Avec Clara et Jean, notre vie à trois dura encore quelques mois.
La semaine, le collège me faisait retomber en enfance. Je travaillais. Je poussai même un jour le sérieux jusqu’à copier l’intégralité du devoir de mon voisin, y compris son nom. Mon professeur salua avec humour cet excès de zèle. C’était la première fois qu’il voyait un tricheur signer son forfait avec autant d’élégance. Une autre fois encore, atteint de dyslexie amoureuse, j’écrivis le nom de Clara à la place du mien sur une copie. Hormis ces quelques maladresses, je travaillais bien car j’étais heureux.
Le week-end, le plus souvent, je retournais attiser la jalousie de Jean dans les bras de Clara. Jean et moi apprenions à nous haïr, à nous aimer. Les vieux ennemis ont parfois de divines complicités. Je racontais à mon père qu’un travail harassant me clouait à la pension pour le week-end, et j’allais chez Clara. Papa me croyait et se félicitait de mes bonnes dispositions.
Les seules taches d’ombre dans cette vie merveilleusement réglée, ou plutôt si délicieusement déréglée, étaient les week-ends où je devais rentrer à la maison. Je retrouvais l’atmosphère sinistre de notre appartement.
Mon père continuait à habiller de noir son existence. Son deuil interminable m’accablait chaque fois davantage. Alors, quand la coupe était pleine, je courais retrouver Clara. Sa maison riante m’accueillait à lit ouvert. Ses caresses me rassasiaient. Nous faisions l’amour à en perdre la tête pour oublier la mort de ma mère.
Chez Clara, c’était mieux qu’une auberge espagnole. On y trouvait plus que ce qu’on y apportait. J’apportais mes seize ans, et j’y trouvais l’amour, le vrai.