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Ni la neige, ni le froid, ni sa peine n’ont fait perdre à Waboos le sens de l’orientation. Dès après la mort de son chien et du carcajou, il a piqué droit sur le lieu où se trouvent les autres et il va en pensant à eux, à leur wigwam où il doit faire chaud.

Est-ce que Mooz est toujours malade ? Est-ce que les femmes ont pu trapper et pêcher ?

À présent que le carcajou est mort, la trappe devrait être possible.

Le premier soir, avant de se coucher près de son feu, il a tendu trois pièges et deux collets. Rien dans les pièges mais, grâce aux ramures de bouleau, un gros lièvre était pris qu’il a fait cuire avant de reprendre la route. Cette viande chaude lui a redonné des forces, mais il pense à Skouté, qui n’est plus là pour croquer les os.

Le soir du deuxième jour, il s’arrête avant la nuit près d’un petit lac qu’il connaît bien pour y avoir souvent pêché avec Mooz. Il tend deux lignes. Puis, son feu allumé au pied d’une roche qui lui évite de dresser une claie, il va poser des collets.

Le lendemain matin, il découvre trois lièvres et sort de dessous la glace du lac quatre truites et deux dorés énormes. Il est tellement heureux qu’il revient à son feu en rythmant sa marche avec le nom des poissons qu’il répète presque en chantonnant :

— Oga… Majamégons… Oga… Majamégons…

Il décide de rester ici une journée et une nuit encore. Il imagine la joie des autres lorsqu’ils le verront arriver avec du gibier et du poisson.

Au cours de la journée, il a la chance de tuer deux perdrix blanches et de prendre encore un poisson. Il nettoie et prépare tout ça. Il met dans une poche en peau tous les déchets qui serviront là-bas à amorcer des lignes et des pièges. Il garde même les os des perdrix pour le chien. Et il dit :

— Skouté, tu es mort pour nous. Tu as donné ta vie pour nous sauver. Tu m’as permis de tuer le carcajou, et la trappe peut reprendre. Et la vie peut nous revenir. Skouté, tu iras au paradis des animaux.

Cette nuit-là, il dort beaucoup mieux, ne se réveillant que pour recharger son feu.

Le nordet, qui avait faibli, reprend de la force avant l’aube et tire derrière lui une terrible froidure. Waboos sait qu’il lui reste encore une autre longue journée à marcher. Il ira en pensant à ceux qu’il va retrouver. À la joie qu’il leur apportera avec ses prises. À leur tristesse aussi quand ils apprendront comment le pauvre Skouté est mort.

Cette dernière nuit, il a tendu des collets, mais sans grand espoir. La tempête est telle qu’elle est seule à bondir encore sur l’immensité de la taïga.

Toute vie s’est terrée. Pas un oiseau, pas un lièvre, rien qui ose sortir et affronter le vent. Waboos doit se relever souvent pour recharger son feu et il sent de nouveau la fatigue lui serrer les reins. Le nordet est un grand dévoreur de bois.