Il expédia la messe du matin aussi vite et aussi bien qu’il le pouvait. Depuis le début de son prêche, le père Cottrau avait la tête ailleurs, dans le passé, dans le souvenir de ses fautes. Hier, après sa promenade en forêt, son âme avait été incapable de retrouver la paix. Toute la nuit, dans sa modeste habitation, il avait réfléchi à ce qu’il pouvait faire, ce qu’il devait faire et surtout ce qui risquait de lui arriver. On n’échappe pas à une punition quand elle est méritée.
Après la conclusion de son oraison dominicale, particulièrement courte aujourd’hui, il disparut dans la sacristie pour couper court aux habituelles discussions avec ses ouailles. Tant pis pour les commentaires qui n’allaient pas manquer de suivre.
C’est en retirant sa chasuble qu’il remarqua à quel point ses mains tremblaient. Un mauvais signe. Il serra les poings. Il ne pouvait se permettre la moindre faiblesse avant d’aller affronter Yvette Grieux. Il avait décidé de le faire aujourd’hui, sans plus attendre. En plein jour, c’était préférable.
Auparavant, il lui fallait téléphoner à ce policier de Lyon, celui qui était venu une fois et l’avait rappelé ensuite. Il devait le prévenir. Peut-être même lui demander de l’aide. Tant pis pour les conséquences. Son salut était à ce prix.
Le père Cottrau quitta la sacristie et rentra chez lui pour passer son coup de fil. Inutile de prendre le risque que son servant surprenne la conversation qu’il s’apprêtait à avoir. La honte viendrait bien assez tôt.
À l’Hôtel de Police, la fin de matinée s’annonçait plutôt calme. Par les vitres de la porte d’entrée, le gardien de la paix de permanence pouvait voir le soleil briller tout en rêvassant au déjeuner qui approchait.
Le téléphone sonna. « Hôtel de Police, bonjour. »
Je voudrais parler à l’inspecteur Launay.
« Puis-je vous demander votre nom et ce que vous voulez au capitaine Launay ? » Il insista sur cette dernière rectification.
Cottrau. Je suis prêtre. Je souhaite lui parler en personne.
« Ne bougez pas. » Le policier nota toutes les informations, puis, par précaution, vérifia les astreintes du jour. Mais il se doutait déjà de ce qu’il allait découvrir, le capitaine Launay était en repos. « Je suis désolé, mais il est absent. Je peux prendre un message ? »
Non, non. Je dois lui parler, c’est important ! Je dois le joindre… Aujourd’hui, oui, aujourd’hui même. Il doit bien y avoir un moyen de le contacter. Donnez-moi son numéro de…
L’accélération sensible du débit de l’interlocuteur du policier trahissait son excitation grandissante. « Calmez-vous, monsieur. Il m’est impossible de vous communiquer les coordonnées personnelles d’un officier de police, c’est contre le règlement. Par contre, si vous voulez bien me laisser un message et un numéro, je les lui transmettrai dans… »
NON ! Il faut que je lui parle tout de suite. Donnez-moi son téléphone ! C’est une question de vie ou de mort… Le loubérou, il va partir. Il faut qu’il s’en méfie.
« Le quoi ? Pardon mais je n’ai pas bien compris… » À l’autre bout du fil, le policier entendait maintenant une espèce de monologue sans queue ni tête. Il saisit à nouveau les mots bérou, puis enfer, et je suis perdu. Il secoua la tête, persuadé qu’il avait affaire à un cinglé, et s’apprêtait à clore cette communication de manière un peu ferme quand la ligne fut coupée. L’homme avait raccroché.
Ce type d’incident était monnaie courante. Les gens devaient penser qu’ils n’avaient rien d’autre à faire, dans la police, que de répondre à des appels débiles. Le gardien de la paix regarda les quelques notes qu’il avait prises. Que des conneries. Un curé qui appelle le dimanche midi pour prévenir qu’un bérou — qu’est-ce que c’était encore que ce machin ? — menaçait la vie d’un officier du SRPJ de Lyon. Ça ne tenait pas debout. Il froissa la feuille pour la jeter à la poubelle lorsqu’il fut saisi par une angoisse toute administrative. Et si c’était quand même important ? Il venait de débarquer ici et voulait éviter de faire des vagues. Ce n’était pas le moment de se planter. Une seule solution, le parapluie. Il décrocha le téléphone et composa un numéro interne.
Ouais, qu’est-ce qu’il y a ? La douce voix de l’officier de permanence — aujourd’hui, c’était le capitaine Espitalier — lui fit immédiatement regretter son initiative.
« Euh… C’est le standard. Je viens d’avoir un appel bizarre et je me demandais si… »
Profond soupir. C’est quoi, un appel bizarre ?
Le gardien de la paix s’expliqua en bafouillant.
Putain, mais y z’ont rien de mieux à foutre que de nous emmerder le week-end, tous ces cons… Il y eut quelques secondes de silence. Bouge pas, je viens jeter un œil, il faut que j’aille chercher un truc dans ma caisse de toute façon.
Au bout d’un quart d’heure, le jeune policier vit l’officier de permanence sortir de l’ascenseur. Il se dirigea d’abord vers le parking, avant de rentrer, quelques minutes plus tard, un Tupperware à la main. « Ma bouffe… Allez, file-moi ton bidule. »
Le gardien de la paix lui tendit la feuille propre sur laquelle il venait de reporter ses notes et le regarda s’éloigner sans un mot.
Revenu dans son bureau, Espitalier s’intéressa en premier lieu à son déjeuner : deux sandwichs poulet-moutarde préparés par sa femme. Un peu rassasié après le premier, il se mit en quête des coordonnées de Marc Launay, toujours indécis sur le bien-fondé d’un coup de fil. Puis, après son second en-cas, il choisit d’appeler son collègue, par sécurité. Même s’il était absolument convaincu qu’il allait l’envoyer sur les roses pour l’avoir dérangé un dimanche, sans raison valable.
Le téléphone sonna dans le vide à son domicile et il n’eut guère plus de chance avec le portable. Quand la boîte vocale de celui-ci se déclencha, Espitalier décida que toute cette histoire était ridicule et pouvait attendre le lendemain. Il raccrocha sans laisser de message.
Marc entendit son mobile sonner mais ne décrocha pas. Pas possible. Et surtout pas envie. Il ferma les yeux, pour profiter de la chaleur de la couverture qu’ils venaient juste de jeter sur leurs épaules.
La sonnerie électronique se manifesta à nouveau.
Priscille, assise à califourchon sur lui, tourna la tête pour le regarder. « Tu ne prends pas ? »
Marc sourit. « Là, tout de suite, je ne suis pas vraiment motivé.
— C’est peut-être important.
— C’est la messagerie.
— Ou un second appel. » La jeune femme se déplaça sur son canapé pour le laisser se lever.
Le blouson du policier était par terre, avec le reste de ses fringues, juste devant la fenêtre qui donnait sur la Saône. La rivière brillait sous le soleil. Le quai, un étage en contrebas, était noir de monde, et lui, il était complètement à poil. Il s’accroupit prestement, récupéra son portable — numéro inconnu — et décrocha.
Ciao Marco.
« Simone. Comment ça va ? »
Bien. Écoute, je n’ai pas beaucoup de temps, je pars sur un coup. Je voulais juste te tenir au courant pour ce que tu m’avais demandé…
Le policier, d’un seul coup plus alerte, se tourna vers Priscille. « Tu as trouvé quelque chose ? »
Si. Excuse-moi d’avoir été si long.
« Pas de problème. »
Bon, ton Le Veneur, c’est pas un client facile, il a fallu remonter loin, pour trouver des trucs sur lui et nos archives… elles sont pas toujours complètes et rangées. Alors… attends… il était de la région de Bergamo, mais son père devait être français. À cause du nom. Ici, officiellement, il était bûcheron. Il a quitté le pays au début des années soixante, pour aller s’installer en France.
« Tu sais pourquoi ? »
Bah, le travail sans doute… À moins que ce soit à cause des ennuis qu’il a eus ici.
« Ennuis ? » Marc vit que Priscille n’en perdait pas une miette.
J’ai pas beaucoup de détails. Mœurs à ce qu’il semble. Son nom apparaît dans deux ou trois trucs pas très nets, mais il n’a jamais été vraiment inquiété. On a le compte rendu d’une dernière audition sur des événements qui se seraient passés à Città Alta, le vieux Bergamo, et puis plus rien. Après, il était parti.
« De quel genre d’affaires de mœurs il s’agit ? »
Bah tu sais, chez nous, dans le Nord, ils sont un peu coincés. Ça pouvait être n’importe quoi. Même pas grave. Ça s’est vite arrêté parce que il y avait des gens importants dans au moins deux histoires. Et puis ton type, il est allé se mettre à l’abri chez vous, avec sa famille.
« Sa famille ? Tu veux dire juste sa femme… la fameuse Chinetta ? » Marc fit attention à bien prononcer le nom cette fois. « Personne d’autre ? »
Oui, c’est ça. Sauf que c’était pas sa femme… C’était sa fille.
Priscille entendit, sans pouvoir saisir les mots, l’interlocuteur de son collègue parler. Et elle vit Marc blêmir. Que se passait-il ?
Marco, tu es toujours là ?
« Oui… Oui. Tu es sûr de ça, pour la fille ? »
Si. J’ai des copies des registres di stato civile. Bon dis-moi, je suis un peu pressé, là. Je te faxe tout ça à ton bureau demain matin. Désolé de ne pas avoir plus de trucs pour toi. Ciao.
« Ciao. » Marc salua Simone avec un temps de retard, il avait déjà raccroché. Il resta quelques secondes silencieux puis lâcha : « Je crois qu’on tient quelque chose.
— Raconte.
— Voilà… Tu te rappelles notre visite en Chartreuse ? »
Priscille hocha la tête.
« Yvette Grieux avait fait une remarque sur le père de Paul qui m’avait intrigué. Tu sais, quand elle nous a annoncé qu’elle l’avait bien connu. La manière dont elle l’a dit pouvait laisser croire qu’il s’agissait d’une personne différente de son mari décédé. Or, les renseignements d’état civil dont nous disposons dans le STIC disent le contraire. J’ai demandé à un collègue de vérifier. Paul est un enfant adopté. À l’état civil, ses vrais parents sont identifiés comme Paolo et Chinetta Le Veneur, des Italiens… » Le policier marqua une pause. Alors qu’il parlait, il réfléchissait à la signification de tout ce qu’il savait à présent.
La jeune femme en profita. « Quel est le nom de jeune fille de la mère ? »
Marc la regarda et lui sourit. « Toi, tu y as pensé tout de suite… pas moi. Bravo. Une fois de plus, l’état civil était incomplet. Il n’y avait pas de nom de jeune fille. Et pour cause, c’était le même que celui de son mari. Chinetta n’était pas seulement la femme de Paolo Le Veneur, c’était aussi sa fille. C’est ce que m’a dit le collègue de Rome qui vient d’appeler. Je lui avais demandé des infos il y a quelque temps.
— Et donc la vraie mère de Paul est aussi sa…
— Sa demi-sœur. C’est ça. Avec Madeleine, notre motard favori cherchait à marcher sur les traces de son père, le vrai.
— Ça change toute la donne, ce truc. Avec ça, on va pouvoir convaincre le Parquet de nous donner son feu vert. »
Marc acquiesça. « Tout juste. Et d’ailleurs, je vais appeler Laferrière tout de suite. » Il commença à chercher le numéro du substitut dans le répertoire de son mobile.
« Marc… Marc. »
Le policier releva la tête vers Priscille qui le fixait, le visage fermé. « Quoi ?
— Je pense que tu ne devrais pas aller trop vite en besogne.
— On a perdu assez de temps.
— Ça peut attendre demain, sois raisonnable…
— Raisonnable ? Putain ! Mais cette gamine est peut-être en train de crever quelque part, là, en ce moment même ! Et il faudrait que je sois raisonnable ?
— Elle est sans doute déjà… » La jeune femme n’osa pas terminer sa phrase.
Marc s’énerva un peu plus. « Morte ? C’est ça que tu penses ? Vas-y, dis-le ! » Ils se défièrent du regard sans rien ajouter pendant un long moment. Le policier comprit qu’il était allé un peu trop loin. « Je suis sûr que non. Je le sens », fut tout ce qu’il trouva à dire.
Priscille se leva et s’emmitoufla dans sa couverture. « Tu fais comme tu veux, mais je pense que tu devrais appeler Codaccioni plutôt, elle doit se demander ce que tu branles. Elle, elle se chargera de Laferrière… et ce sera beaucoup mieux pour tout le monde. »
Le père Cottrau traversa la cour de la ferme d’Yvette Grieux sans précaution particulière. Le temps avait changé depuis son départ de l’église : un orage approchait. Et, bien que la lumière du jour ait décliné, rien n’était allumé à l’intérieur de la maison.
Il frappa à la porte-fenêtre de la cuisine, attendit quelques secondes. Rien. Pas le moindre mouvement. La pièce était plongée dans l’obscurité. Il distinguait à peine les contours du mobilier, dans le fond. La grande table à manger était encombrée de pots de tailles diverses et le second couvert, qu’il avait déjà remarqué l’autre soir, était toujours à la même place, intact.
Il cogna à nouveau au carreau, plus vivement. Toujours pas de réponse. Sa main vint machinalement se poser sur la poignée. Il fallait qu’il sache. Il la tourna. La porte s’ouvrit sur une agression olfactive. Une odeur de soufre, de pourriture, de mort étouffait la cuisine. Luttant contre son dégoût, il s’avança à l’intérieur et referma derrière lui.
Ses yeux s’habituèrent rapidement au manque de lumière et il put se faire une meilleure idée de l’état des lieux. Sur la cuisinière, trois grandes marmites sales. Seules deux d’entre elles contenaient encore quelque chose : une sorte de brouet épais, marron, figé en surface et qui semblait être la source des remugles qui empuantissaient l’atmosphère.
L’ouvrage assez ancien qu’il avait aperçu deux jours plus tôt était toujours là, sur le plan de travail, mais fermé et posé sur un autre volume du même type. La couverture de ce dernier était en cuir. Il se mît à le feuilleter et réalisa après quelques secondes qu’il était écrit dans une langue qu’il n’avait plus pratiquée depuis de longues années. Il se concentra sur la page à laquelle il avait ouvert le livre, rassemblant ses connaissances usées par le temps. Il finit par identifier une longue liste d’ingrédients suivie par des instructions et… Qu’est-ce que c’était ?
Des recommandations…
Le prêtre se retourna brusquement vers la table, les yeux fixés sur les récipients qui en encombraient la surface. À contrecœur, il s’en approcha, terrorisé à l’idée de ce qu’il risquait de découvrir dans les pots. La plupart d’entre eux étaient en terre cuite, scellés, et on ne voyait pas ce qu’ils pouvaient renfermer. D’autres, pourtant en verre, étaient si sales et recouverts de poussière, comme s’ils avaient séjourné trop longtemps dans un sous-sol, que leur contenu était inidentifiable. Il allait devoir les ouvrir.
Il attrapait le bocal le plus proche de lui pour l’examiner quand son œil fut attiré par une tache flamboyante qui s’étendait au milieu de tous les ustensiles posés sur la table. Il se pencha en avant pour mieux voir. C’était un patchwork d’étoffes rouges partiellement assemblées les unes avec les autres. Il n’eut pas de mal à en reconnaître la forme. Une boule ronde et bourrée de coton avec deux grands yeux maladroitement dessinés, pour la tête. Un aplat de laine, pour le tronc, d’où partaient deux rouleaux de feutrine pourpre et blanche, pour les bras et les mains.
Un Sarvan. Inachevé. Il n’avait pas encore été farci de la matière impie et maudite destinée à lui conférer son pouvoir. Mais ce serait bientôt chose faite, il était presque prêt. Le prêtre regarda à nouveau les pots puis la poupée en devenir.
On souhaitait protéger cette maison, pour une raison ou pour une autre.
Un craquement un peu plus marqué, dans une pièce voisine, le fit se redresser. Il demeura ainsi, immobile et silencieux, pendant presque une minute. Mais, à l’exception du sifflement du vent, à l’extérieur, il ne perçut aucun autre bruit. La maison, très vieille, devait travailler plus que de coutume sous les assauts répétés et violents des éléments.
Cette interruption le décida néanmoins à accélérer le rythme de son inspection. Il n’avait pas beaucoup de temps pour découvrir la nature exacte de ce qui se tramait ici. Il était pourtant indispensable qu’il trouve plus d’indices, ce qu’il savait déjà n’était pas suffisant.
Le voyage d’hier au lac signifiait qu’il y aurait bientôt une cérémonie importante. Samhain était tout proche et les enjeux devaient être de taille. Cela sous-entendait qu’Yvette Grieux n’agissait pas seule. Paul intervenait aussi. Par des voies et pour des motifs qui demeuraient encore obscurs. Il était puissant. Trop puissant. Trouver ce qu’il cherchait pouvait aider le père Cottrau à compenser ce déséquilibre de leurs forces respectives.
Il avança dans le couloir qui desservait le reste de la bâtisse. Il était plus sombre encore que la cuisine. Un escalier, sur la gauche, montait à l’étage. Il l’ignora pour le moment et entra dans le salon spartiate, dont la principale caractéristique était une immense cheminée. Aucun feu n’y crépitait, mais les cendres qui s’y entassaient en grande quantité témoignaient de son utilisation intensive. Lorsqu’il les vit, il repensa à la petite poupée en cours de fabrication, dans la pièce voisine.
Pourquoi ? Ici, elle était inutile. Dehors, il y avait les crapauds. Les crapauds… Ils ne l’avaient pas arrêté ?
Le prêtre eut soudain la sensation qu’on l’observait. Ici même, dans cette pièce. À l’odeur des cendres se substituèrent des parfums de forêt d’hiver humide. Il se retourna en entendant le grognement.
Et mourut, sans un cri.
Marc rentrait chez lui agacé d’avoir eu tort, d’avoir dû battre en retraite. Appeler Codaccioni. Bien sûr que Priscille avait raison et, évidemment, il s’était fait copieusement sermonner. Après cinq minutes de remontrances froides, il avait enfin pu exposer ses raisons, parler de ses découvertes. Sa patronne l’avait écouté sans rien dire avant de lui recommander de lui laisser Laferrière. À lui d’être prêt à bouger dès qu’elle lui donnerait son go, très probablement dans la journée du lendemain. D’ici là, et compte tenu de sa situation personnelle — elle lui parla alors de sa prochaine convocation — il devait éviter de faire des vagues.
Marc avait raccroché, convaincu que cette attente allait lui être intolérable. Il n’avait d’ailleurs pas pu résister à la tentation de téléphoner au professeur Anjoras, pour lui présenter ses excuses et surtout pour évoquer le passé familial de Paul Grieux. Espérait-il vraiment gagner le médecin à sa cause ?
Cette question resta sans réponse. Le neurochirurgien n’était ni à l’hôpital, ni chez lui.
Pas plus que le père Cottrau, qu’il avait essayé de joindre sans succès.
Toutes ces absences n’avaient fait qu’entamer sa patience plus que symbolique. Pour couronner le tout, Priscille, qui n’avait pas apprécié sa petite saute d’humeur, lui avait demandé de partir. Et il s’était senti con, assis par terre, nu, dans le salon de la jeune femme, le téléphone à la main, quand, à peine sortie de la douche et tout habillée, elle lui avait gentiment fait comprendre qu’elle souhaitait passer le reste de la journée seule.
Il était donc contrarié quand il franchit la porte de son appartement. Tout de suite, il aperçut Bobosse qui était couché dans un coin de la pièce principale, l’air penaud. Il ne se leva pas pour l’accueillir. Marc prit alors conscience de l’odeur, légère mais très désagréable, qui régnait chez lui et soupira. Il resta ainsi quelques instants, découragé, debout dans son vestibule, à regarder son chien qui n’osait pas bouger.
Que pouvait-il dire ? Après une promenade express ce matin, il avait foncé chez Priscille, trop content d’oublier son bouledogue et cet endroit chargé de mauvais souvenirs. Peut-être que Bobosse l’avait senti ? Peut-être était-ce sa manière de le lui faire payer ?
Marc traversa son salon pour ouvrir la fenêtre et, avant de se mettre en quête de la source malodorante, se pencha vers son chien pour le caresser. Il trouva l’objet du délit devant la baignoire, bien exposé sur le carrelage blanc.
Le nettoyage ne fut pas très long. Sopalin, serpillière, doux parfum de Javel. Il détestait cette odeur qui vous polluait le nez pendant des heures, mais on n’avait encore rien trouvé de plus efficace…
Il s’arrêta brusquement sur le seuil de sa salle de bains et se retourna. Son cerveau venait de saisir quelque chose. En écho à un événement qu’il avait en mémoire. Lavabo, baignoire. Nécessaire d’hygiène… Non, ce n’était pas ça. Il renifla l’air. Javel. Oui. La Javel, dont l’odeur en couvre une autre, plus organique.
Marc se précipita sur son blouson pour récupérer son portable. Il parcourut son répertoire, à la recherche d’un numéro qu’il appela sitôt qu’il l’eut trouvé. On décrocha à la troisième sonnerie.
Michel.
« Salut, c’est Marc… Launay. »
Je sais… Qu’est-ce qui t’arrive ? T’as l’air tout excité ?
« La salle de bains. Elle a été nettoyée. »
Quoi ? Mais qu’est-ce que tu…
« La salle de bains de la petite Castinel, elle a été nettoyée. Il faut y retourner. Dès demain. »