LETTRE 2

AU MÊME

Barbacena, 22 décembre 1940.

 

Bien cher ami, bon Noël ! Mais aurons-nous un Noël cette année ? Est-il encore un coin du monde où l’Enfant-Jésus puisse naître ? Les chrétiens n’ont même pas l’air de se poser la question, ils sont bien trop satisfaits d’eux-mêmes. On transporterait d’un seul coup tous ces gens-là en enfer, avec leurs pasteurs, qu’ils ne s’en apercevraient probablement pas, ils y organiseraient un congrès, feraient la quête, et négocieraient un concordat avec le Diable.

Les événements sont de plus en plus difficiles à interpréter. Ils gesticulent et grimacent comme des singes. Leur énorme insincérité accable vraiment l’esprit.

Je crois Hitler et le peuple allemand parfaitement capables de réaliser l’asservissement du monde. Mais, je ne crois pas du tout l’esprit anglo-saxon capable d’organiser, ou même seulement de clairement concevoir sa libération. Il nous reste les valeurs spirituelles françaises, comme une poignée de cendres dans la main. En soufflant dessus, on fera peut-être rougir une braise encore chaude, et si petite que soit la flamme, pourquoi n’embraserait-elle pas de nouveau la terre ?

Présentez mes souhaits respectueux et affectueux à Madame Mello-Franco – Dulcissima – et croyez à l’amitié de

Votre vieil ami,

G. BERNANOS.