« Putain, celle-là, c’était une super ventouse. J’ai cru qu’elle allait me la gluter jusqu’au sang ! »
Ces paroles poétiques avaient été formulées par le lieutenant Thévenet, le plus jeune membre du groupe de Marc. Et le plus récent. Malheureusement. Voilà presque un mois que les lundis matin commençaient par l’évocation de ses soi-disant exploits sexuels du week-end.
« Ouais, t’as surtout encore dû passer ton samedi soir à te palucher devant un Dorcel. Tu devrais leur écrire des scénars, je suis sûr que t’aurais du succès ! »
Marc regarda Mancuso, un capitaine comme lui, plus ancien mais sous ses ordres, qui venait de prononcer cette dernière phrase avec toute la sagesse, et surtout l’ironie, que confère une longue expérience de la vie policière.
« Et toi, Youss’, t’as fait quoi ? » demanda Thévenet, soudain pressé de détourner l’attention. « Lui, il doit avoir la main droite qui chauffe ! Jamais avant le mariage, hein, Youss’ ? » Il se mit à rigoler.
Sa question s’adressait à Youcef Boudjema, l’autre lieutenant du groupe, qui était assis derrière son bureau, loin de la table de la cafetière. Loin de Thévenet. Pas assez loin. Un mec tranquille, silencieux, en retrait. Mais à qui rien n’échappait. Marc l’aimait bien. Beaucoup plus que l’autre grande gueule en tout cas.
« Je suis resté avec ma mère.
— Ah, vous voyez ! Je vous l’avais… »
Mancuso coupa la parole à Thévenet. « Ça ne va pas mieux ? »
Youcef fit non de la tête.
« T’as besoin de quelque chose ? » En tant que chef de groupe, Marc se sentait obligé de se préoccuper un peu du moral de ses mecs. Enfin obligé… C’est comme ça que lui le voyait. À force de vivre avec eux tous les jours, il finissait par en être plus proche que leur propre famille. Il avait été élevé à l’ancienne. Un vrai poulet de grain, comme on dit, pour qui ces choses-là étaient importantes. Les fonctionnaires placés sous sa responsabilité n’étaient pas que des dossiers administratifs. Même si cette vision n’était plus trop en accord avec l’actualité de l’administration policière. Malgré tout, Marc s’accrochait à elle. Là où d’autres auraient assuré le service minimum et ouvert le parapluie pour tout et n’importe quoi.
Des raisons, il n’en aurait pas manqué pourtant. Ne serait-ce qu’au niveau des effectifs de son groupe. À la base, il ne comptait que six membres, ce qui n’était déjà pas assez, et en ce moment, deux d’entre eux étaient manquants. Stage pour l’un et arrêt maladie pour l’autre. Le crabe. Pas bon.
Il aurait dû appeler ce week-end.
Le téléphone sonna. On y était, cette fois, la journée commençait vraiment.
Thévenet fut le plus rapide pour décrocher. Il écouta quelques secondes et mit sa main sur le combiné. « Capitaine, c’est pour vous. Une cocotte du commissariat du quatrième… »
Marc se dirigea vers son bureau.
Dans son dos, son subordonné continuait. « Vous avez encore sévi près de chez vous, hein ? »
Il prit l’appel. « Launay, un instant, je te prie… » Marc dévisagea Thévenet, lui faisant comprendre qu’il était temps de raccrocher. Et surtout de la fermer. Puis il annonça : « Je t’écoute. »
Cocotte ? Au début, la voix de Priscille lui parut sèche.
« Que puis-je faire pour toi ? »
Mauvaise impression. Pas grand-chose, j’appelais pour m’excuser de mon attitude, samedi.
« Je vois. » Impassible, Marc observait ses hommes du coin de l’œil. Surtout Thévenet, dont les mimiques buccales laissaient peu de place à l’imagination. Il saisit une bribe de la conversation du jeune lieutenant. Je dis toujours, no zob in job. Quel con, mais quel con ! À voir la tête de Mancuso, qui écoutait poliment tout en faisant autre chose, il savait qu’il n’était pas le seul à penser ainsi. Si encore l’autre s’était contenté d’être une grande gueule portée sur la bite, mais non, il s’en prenait aussi plus ou moins ouvertement à Youcef de temps en temps.
Marc, tu es toujours là ?
« Oui, continue. »
J’ai pris contact avec le fonctionnaire qui a établi la procédure sur Paul Grieux… Un certain Grandrivière. Il est à la retraite mais je vais aller le voir après-demain… Pendant mes récup’.
« Bonne initiative. » Il avait prononcé ces mots d’un ton neutre. Son attention était ailleurs.
Je…
« En tout cas, comme je te l’ai dit, je tiens les coordonnées des parents de Madeleine Castinel à ta disposition, ainsi que celles de Mlle Véricel. »
Il y eut un blanc de quelques secondes pendant lesquelles Marc s’échappa de sa conversation téléphonique et même de ce qui se passait autour de lui. Thévenet était sorti brasser de l’air. Mancuso téléphonait et Boudjema relisait un PV. Il faillit ne pas entendre Priscille.
… revue ?
« Pardon ? » Qu’avait-elle voulu dire ? Revu qui ?
Non, rien. La voix de la jeune femme était soudain empressée. Elle semblait mal à l’aise et termina la communication. Je te rappellerai quand j’aurai de nouveaux éléments.
Aussitôt après, la ligne fut coupée et Marc raccrocha, un peu surpris. Mais il n’avait pas le temps de s’attarder sur les changements d’humeur de Priscille, le tableau de service de son groupe l’attendait. Et les prochaines semaines promettaient d’être intenses.