VIII
Le lendemain matin, la voiture d’Ashraf nous conduisit au terminal où une jeune femme efficace qui parlait anglais avec l’accent prononcé d’une grande école nous fit passer les formalités. Une fois dans l’avion, Feisal répéta encore :
— Il est en cavale. Ashraf lui a flanqué une peur de tous les diables.
— Ce n’est pas la version d’Ashraf, répétai-je.
— Oh, je ne doute pas qu’il se soit montré affable, néanmoins, pour les esprits simples comme celui d’Ali, il incarne la voix du Tout-Puissant, autoritaire et imprévisible. Ali a sans doute pensé que le plus sûr, c’était de se rendre invisible jusqu’à ce que l’affaire se tasse.
— Arrêtez, cela fait cent fois qu’on revient là-dessus !
Sans arriver nulle part. L’explication de Feisal était peut-être la bonne. À la place de ce malheureux gardien, j’aurais pris mes jambes à mon cou, moi aussi.
À l’Old Winter Palace, nous fûmes accueillis par un élégant gentilhomme aux cheveux blancs, un autre ami de Schmidt, qui nous escorta personnellement jusqu’à la suite présidentielle.
Elle offrait deux chambres et deux salles de bains, dont l’une avait une baignoire assez grande pour y faire quelques longueurs.
À l’expression de John, je voyais bien qu’il ne se réjouissait guère de n’être séparé de Schmidt que par le salon, si grand fût-il, mais il n’y pouvait rien. Ashraf avait omis de réserver une autre chambre.
Après le déjeuner, nous nous rendîmes sur la rive gauche. C’est un parcours tortueux : il faut prendre l’un des bateaux à moteur joyeusement décorés pour traverser le fleuve et sauter dans un taxi de l’autre côté pour un très long trajet. Je n’avais pas vu grand-chose de Louxor lors de ma dernière visite, attachée que j’étais à éviter ceux qui nourrissaient de mauvaises intentions à mon égard.
Schmidt y était venu souvent, mais toujours aussi ébahi, il regardait par la fenêtre, avec ce ravissement enfantin qui fait partie de son charme, et commentait les derniers aménagements, tout en harcelant Feisal de questions.
Il n’obtenait que peu de réponses. Plus nous approchions de la Vallée des Rois, plus il était tendu. Non sans difficulté, nous le persuadâmes de monter dans un des véhicules électriques desservant les pyramides.
Le soleil était haut et chaud, l’air poussiéreux, et je n’avais pas envie que mon patron rondouillet se fatigue. Schmidt avait revêtu l’un des costumes de lin blanc de son tailleur berlinois et un splendide panama, que je ne l’avais pas vu acheter. Je me demandais ce que pouvait bien encore receler son immense valise.
Le tombeau de Toutankhamon se trouve à quelques centaines de mètres de l’entrée de la Vallée. Je ne sais pas si Feisal avait peur que le tombeau ait disparu en même temps qu’Ali ou qu’il ne soit envahi par une horde de touristes importuns, toujours est-il qu’il poussa un soupir de soulagement lorsque nous aperçûmes enfin l’ouverture rectangulaire. Un groupe de touristes discutait avec les gardiens, ou plutôt, à en juger à leurs interjections aiguës, essayait de forcer le passage.
Un des hommes en short exhibait des longues jambes poilues, les poitrines des femmes débordaient des décolletés de leur T-shirts moulants. Lorsque le gardien aperçut Feisal, il poussa un cri de joie et courut à sa rencontre.
Feisal congédia les touristes avec quelques mots autoritaires. Ils se dispersèrent en maugréant.
Ces idiots arrogants n’étaient pas les premiers que nous rencontrions, et nous n’avions sans doute pas fini d’en rencontrer. Je me souviens de la manière dont Howard Carter avait perdu son poste au service des Antiquités, en défendant ses vigiles contre les assauts d’ivrognes qui avaient tenté de s’introduire dans la pyramide de Saqqarah.
Après une discussion très animée avec ses employés, Feisal revint vers nous.
— Ali ne s’est pas présenté à son travail hier. Mohammed est allé demander des nouvelles chez lui. Sa femme dit qu’il n’était pas rentré la veille. Je vais aller la voir.
— Chaque chose en son temps, dit John, qui contemplait la sombre entrée du tombeau, main dans les poches. Pouvons-nous entrer ?
— Pourquoi ? demanda Feisal.
— La scène de crime, lui rappela John. Je sais que tu t’inquiètes pour tes employés, mais je crois que tu aimerais t’assurer que rien n’a été dérangé.
— Oui, oui, c’est la procédure, confirma Schmidt. J’ai apporté un appareil, pour photographier les indices.
— Excellente initiative, Schmidt, dis-je.
— Et un carnet et un stylo, ajouta-t-il en me les fourrant dans les mains.
J’aurais dû me douter qu’il allait me prendre pour sa secrétaire officielle. Je lui redonnai aussitôt les objets.
Certains (John) m’accusent d’avoir appris tout ce que je sais de l’histoire, en dehors de mon champ d’expertise limité, dans les romans populaires, à tort, car j’avais lu un ou deux rapports sur la découverte de ce tombeau, y compris celui de Carter, lui-même, presque aussi passionnant que de la fiction. Je dois reconnaître malgré tout que la version dont je me souviens le mieux est celle d’une romancière dont j’ai oublié le nom.
Si elle prétendait que son récit s’appuyait sur le journal d’un véritable témoin oculaire, je dois avouer que je n’avais jamais pris la peine d’effectuer des vérifications. Pourquoi me donner tout ce mal, ce n’était pas dans mon domaine !
La dernière (et première) fois que j’avais visité la Vallée, le tombeau de Toutankhamon était encore ouvert aux touristes.
Aujourd’hui, les lieux semblaient ne pas avoir changé : le massif sarcophage de pierre était protégé par un lourd couvercle de verre, maculé de poussière et de traces de doigts, qui laissaient voir la forme dorée à l’intérieur.
D’un cri, Schmidt m’arrêta au moment où j’allais entrer dans la petite salle du tombeau. De sa poche il sortit un appareil photo numérique ainsi qu’une immense loupe.
— La lumière n’est pas très bonne, se plaignit-il en se penchant et en plissant les yeux pour voir derrière la paroi. Quelqu’un a une lampe de poche ?
— Non, et pas de kit d’empreintes non plus, précisa John.
— Il faut s’en procurer, dit Schmidt en augmentant l’angle de l’inclinaison de son buste, faisant courir un risque démesuré aux coutures de son pantalon.
— Vous trouverez des centaines d’empreintes, dit Feisal, les miennes, celles d’Ali…
— Et celles des mécréants qui ont enlevé le pharaon, ajouta Schmidt en se redressant, loupe à la main. Certaines figureront peut-être dans la base de données d’Interpol ou d’une autre agence…
— À laquelle nous n’avons pas accès, fit remarquer John, patiemment. Vas-y, Feisal, ne t’inquiète pas pour les empreintes de pas, regarde simplement s’il n’y a rien d’anormal, si rien n’a été déplacé.
— Des taches de sang, dit Schmidt, les yeux étincelants.
Le sol n’était pas propre. En plus de la poussière, on trouvait des morceaux de papier, des miettes, des pépins d’orange, des excréments de souris.
La plupart devaient être là depuis des semaines, sinon des mois. Schmidt photographia le moindre centimètre carré… le sol crasseux, les murs peints, le sarcophage et son contenu. Après avoir franchi l’obstacle des excréments de souris, je renonçai à pousser plus loin mon exploration et allai rejoindre Feisal qui regardait à l’intérieur du sarcophage.
Les merveilleuses incrustations de pierres qui formaient les yeux sur le masque d’or m’observaient. Ils ne demandaient et n’exigeaient rien. Le visage était mort, inanimé. Les doigts crispés sur le bord du verre, Feisal s’exclama soudain :
— Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il est toujours là !
Si vous voulez dissimuler quelque chose, mettez-le en évidence, dans un endroit où l’on a déjà cherché, un endroit si visible que personne ne songerait à y aller voir.
Je lis trop de romans policiers, mais ces lieux présentaient une certaine logique malsaine. John n’avait-il pas dit qu’il serait difficile d’emmener la momie hors de la zone de Louxor ? Et si « ils » étaient venus la remettre à sa place ? Une fois la rançon payée, ils n’auraient pas à prendre le risque de la rendre. Ils se contenteraient d’orienter les chercheurs vers la tombe. Et si Ali avait été le seul témoin de leur seconde visite ? Il avait disparu.
Il ne pouvait plus témoigner.
— S’il est là, il lui manque une main, dis-je essayant de me convaincre de l’absurdité de mon idée. Euh, tu peux savoir si quelqu’un a touché au couvercle du cercueil depuis qu’Ali et toi l’avez remis en place ?
Malheureusement, Schmidt entendit la question. Je dis malheureusement, car il a une imagination encore plus fertile que la mienne et une proximité encore plus grande avec la littérature à sensation.
— Ah, ah, s’écria-t-il, le coup de la lettre volée ! Génial, Vicky, génial !
Il n’y avait plus moyen de le retenir, et, à cet instant, j’étais convaincue, moi aussi. Même à quatre, c’était une prouesse de soulever la plaque de verre et le couvercle du cercueil.
Je n’arrivais pas à comprendre comment Feisal et Ali y étaient parvenus. L’énergie du désespoir, sans doute. Feisal ne cessait de répéter : « Attention, attention, ne l’abîmez pas ! »
— Allez, on casse tout ! dit John, impatient. Bon, mauvaise plaisanterie. Tu pourras toujours en rejeter la faute sur les voleurs… Prêt ? On soulève, on bascule. Un… deux…
Il ne fallut pas le soulever beaucoup. Il faisait sombre à l’intérieur. Feisal glissa une main, ce que je n’aurais jamais fait, et chercha à tâtons. Son visage se décomposa.
— C’est vide !
— Tu es sûr ?
— Oui.
— C’était une idée saugrenue, dit John.
— Il fallait quand même s’en assurer, répondit Schmidt.
— Exact. Ne pas omettre de retourner la moindre pierre, de soulever le moindre couvercle… Je ne vois pas l’intérêt de tout remettre en place, et vous ?
Il s’adressait à Feisal qui hocha la tête.
— Si quelqu’un arrive, nous sommes perdus, de toute façon. On remet simplement le verre de manière à ce qu’il ne tombe pas et on file.
Remettre le verre « simplement », avait-il dit. On y parvint tout de même, mais je me déchirai quelque chose dans l’épaule et Schmidt s’écrasa un doigt.
Notre première victime, songeai-je en regardant le mouchoir autour de sa main. Schmidt aime bien se blesser sur le champ de bataille ; il refusa noblement lorsque je lui proposai de rentrer à l’hôtel pour mieux le soigner.
— Nous devons aller voir l’épouse de ce pauvre garde et l’interroger, dit-il.
— Il est inutile de m’accompagner. Vous feriez mieux de vous faire nettoyer ce doigt, cela peut s’infecter rapidement.
— Oui, il a beaucoup saigné, observa Schmidt en contemplant le mouchoir taché. Vous aurez besoin de témoins, Feisal, et de personnes spécialisées dans les interrogatoires. Vicky prendra des notes.
Feisal ferma la porte et éteignit les lumières. Nous retournâmes vers la sortie. Feisal héla un taxi.
— Tu n’as pas droit à une voiture avec chauffeur ?
— J’ai droit à une vieille Jeep. Elle est sur le chantier, comme la plupart du temps.
À son ton amer, je devinai qu’il enviait la limousine capitonnée d’Ashraf et son escadron de secrétaires.
Nous reprîmes la route qui menait à l’embarcadère. Comme il n’avait pas réussi à me refiler son carnet et son stylo, Schmidt essayait de prendre des notes.
Étant donné l’état de la chaussée et des amortisseurs de la voiture, je me demandais s’il arriverait à déchiffrer ses gribouillages, mais ça l’occupait et le distrayait. Le paysage d’une extrême monotonie n’était qu’une terre nue s’étendant jusqu’aux falaises fauves et brunâtres, tout aussi nues, avec, ici et là, une petite touche de verdure.
Je m’abstins de critiquer, car je savais que je risquais d’être assaillie par les experts qui me montreraient des amas de cailloux fascinants, en m’expliquant leur signification.
Le taxi s’arrêta devant un groupe de maisons accrochées au flanc d’une colline rocailleuse. On aurait dit des boîtes cubiques, dispersées au petit bonheur la chance, mais c’était ce que mes yeux incultes avaient vu de plus intéressant depuis que nous avions quitté la Vallée.
Certaines des façades étaient simplement peintes en blanc étincelant, en jaune doré ou bleu délavé, d’autres étaient ornées de représentations de personnages, de chameaux, de bateaux et d’avions, qui se côtoyaient nonchalamment.
— Je croyais que les autorités voulaient transférer la population dans un nouveau village, fit monsieur Schmidt je-sais-tout, sans même lever les yeux.
— C’est imminent, dit Feisal.
Il sortit par l’avant et se débattit avec la portière arrière car il n’y avait plus de poignée à l’intérieur. Elle finit par céder et je descendis.
— Il va falloir marcher à partir de là. La maison d’Ali se trouve un peu plus haut, près de la tombe de Ramose.
— Quel dommage ! Ils vivent ici depuis des siècles.
— Et se sont enrichis en pillant les tombeaux qui sont sous leur maison, précisa Feisal. Je sais, Schmidt, l’endroit est très pittoresque, et les habitants de Gournah se sont battus bec et ongles pour s’opposer au projet, mais ces travaux sont indispensables.
Pittoresque, oui… à condition d’aimer la poussière, les chiens errants, les enfants aux pieds nus qui ne cessaient de harceler les touristes innocents. Certains essayaient de nous vendre d’horribles scarabées et des petites figurines de contrefaçon, d’autres voulaient simplement de l’argent.
Feisal cria en arabe. Certains s’éloignèrent, les plus audacieux nous encerclèrent par l’arrière. Schmidt fouilla dans sa poche rebondie.
Il en sortit d’abord la loupe qui provoqua des soupirs envieux. Un garçon maigrichon en T-shirt déchiré tendit le bras. Feisal écarta sa main.
— Ne leur donnez rien, Schmidt. Il faut qu’ils apprennent à ne pas mendier. C’est une des raisons pour lesquelles on les déplace. Les touristes se plaignent d’être sans cesse harcelés.
— Ils sont pauvres, dit Schmidt. Si vous n’aviez rien, vous mendieriez, non ?
Il rangea la loupe et sortit une poignée de stylos-billes. Apparemment, ce substitut plaisait beaucoup. La distribution fut un peu houleuse, car les plus grands arrachaient les stylos des mains des plus petits, si bien que Schmidt se joignit à la mêlée pour équilibrer la distribution. Une vague d’affection m’envahit, tandis que je le regardais.
Il avait le cœur sur la main. S’il y en avait eu plus comme lui, le monde ne serait pas si triste.
Finalement, Feisal dispersa les jeunes avec un rugissement de fauve. Quelques-uns se mirent à courir devant nous. Lorsque nous arrivâmes devant la maison d’Ali, notre visite avait déjà été annoncée.
En été, la température frise les quarante degrés. Les maisons ont des murs épais et des petites fenêtres pour ne pas laisser entrer la chaleur et, après le grand soleil de l’extérieur, les intérieurs semblent plongés dans un noir d’encre.
Lorsque mes yeux s’ajustèrent à l’obscurité, je vis qu’il y avait beaucoup de monde, des femmes et des enfants, essentiellement, assis sur des divans bas, disposés contre le mur, ou simplement par terre. Les silhouettes fantomatiques et les yeux écarquillés qui nous fixaient étaient plutôt troublants.
Depuis combien de temps étaient-ils ici, immobiles comme des statues ? Ils ne pouvaient pas deviner que nous allions venir. Je me ressaisis. Notre arrivée avait dû être annoncée bien plus tôt que je ne le croyais, sans doute dès que Feisal était descendu du taxi.
Une des femmes se leva et le salua. Je reconnus le « Salaam aleikhum » poli auquel Feisal répondit. Il était trop avisé pour abréger les formalités, si bien qu’on nous invita à nous asseoir, et on nous offrit du thé fumant et des petits biscuits. J’étais installée à côté de la femme qui nous avait accueillis.
Il ne pouvait pas s’agir de la femme d’Ali. Les femmes se fanent vite sous le soleil, cependant elle avait le visage aussi buriné que celui des momies les mieux conservées du musée.
Dans la tenue traditionnelle de l’ancienne génération que les femmes modernes ont modifiée ou abandonnée, elle était enveloppée de noir, tête, bras et jambes.
Lorsqu’elle me sourit, je vis que presque toutes ses dents manquaient. Pourtant, les yeux, à demi cachés sous les paupières tombantes étaient aussi vifs et perçants que ceux d’un oiseau de proie.
— C’est Umm Ali, dit Feisal, la mère d’Ali. Bois ton thé, Vicky. Elle a demandé si tu voulais autre chose.
J’aurais préféré me brûler les doigts plutôt que l’offenser, mais au dernier moment, je me souvins de la technique : le pouce sous le fond épais du verre, les doigts sur le bord pour le stabiliser.
Je fis un signe vigoureux à la vieille dame, découvris mes dents en un sourire et bus une gorgée. Le thé était très fort et très sucré. Carie dentaire assurée, proclamait-il.
Je fus la dernière à accomplir mon devoir. Dès que j’eus terminé, Feisal lança une série de questions. Umm Ali y répondit.
Comme je ne comprenais pas un traître mot, j’essayais de deviner qui était la femme d’Ali, en croisant successivement les regards bruns.
Une femme, voilée et tout emballée, avait les yeux un peu plus clairs que les autres. Elle baissa timidement la tête quand je croisai son regard.
À en juger à ses vêtements, elle était trop âgée pour être l’épouse, mais qu’en savais-je, après tout ? La mère était apparemment la grande figure. Les autres faisaient sans doute partie de la famille étendue, qui pouvait comprendre les sœurs, les tantes, et de lointains cousins. Ils ne disaient mot. Deux hommes finirent par faire de brefs commentaires, tout en se montrant aussi respectueux envers la matriarche que les femmes.
À l’arrière, j’entendis un âne braire et un canard cancaner. Un poulet vint se promener dans la pièce, la tête penchée, avec ce faux air d’intelligence particulière à la volaille, et essaya de sauter sur mes genoux. Je le repoussai avec un sourire d’excuse, espérant ne pas être trop impolie. Je n’ai rien contre les poulets, à part qu’ils ne connaissent pas les bonnes manières.
Le poulet rejeté alla tenter sa chance avec John. J’espérais qu’il ne lui sauterait pas dessus, et malgré son intelligence limitée, l’animal dut percevoir quelque chose dans son regard, car il recula.
J’avais presque terminé mon thé et me sentais étrangement à l’aise.
Les cris des animaux me ramenaient aux jours de mon enfance, dans notre ferme familiale du Minnesota, où j’avais appris à aimer l’odeur d’un jardin engraissé au fumier.
Feisal cassa l’ambiance en s’adressant directement à moi.
— Je suppose que tu n’as rien compris. Désolé pour le poulet.
— Ce n’est rien. Est-ce que ce serait impoli de redemander du thé ?
— Oui, répondit John, fermement.
— Non, dit Feisal, mais nous ne devrions pas nous attarder ici. Je t’expliquerai plus tard.
— J’ai une question, intervint Schmidt.
— Plus tard.
— Mais je…
— Pas maintenant ! fit Feisal en élevant la voix.
C’était sa première manifestation d’autorité, mais je compris qu’il s’était depuis longtemps contenu.
Les adieux nous prirent presque autant de temps que les présentations, mais après de nombreux « choukran et maasalama », nous nous dirigeâmes vers la sortie.
Un escadron d’enfants nous suivit jusqu’au taxi.
— Qu’est-ce qu’il y avait dans ce thé ? demanda John, en enlevant quelques plumes de sa manche. On aurait dit que Vicky était prête à rester assise là une éternité.
— Je me sentais bien, dis-je, rêveuse. Ces gens sont si gentils. Le poulet était mignon.
John renonça.
— Laisse tomber ce satané poulet. Qu’est-ce qu’ils ont dit ?
— Ils le croient mort, répondit Schmidt, d’un ton contenu. La pauvre maman nous a demandé de retrouver son corps pour pouvoir lui offrir une sépulture digne de ce nom.
— Pourquoi ne répéteriez-vous pas tout ce qui a été dit ? Je ne savais pas que vous maîtrisiez si bien l’arabe, dit Feisal, soudain furieux.
Schmidt comprit qu’il l’avait offensé, sans toutefois savoir pourquoi.
— J’ai étudié l’arabe, expliqua-t-il, modeste. J’ai compris une partie de la conversation, mais pas le reste. Je suis désolé.
— Non, c’est moi qui suis désolé, dit Feisal en hochant la tête. Je suis nerveux. S’ils ont raison et qu’Ali est mort, c’est de ma faute.
D’après la mère, ils n’avaient aucune preuve, mais les signes étaient peu encourageants. Ali rentrait tous les soirs, après le travail. Il ne s’était jamais attardé pour boire un café ou bavarder avec ses amis. Il n’était jamais parti sans dire à sa mère où il allait, et pour combien de temps.
— La vieille dame nous a-t-elle tout dit ? demandai-je.
— J’espère bien que non, répondit John.
— Elle n’a pas parlé du vol.
— C’est ce que je voulais demander, dit Schmidt.
— Je ne crois pas que j’aurais pu poser la question directement. Elle a parlé de quelque chose qui l’inquiétait, elle a dit qu’il était colérique et de mauvaise humeur depuis des jours. Pourtant, lorsqu’elle lui posait la question, il disait que tout allait bien. Et puis, avant-hier, il est revenu avec l’air de celui qui a eu, je cite, une vision du paradis. De grandes choses les attendaient, tous.
— Il avait parlé avec Ashraf.
— C’est ce que je serais enclin à croire. Pourquoi ce maudit taxi ne bouge-t-il pas ?
— Peut-être parce que tu ne lui as pas dit où on allait, suggérai-je.
Le soleil se couchait derrière nous lorsque nous traversâmes le Nil. Feisal s’était arrangé pour passer à son bureau, qui se trouvait près du Musée de Louxor, sur la rive droite, puis à son appartement pour se changer avant de nous rejoindre pour dîner. Je pensais que je ferais mieux de m’occuper du doigt blessé de Schmidt, qu’il exhibait (involontairement, je crois) en un geste vulgaire.
Il n’était pas cassé, simplement éraflé et tuméfié. Grâce à la trousse d’urgence que Schmidt sortit de sa valise magique, je le désinfectai et l’entourai d’assez de bandages pour lui faire plaisir. Nous rejoignîmes John sur le balcon, qui marmonnait dans son téléphone. Je m’installai aussi loin de lui que possible et contemplai la vue. Le Nil étincelait, reflétant les lumières de la ville et les falaises de l’Ouest qui se teintaient d’une douce couleur pourprée. Si somptueux que fût le spectacle, je ne retrouvais pas l’humeur enchantée dont j’avais joui pendant un trop bref instant. Pas sans poulet…
Je m’étais laissé emporter par des souvenirs nostalgiques parce que je ne voulais pas réfléchir aux raisons qui nous avaient amenés là-bas : la possibilité que le garde repose quelque part au fond d’une sinistre tombe, dans les sables de la rive gauche.
Nous avions passé et repassé en revue toutes les possibilités pendant le trajet du retour. Finalement, Ali était-il en cavale ? Possible, mais peu vraisemblable si l’on se fiait au témoignage de sa mère et à ses habitudes. Avait-il entendu ou vu quelque chose pendant le cambriolage, sans se rendre compte sur le moment de l’importance de ce détail ? Plausible, malgré tout, cela ouvrait toute une nouvelle série de questions sans réponses. Quand avait-il compris qu’il disposait d’informations vitales et qu’en avait-il fait ? Avait-il tenté d’approcher les voleurs, pour les faire chanter ?
En supposant que ces derniers étaient responsables de sa disparition, comment avaient-ils compris qu’il fallait le réduire au silence ?
John termina sa conversation et s’adressa à Schmidt.
— D’après Ashraf, Ali n’aurait rien dit qui laisserait supposer qu’il disposait de nouvelles informations.
— Lui a-t-il posé les bonnes questions ? demanda Schmidt. Ou Ashraf a-t-il pu poser une question qui aurait réveillé un souvenir endormi, dans l’esprit du pauvre bougre ?
— Croyez-vous que je ne lui ai pas demandé ? Si c’est le cas, il n’a aucune idée de ce qui aurait pu déclencher une telle attitude. Vous pouvez continuer à élaborer des scénarios tant que vous voulez, en buvant de la bière, cela ne nous mènera nulle part, dit John.
Les couleurs du coucher de soleil avaient viré au rose et au gris, et les complaintes des muezzins s’étaient tues. John avait dans la voix ces intonations qui me hérissent le poil.
— Alors, qu’est-ce que tu proposes, pour qu’on aboutisse à quelque chose ? demandai-je Je ne vois rien venir. Le temps presse et…
John sursauta et se dirigea vers la porte.
— Je sors. Ne faites rien de stupide !
— Je croyais que tu ne voulais pas qu’on se promène tout seul dans les rues, criai-je derrière lui.
Pour toute réponse, je n’obtins que le claquement de la porte.
— Il a dit que tu ne devais pas sortir seule, rectifia Schmidt.
Comme il n’y avait que lui dans la pièce, ce fut sur lui que je passai ma colère.
— C’est ce qu’il t’a dit ? Pauvre Vicky, elle a une cervelle de moineau, essayons de lui éviter les ennuis ?
— Allez, voyons ! dit Schmidt en prenant son verre.
J’inspirai à plusieurs reprises.
— Bon, d’accord. Je suis désolée, mais c’est la vérité. On n’avance pas. Le Cerveau ne fait pas son boulot.
— Alors, proposa Schmidt, plein d’espoir, je devrais peut-être reprendre sa place.
— Je vote pour toi.
— Parfait. La nuit tombe. Rentrons à l’intérieur pour élaborer un plan.
Au salon, on alluma toutes les lumières. Schmidt ouvrit deux autres bières et indiqua le carnet et le stylo, judicieusement placés sur la table basse. Je les pris. Schmidt se lança dans son exposé.
Ce bon vieux garçon a une certaine logique. On commença par décider que Toutankhamon était toujours quelque part dans la zone de Louxor, puisque, l’autre hypothèse, c’était qu’il pouvait être n’importe où dans le vaste monde. Nous n’avions pas suivi la piste du camion, mais comme Schmidt le signala, cela nous aurait sans doute menés dans une impasse. Ali l’avait décrit comme beaucoup moins imposant que le monstre de la première fois, de la taille d’un autocar, sans doute. C’était sûrement un bus ou un camion maquillé, avec les symboles cabalistiques idoines. Il aurait suffi d’un endroit tranquille, à l’écart de la route, pour démonter les panneaux extérieurs, que les voleurs pouvaient facilement détruire. Le véhicule, rendu à son anonymat, pouvait ensuite poursuivre…
On trouve des milliers de cachettes dans les falaises de la rive gauche, les grottes, les tombes abandonnées, les fissures de la pierre.
Schmidt prétendait que les voleurs ne dissimuleraient jamais leur butin dans un endroit aussi risqué, à la merci des éboulements ou d’une découverte fortuite par les fellahin.
— Une résidence, conclut le Cerveau. Pas un hôtel, tu comprends bien pourquoi, plutôt un environnement qui peut être contrôlé, dans une certaine mesure, à l’abri de la poussière, de la chaleur et des animaux errants.
— C’est logique, dis-je, impressionnée par son raisonnement. Tu es sûr que ce n’est pas toi le coupable, Schmidt ?
Il eut un petit rire.
— Ce ne sont que des hypothèses, mais cela nous donne toujours un point de départ.
— Exact, toutes les demeures privées de Louxor et de ses environs…
Les fenêtres étaient plongées dans l’obscurité. Sur l’autre rive du Nil, les lumières commençaient à scintiller. J’avais pris des notes et j’étais restée aux aguets. Lorsqu’on frappa à la porte, je me levai d’un bond pour aller ouvrir.
Ce n’était pas John, mais Feisal.
— Ah…
— Ça fait plaisir de vous revoir, dit Feisal en regardant tout autour de lui. Où est notre Johnny ?
Schmidt ricana.
— Notre ami Feisal est trop empreint de la culture populaire américaine, passée et présente.
— Peu importe, dis-je tandis que Feisal le regardait sans comprendre. John est sorti depuis un moment. Il n’est pas encore rentré.
— Où est-il allé ?
— Mystère.
— Vous vous êtes disputés, en conclut Feisal qui commençait à comprendre. Je m’y attendais.
— Je suppose qu’il est parti explorer de nouvelles pistes, dit Schmidt. Nous avons fait de même. Voulez-vous connaître nos conclusions ?
Feisal s’approcha du minibar et en sortit un soda au citron sans alcool. J’y avais goûté, c’était épouvantable.
— Allez-y !
Après le résumé de Schmidt, Feisal hocha la tête.
— Oui, c’est bien. Savez-vous combien il y a de maisons, de villas et d’appartements privés, dans cette zone ? On ne peut pas frapper à toutes les portes et demander qu’on nous laisse entrer.
— Alors, il faudra réduire les possibilités avec de nouvelles déductions. Vous avez des suggestions à nous faire, Feisal ?
— Pas pour l’instant, dit-il, avant de vider sa bouteille.
— Et du nouveau de ton côté ? demandai-je. Au bureau ?
— Une dizaine de messages… Divers sous-directeurs signalant des activités suspectes ou illégales autour des sites protégés… ou…
Il continua un moment. J’avais cessé d’écouter, me concentrant sur le son des pas ou les bruits de clé. Rien. John devait pourtant avoir fini de bouder.
— Tu veux aller dîner ? demanda Schmidt. Feisal nous propose un restaurant.
— On ne devrait pas attendre John ?
— Il arrivera quand il sera décidé. Je commence à avoir faim.
Sur mon conseil, Feisal lui laissa un message pour lui dire où nous allions, et je me laissai escorter hors de l’hôtel. Écartant les chauffeurs de taxi et de calèches importuns, nous longeâmes la corniche, face au temple de Louxor, dont les colonnes géantes scintillaient dans le noir.
— Ah, c’est ouvert ce soir. On va le visiter ?
J’allais refuser lorsque je vis un homme se diriger vers l’entrée principale. Il était entouré d’autres touristes, mais les rayons de lumière jouaient dans la chevelure blond doré.
À le voir ainsi, se promener gentiment, tout en sachant que je m’inquiétais, je fus prise de fureur.
— Il est là ! m’exclamai-je.
J’arrachai mon bras de l’étreinte de Feisal et courus vers John. Feisal me cria de m’arrêter, et un des contrôleurs tenta de m’intercepter. Je fis un rapide détour pour éviter ce dernier, mais lorsque j’arrivai au niveau du grand pylône, John avait disparu. Hors d’haleine et en nage, j’étais sur le point d’entrer lorsque Feisal me rattrapa.
— Qu’est-ce qui te prend ? demanda-t-il en me saisissant par le bras.
— Tu ne l’as pas vu ?
— Qui ?
Schmidt arriva, haletant.
— Vicky, il ne faut pas te sauver comme ça !
— C’était John ! Il vient d’entrer dans le temple !
— Tu as dû te tromper, dit Feisal.
— Non, je suis sûre…
Qu’avais-je vu, en fait ? Ce que je voulais voir, ce que j’espérais voir ?
— Puisqu’on y est, autant aller y faire un tour, dit Schmidt, sur le ton qu’il aurait utilisé avec un bambin capricieux.
C’était inutile, désespéré. Du temps perdu. Je m’en étais rendu compte avant même que nous soyons arrivés dans la grande cour, après être passés devant les statues géantes de Ramsès.
L’endroit était vaste, avec des dizaines de colonnes, de statues, de niches latérales, des milliers de cachettes idéales pour un homme qui voulait éviter d’attirer l’attention, noyé au milieu de centaines de visiteurs qui entraient et sortaient. Certains hommes avaient les cheveux blonds.
— Sehr interessant, dit Schmidt en caressant sa moustache. Sehr schön. C’est l’un des plus beaux temples d’Égypte, d’autres ont…
— Inutile de nous faire une leçon de tact ! Schmidt, aboyai-je. On y va ?
Le restaurant offrait un patio paisible éclairé à la lueur chaleureuse des lanternes. Au centre, la fontaine projetait ses jeux d’eau. John était installé à une des tables. Il se leva et tira une chaise.
— Je vous attends depuis un bon moment.
— Où étais-tu passé ? demandai-je, très poliment.
— Je me promenais. Je me suis arrêté à une des boutiques, au coin de la rue, ajouta-t-il en me tendant un petit paquet.
Je le déballai et découvris une paire de boucles d’oreilles en argent, en forme de chat.
C’était une offrande de paix, mais je n’étais pas prête à pardonner et à oublier.
— J’ai cru te voir entrer dans le temple de Louxor, dis-je.
Après une pause, John leva un sourcil.
— C’est pour ça que vous avez été si longs ? Je suppose que Schmidt a inspecté le moindre recoin.
— Je n’inspectais rien, j’admirais la beauté des lieux.
Feisal passa commande pour nous et Schmidt décida de prendre une autre Stella.
— Schmidt et moi, nous avons élaboré un plan.
— Ah oui ? (Cette fois, les deux sourcils se levèrent.) Puis-je savoir en quoi il consiste ?
Schmidt ne fut que trop heureux de le satisfaire.
— Il ne reste plus qu’à réduire les possibilités.
Comme on pouvait s’y attendre, John s’attacha à réduire nos arguments en miettes.
— Pourquoi pensez-vous qu’ils veulent un environnement contrôlé ? Toutankhamon croupit dans cette tombe depuis plus de trois mille ans, et pendant plus de quatre-vingts ans, il a été exposé à toutes les formes de pollution imaginables. Quelques semaines de plus dans un trou quelconque ne changeraient pas grand-chose.
— Cela signifierait qu’il est toujours sur la rive gauche, dis-je, répugnant à renoncer à notre si jolie petite théorie. Comment pourraient-ils le ramener dans les falaises sans être vus ?
— Sur un chariot ou une charrette, dit John. La nuit. Je suppose qu’ils n’hésiteraient pas à le secouer un peu. Ils l’ont bien raccourci d’une main !
— Ne dis pas des choses pareilles !
— Alors, qu’en pensez-vous ? Vous croyez qu’on a des raisons de suivre les pistes de Schmidt ?
— Je crois que ce serait une perte de temps, reconnut Feisal. De temps dont on ne dispose pas. Si nous avions un indice… même mince…
Il regarda John qui hocha la tête.
— Et Ali ?
— J’envoie des hommes à sa recherche demain. Tout le monde sait qu’il a disparu et, d’après la rumeur, il aurait eu un accident dans les falaises. Cela arrive de temps en temps, même aux gens du coin qui ont de l’expérience.
Le serveur commença à disposer assiettes et bols sur la table. Je reconnus le riz et un tajine de légumes, principalement composé de tomates. Feisal me fit signe de me servir, ce qui me permit de découvrir les aubergines, le mouton, cuisiné de diverses manières, ainsi que des lentilles.
Pendant un moment, on n’entendit plus que le bruit de la mastication de Schmidt.
— Je crois que je vais être obligé d’effectuer un voyage éclair à Denderah demain ou après-demain, poursuivit Feisal. Un cambrioleur s’est introduit dans la réserve et a volé une vasque de granite. On a un suspect, mais on ne l’a pas encore arrêté.
— Où aurait-il pu cacher un tel objet ? Cela doit peser des tonnes.
— Dans les environs, admit Feisal. Farouk est un expert dans ce genre d’opérations. Avec ses complices, il a dérobé une statue d’Hathor au temple, il y a quelques mois, en plein jour, sous les yeux de centaines de témoins. On ne l’a jamais retrouvée.
— On pourrait peut-être lui demander où ils ont pu planquer Toutankhamon ! lançai-je.
Personne ne trouva ça très drôle, pas même moi.
La Malédiction du téléphone portable avait touché l’Égypte. Pendant tout le repas, cela n’avait cessé de sonner tout autour de nous. Lorsque l’un d’eux retentit tout près, je regardai Schmidt.
— C’est forcément le tien. Personne d’autre n’aurait un tube de Johnny Cash !
— Ne répondez pas, ordonna John. Qu’elle laisse un message.
— Tu ne peux pas être sûr que c’est Suzi !
— Si c’est bien elle, je préférerais que Schmidt ne lui parle pas avant d’avoir mûrement réfléchi.
— Ni avant d’avoir fini de dîner, dit Schmidt en se servant le reste des aubergines.
— Je ferais mieux de consulter les miens, dit Feisal en sortant son appareil. J’ai demandé au frère d’Ali de me prévenir dès qu’il aurait des nouvelles.
Je ne pouvais lui reprocher de s’accrocher à un espoir, de plus en plus ténu, au fil du temps. Il avait plusieurs messages, dont aucun n’attira de commentaires avant le dernier. Il laissa échapper un couinement d’horreur.
— Oh, ne me dis pas qu’Ali…
— Non, ce n’est pas Ali, murmura Feisal. C’est terrible malgré tout. Qu’est-ce que je vais faire ? demanda-t-il, le visage blême. Saida. Elle arrive. Demain. Elle veut le… voir.