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La mort de l’ours a bien donné ce que les esprits avaient annoncé. La tempête s’est levée avant même la tombée de la nuit. Elle hurle comme si elle mettait toute sa rage à secouer le wigwam.

— Le vent voudrait délivrer Makwa, dit Mooz en tirant sur sa pipe.

Le feu ronfle dans le fourneau de tôle et la lampe à pétrole est allumée. Sa lueur tremble, les peaux de la tente tremblent, tout remue et grince.

L’ours est là, allongé dans sa fourrure noire et luisante où perlent des gouttes. La lumière mouvante donne à ses grosses pattes et à son ventre rond une apparence de vie. Seule sa tête engluée de sang gelé et sa gueule ouverte montrent que la bête est bien morte.

Devant la tente, les chiens pleurent.

— Vous en aurez, leur crie Mooz. Taisez-vous !

— Ils se fatigueront.

Les femmes passent longuement les couteaux sur la pierre douce avant de commencer à dépouiller. Waboos vide un grand sac qu’il leur donne en disant :

— Vous mettrez ici les os que nul ne peut manger. Demain, nous irons les porter sous la glace du lac.

— Demain, la tempête sera terrible, fait Papigan.

— Demain, la tempête sera finie, réplique Waboos. Tu sais bien que la tempête de l’ours ne dure qu’une nuit. Juste le temps d’apaiser les dieux. Nous irons noyer les os pour que les bêtes ne puissent pas les traîner partout. Nous le ferons comme toujours parce que Makwa est notre Grand-Père à tous. Makwa est bon et généreux. Il donne sa viande à ses fils, mais ses fils ne doivent pas laisser souiller sa dépouille.

Il parle gravement. Exactement comme s’il enseignait aux autres ce qu’ils ont pourtant maintes fois entendu depuis l’enfance.

 

Ce soir, ils mangent de la cuisse d’ours. Chacun une belle tranche grillée. Ils la mangent lentement, avec de la banique.

Lorsqu’ils ont fini, Mooz se met à raconter les Magushan d’autrefois. Ces repas qui suivaient la mort de l’ours quand tout le village s’assemblait pour la fête. Il parle des chants et des danses, il fredonne des airs que les autres reprennent avec lui, mais ces chants n’ont plus de vigueur. Ils portent en eux la tristesse des années mortes dont on sait qu’elles ne reviendront plus. Il n’y a plus le tambour ni la crécelle. Il n’y a que les lamentations du vent qui tourne autour de leur refuge et pleure la mort de son ami Makwa.

Pour tenter de dissiper la tristesse qui les étreint, dès que Mooz se tait, Waboos essaie de raconter l’histoire du petit garçon qui avait suivi la piste de Kisis, le soleil roi des astres, et qui lui avait tendu un piège pour le capturer. Les autres l’écoutent en hochant la tête, mais nul n’a vraiment le cœur à la joie.

Ils sont comme si la mort de l’ours avait déclenché une tempête que rien, jamais, ne saurait apaiser.