16
Alerte à mâle imbu
Pour avoir de gros seins, je
mets du blanc de poulet dans mon soutien-gorge ! Mais je ne
vous raconte pas l'odeur…
Keira Knightley
2 h 05
Nous marchons à l'aveuglette sans parvenir à
revenir sur nos pas. Au bout de deux longues heures de recherches
infructueuses, tout le monde est épuisé, sale et énervé.
Nous nous sommes beaucoup engueulés, chacun
rejetant sur l'autre la responsabilité du fiasco de cette fin de
soirée. Alors, depuis un bon quart d'heure, plus personne ne
parle.
Nous avançons à travers cette forêt qui semble
n'en plus finir. L'atmosphère de notre groupe n'est qu'une grande
bouderie silencieuse. C'est ma copine qui craque la première.
– J'en peux pluuus…, gémit Clotilde, j'ai mal
aux pieds, j'ai froid, je suis crevééée…
Elle se tient la tête qu'elle secoue avec
désespoir.
Pour moi, c'en est trop. Si elle craque, il n'y a
plus de raisons que je tienne.
Je m'arrête, vais m'asseoir contre un tronc
d'arbre, et me retiens de toutes mes forces de pleurer. Dans un
sursaut de colère contre notre impuissance, j'agite ma sublime
paire d'escarpins à talons hauts toute crottée que je tiens à la
main depuis le début de nos pérégrinations, et je
hurle :
– Stop ! Allez tous vous faire voir,
bande de nazes ! ! Moi aussi j'ai des échardes dans les
plantes des pieds, des insectes entre les dents, et j'ai mal aux
yeux parce que mes lentilles me brûlent, et… et…
Mon menton a atteint le comble de son agitation,
je ne peux plus rien faire, je vais… attention, je vais… ça y est,
je fonds en larmes. Clotilde vient s'affaler près de moi, ses nerfs
lâchent aussi, nos têtes se rejoignent et nous accordons en rythme
la production de notre fluide lacrymal. Nous sanglotons bruyamment,
bras ballants, morve au nez, toutes les deux harassées de fatigue
et d'angoisse.
Près de nous, un petit oiseau solidaire vient se
poser sur une branche basse, et lance quelques mélodieux trilles
d'encouragement qui me réchauffent le cœur. Puis, d'un coup d'aile,
il décide de rentrer chez lui, parce que c'est bien joli de
traînailler en regardant les dames, mais moumoune va encore
rouspéter s'il rentre sans rapporter de vermisseau.
C'était bien le seul à sembler s'émouvoir de notre
sort, car devant nous se tiennent deux ballots, les poings sur les
hanches, en train de se lancer des regards en biais qui
signifient : « Bon, on fait quoi, on les
laisse ? »
Une goutte tombe sur le bout de mon nez.
Instinctivement, je lève la tête pour voir si
notre ami le piaf nous quitte en me laissant un cadeau d'adieu,
mais non.
Il commence à pleuvoir.
2 h 13
C'est une petite pluie fine d'abord, de plus en
plus drue ensuite.
Elle prend de l'ampleur tandis que nous nous
mettons tous les quatre à courir instinctivement vers un
abri-sous-roche devant lequel nous sommes passés quelques instants
plus tôt.
L'asile est providentiel, et la nuit, avant que
les lourds nuages gorgés d'eau ne l'assombrissent totalement, était
éclairée d'une pleine lune. Je frissonne lorsque je pense à ce
qu'elle évoque dans l'un de mes romans. Pourvu, oh mon Dieu, pourvu
que ce Basil n'ait aucun rapport avec le Loverboy qui sévit dans
Au secours, il veut
m'épouvanter !
Sinon, on est fichus.
Recroquevillés sous nos vestes trempées, nous
pénétrons dans l'antre peu profond à la suite de Jerry.
Basil, tout dangereux qu'il puisse être dans mon
esprit (ou pas), s'arrête à l'entrée et nous laisse, avec beaucoup
de galanterie (de couardise ?), passer devant.
Lui ne s'est pas protégé la tête avec son
vêtement, aussi de l'eau ruisselle-t-elle en traînées sur son
visage.
Comme si de rien n'était, il s'adosse à la paroi
du renfoncement et, dans l'ombre, allume une cigarette.
À peine a-t-il eu le temps d'exhaler une bouffée que Jerry lui
pique son briquet des mains.
– Fallait le dire que tu avais ça sur
toi !
– Eeeeh ! Fais gaffe, mec ! Ce
briquet m'a été offert par Johnny Depp himself !
– Ben comme ça tu pourras dire que tu l'as
prêté à Jerry Berdugo myself.
2 h 18
Mon cousin, efficace et rapide (on parle tout de
même d'un type qui passe ses soirées à chatter avec ses amis
virtuels, et à ouvrir la bouche uniquement pour que sa mère la lui
remplisse de mets aussi traditionnels que caloriques), ne tarde pas
à réunir quelques brindilles de bois encore sèches ainsi que de
gros cailloux pour circonscrire le feu qu'il s'emploie à faire
naître. Lorsque les flammes prennent enfin, Jerry se constitue une
petite réserve de branches dont il retire les feuilles, et qu'il
garde en petit tas, près de lui.
Puis, avec un soupir de contentement, il dénoue
ses lacets et retire ses chaussures.
Et là, s'il avait voulu nous asphyxier, il
n'aurait pas pu faire mieux.
Ses pieds, qui ont macéré un long moment dans une
atmosphère moite (roulés dans la sueur, pour finir pétris dans
l'eau de pluie), ont comme qui dirait moisi.
Et entre se prendre une averse sur la frange ou
imprégner mes voies respiratoires de ce fumet immonde, la question
se pose très sérieusement.
2 h 27
Basil vient enfin nous rejoindre et s'assoit
lourdement près du feu.
Au loin résonne le cri effrayant d'un animal
sauvage.
Clotilde, incommodée elle aussi par le parfum
d'intérieur, se met à trembler.
La nuit est fraîche, et le petit feu de bois qui
crépite met du temps à nous réchauffer.
– D… dis, copain, demande-t-elle au beau
gosse. P… pourquoi ne retournerais-tu pas te poster à l'entrée de
la caverne, prêt à retirer toi aussi t… ta godasse d'enfumage, au
cas où une bestiole dangereuse voudrait approcher ?
Basil ouvre la bouche, mais c'est Jerry qui
répond.
– Inutile. D'une part, parce qu'on ne craint
rien tant qu'un feu est allumé. D'autre part, parce qu'on a
beaucoup marché, qu'on va marcher à nouveau demain, et qu'à ma
connaissance, il n'y a pas de rivière dans le coin.
– Et alors ? demande-t-elle en haussant
les épaules.
– La déshydratation, tu connais ? Pas
celle qui donne à tes pointes cet horrible aspect de fourches
cassantes, mais celle qui risque de nous clouer ici si on ne boit
pas suffisamment.
– Tu veux dire qu'il faut qu'on sorte essayer
d'attraper des gouttes de pluie la langue tendue ? je demande,
effarée.
– Nooon, dit mon cousin. C'est une méthode
archaïque et insuffisante en termes de volume ingéré.
– Bon, tant mieux. Alors c'est quoi ton
idée ?
Il sourit, et, sans un mot, agite son mocassin en
cuir.
– Attends, ne me dis pas que tu veux qu'on
utilise nos chaussures pour servir de récipients, quand même ?
C'est non seulement dégueulasse, mais nos pompes à Clotilde et à
moi sont ouvertes sur le devant, donc… (Je percute.) Oh mon Dieu,
ahahaha ! (Rire nerveux.) Même-pas-en-rêve.
– Allez, cousine, fais pas ta chochotte. Je
te laisserai boire la première.
– Dans ta savate puante ? ! Plutôt
crever !
Basil intervient.
– Personnellement, il est hors de question
que j'ingère une eau non filtrée. Avec tous les produits chimiques
qu'on balance dans l'atmosphère… Et puis je garde mes grolles,
hein, elles coûtent un bras, et j'ai froid aux pieds la nuit.
Je tourne la tête vers lui, et ma peau se couvre
aussitôt d'une épaisse couche de chair de poule. À la lumière
des flammes, il est transfiguré.
Deux coquards noirs auréolent ses yeux, qui ont
perdu cette incroyable couleur bleu lagon qui avait failli (oui,
« avait failli », j'insiste) me captiver. Enfin, c'est
surtout un œil qui l'a perdue, celui qui a vu gicler sa lentille
teintée. Il est tout marron, le pauvre. Quant au mascara qui suinte
sur ses paupières, il explique avec beaucoup d'humour ce qui
faisait l'étrangeté de son regard.
2 h 35
Jerry continue sur sa lancée :
– Ou sinon, il y a aussi l'option de boire
son propre pipi.
Clotilde se met à brailler :
– Mais faites-le taiiire !
2 h 36
Basil a remarqué que je le fixais avec insistance.
Il lève le menton et me demande :
– Qu'est-ce qu'il y a, pourquoi tu me mates
comme ça ?
– Non, pour rien… tu as… attends, voilà, je
te l'ai enlevée… une petite feuille collée sur l'oreille.
– Merci, dit-il en ramenant sans y penser sa
longue frange détrempée vers l'arrière, dévoilant un front, comment
dirais-je, qui n'en finit plus d'exister.
Décidément, ce garçon ne se lasse pas de me
surprendre. La came de Clotilde serait-elle en définitive de la
camelote ?
Cela confirme mes soupçons : ce type-là joue
un jeu, et l'idée de passer la nuit dans le même périmètre que lui
me fiche sérieusement les jetons.
Comme par hasard, il nous perd d'abord en voiture,
ensuite comme un fait exprès, il nous perd en forêt. Ça veut dire
quoi, au final ? Que nous sommes perdus ?
Et puis cette manie qu'il a de garder les mains
dans ses poches pour en trifouiller le contenu, j'aimerais bien
savoir ce qu'elles recèlent…
Heureusement, nous sommes plusieurs à pouvoir nous
défendre : on a le choix entre un type qui a séché les cours
de gym depuis sa cinquième, une fille qui veille à ses ongles comme
si ses doigts se terminaient par des petits caniches en verre filé,
et puis il y a moi, qui peux tout au plus utiliser la clé de ma
chambre d'hôtel pour le griffer s'il s'approche, à condition de
retrouver ma pochette balancée je ne sais où dans le noir.
Raaah, mais c'était dans quel roman, déjà, cette
fameuse scène de corps à corps qui se terminait avec un coup de
genou dans les glaouis ?… C'était un de mes tout premiers
livres… Ah oui, Les Manipulations d'Ute la
divorcée .
C'est décidé, je crois que je vais veiller. J'en
suis sûre, même.
Le temps que Clotilde se secoue, et réalise qu'à
cause de l'incandescence de son fondement, nous sommes coincés ici
avec un fou dangereux.
Tout ça parce que mademoiselle s'est offusquée de
trois petites gouttes de salive égarées par le garçon charmant que
JE lui avais trouvé.
En même temps, je comprends qu'elle soit
difficile.
Cette fille est quand même sortie avec Joe, qui
piquait son portable pour envoyer des SMS d'insulte à tous les
hommes de son carnet d'adresses, avec Marcel, qui avait l'originale
particularité de péter en faisant l'amour, avec Siméon, le type qui
ne se souvenait jamais de son prénom, avec Karl, le beau ténébreux
qui aimait lui emprunter ses sous-vêtements pour les essayer, et je
m'arrête là, parce que j'ai l'impression d'égrener la liste des
personnages de mon prochain thriller.
Si seulement elle ne se laissait pas mener par le
bout de ses nénés…
Arf. Je lui en veux, mais je lui en
veux !
2 h 45
– Je ne sais pas combien de temps on va
rester coincés ici, dit Jerry en se mettant debout, mais si on se
rend compte de notre disparition, il faut signaler aux gens qui
vont nous chercher que nous sommes planqués là.
Je ne peux réprimer un frisson d'inquiétude.
– Qui veux-tu qui nous cherche ? En ce
qui me concerne, Aaron est à des centaines de kilomètres
d'ici.
– J'ai l'habitude de couper mon portable
pendant plusieurs jours d'affilée. Il est d'ailleurs resté dans la
voiture. Personne de mon entourage ne va percuter, dit Basil.
– Moi, j'ai prévenu le bureau que j'étais en
vacances, alors…, fait Clotilde, qui se tient recroquevillée près
du feu, essayant de réchauffer ses mains aux doigts blancs en les
tendant vers les braises.
2 h 47
Bouillonnant intérieurement, je la contemple un
long moment, avant de lui lancer :
– Pourquoi ne suspendrais-tu pas ton
soutien-gorge à un arbre, là, juste devant, pour signaler notre
présence ici ?
– Ben… j'en ai besoin, comment veux-tu que je
fasse, sans ?
– Allez, ma chérie, ne fais pas ta coquette.
Tu sais bien qu'il est purement décoratif. Et comme tout élément
décoratif, il sera bien plus à sa place suspendu à une branche,
qu'entourant le buste d'une vieille branche.
– Mais, fait-elle en minaudant à mort devant
Basil, avec ma robe mouillée, je risque d'avoir les seins qui
pointent… C'est indécent et totalement inapproprié, vu
l'endroit.
– Réjouis-toi, durant quelques instants tu
auras ainsi l'illusion de remplir ton bonnet A.
Elle accuse le coup, et se redresse pour mieux me
toiser. Le climat devient soudain électrique.
– Sache, ô ma perfide amie, sache que quand
repoussera ta moustache, c'est-à-dire dans quelques heures, je me
gausserai de toi avec la vigueur des petites filles que tu as
côtoyées dans la cour de récré avant que la cire ne sauve ta vie
sociale.
Je hausse les épaules, vexée comme un pou.
– Allez, on va dire que je ne t'en veux pas,
je comprends que tu aies besoin de te consoler de cette cruelle
injustice qui marque ton visage : les blondes se fripent plus
vite. En même temps tu n'y peux rien, c'est la nature.
– C'est marrant, moi de mon côté j'ai surtout
constaté que les brunes étaient infiniment plus poilues. Un retour
à la nature ?
– Vade retro, micro-mammellas !
– Femme à fesses !
– Ben profites-en pour leur parler, tiens, ma
tête est malade.
– Ah, tu l'admets enfin ?
– Oui, c'est la suractivité neuronale qui
m'épuise. Tu peux pas comprendre.
– Dites, les filles…, tente Jerry avec
précaution. Sinon, on peut aussi essayer d'attirer l'attention en
suspendant mes chaussettes…
2 h 57
Sans lui répondre, je m'allonge par terre, après
avoir roulé en boule la veste que je portais, pour m'en faire un
oreiller de fortune. Dans l'abri presque complètement ouvert, le
petit feu de bois nous procure une douce chaleur, mais je ne suis
pas sûre du tout qu'il tienne toute la nuit, vaporisé qu'il est par
d'incessantes gouttelettes de pluie.
Dix minutes s'écoulent, dans un silence bercé par
le clapotis de l'eau qui tombe.
Plus personne ne dit rien, chacun est réfugié dans
ses songes.
3 h 07
Dans un souffle, je prononce :
– Clotilde ?
– Hum ? dit-elle sans bouger.
– Je suis désolée, pardonne-moi.
Elle soupire, et me répond sur le même ton
feutré :
– Non, moi aussi j'ai déconné…
– Oui, mais moi plus.
– C'est vrai, mes mini-nichons et moi, on te
l'accorde.
– Arrête, tu as une poitrine sublime. Toi au
moins tu n'as pas l'air vulgaire dès que tu mets un bustier.
– Absolument. Et je peux m'allonger comme je
veux sur le ventre.
– Et les hommes connaissent tous la couleur
de tes yeux.
– À propos de ce que j'ai dit sur tes
poils, fait-elle avec malice. Écoute, quel que soit le temps qu'on
passera coincés ici, sache que j'ai dans mon sac à main une pince à
épiler, et qu'à compter de cette seconde, elle est tienne.
Je lui réponds sur le même ton :
– Non, tu peux la garder. Profites-en pour
t'épiler le pudendum.
– Le quoi ?
– Le rien ma chérie, laisse tomber.
Assise près de moi, les genoux repliés contre son
menton, elle laisse glisser ses doigts au sol, dans ma direction.
Je les lui attrape et les serre affectueusement. Elle répond à mon
étreinte, et s'allonge elle aussi. Ça y est, on est
réconciliées.
Nous sommes tête contre tête, plaquées le long de
la paroi de l'abri rocheux. Nos cheveux se frôlent, ou plus
exactement, ses longues mèches se mélangent aux tortillons de
caniche de ma coupe trop courte qui n'a pas résisté à
l'humidité.
3 h 10
Les hommes, eux, ne dorment pas.
Ils observent la nuit, la pluie devenue très fine
qui ricoche à leurs pieds.
Jerry se tourne vers nous, et annonce :
– Demain, on bouge à la première heure. Pas
une minute à perdre, on retrouve cette bagnole de merde, et…
– Hé ! Doucement, mec, n'insulte pas ma
caisse. On parle d'une voiture qui t'a fait économiser un taxi,
là.
– Plaît-il ? demande Jerry, en haussant
le sourcil. Mais j'aurais préféré en payer dix, des taxis, plutôt
que d'infliger cette souffrance à ma mère. Elle doit être morte
d'inquiétude, la pauvre, à l'heure qu'il est. (Il se tourne vers
nous.) Je l'appelle toujours avant de me coucher, quand je ne dors
pas à la maison.
– À propos de ta mère…, dis-je, en
marchant sur des œufs. Tu sais, le texto que tu as reçu, de la
maternité où tu es né…
– Il hausse les épaules, fataliste.
– Ne parlons plus jamais de cette histoire.
Pour moi, elle est réglée. J'ai pris ma décision, je ne veux pas
savoir.
– Savoir quoi ? demande Clotilde.
Perdu dans ses pensées, il semble ne même pas
l'avoir entendue.
– Tu sais, me fait-il, les yeux dans le
vague. Tu as toujours cru qu'elle m'étouffait, qu'elle m'empêchait
de mener ma vie, mais en fait, pas du tout, c'est exactement le
contraire. C'est moi qui l'empêche de refaire la sienne. Je n'ai
envie ni de grandir, ni de vieillir, ni d'avoir de gosse, les
responsabilités me prennent le chou, alors… eh bien, elle s'occupe
de tout. Du toit sur ma tête, des repas, de mon linge, et aussi
d'éviter que les filles ne s'accrochent à moi trop longtemps, ce
qui me convient parfaitement. En réalité, c'est moi son boulet, pas
l'inverse.
3 h 15
Basil s'approche, époussette le sol de sa main,
observe le résultat, époussette encore, et s'assoit près de
lui.
– N'empêche, ce que tu as dit sur ma caisse,
c'était pas cool, mec.
Je sursaute.
– Mais, Basil… tu as une miette,
là ?
– De quoi est-ce que tu parles ?
demande-t-il nerveusement.
– Là, au coin de la bouche ! Qu'est-ce
que tu planques, dans tes poches ?
Il s'essuie les lèvres d'un coup sec du revers de
la main.
– Mais rien, lâche-moi.
– Attends, mon cousin nous offre
l'hospitalité dans ses chaussures pour étancher notre soif, et toi
tu planques un doggy bag dans ta poche
sans nous le dire ?
Il se redresse, piqué au vif.
– Hé, ho, je vous dois rien, OK ? On a
beaucoup marché, j'ai besoin d'absorber un taux constant de
protéines pour ma masse musculaire. On parle d'un truc important,
là. Chacun sa merde, vous n'aviez qu'à vous préparer votre propre
casse-croûte.
3 h 20
Toujours allongée par terre, je me colle contre
Clotilde et lui susurre à l'oreille :
– Ouf, maintenant je suis soulagée. Tu avais
raison, ce type est rigoureusement normal.
– Ah, tu vois ?
– Il n'est pas dangereux, il est juste
surhumain de débilité.
– Ouais, comme disait ma grand-mère,
« trop beau, trop con ».
– À la rigueur, je préférais presque
quand on pensait que c'était un taré.
– Tu rigoles ?
– Ben non, au moins on aurait pu l'éliminer,
genre légitime défense.
– Ouais, alors que là, c'est lui qui va nous
tuer à petit feu avec sa chiantitude.
– Et on pourra rien faire.
– Eh ouais…