10

Cette nuit, les trois chiens ont dormi avec leurs maîtres, dans le wigwam. Deux fois, ils ont hurlé en flairant sous la portière. Les deux fois, Waboos, qui s’était couché tout habillé et botté, a bondi sur son fusil. Il est sorti en criant :

— Tenez les chiens, ils se feraient tuer !

La nuit était voilée, pourtant, la deuxième fois, il a vu une ombre bondir entre les épinettes. Il a tiré, en vain.

Et, ce matin, non seulement il y a partout des traces du carcajou, mais il a même rongé une lanière de cuir qui était attachée à l’un des toboggans pour tenir une caisse.

— Si nos chiens étaient restés dehors, constate Mooz, ils seraient morts tous les trois.

Waboos ne dit rien. Son visage reste tendu. Il précipite le départ. Pendant que les autres démontent les peaux, il court jusqu’au lac. Il y a cinq beaux poissons à sa ligne. Il les rapporte et les lance aux femmes en grognant :

— Si la trappe avait donné autant, on pouvait rester là quelques jours.

Ils sont vite prêts à partir. Le ciel qui semblait chargé de neige s’est déchiré d’un coup. Le vent a tourné au nord. Il éparpille les nuées et se laisse tomber sur la terre avec une violence soudaine qui surprend. Il ne porte pas de neige mais de la glace.

— C’est le pire des nordets, constate Nika. Celui qui perce les vêtements. Il va chercher la peau de l’homme sous la fourrure et il la mord comme un loup.

— Heureusement qu’il nous pousse, observe Mooz. Nous l’aurions en pleine face, ce serait bien pire.

Ils vont à bonne allure, mais, à cause des quintes de toux, ils sont obligés de s’arrêter à plusieurs reprises. Chaque fois, il faut allumer un feu et préparer une infusion. C’est une perte de temps considérable et Mooz se lamente.

— Tais-toi, gronde Papigan, tu te fais tousser !

Le soir, Waboos constate :

— Nous mettrons au moins quatre jours.

Le matin du deuxième jour, en dépit du vent de plus en plus violent, ils relèvent des traces tout près de la tente. Le carcajou les a suivis.

— Je le savais, dit Nika, les chiens étaient contre moi, ils ont remué et grogné trois fois.

— Tu aurais dû me réveiller, reproche Waboos.

Sa femme hausse les épaules.

— Pour te faire gaspiller de la poudre ?

— Si on ne le tue pas, il ne nous foutra jamais la paix. Il va s’accrocher après nous. Il sait que nous tendrons des pièges. C’est un mauvais chasseur. Il faut que les autres chassent pour lui.

Dans la matinée, alors qu’ils se sont arrêtés pour faire prendre une infusion à Mooz, Skouté, qu’ils ont dételé, file comme une flèche. Waboos saute sur son fusil et part derrière lui. Il a à peine disparu depuis quelques minutes dans la tempête que cinglent deux coups de feu.

— Il n’a pas pu le tuer en plein jour, affirme Mooz. C’est autre chose.

En effet, Waboos revient bientôt avec deux perdrix des neiges.

Ce soir-là ils campent près d’un lac tout en longueur où court une rivière qu’ils connaissent bien. Mooz annonce :

— Ici, la vie de l’eau est belle sous la glace. Il y a beaucoup de poissons, toujours.

Waboos le sait. Il amorce deux lignes avec les ventrailles de perdrix et va creuser pour les tendre en deux points différents du lac.

Cette nuit-là, le froid est encore plus intense et le vent est une terrible lame.

À l’aube, Waboos rapporte neuf dorés de belle taille et deux petites truites.

— Vous pouvez tendre les lignes. Trois ou quatre jours ici, et ça fera du poisson. Moi, je vais partir avec un des chiens jusqu’à notre échafaud. Je rapporte la viande et nous pourrons tenir jusqu’à ce qu’il fasse moins froid et que Mooz tousse moins.

— Tout de même, fait Mooz, tout seul…

Waboos l’interrompt :

— Est-ce que tu n’es jamais allé seul en forêt ?

— Bien sûr, mais…

Sa toux l’empêche d’en dire plus.

— Demain, je partirai très tôt. En deux journées, je peux faire l’aller et le retour.

— Prends au moins deux chiens.

— Non… Seulement Skouté.

Personne n’a rien à ajouter. Simplement, Nika propose :

— Demain, nous monterons un wigwam. Pour quelques jours, ça vaut la peine. Le froid se raidit. Il va s’accrocher au pays et il risque de rester encore plusieurs lunes.

Les autres approuvent. Ils n’ont plus qu’à attendre.