi pour exécuter l’opération, le justicier de l’Amiral Darlan, le jeune et héroïque Fernand de la Chapelle, a bien mérité de la Patrie ; grâce à lui, ce calcul cynique a été momentanément déjoué. L’offensive générale russe, en permettant de réveiller et d’utiliser au maximum les anciennes terreurs, pourrait bien le faire reprendre demain.
Il est un peu décourageant de paraître annoncer, ou même prédire, des événements qui sont déjà sous les yeux de tous. N’importe ! Ceux que mes affirmations déconcertent devraient bien comprendre que Staline n’a plus besoin des masses ouvrières révolutionnaires d’Europe pour accomplir sa tâche, comme au temps où, sans armée, sans industrie, sans gouvernement, la Russie ne pouvait compter que sur la propagande marxiste. La Russie dispose maintenant de toutes les réalités traditionnelles de la puissance, une armée victorieuse, une industrie qui peut sans doute atteindre peut-être et dépasser un jour l’industrie américaine, car le régime l’a mise une fois pour toutes en état de mobilisation absolue, totale et permanente, elle n’a rien à craindre des grèves. Pourquoi la Russie risquerait-elle de se créer des concurrents capables d’utiliser les mêmes méthodes d’efficience radicale ? Pourquoi ne souhaiterait-elle pas en Europe exactement au même titre que les États-Unis, des gouvernements formés sous le signe de la réconciliation, c’est-à-dire absorbés par la liquidation générale des responsabilités de guerre, le blanchissement et la réintégration des traîtres, de faibles dictatures comparables à celle de Pétain, plus ou moins effectives à l’intérieur, mais absolument inoffensives à l’extérieur, et tributaires en outre de l’énorme production soviétique ? D’autre part, qui oserait affirmer qu’une partie de l’opinion anglaise et américaine, soucieuse de reprendre l’expérience fasciste, avec plus de garanties, ne rêve pas déjà d’un bloc de nations conservatrices, d’un bloc latin – le fameux bloc latin de M. Maurras – économiquement et politiquement contrôlé ? Si la guerre devait s’achever par une paix de compromis, loin de prévoir une poussée d’anarchie en Europe, il serait simplement raisonnable d’y prédire un terrible barrage réactionnaire.
La mode, dans les milieux bourgeois, est de parler à toute occasion, à tort et à travers, de Révolution. Pétain se disait lui aussi révolutionnaire. Le Système est si visiblement hors d’usage que ses réformateurs n’osent pas s’avouer réformistes. Mais l’inexpérience de ces braves gens se marque à ce signe, qu’aussitôt le mot de Révolution prononcé, ils s’interrogent tristement entre eux sur le programme de la Révolution. Ils veulent bien soulever le peuple, pourvu qu’ils sentent dans la poche intérieure de leur veston, une espèce de plan Beveridge en cinq cents pages, bourrées de formules, de graphiques et de statistiques. Ils n’ont pas l’air de songer un instant qu’une Révolution, c’est d’abord, c’est premièrement, c’est essentiellement la déroute des forces contre-révolutionnaires – déroute toujours momentanée car nous savons qu’elles se rassembleront, se reformeront, présenteront de nouveau un front compact, en apparence impossible à rompre. Et c’est vrai qu’il est presque toujours inabordable, sauf à de très courts moments, et c’est à ces moments-là que se fait l’Histoire. Une Révolution, c’est d’abord, c’est premièrement, c’est essentiellement un moment révolutionnaire. Si vous n’êtes pas capable de vous jeter alors dans la première brèche ouverte, ainsi qu’une bête prisonnière hors de sa cage, vous êtes un réformiste, vous n’êtes pas un révolutionnaire. C’est aux Maîtres, c’est aux Puissants, c’est aux Pourvus qu’il vous faut aller offrir vos formules, vos graphiques et vos statistiques, afin de leur éviter précisément des erreurs de manoeuvre.
Si ces dernières lignes vous scandalisent, jetez au feu toutes les pages que vous venez de lire, car vous n’avez pas su les lire. Je ne les ai écrites que pour vous dénoncer l’immense duperie de cette guerre, au cas où elle se refermerait sur la révolte du monde, si elle avait pris la révolte du monde au piège, avec l’appât de la liberté, ainsi qu’un rat au trébuchet. Ou, si vous préférez une autre comparaison, nous avions vu mûrir l’abcès depuis Munich, et un court moment, nous crûmes qu’il allait percer. Mais il n’en est sorti qu’une goutte de pus, le chirurgien est parti avec son bistouri, le médecin multiplie les emplâtres, l’enflure diminue peu à peu, l’infection se répand dans les veines, et quand le malade aura fini de résorber, avec les erreurs et les crimes, l’immense matériel de production de guerre, il n’aura plus qu’à se préparer tranquillement à la mort par septicémie.
Je suis seul à écrire certaines vérités, je le sais. Mais je me moque d’être seul à les écrire, si des millions d’hommes réfléchis les pensent sans oser les dire. Il y a des millions d’hommes qui n’attendent plus grand’chose de cette guerre, aucun de ces événements inattendus, décisifs, foudroyants qui remettent tout en question. La seule inconnue de cette guerre désormais, c’est la Révolution des peuples opprimés.
Quand on nous demande : « Quelle est cette Révolution que vous annoncez ?», je répète une dernière fois qu’on ne devrait pas s’attendre à ce que nous tirions un plan de notre poche, car ce plan c’est nous qui l’aurions fait, et nous ne sommes pas des Réformistes. Nous ne voulons pas réformer ce système, nous n’avons même pas la prétention de le détruire au sens exact du mot, car un système se détruit de lui-même, ou se fortifie sans cesse par l’usage. Nous serions fous d’essayer de détruire ce système à coups de canon, puisqu’il se charge en ce moment de la besogne. Pour le mettre décidément en péril, il suffirait peut-être d’une rupture d’équilibre dans la matière vivante, la matière humaine, pensante et souffrante, dont il ne pourra se passer, aussi longtemps du moins qu’il n’aura pas mis au point ses robots électriques. Notre espérance n’est pas absurde. Réfléchissez un moment ; reportez-vous au début de ce siècle. Les hommes ne paraissent guère avoir changé depuis ce temps-là, et pourtant vous comprenez très bien que le climat moral dans lequel ils vivaient, rendait alors impossible, ou même impensable, l’avènement des Dictatures européennes. Ce mot de climat moral vous rassure ? Vous vous dites sans doute qu’un climat moral ne saurait être modifié que par les méthodes pacifiques de la Propagande ? Détrompez-vous ! Les instruments de la propagande sont déjà hors de notre portée, hors de la portée des hommes libres. La fondation d’un journal, à supposer qu’elle soit encore possible, coûtera demain aussi cher qu’une division de tanks. Mais Dieu laisse aujourd’hui une chance à la liberté ; voilà ce que je veux dire, ce dont je voudrais vous convaincre.
Il est possible que cette guerre soit déjà militairement gagnée, mais tout n’est pas dit par là. Nous avons su il y a vingt-cinq ans, ce que c’est qu’une guerre gagnée en quatre ans par les soldats, perdue en un mois par les Experts. Une guerre gagnée peut être perdue avant même que les charniers se soient refroidis, une guerre peut être liquidée en six mois, en même temps que les sacrifices et les espérances des hommes. Et nous qui jadis, en ce printemps de 1918 plein de présages, sentions que la guerre avait duré trop longtemps, fait trop de ruines, faussé gravement les calculs des spéculateurs, qu’elle était passée du plan politique et militaire – où la morale peut encore avoir sa place – sur le plan économique – où elle ne l’a plus, que la Finance universelle enfin avait déjà pris l’affaire à son compte, nous nous consolions un peu en nous disant que les Combattants décideraient du résultat de l’opération, qu’elle ne se ferait du moins pas sans eux. Nous ignorions, hélas ! que la Technique moderne est capable de démobiliser des millions d’hommes avec moins de risque qu’hier encore dix régiments. On nous a démobilisés par classes, par fractions de classes, réincorporés à l’élément civil goutte à goutte, en tournant très fort pour que le mélange fût plus intime, exactement comme l’huile dans la mayonnaise. Mais il s’agit cette fois d’une autre démobilisation, celle des peuples asservis.
Je ne crois pas cette démobilisation facile ; j’espère qu’elle sera autre chose qu’un simple problème administratif, résolu par les services du Ravitaillement américain. Je l’espère, non par goût du désordre, mais parce que je vois là une chance, la dernière, pour les peuples, de l’emporter un moment sur la technique, et peut-être d’orienter l’Histoire. Oh ! nous ne sommes pas des démagogues ! Nous ne prétendons pas que l’Histoire soit faite seulement par les masses, par l’instinct des masses, mais nous ne croyons pas non plus qu’elle doive être la création artificielle d’un petit nombre d’intérêts tout-puissants, servis par les Techniciens. L’Italie fasciste a été une de ces créations-là. Cette sinistre expérience est terminée, mais qui en fera les frais ? Qui fera les frais de l’expérience espagnole ? Ou de l’expérience allemande, la plus grande catastrophe morale de l’Histoire ? Les réalistes, même catholiques, m’objecteront que, puisque le mal est fait, mieux vaut ne pas laisser se déchaîner la colère des masses dupées et trahies. Pourquoi ? Nous préférons ce risque pour le monde. Ce risque est selon l’histoire, selon l’homme, selon la nature des choses. Il est selon l’ordre du monde, selon la volonté de Dieu, que les peuples se vengent. Ils se vengent au hasard, dites-vous ? Qui vous le prouve ? Oh ! sans doute la vengeance des peuples n’est pas un instrument de précision. Ce qu’on attend d’une charge de dynamite c’est qu’elle ouvre un chemin. Oui, l’évolution actuelle, en apparence inévitable, des sociétés humaines vers toutes les formes de la dictature, peut être retournée, déviée par la grande vague de fond que j’annonce. Les Pharisiens auront beau faire semblant de trembler à la pensée des victimes prochaines de ce raz de marée. Les Pharisiens ne reconnaissent qu’à la guerre le droit de tuer des hommes. Mais la Révolution elle-même leur fait-elle si peur ? Révolution, Épuration, c’était là des mots qui – au temps de la Croisade espagnole – étaient comme un miel dans leur bouche. Les évêques espagnols qui – à deux exceptions près – s’étaient hautement solidarisés avec le Régime épurateur me faisaient volontiers accuser alors d’avoir peur du sang. Ce n’était pas le sang qui me faisait peur ; c’était de le voir sur leurs mains.
Ce que je viens de dire a pour moi une gravité particulière. J’ai parlé très rarement de la Résistance française, c’est que j’y pense toujours. La Résistance française est le fait mystérieux, le fait sacré du drame si obscur de mon pays. Qu’on y réfléchisse bien, cependant ! Il ne s’agit pas de faire chorus aux politiciens, aux orateurs, aux marchands de littérature, qui le peignent en couleurs prétentieuses et vulgaires. Le drame de la Résistance est un drame humain, foncièrement humain, avec ses petitesses et ses grandeurs, ses contradictions inévitables. Je l’aime et j’essaie de le comprendre, non pas seulement dans ce qui me dépasse, mais dans ce qui reste à mon humble niveau, au niveau commun, ou même au-dessous. Le premier hommage que nous devons à ses héros, à ses martyrs, c’est de l’aimer tel qu’il est.
J’ignore si je vois ce drame tel qu’il est, j’essaierai loyalement de vous le montrer tel que je le vois. Ceux qui ont absolument besoin, pour s’émouvoir, de se le représenter comme une explosion du sentiment national qui a fait voler d’un seul coup dans les airs tous les malentendus, les préjugés, les rancunes et les haines de jadis, risquent probablement d’être déçus. Que cette vérité vous soit désagréable, tant pis ! La Résistance est d’abord un mouvement ouvrier, voilà ce que je crois. Qu’une très grande partie de l’élite ouvrière – exception faite du syndicalisme chrétien – ait été formée par les disciplines communistes, on ne saurait le nier sans injustice, pourquoi le nierais-je ? Que la résistance ouvrière se soit peu à peu comme agrégée autour de ce dur noyau communiste, à qui la faute ? Depuis des années sans nombre, les gens de Droite, et – j’ai honte de le dire, – la plupart de ces catholiques qu’on dit éminents probablement parce qu’ils fréquentent les Éminences, n’ont jamais parlé aux ouvriers que de docilité, de soumission, de résignation, comme s’ils s’adressaient à des frères convers et non pas à des hommes responsables de la vie, de la santé, du bien-être de leurs femmes et de leurs enfants. Je connais bien ces imbéciles. Drumont et Péguy, mes maîtres, les connaissaient bien aussi. Ils n’ont ni tête ni coeur, mais ils sauront un jour, je le crains, qu’à certains moments privilégiés de l’Histoire, c’est la tête qui paie pour le coeur, et roule dans le panier. Leur pharisaïsme inconscient a failli jadis jeter au désespoir un peuple dont on obtient tout, quand on lui parle d’espoir. J’ignore ce que sera la liquidation de cette guerre, mais j’ai vu liquider l’autre, je sais ce que c’est que la décomposition presque instantanée d’une guerre manquée, d’une paix manquée. Dans ces jours ignobles, le communisme a parlé d’espoir au peuple ouvrier, le communisme l’a sauvé du désespoir. Que la propagande soviétique ait systématiquement aggravé le malentendu qui tournait alors contre l’idée de patrie la haine méritée par les exploiteurs et les profiteurs du patriotisme, c’est là, évidemment, un fait déplorable, mais il eût été plus déplorable encore que le syndicalisme ouvrier, sans doctrine et sans cadres, subît le sort de l’élite bourgeoise, se désagrégeât comme elle. Ce n’est pas la première fois, ce ne sera pas la dernière, que Dieu tire le bien du mal. C’est le marxisme anti-patriote et totalitaire qui a ainsi, paradoxalement, maintenu, sans le vouloir, la petite troupe inflexible dont on peut dire dès maintenant qu’elle a été durant quelques mois du moins, dans un pays submergé par le mensonge, le plus solide espoir de la Patrie et de la Liberté.
Oui, c’est un grand bonheur pour la France que la Résistance nationale ait pris son origine, non pas dans les rangs rompus et dispersés de nos élites bourgeoises – où l’on comptait certes des Français irréprochables – mais en plein coeur du peuple ouvrier. Une armée en déroute ne saurait fournir des cadres. Et d’ailleurs, la mystique de Pétain, ce complexe semi-religieux de culpabilité, d’expiation, cette forme mélancolique de la Honte, qui a suivi le bestial soulagement de l’armistice – « Post coïtum animal triste » – empoisonnait alors les meilleurs parmi les gens de Droite. Il ne fallait pas que la Résistance fût soupçonnée de tenir par quelque complicité secrète à l’ignoble politique d’équivoque dont le vieux militaire déchu, si visiblement doué pour le métier d’entremetteuse, comblait en ce temps-là l’insatiable candeur de l’amiral Leahy, sans réussir d’ailleurs à la remplir.
Oh ! sans doute, les hommes qui opposèrent à l’ennemi de l’intérieur et de l’extérieur, un premier front organisé, n’étaient pas tous sans reproche vis-à-vis de la France. La propagande des petits démagogues marxistes – dont Laval est le type, car il a été jusqu’au bout des transformations de l’espèce, du stade de la larve à celui de l’insecte – les avaient détournés de l’idée de Patrie, plus que de la Patrie elle-même, car c’étaient leurs esprits qui étaient changés, non pas leurs coeurs. La foi qu’ils refusaient à la Patrie, ces hommes l’avaient reportée sur le Parti. Les Tartufes de la prétendue Révolution Nationale qui recueillent aujourd’hui, avec angoisse, les arguments et les excuses par lesquels ils espèrent sauver leurs têtes à l’heure du châtiment, suggèrent timidement que leurs adversaires auraient collaboré avec un Staline vainqueur comme eux-mêmes collaborent avec Hitler. Ils oublient qu’à l’exception de quelques fous, comme Déat ou Chateaubriant, ces grands et ces petits bourgeois, ces amiraux, ces généraux, ces diplomates, ces archevêques n’étaient mus par aucun autre sentiment que la volonté désespérée de préserver coûte que coûte leurs intérêts, leur carrière, ou leurs prestiges, qu’ils se permettaient d’identifier avec l’ordre, avec la Morale, avec le Bon Dieu. Mais ceci n’est pas encore le plus grave. L’élite bourgeoise ne croyait plus en elle-même. Lorsqu’on a étudié et compris le caractère des réactions nationales, aux périodes les plus difficiles de notre Histoire, cela suffit. C’est sur l’élite encore capable de croire en elle qu’on aurait pu parier que tomberait le choix de la France…
Nous pourrions dire que nous nous sommes résignés à ce choix. Ce ne serait pas vrai… Pour moi, j’ai toujours cru très heureux pour la Patrie qu’à l’origine de l’insurrection nationale qui doit donner le signal à l’insurrection générale de l’Europe, on trouve un sentiment vraiment simple, élémentaire. Il est possible – et d’ailleurs nullement prouvé – que les chefs communistes aient jadis reçu des instructions de Moscou, mais les troupes n’avaient pas besoin d’ordres. Les hommes des cellules avaient bien pu être hâtivement peints en marxistes, en léninistes, en trotskystes, par les camoufleurs, il n’y avait pas dans leurs veines une goutte de sang allemand, de sang russe, ou de sang juif. La discipline marxiste avait bien pu contribuer à les guérir de l’alcool, du beuglant, de l’assommoir, et de ce que Trotsky appelait lui-même le vieux fonds d’anarchie des masses françaises, ils n’en étaient pas moins les fils de la rue parisienne ou lyonnaise, de la rue grondante et chantante dont les cabarets rougeoient dans la nuit comme le four du boulanger, lorsqu’au bruit encore lointain des escadrons en marche, les pavés ont l’air de sauter tout seuls sur la barricade. En voyant la police allemande â tous les carrefours, ils n’ont pas eu besoin d’invoquer sainte Jeanne d’Arc pour sentir fourmiller au bout de leurs doigts le sang des insurgés. Tant mieux ! Après tout, Jeanne d’Arc n’a pas commencé sa guerre avec des enfants de choeur. En voyant derrière la police allemande, la police de Pétain, ils n’ont pas eu à se demander si le Maréchal était ou non le grand chrétien exalté par les cardinaux serviles, la question n’avait pour eux aucun intérêt. Ils ont été dans quelque coin de leur cave, déterrer des grenades qu’ils y avaient cachées le jour de l’armistice, et dès ce moment-là les « bons jeunes gens » auraient pu s’égosiller en cantiques à Jeanne d’Arc ou à Péguy. Péguy ou Jeanne d’Arc avaient bien autre chose à faire que de les écouter. Mais lorsque la première grenade révolutionnaire a claqué sur le bitume parisien, je sais parfaitement ce que Jeanne d’Arc a dû dire à Péguy : « Péguy ! Péguy ! voici nos hommes !»