Quinton avait été pris de court en entendant ce cri, mais il ne s’était certainement pas attendu à trouver trois personnes de sexe féminin en pyjama, en plein combat contre une tête de buffle empaillée.
Il était rentré de son voyage à Dallas avec cinq hollandais dans le van, qui pouvait contenir jusqu’à treize chevaux. En voyant le 4x4 bleu maculé de boue garé près de l’écurie, il s’était dit que c’était celui de Riley Palmer.
Il était entré dans l’appartement sans attendre — par chance, il avait la clé dans sa poche. Et il ne comprenait rien au spectacle devant lui.
Une femme était debout sur le lit, le dos tourné vers lui. De toute évidence, elle se battait contre le malheureux trophée fixé au mur. Deux enfants — deux petites filles — l’encourageaient en chœur. Toutes trois étaient tellement concentrées sur leur mission qu’elles n’avaient même pas remarqué sa présence. Il cligna les yeux, abasourdi. Ce n’était pas tous les jours que l’on voyait une femme en train d’essayer de vaincre un animal empaillé, accompagnée par ses supportrices personnelles.
Mais il s’était attendu à trouver un homme. Un homme seul, qui plus est. C’était donc certainement la femme de Riley Palmer qui se tenait devant lui !
La blonde continuait à s’acharner sur le buffle. Il ne pouvait s’empêcher de la regarder. Elle portait un pyjacourt qui moulait joliment son derrière, et mettait en valeur des jambes musclées, fines et interminables.
Etait-elle en train d’essayer d’amuser les enfants ? Ou peut-être d’atténuer leur frayeur, qui sait ? Sans doute, même : le cri qu’il avait entendu était un vrai cri de terreur. Mais maintenant, chaque fois qu’elle tirait sur la tête du pauvre animal, les fillettes l’encourageaient en riant de ce rire si particulier aux petites filles, qui donne envie de partager leur jeu.
La femme s’interrompit pendant un moment. L’une des gamines, d’une petite voix, demanda si le buffle allait les dévorer toutes les trois ! C’était le bon moment pour révéler sa présence — enfin, il le croyait, du moins. Catastrophe : il ne réussit qu’à terroriser la petite encore plus.
Pour être exact, toutes trois poussèrent un hurlement. La femme tendit vivement les bras pour attirer les enfants contre elle, en un geste protecteur. Un réflexe de maman. Il était prêt à parier que ces fillettes étaient ses enfants.
Donc, il devait aussi s’agir des filles de Riley Palmer. Palmer et lui allaient devoir avoir une petite conversation. Jamais ce dernier n’avait parlé d’amener sa famille. Il n’avait même pas dit qu’il en avait une ! D’accord, beaucoup de ranchers engageaient des couples mariés pour s’occuper et de la maison et du ranch, mais ce n’était pas son intention première. Il n’avait pas voulu s’embarrasser d’une famille au grand complet.
Des enfants sur Echo Springs ? Ils seraient toujours dans les jambes des adultes ; il faudrait s’en occuper sans cesse.
L’irritation le gagna. Palmer aurait dû lui parler de ça avant. Quinton allait devoir les renvoyer. Non seulement il allait perdre un temps précieux, mais en plus il bouleverserait cette femme et ces deux fillettes.
Et maintenant, elles le fixaient avec incertitude, bouche bée. De toute évidence, les petites étaient jumelles, et elles tenaient beaucoup de leur mère. Elles avaient les mêmes cheveux blonds à l’aspect soyeux et les mêmes yeux, d’un bleu qui évoquait une mer tropicale.
Soudain, la femme sembla prendre conscience de sa tenue. Elle se pencha vivement pour attraper le drap et le plaqua contre elle. Malgré son irritation, il faillit éclater de rire.
« Du calme, ma belle, aurait-il aimé pouvoir lui dire. Crois-moi, j’ai vu à peu près tout ce que tu as à montrer. »
Elle était l’épouse d’un autre homme, mais rien ne lui interdisait d’apprécier le spectacle qu’offre une jolie fille, non ? Cela faisait un moment qu’il était hors circuit, mais de grands yeux bleus et des cheveux couleur de miel avaient toujours un certain effet sur lui.
Elle releva le menton en un geste volontaire, toute prête à affronter cette situation embarrassante. Il ne put retenir un demi-sourire. Palmer avait fait le bon choix. Cette femme n’avait rien d’une vierge effarouchée.
— Je suis navré de vous avoir fait peur, mesdames, dit-il enfin. J’ai frappé, mais vous deviez être trop occupées à vous battre contre ce buffle pour m’entendre.
La femme sauta du lit avec une grâce surprenante, d’autant qu’elle tirait le drap derrière elle. Elle avança vers lui. Elle était pieds nus et bien plus petite que lui, malgré ses longues jambes.
— Vous devez être Quinton Avenaco, fit-elle en lui tendant la main. Je suis ravie de faire votre connaissance.
Elle avait des doigts fins, mais une poignée de main ferme. Un petit regret lui pinça le cœur quand il pensa qu’il allait très bientôt devoir la renvoyer, ainsi que le reste de sa famille. Et d’ailleurs, où était Riley Palmer pendant que sa femme et ses filles affrontaient des monstres empaillés ?
— Oui, c’est moi, confirma-t-il. Et je suppose que vous êtes la femme de Riley Palmer ?
Elle déglutit avec force. Quoi qu’elle fût sur le point de dire, il lui en coûtait.
— En fait… Je suis Riley Palmer.
D’abord, il en resta sans voix. Mais, quand il comprit pleinement ce que signifiaient ces quatre mots, la surprise fit rapidement place à la colère. Il avait pensé que la présence de cette famille était inacceptable. Mais là, maintenant qu’il comprenait à quel point il avait été trompé, il faillit en perdre tout son sang-froid.
S’il parvint à ne rien laisser paraître de sa colère, ce ne fut que parce que les filles de… Riley Palmer assistaient à la scène, sans en perdre une seule parole.
— Vous n’êtes pas la personne que j’attendais, fit-il sèchement.
— Je peux tout vous expliquer, répondit-elle vivement. Laissez-moi seulement une minute pour m’habiller et mettre les filles devant la télévision.
Comme il tenait toujours sa main dans la sienne, il l’attira plus près de lui et, d’une voix basse, répliqua :
— Ce n’est pas nécessaire. Je vous laisse une heure pour faire vos bagages et partir. Vous pouvez même emporter la tête de buffle en souvenir si cela vous chante.
Elle prit une vive inspiration, mais il avait déjà relâché sa main, tourné les talons et quitté la pièce.
— Attendez une minute ! lança-t-elle derrière lui.
Mais il n’attendit pas. Il ressortit de l’appartement et se dirigea vers le van à grandes enjambées. Il était à mi-chemin quand Riley Palmer l’attrapa par le bras, le forçant à s’arrêter. Elle avait passé un peignoir et enfilé des tennis qu’elle n’avait pas pris le temps de lacer.
— Monsieur Avenaco, dit-elle d’une voix où perçait le désespoir. Si vous pouviez m’écouter, juste un instant. Laissez-moi vous expliquer…
— Pas la peine, rétorqua-t-il. Nous sommes tombés d’accord pour repousser la signature du contrat jusqu’au moment où nous aurions l’occasion de nous rencontrer. C’est chose faite à présent, et vous n’êtes pas ce que je recherche.
— Parce que je suis une femme, et que le poste que vous proposez est considéré comme un travail d’homme ? lança-t-elle brusquement d’une voix empreinte de reproche.
Cette accusation lui coupa le souffle. Jamais personne ne l’avait accusé d’aucune forme de ségrégation. A cause de ses origines amérindiennes, il avait trop souvent été en butte à la discrimination pendant son enfance passée dans le Wyoming pour en user lui-même.
Il planta son regard dans celui de son interlocutrice, espérant la fixer avec assez d’intensité pour qu’elle retourne à l’appartement et fasse ses bagages, et répliqua :
— Non. Pas parce que vous êtes une femme. Parce que vous êtes une menteuse.
Elle rougit, violemment même, mais il lisait toujours la même détermination dans son regard.
— Jamais je ne vous ai menti, martela-t-elle. Ce n’est pas ma faute si vous avez supposé que j’étais un homme.
Il soupira et secoua la tête.
— Madame, je n’aime pas qu’on me prenne pour un imbécile. Vous avez tout fait pour me cacher que vous étiez une femme. Maintenant, je comprends pourquoi vous ne répondiez pas à mes coups de téléphone. Vous pouvez m’expliquer quelle est la voix d’homme que l’on entend sur votre messagerie ?
— Celle du petit ami de ma sœur, répondit-elle aussitôt. Mais je ne lui ai pas demandé d’enregistrer l’annonce pour vous berner. Il l’a fait il y a des mois, parce que je recevais des appels indésirables.
— Voilà qui est bien pratique, ironisa-t-il. Je ne sais pas comment vous pensiez vous en tirer une fois ici, mais cela n’a aucune importance. Je n’ai pas de travail pour vous.
— Je n’avais pas l’intention de… J’espérais que nous pourrions en discuter, que vous seriez beau joueur…
— « Beau joueur » ? reprit-il en haussant les sourcils. Il aurait déjà fallu ne pas tricher dès le départ, vous ne croyez pas ? Mais vous m’avez déjà fait perdre assez de temps. Bonne route.
Il secoua le bras pour la forcer à le lâcher, poursuivit son chemin et ouvrit la porte arrière du van. Il ne voulait plus lui parler, de peur de perdre son sang-froid. S’il l’ignorait, peut-être qu’elle abandonnerait et repartirait du ranch. Mais il n’eut pas cette chance : alors qu’il commençait à retirer les barrières de sécurité et les cloisons du van pour en faire descendre le premier cheval, il sentit la présence de Riley Palmer derrière lui.
Il savait qu’elle devait être dans une rage folle, mais elle ne pouvait se permettre de le montrer — pas si elle espérait encore le faire changer d’avis. Mais quoi qu’elle fasse, elle perdait son temps. Si cela lui chantait, elle pouvait bien rester derrière lui jusqu’à ce soir, ce n’est pas ça qui allait le faire fléchir.
— Vous n’allez donc même pas considérer ma candidature ? demanda-t-elle sur un ton légèrement agressif.
Malgré la colère qui bouillonnait en lui, il parvint à lui répondre avec légèreté.
— J’ai bien peur que non, désolé.
La jeune femme dut s’écarter quand le premier hongre descendit du van. Certains chevaux supportaient mal de voyager par la route, mais celui-ci regagna le sol sans le moindre signe de nervosité. Il semblait vif et curieux, mais pas le moins du monde effrayé.
Il voulut mener l’animal vers la barrière qui ouvrait sur le champ, mais Riley Palmer lui barrait déjà le chemin, la main crispée sur les pans de son peignoir. C’était ridicule, mais elle était toujours aussi déterminée à le faire changer d’avis. Il était clair qu’elle se maîtrisait à grand-peine. Il le savait parce qu’il ressentait exactement la même chose.
Franchement, devait-il trouver sa détermination agaçante ou amusante ?
— Vous avez lu mon CV, reprit-elle. Mon expérience…
— Y a-t-il une seule parcelle de vérité dans ce CV ? la coupa-t-il.
Cette fois, étrangement, elle ne rougit pas aussi violemment que la première. Elle semblait moins vexée que… blessée. Soudain, elle lui parut très jeune. Il eut presque pitié d’elle.
« Non ! » s’intima-t-il.
D’une voix légèrement moins agressive, elle répondit :
— Malgré ce que vous pouvez penser, je suis parfaitement qualifiée pour ce poste. J’ai dirigé une exploitation de cent-cinquante hectares pendant neuf ans, quand j’étais mariée.
— Et où était votre mari ?
— Il gérait le bar Le Seven, à côté de Cooper.
Elle leva la main pour flatter l’encolure du hongre et ajouta :
— Nous élevions surtout du bétail, mais je connais aussi les chevaux.
— Ces chevaux-ci ne sont pas des canassons que je louerai à des cavaliers du dimanche, dit-il. Ils vont avoir besoin de soins spécifiques et d’un régime aussi strict qu’un cheval de course du Kentucky.
— Je comprends, affirma-t-elle en le regardant droit dans les yeux. Je n’ai pas peur de travailler dur. Et ce que je ne sais pas, je peux l’apprendre. Et j’apprends vite, croyez-moi.
Sa main était toujours posée sur l’encolure du hongre. Il la prit, et elle lui jeta un regard surpris. Il examina les doigts fins, la paume lisse, avant de relever les yeux vers elle.
— Dites-moi, vous n’avez pas une main de femme habituée au travail manuel…
— Je vous ai dit que j’avais dirigé un ranch pendant neuf ans, avant d’occuper un poste de comptable, répondit-elle sans fléchir. Depuis mon divorce, je cherche un travail dans ce domaine, mais le marché est saturé.
— Et donc, vous avez décidé d’être un peu plus « inventive », conclut-il.
Ses narines se gonflèrent, comme si elle avait senti une odeur désagréable. Elle avait un petit nez retroussé, comme on en voit sur les illustrations des livres pour enfants.
— Vous avez parlé à Charlie Bigelow, dit-elle. Est-ce qu’il m’aurait conseillé de m’adresser à vous s’il ne pensait pas que je peux occuper ce poste ?
Il se rendit soudain compte qu’il lui tenait toujours la main. Il la relâcha immédiatement.
— Je ne sais pas trop à quoi pensait Charlie, grommela-t-il. Il faudra que je le lui demande, un de ces jours.
La jeune femme refusait toujours de céder. Elle le regarda de nouveau droit dans les yeux et affirma :
— Je suis capable de faire tout ce que vous me demanderez. Je vous le jure.
— Madame Palmer…
— Ecoutez un moment, coupa-t-elle. Qu’entendez-vous ?
Il ne savait pas ce qu’elle voulait dire, mais il obtempéra tout de même. Entre eux, l’air était chargé de tension, le silence était électrique. Enfin, il répondit :
— Je n’entends rien.
— Exactement. Tout ici n’est que silence. Est-ce que vous voulez savoir pourquoi ?
Il réfléchit pendant quelques instants avant de tourner la tête vers la citerne.
— L’éolienne, répondit-il, légèrement surpris.
— Exactement. Je l’ai réparée hier. Ce n’était pas grand-chose. Je me suis seulement dit qu’il était toujours agréable de passer une bonne nuit de sommeil.
Il se tourna de nouveau vers elle. Pour le coup, elle semblait heureuse.
— Donc, vous êtes montée là-haut et vous avez réparé l’éolienne, constata-t-il, effaré.
— Oui. C’était une tige de pompe rouillée qui grinçait. Je n’ai eu qu’à la décaper. J’ai déjà dressé la liste des tâches à accomplir : il y en a des douzaines. Je peux remettre ce ranch en état, si vous me donnez la chance de le faire.
Il devait reconnaître qu’il était à la fois impressionné et intrigué par cette femme. Et il n’aimait pas ça du tout. Si elle éveillait son admiration et sa sympathie, ses projets pouvaient en pâtir. Dans un accès d’autodiscipline aussi rigide que l’acier, il rejeta toute tentation de voir la situation depuis son point de vue à elle.
— Merci de l’avoir réparée, dit-il. J’apprécie vraiment cet effort. Envoyez-moi la facture quand vous serez de retour chez vous.
Oui, mais peut-être n’avait-elle pas assez d’argent pour rentrer chez elle.
— Vous pouvez aussi me dire tout de suite combien je vous dois, ajouta-t-il.
Il tira sur la longe et fit entrer le hongre dans le paddock. Il lui ôta son licol et, d’une légère tape, le fit avancer. Ensuite, les bras croisés sur le haut de la barrière, il fit mine d’admirer le galop fougueux du cheval, qui profitait pleinement de sa liberté.
— Courageux. Amical. Intelligent. Digne de confiance. Aimant travailler.
Riley Palmer posait sur lui un regard empli de défi, mais un léger tremblement agitait les muscles autour de sa bouche. Il fronça les sourcils.
— Quoi ?
Elle se rapprocha et, face à lui, l’air décidé, poursuivit :
— Ce sont les cinq qualités que doit posséder un cheval de police montée. Celles qui vous ont fait choisir les hollandais.
— Comment le savez-vous ?
— Comme je vous l’ai dit, j’apprends vite. Vous m’avez parlé dans l’un de vos e-mails de ce que vous vouliez faire sur ce ranch. Je me suis chargée d’entreprendre quelques recherches pour savoir quel genre de chevaux vous alliez choisir, et les soins qu’ils demandaient. J’ai pensé que c’était là une partie du travail du manager de votre ranch.
Il la fusilla du regard avant de l’examiner, des pieds à la tête. Elle ne tressaillit pas, elle ne détourna pas le regard, elle ne dit pas un mot. Peut-être était-elle enfin à court d’arguments…
N’importe qui pouvait réciter quelques lignes lues sur internet ou dans un livre. Et même si elle avait travaillé dur pour apprendre, la connaissance théorique ne remplaçait pas l’expérience. Cette femme avait été contrainte de diriger son ranch pendant que son mari travaillait ailleurs. En savait-elle assez ? Et si malgré tout elle pouvait représenter un atout pour lui ?
Pour qu’Echo Springs soit prêt en octobre, le manager allait devoir travailler dur. Il ferait bien plus que superviser une équipe d’employés. Il devrait mettre la main à la pâte, et la tâche serait difficile. Le gars le plus costaud aurait trouvé ce travail pénible. Alors, qu’en serait-il de cette femme qui, de plus, était accompagnée de ses deux enfants ?
Il essaya de la raisonner.
— Ecoutez…, commença-t-il.
Mais elle l’interrompit une fois de plus.
— Je sais comment fertiliser le sol, tester les pH, corriger les déficits en minéraux et contrôler les épidémies. Je sais me servir des herbicides et me débarrasser des parasites. J’ai traité des cas de coliques équines et de muguet. J’ai même déjà limé les dents d’un cheval. Si vos bêtes nécessitent des soins spécifiques, j’apprendrai à les donner. Je ferai tout mon possible pour vous aider à atteindre votre objectif.
Elle s’interrompit enfin et se mordit les lèvres avec tant de force qu’elles disparurent dans sa bouche. Enfin, elle reprit, d’une voix plus basse, comme si elle commençait à fatiguer :
— N’est-ce pas tout ce qui importe, ici ?
Il resta silencieux pendant un long moment. Franchement, elle avait marqué un point. Jamais il n’avait rencontré de femme qui soit aussi prête à lutter pour obtenir ce qu’elle voulait. Bien sûr, elle était poussée par le désespoir, mais ce n’était pas tout. Riley Palmer était pleine d’énergie, elle avait l’esprit vif. Une pensée aussi inattendue qu’incohérente jaillit dans son esprit. Au lit, cette femme devait être une partenaire fantastique, pleine de vie et de passion. Son mari avait dû penser qu’il avait épousé un bâton de dynamite.
S’il lui permettait de rester, il commettrait une énorme erreur de jugement. Pourtant, il devait bien reconnaître qu’elle attisait sa curiosité.
Elle sembla prendre son silence pour un refus. Elle esquissa un mouvement d’impatience et dit, avec sans doute plus de colère qu’elle ne l’avait voulu :
— Apparemment, vous ne voulez pas prendre le risque de m’engager. C’est vraiment dommage pour vous. Vous en auriez eu pour votre argent, et même plus.
Elle passa une main dans ses cheveux déjà ébouriffés.
— Nous aurons quitté votre propriété dans un quart d’heure.
Elle tourna les talons et s’éloigna, avec autant de dignité que l’on peut en avoir quand on est vêtue d’un peignoir et de tennis délacés.
— Et vos filles ? lança-t-il derrière elle.
Elle fit volte-face.
— Pourquoi parlez-vous d’elles ?
— Ce ranch n’est pas un endroit pour elles.
Elle revint vers lui en lui jetant un regard empli de méfiance, mais aussi d’une lueur d’espoir.
— Et pourquoi donc ? Elles ont grandi sur un ranch. Elles n’ont jamais rien connu d’autre. Si c’est ce qui vous inquiète, je peux vous garantir qu’elles ne seront jamais dans vos jambes.
Elle s’interrompit un instant avant d’ajouter, plus vivement :
— Je les ai déjà inscrites dans un centre aéré qui ouvre demain. Quand elles seront sur le ranch, je ne les laisserai toucher à rien, et j’aurai un babyphone sur moi pour les surveiller. Vous remarquerez à peine leur présence, je vous assure.
Il croisa les bras sur la poitrine.
— Vous êtes leur mère. Voulez-vous vraiment travailler d’arrache-pied, au point de ne presque plus les voir ?
— Je suis une mère divorcée, rectifia-t-elle, en rejetant la tête en arrière. J’ai appris que, dans cette situation, je dois accepter certaines choses. J’ai besoin de cet argent. De plus, vous avez précisé dans vos messages que votre manager aura son samedi après-midi et son dimanche. Je passerai donc les soirées et les week-ends avec elles.
Elle irradiait la confiance, et elle bluffait vraiment très bien. Une personne aussi positive que Riley Palmer pourrait l’aider à relever le défi qu’il s’était lancé. Mais pouvait-elle vraiment convenir pour ce poste ? Il ne pouvait se permettre de commettre trop d’erreurs d’ici à octobre.
— Non, je suis désolé…
Il secoua la tête et la regarda. Elle battit des paupières, l’air déçu.
— Mais je vais vous dire ce que je vais faire, poursuivit-il. Vos filles et vous pouvez rester pendant quelque temps…
— Je ne demande pas la charité…, coupa-t-elle.
Il leva la main pour l’interrompre à son tour.
— Attendez d’avoir entendu ma proposition.
Elle pinça les lèvres. Quand elle parut prête à l’écouter calmement, il poursuivit :
— Restez et travaillez pour moi jusqu’à la fin du mois.
— Mais c’est à peine pour trois semaines !
— Cela me laissera le temps de faire ce que j’aurais dû faire dès le début : passer une annonce, mener des entretiens, vérifier les antécédents des postulants. Quand j’aurai engagé quelqu’un, votre séjour ici sera terminé. Mais vous aurez eu assez de temps pour vous organiser pour la suite.
— Et vous, assez de temps pour voir ce que je peux faire.
Il secoua de nouveau la tête.
— Ce n’est pas ainsi que cela va se passer.
Elle le fit taire d’un regard scrutateur.
— Si je vous prouve que je peux faire ce travail mieux que quiconque, serez-vous assez honnête pour le reconnaître et m’engager ?
Il haussa les sourcils, feignant la surprise.
— Est-ce que vous pensez vraiment que c’est mon honnêteté qui devrait être remise en question ?
La bouche de Riley Palmer se tordit en un demi-sourire.
— Touché, admit-elle.
— Trois semaines, répéta-t-il. A prendre ou à laisser.
— Je prends, répondit-elle vivement.
Soudain, il se sentit tout à la fois épuisé et étrangement revigoré. Peut-être aurait-il dû faire preuve de plus de bon sens et éviter de lui faire cette proposition insensée. Mais il était trop tard pour se poser la question, trop tard pour la logique et les actes rationnels.
Ils conclurent le marché d’une poignée de main, et elle retourna vers l’appartement d’un pas assuré, droite comme un « i ».
— Ce n’est pas encore votre jour de congé, madame Palmer, lança-t-il. Retrouvez-moi à la maison dans trente minutes, avec votre liste. Nous allons nous mettre au travail.
Sans même tourner la tête, elle lança en retour :
— Je serai là dans vingt minutes !