Le professeur Anjoras entra dans la chambre de Paul Grieux et s’arrêta un instant au pied de son lit. Le patient était allongé, raide, immobile et avait les yeux ouverts. Que voyait-il ? Que se passait-il dans sa tête ? Quelles images, quelles émotions agitaient son esprit ? ou son corps ?
Il avait traversé deux crises spasmodiques depuis le début de sa phase d’éveil.
Ses signes vitaux étaient normaux, stabilisés. En surface, son évolution se déroulait sans complications. L’intervention chirurgicale, traumatisante, avait laissé des traces, mais elles s’estompaient vite. Le corps est une machine merveilleuse.
Son réveil sensoriel était encourageant. Le passage au coma léger avait été rapide et l’équipe soignante avait constaté des manifestations réactives, surtout sonores et, depuis peu, motrices. Bientôt une reprise de conscience ? Mais dans quel état ?
Les bandes lui apporteraient peut-être certaines réponses.
Le médecin, qui venait de jeter un œil aux pansements crâniens de Paul, se retourna vers le mur et se mit à fouiller dans le support mural qui se trouvait au-dessus de la tête de lit. D’un espace proche du bouton d’appel, il retira un enregistreur qu’il ouvrit pour récupérer un MiniDisc. Il glissa celui-ci dans sa poche avant de replacer un disque vierge dans l’appareil. Puis, il remit tout en place.
Par intérêt personnel et professionnel, le professeur Anjoras effectuait, depuis quelques années, différents types d’observations sur les patients qui lui étaient confiés. À leur insu et à l’insu de leurs familles. C’était déontologiquement discutable, mais très intéressant sur le plan de la recherche. Et il le faisait en toute discrétion. Rien ne sortait de son service. D’ailleurs, seuls certains membres de son équipe étaient dans la confidence.
Ainsi, il lui arrivait de sélectionner des malades à enregistrer, pour suivre l’évolution de leur guérison. Paul Grieux était de ceux-là.
Après un dernier coup d’œil vers le lit, le neurochirurgien quitta la chambre et prit le chemin de son bureau. L’après-midi touchait à sa fin et il avait envie de passer, pour une fois, un dimanche soir chez lui, tranquille. Il pourrait profiter de l’absence de sa femme, qui était partie en week-end. Encore.
Il pressa le pas et pesta, une fois de plus, contre le loto administratif qui avait décidé que ses quartiers se trouveraient de l’autre côté de l’hôpital, au troisième étage. Quelle logique avait présidé à cette attribution, il se le demandait encore. La seule chose qu’il savait, c’est qu’il perdait une énergie et un temps fous à faire des allers-retours dans les couloirs anonymes du bâtiment.
Parvenu à destination, il déverrouilla sa porte et, sans perdre de temps, prit place devant son ordinateur. Celui-ci était toujours allumé. Là encore, il fallait éviter les attentes inutiles.
Le médecin glissa le MiniDisc récupéré dans la chambre de Paul dans un lecteur relié à sa machine et commença le transfert des données des dernières vingt-quatre heures. Il avait déjà ouvert un dossier au nom de Paul Grieux qui se remplissait jour après jour. Jusque-là, il ne contenait que des mots et des bribes de phrases. Cet homme était un patient hors normes. Malgré son état comateux, il verbalisait beaucoup d’émotions. Pas toutes compréhensibles.
L’enregistreur était programmé pour réagir au niveau sonore et il indexait automatiquement les déclenchements successifs en autant de fichiers séparés. Cela permettait une sélection rapide quand, par exemple, il fallait éliminer les passages qui correspondaient à l’activité normale du personnel soignant dans la chambre. Il ne gardait que l’essentiel, les manifestations des patients.
Plusieurs fichiers étaient déjà recopiés sur le disque dur de son ordinateur. Il commença à les ouvrir pour les écouter sommairement. Il allait faire le tri ce soir, l’analyse en profondeur attendrait le lendemain.
Borborygmes. Très forts. Trente-sept secondes. Cela s’était passé cette nuit. Il avait changé le disque à dix heures, hier soir. Le cahier de service des infirmières n’indiquait aucune activité avant une heure du matin.
Cris rauques, rythmés, réguliers. On sentait poindre un schéma de construction verbale. Pas encore de mots. Vingt-deux secondes.
Femme qui chante. Bruits de manipulation. Quarante secondes. Probablement la visite de routine de la nuit. Donc entre trois heures et quatre heures du matin. On élimine.
Au début, certaines infirmières s’étaient alarmées de ces enregistrements. Elles avaient cru qu’il mettait en place un système de surveillance de leur activité. Cela lui avait pris du temps, mais il avait réussi à les calmer et à imposer son point de vue. C’était son service après tout.
Borborygmes. Douze secondes. Murmures avec rythmes différenciés. Vingt secondes.
Cris orgastiques…
Il continua à écouter ainsi jusqu’à ce que le contenu du MiniDisc soit entièrement enregistré dans sa machine. Il ne lui resta bientôt que quelques fichiers à trier. Il avançait vite, il n’y avait pas grand-chose de bien intéressant.
Trois fichiers.
Deux.
… Pas mal.
Une voix implorante. Une voix d’enfant. De petit garçon. C’étaient les premières paroles articulées prononcées par Paul. Enfin, à vérifier. Il demanderait aux infirmières de garde si des enfants étaient passés dans le service depuis hier vingt-deux heures.
Le professeur Anjoras tendit l’oreille.
… ombres avec leurs serpents…
… Pas aller dans le noir… Eux…
Il se redressa dans son fauteuil, intrigué mais aussi un peu choqué. Subitement, il se sentait proche de Paul Grieux. Toujours sous réserve qu’il s’agisse de lui. Sinon, il faudrait faire des recherches sur l’identité des enfants qui avaient visité l’hôpital durant les dernières vingt-quatre heures. Et prévenir les services sociaux et la police. Pas d’ambiguïté sur le sens de ces dernières paroles, surtout le mot serpents.
Ça continuait. La voix était différente. Adulte, grave, sonore et en colère.
Quelle est la punition pour ça, hein ? C’est quoi ? DIS-LE-MOI !
L’homme criait. Paul Grieux ?
Je le ferai plus.
Le petit garçon. Paul Grieux ?
Silence. Trente secondes de dialogue. Le premier. C’était un progrès. Il revenait.
Le neurochirurgien mit le fichier à part sur le bureau de son Mac et le renomma immédiatement. Il lui attribua une appellation à rallonge, qui commençait par le numéro de Sécurité sociale du patient, puis ses initiales, PG, puis sa date d’admission dans le service et enfin, un bref aperçu du contenu, DIA1.
Ensuite, il écrivit une note rapide qu’il laissa bien en évidence à côté de l’icône du fichier son : PG. Dialogue articulé. Pertinent. Pédo.? Deux voix. Très différenciées ‹ Syndr. Perso. Multi.? Parler MANIN. Oui, il fallait qu’il aille voir le psychiatre rattaché au service pour avoir son avis. Il s’en occuperait à la première heure demain matin.
Bien.
Il se sentait bien.
Serein. Calme. Reposé.
Au fil du temps, ces moments étaient devenus rares. Plus aucune tranquillité. Plus jamais s’arrêter. Avancer. Travailler. Reprendre. Les planches. Les planches étaient sa vie. Les planches et les filles. Et les fils.
Les prochaines. La prochaine. Le prochain.
Pas là. Pour une fois, il est bien. La dernière fois qu’il s’était senti comme ça c’était… Dans la forêt. Il était assis sur une souche. À la croisée des chemins.
Lammas.
Il fait nuit, et il attend. Viendrait-elle ? C’est bon d’être ici. Trop longtemps qu’il était parti.
Où ?
La Vieille Fourche. Voilà un nom… Un bon nom. Un nom porteur. Un nom puissant. Le nouveau pacte. Il renoue ses vieilles complicités. Une étape va être bientôt franchie. Il a besoin d’énergie et d’aide. Il doit donner.
La femme, il faut qu’elle vienne. Elle serait là, pour ça.
Il est tendu. Viendrait-elle ?
Évidemment. Elle a bu.
C’est le premier jour d’août 1961. Lammas. Au-dessus du lieudit la Vieille Fourche. Il a plu, cet après-midi-là. Une pluie d’orage d’été, brève, violente et douce à la fois. Ça sent la terre. Le sous-bois mouillé. Le parfum de la nature, sauvage et libre, comme lui.
Éternelle.
C’est bon. Serein. Reposé. Ça lui avait manqué. Ça ne durerait pas. C’est le prix à payer. À chaque nouvelle étape, reprendre un peu de distance et se faire oublier. Reprendre le travail. Pas cher payé au regard de la récompense.
Viendrait-elle ?
Oui. Du calme… Se calmer. Tout va bien. Tout revient dans l’ordre. Tout va revenir dans l’ordre.
Je reviens.
Attendre. Se préparer à terminer. Chinetta. Trois mois à patienter. Plus que trois mois et la nouvelle étape serait initiée. Ça ne peut pas rater. Ça ne doit pas rater. Ça avait failli rater. Chinetta.
N’aie plus peur.
Il lui faut de l’aide. Il lui faut un soutien. Le nouveau pacte. Lammas, la récolte.
Viendrait-elle ?
Oui. Elle a bu. Il n’y a rien à craindre. Tout va bien. Plus besoin d’avoir peur.
Pavor corporis custos est. Corpus carcer est et ars magica ab eo nos vindicat.
Penser aux nouvelles planches. Juste les planches. Et au pacte. Et à Chinetta.
Viendrait-elle, la femme ?
Oui. Il l’a choisie. Elle l’a choisi. Il l’a vue, seule, singulière, même dans la foule. Elle est l’un d’eux. Ils reviennent autour de lui. Partout où il va, les esprits de peu reviennent. Attirés. Les sacrifiés. Reconstituer les groupes. Reformer les cercles. Retrouver les soutiens.
Ici, elle sera son pilier. Une clé. La clé. Sa clé vers les autres. Les notables, les riches, les puissants.
Puissants ? Riches ? Il rit.
C’est l’épouse d’un maire. Un notable. Un homme imbu de lui-même, propriétaire, héritier, tout enflé de sa personne, et qui a choisi une belle femme à marier. L’Yvette.
Viendrait-elle ?
Oui. Elle l’a voulu. Elle s’est approchée. Elle s’est accrochée. Elle a failli la tuer. Tuer Chinetta. Il a failli la tuer. La femme. Pour ce qu’elle a fait. Elle ne se rend pas compte. Elle ne se rend pas compte. C’est pour ça qu’elle a bu. Il la veut. Il l’a fait boire.
Elle va venir.
Il désire cette femme, Yvette, pour ce qu’elle est et pour tout ce qu’elle peut lui offrir. Aujourd’hui, à lui, son corps. Cette nuit, cette vie, à l’autre, son âme. Demain, elle donnera son mari, parce que en la contrôlant elle, il contrôle les couilles de l’époux et donc l’époux lui-même. Un jour, il s’en apercevra sans doute et là… Là, ce sera après le prochain départ. Après-demain…
À ce moment-là, à travers cette femme infidèle, la fortune et le patrimoine du cocu permettront d’envisager la suite avec sérénité. Il pourra continuer son travail sur les planches et l’améliorer encore. Mais tout cela est loin. Aujourd’hui, il n’y a que le plaisir et, dans ce plaisir, l’initiation et la renaissance. Il veut du plaisir.
Elle arrive. Elle vient de Corbel. Bonne épouse. Elle est allée visiter des cousins de son mari qui y vivent, dans un grand dénuement. Charité et famille, deux grandes valeurs des gens de montagne. C’est drôle.
Il est tendu.
Ça va commencer. Il va l’appeler. Il va venir. C’est dangereux. Il tremble. Du calme…
Pavor corporis custos est. Corpus carcer est et ars magica ab eo nos vindicat.
Elle tremble aussi, la femme. Elle n’est pas rassurée. Elle a bu mais ça ne l’aide pas à vaincre sa peur. Elle a envie, mais elle a peur. C’est isolé ici. C’est la nuit. Et il est là, lui. Et l’autre aussi, bientôt.
Rofocale.
Elle ne résiste pas. Il la prend par la main, pour la guider. Où il le souhaite, à l’endroit où les chemins viennent former une croix. Au lieudit la Vieille Fourche. Un nom puissant, porteur.
Elle ne veut plus s’éloigner. Même pas quand il se colle à elle. Il est tout près d’elle. Il est si près d’elle qu’il se rappelle son soupir, contenu, léger, impatient. Tendu. Elle est tendue. Elle se crispe.
Si près qu’il sent le parfum de son corps, mélange de ses humeurs naturelles et des essences, plus féminines, qu’elle a choisies pour ce moment si particulier. Avec un soin extrême, il n’en doute pas. Il sent même la petite pointe d’appréhension, cette délicieuse et légère odeur de peur.
Après ce long examen, quasi animal, il lui souffle à l’oreille. D’une voix humide, il lui dit de ne plus bouger et de regarder sans rien dire. Et elle hoche la tête en silence, curieuse et déjà obéissante, et l’observe alors qu’il retourne près de la souche. Là, sur ce débris mort, après s’être en partie déshabillé, il prend le sac. Dans celui-ci, il y a la branche de cyprès, un peu biscornue.
Rejoindre la femme. Elle a bu. Elle est venue. À la croisée des chemins. Il faut le faire, maintenant. Dans la forêt environnante, il n’entend plus un bruit. À chaque fois c’est pareil, la nature se retire, comme si elle sentait les choses à venir.
Maintenant.
Pavor corporis custos est. Corpus carcer est et ars magica ab eo nos vindicat.
La cloche. Une fois. Il commence à dessiner le cercle, complet et complexe, autour d’eux, avec la branche. Un cercle dans un cercle entouré de triangles et fermé de carrés. Les pointes vers l’extérieur, vers les chairs, pour blesser et repousser. Les carrés comme des portes, des ouvertures et des fermetures, soumises à sa volonté. Et le tout joint, clos, entier, un, achevé au douzième coup, comme le veut l’usage.
Plus de baguette.
Il regarde sa maîtresse en devenir. Elle est là. Elle est venue. Plus fascinée qu’effrayée maintenant. Elle recule. Elle a vu l’athamé dans sa main. Elle a vu sa lame grossière, rustique. Marquée par les années et chargée de menace. Marquée par le sang. La menace. La lame. Noire de sang.
Sait-elle pour qui est la lame ? Pense-t-elle qu’elle est pour elle ? Il prend la poule dans le sac. La poule noire encore vivante. La poule noire avec son cou entravé par une cordelette serrée, pour l’empêcher de crier. La poule est devant leurs visages. Il fait le geste, sec, fort. L’animal bouge un peu, ultime réflexe d’agonie. Mais il le tient fermement par la tête. Il est tranché en deux dans le sens de la longueur, du croupion jusqu’au cou.
Du sang gicle, il asperge sa figure et celle de la femme. La lame, noire, pleine de sang frais, rouge, mais noir dans la lumière nocturne. Il se tourne vers la droite, vers l’est, en goûtant à pleines dents les entrailles de la poule, ses fluides et ses excréments. Il mange les organes. Il dévore sa vie.
Il les crache au visage de la femme.
Elle recule.
Eloïm…
Reste dans le cercle.
Sa bouche, son menton, ses avant-bras sont souillés par les matières organiques qui dégoulinent du corps sans vie sur le sol.
Cela efface le tracé du cercle. C’est dangereux. Se concentrer. C’est dangereux.
Pavor corporis custos est. Corpus carcer est et ars magica ab eo nos vindicat.
La formule. D’un seul coup.
Essaïm…
La femme semble sous le choc, au bord de l’évanouissement. L’odeur, probablement. Le touché. Le chaos. Lui n’est même plus dérangé par ce genre de remugles. Tout en laissant tomber le cadavre par terre, il continue à prononcer, d’une voix de plus en plus forte et rauque, une série d’incantations que la femme ne comprend sans doute pas. Une langue étrange et oubliée. Un savoir d’initié.
Frugativi…
Ce savoir est pouvoir. Et le pouvoir ne se partage pas.
Et appellaviti…
Tout d’abord il y a l’oraison, un hommage, pour flatter.
Lucifer imperator, omnium rebellium magister, quaeso, fave mihi. Te precor ut me in inceptu meo tegas Lucifer, exilii Princeps.
Il se lèche les lèvres, suintantes.
Puis la grande appellation, une invitation puissante, une ouverture entre les possibles.
Ad magnum tuum ministrum confugio, Lucifuge Rofocale, ut humanus nec putens mihi appareat atque pro pacto quod ad eum sum laturus mihi gratias quas opto concedat.
Enfin, c’est le moment de la présentation.
Magno Lucifuge polliceor me remuneraturum corpore et pavore huius impuri animi qui ante eum mecum stat.
C’est à ce moment-là qu’il attrape la femme par les avant-bras. Elle résiste au début, dégoûtée par le contact visqueux de ses mains sales sur sa peau.
Ja Sabbaoth !
Mais elle n’est pas de taille. Après l’avoir positionnée de force devant lui, face à l’est elle aussi, dos contre poitrine, il prononce les derniers vers, les derniers chants, et offre la femme à celui qu’il a sollicité. À son insu à elle.
Il est là. C’est dangereux. Rofocale.
À quoi pense-t-elle ? Se demande-t-elle ce que tout ce cirque signifie ? Quel est l’intérêt de se souiller de la sorte ?
Il est là. Il est venu dans les arbres. Que va-t-il faire ?
Pavor corporis custos est. Corpus carcer est et ars magica ab eo nos vindicat.
Il la caresse, son souffle est comme le vent. Il est le vent qui s’est levé. Qu’y a-t-il à voir, du côté où il l’a tournée, à part une ligne d’arbres dans le noir ?
Eloïm…
Plus vite.
Essaïm… Frugativi…
Rien. Rien pour l’œil du profane.
Plus fort.
Et appellaviti…
Plus fort.
JA SABBAOTH !
Le rituel est accompli. Le pacte, accepté. Il pose sa bouche sale et malodorante sur le cou de la femme et déchire le haut de la robe. Cette fois-ci, entièrement soumise, elle ne refuse plus son contact.
Les dents de son amant la marquent. Les dents de Rofocale la signent. Elles maculent sa peau blanche. Elle les laisse l’attirer vers le sol, vers le bas. Dans les profondeurs de la faute et de la douleur.
ELOIM. ESSAIM.
Il crie.
FRUGATIVI ET APPELLAVITI !
Il la prend. Il la pénètre…
Avec ses doigts, avec ses poings. Avec son sexe. Avec leurs sexes… Il est là. Il a accepté le pacte. Rofocale gronde. Il lui donne la transformation. Ils sont à quatre pattes. Ils la ravagent. Ils courent. Ils hurlent. Elle hurle avec eux. À la Lune. Pour la mort. Pour la vie.
Noir.
Ce qui s’était passé après, il l’a oublié. La fin de la nuit, son réveil, l’éclosion du jour et son retour se perdent dans les brumes du rituel. La dernière vraie image qu’il garde de cette soirée est celle de Chinetta, repérée derrière un arbre où elle s’était cachée. Il se doutait qu’elle le suivrait, pour voir s’il allait recommencer ici ce qu’il avait fait auparavant, de l’autre côté des Alpes.
Il l’avait laissée faire. Elle ne devait pas se fatiguer, dans son état, mais cette torture qu’elle endurait en l’observant était si douce à son cœur. Était-elle jalouse ? Était-elle dégoûtée, révoltée, peinée pour l’autre femme ? Était-elle secrètement soulagée qu’une autre ait été choisie ? Il sourit. Elle est tout cela. Bien. Il se sentait bien. Serein. Calme. Reposé. Au fil du temps, ces moments étaient devenus rares.