16

1910

— Il me faudrait deux excellents alpinistes pour l’ascension finale, déclara Geoffrey Young.

— Pensez-vous à quelqu’un en particulier ? demanda Hinks, le secrétaire de la Royal Geographical Society.

— Oui, répondit Young d’un ton ferme, ne souhaitant pas divulguer de nom. Mais ils ne le savent pas encore.

— Alors peut-être feriez-vous mieux de leur en toucher un mot, suggéra Hinks. Et à titre strictement confidentiel, car à moins que le dalaï-lama ne nous donne sa bénédiction, nous n’aurons même pas l’autorisation de traverser la frontière et d’entrer au Tibet.

— Je leur écrirai à tous les deux ce soir, répondit Young.

— Rien par écrit, si je puis me permettre, dit le secrétaire. (Young opina.) Et j’ai besoin que vous me rendiez un petit service, par ailleurs. Quand le capitaine Scott…

 

L’un des problèmes que George rencontra au cours des premières semaines à Charterhouse, fut d’être pris souvent pour un élève. Dès qu’il ne portait pas son mortier et sa toge, à vrai dire.

Il apprécia son année scolaire bien plus qu’il ne l’aurait cru, même si la classe de première était peuplée de monstres bien déterminés à perturber ses cours. À l’approche des examens, certains élèves changeaient radicalement de comportement. Ils concentraient, à la grande surprise de George, toute leur énergie à s’assurer une place dans l’université de leur choix. George fut ravi de passer d’innombrables heures à les aider à réaliser cet objectif. Toutefois, lorsque son père lui demanda pendant les vacances d’été ce qu’il aimait le plus dans son travail, il mentionna le fait d’entraîner les garçons au foot pour le tournoi des Colts en hiver, au hockey dès le printemps, et puis surtout de pouvoir emmener un groupe faire de la randonnée en été.

— De temps en temps, ajouta-t-il, on a plaisir à tomber sur un gamin exceptionnel, qui fait preuve d’un véritable talent, d’une grande curiosité, et dont on est certain qu’il se fera un nom dans le monde.

— As-tu rencontré un tel modèle ? s’enquit son père.

— Oui, répondit George sans autre explication.

 

Par une agréable soirée d’été, George se rendit à Londres en train, puis à pied jusqu’au numéro 23 Savile Row, dans Mayfair, pour dîner avec Geoffrey Young. Un portier l’accompagna jusqu’au bar des membres, où George trouva son hôte en train de bavarder avec un groupe d’alpinistes d’un certain âge, qui racontaient de grandes aventures sur des montagnes encore plus grandes. Quand Young vit son invité entrer dans la pièce, il vint le chercher et le guida vers la salle à manger en lui disant :

— Je crains qu’un tabouret de bar ne soit la chose la plus haute sur laquelle cette bande puisse monter ce soir.

Pendant qu’ils savouraient un repas composé d’une soupe Windsor marron, d’un steak et d’une tarte aux rognons, suivis d’une glace à la vanille, Young exposa à George le programme prévu pour leur future expédition dans les Alpes. Mais George avait le sentiment que son hôte avait quelque chose de plus important en tête, car il lui avait déjà écrit, en lui exposant dans le détail, les nouvelles ascensions qu’ils tenteraient cet été. Ce ne fut pas avant qu’ils ne se retirent dans la bibliothèque pour prendre un café et un brandy que George découvrit la véritable raison de l’invitation de Young.

— Mallory, dit celui-ci une fois qu’ils se furent installés dans le coin opposé de la pièce, je me demandais si vous accepteriez d’être mon invité à la RGS, jeudi prochain au soir quand le capitaine Scott parlera à la société de sa future expédition dans le pôle Sud.

George faillit renverser sa tasse de café : il était tellement excité à l’idée d’entendre l’intrépide explorateur parler de son Voyage de La Découverte. Il venait justement de lire dans le Times que tous les billets avaient été réservés quelques heures après que la société avait annoncé le nom de l’orateur de sa conférence commémorative annuelle.

— Comment avez-vous réussi à…

— En tant que membre du Comité du Club alpin, l’interrompit Young, j’ai pu dégotter trois billets grâce au secrétaire de la RGS. Toutefois, il m’a demandé un petit service en échange.

George voulut poser deux questions à la fois, mais il devint vite évident que Young les avait anticipées.

— Bien sûr, vous serez intéressé de savoir qui est mon autre invité, dit Young. (George opina.) Eh bien, ce ne sera pas une grande surprise, j’ai invité le seul autre alpiniste de votre trempe.

Young marqua une pause.

— Mais je dois avouer que le service que le secrétaire de la RGS a demandé est plutôt surprenant.

George posa sa tasse de café sur une petite table voisine, croisa les bras et attendit.

— C’est très simple, en réalité, poursuivit Young. Une fois que le capitaine Scott aura fini sa conférence et demandera s’il y a des questions, le secrétaire veut que vous leviez la main.