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Nika a préparé les deux bêtes, qu’elle cuira demain. Elle est sortie pour donner aux braillards une partie de la ventraille. Skouté a eu la plus grosse part. À présent, il faut lui arracher les aiguilles qui sont restées plantées dans son museau. Il en a même une pas loin de l’oeil gauche, et Papigan observe :

— Je ne le croyais pas capable de ça. Il est paresseux.

— La faim donne du courage.

— Je vais le remettre dehors, à présent qu’il n’a plus d’épines. Le froid va le cicatriser.

— Il faut détacher les autres. On sait pas, ils peuvent encore chasser.

Waboos sort avec Skouté et va libérer Kino et Wibatch.

— Allez chasser… Allez !

Comme s’ils avaient compris, les trois chiens partent dans la direction où a eu lieu la première prise. L’homme les regarde s’éloigner. À Kino, qui s’arrête et se retourne, il crie :

— Allez ! Kag ! Kag !

Et le chien se hâte pour rattraper les autres. Waboos demeure un moment immobile. Il observe le ciel. Le vent s’est levé et la lune commence à boire. L’homme rentre lentement et dit :

— Il va neiger. Nous avons bien fait de monter un camp solide.

Mooz, qui s’est recouché, continue de tousser à s’arracher la poitrine. Ses amis restent encore un long moment à fumer et à boire du thé. Après un silence qui leur permet d’entendre grandir le vent, Papigan montre les deux bêtes mortes et raconte :

— Un jour que notre père était tout seul au bord de la Grande Rivière, il a quitté sa tente pour aller pêcher. Kag est entré. Il a cherché. Il a tout retourné. Ce qu’il voulait, c’était le sel. Il a trouvé la provision et il a tout dévoré. Quand notre père est revenu, Kag avait tellement mangé qu’il ne pouvait plus se sauver. Le père l’a tué d’un coup de hache. Il l’a dépouillé. Il l’a fait cuire. Mais il n’a jamais pu le manger tellement la viande était salée. Et même les chiens n’en ont pas voulu.

Longtemps, ils restent éveillés à la lueur du feu, à raconter des histoires de porcs-épics. La légende se mêle à leurs souvenirs et à ce qu’ils ont entendu dire par les vieux. Souvent, ils sont interrompus par la toux de Mooz, qui continue de cracher et de pester contre son mal. Lui aussi aurait des choses à raconter.

Tard dans la nuit, alors qu’ils sont couchés depuis longtemps, ils entendent japper les chiens. Le bruit est assourdi. Le vent miaule beaucoup moins fort. Ce n’est pas qu’il soit moins violent, mais l’épaisseur de la neige sur les peaux éloigne sa voix et c’est comme si sa colère s’était apaisée.