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Qui va là ?
Le romancier est fait d'un
observateur et d'un expérimentateur.
Émile Zola
Les gens commencent insensiblement à quitter le
buffet pour venir prendre place à leur table.
L'orchestre a entamé une petite musique
d'ascenseur pour accompagner leur changement d'état, passant de
cocktaliens à dinétosaures.
Moi je suis déjà installée, en compagnie d'un
couple de quadras qui viennent juste de s'engueuler. Tout le monde
a eu droit au spectacle de leurs vitupérations dents serrées,
laissant fuser quelques éclats de voix qu'ils ont tenté, tant bien
que mal, de contenir.
Assis côte à côte, contraints par le placement
effectué en amont, chacun se tient à distance respectable de
l'autre et de sa fourchette.
Ne les sentant pas enclins au bavardage, je
m'adonne alors, les mains croisées sous mon menton, à mon activité
favorite : observer les gens et les dénuder.
Oh, pas physiquement, non, j'ai déjà mon quota de
visions flippantes le matin devant ma glace. Mais moralement,
intellectuellement, émotionnellement.
Je regarde, je fixe, je scrute par-delà leur
maquillage, leur coiffure, leur attitude et leur intonation.
J'analyse, je tente de comprendre, je désamorce, je relativise.
J'aime essayer de ramener l'autre à sa plus simple expression, de
déceler ses failles, ses faiblesses, ses secrets cachés, j'aime
gratter pour découvrir.
Ce qui m'intéresse le plus, ce sont les hommes,
surtout les chauves, les ventripotents, les prétentieux, les
autoritaires, les effacés, les trop beaux, les chétifs, ceux pour
qui ça n'a pas toujours été facile. Je les imagine alors lorsqu'ils
étaient petits garçons.
Des enfants colériques, paresseux, sales, câlins,
ingénieux, cruels, peureux, rêveurs… Et je visualise ensuite le
chemin parcouru pour transformer l'essence de ce qu'ils étaient en
quelque chose de mieux. Ou de pire.
Bien sûr, tout se passe dans ma tête, et je n'ai
aucune certitude si ce que je me figure a le moindre rapport avec
la réalité. Mais j'aime à croire que oui. Un peu comme de résoudre
mentalement des équations mathématiques dont je ne vérifierai
jamais le résultat, mais dont je réutiliserai les calculs pour
construire les personnages de mes prochains romans.
Au niveau des femmes, je constate que les plus de
cinquante ans sont pratiquement toutes blondes.
C'est un fait scientifiquement reconnu, qui se
vérifie ce soir parmi la foule.
Le poids qu'elles prennent avec leur ménopause,
elles en allègent leur couleur.
Certaines sont rousses, ou auburn, mais c'est
juste une question de mois avant qu'elles n'abreuvent leur
chevelure d'eau oxygénée. Et plus elles prennent de l'âge, plus
elles s'éclaircissent. D'ailleurs, elles se trahissent
inconsciemment. Se référer à leur carnation capillaire est plus
efficace pour estimer leur âge réel qu'une datation au
carbone 14.
Personnellement je me suis juré, depuis petite, de
toujours rester brune. La teinte noire de mes cheveux fait ma
fierté, surtout depuis le coup des brunes qui ne comptent pas pour
des prunes, tout ça. Pourtant, j'ai commencé récemment à les strier
de petites mèches couleur châtaigne. Serait-ce le début de la
fin ?
On me tapote l'épaule.
Je me retourne, personne.
Lorsque je reviens à ma position initiale, je
découvre mon cousin Jerry, assis à côté de moi.
– Hey, salut homme à petites lunettes. T'es
venu ?
– Non, tu vois bien, je suis toujours à
Paris, patate.
– On dit Paname. Ta dyslexie te fait toujours
souffrir, à ce que je vois.
– C'est toi qui me fais souffrir, ma
chérie.
– C'est pour t'aider à être beau, car tu sais
ce qu'on dit aux gens comme toi : « Il faut souffrir
pour… »
– Inutile de t'inquiéter, je suis déjà au
maximum de ma beaugossitude.
– C'est bien ce que je t'explique.
Il regarde autour de nous.
– Ton frangin n'est pas là ?
– Eeeeeh non. El Marido non plus, et las
nioutas idemas.
– Il y a juste toi.
– Déçu ?
– Non, résigné.
Nous ricanons de concert. On s'aime bien, quand on
se voit peu.
Soudain, Jerry bondit sur un type que j'ai déjà
salué. Ils s'embrassent mutuellement en se donnant de grands coups
chaleureux du plat de la main sur les épaules, et entament une
petite discussion ressemblant vaguement à un truc du genre :
« Dis-moi, vieille canaille, on m'a dit que tu avais changé de
voiture ? » Et bla bla bla sur les jantes, la
consommation d'essence, la tenue de route et autres prix habilement
négociés.
Pendant ce temps, d'autres couples prennent place
à ma table. Ils frôlent visiblement l'âge de la retraite pour la
plupart.
– Bonsoir, me lance une dame articulant
péniblement à cause d'un lifting trop tiré qui l'empêche de fermer
la bouche.
– Bonsoir, dis-je courtoisement.
Super, trop de la balle cette table, je sens que
la conversation de ce soir va se résumer à manger…
Sans bouger de mon siège, j'attrape par le bras
une splendide jeune fille de dix-huit ans qui passait très vite
derrière moi, habillée d'une robe aussi violette que la mienne.
Mais la comparaison avec le vêtement s'arrête là. Outre le fait
qu'elle la porte sur un corps de liane, le vêtement est plus
décolleté sur sa poitrine menue, et plus court aussi, laissant
entrevoir de splendides jambes de gazelle. La réplique exacte de
mon corps il y a vingt ans.
– Mais c'est… Valentine ? Oh mon Dieu,
mais ce que tu as grandiiii…
– Ouiii, répond poliment la fille de ma
cousine, qui ne se sent pas particulièrement différente de
d'habitude.
– Alors, comment vas-tu ?
– Bien, bien…
Son ton évoque l'envie pressante d'aller voir
ailleurs si elle y est, un peu comme moi tout à l'heure en
répondant à la dame aux joues tendues derrière les oreilles. Je la
laisse donc repartir avec un petit signe de la main.
En même temps, honnêtement, avais-je tant de
choses à dire que ça à une gamine à peine plus âgée que mon
aînée ?
Il se trouve que oui. Je voulais justement lui
demander dans quelle boutique elle avait acheté ces chaussures
sublimes, et ces boucles d'oreilles originales, et aussi ce corps
superbe que je n'arrive plus à trouver à ma taille.
Clotilde vient me rejoindre. Lorsqu'elle s'assoit
à côté de moi, j'ai l'impression de récupérer un vieux pull élimé
mais confortable, dans lequel je me sens enfin à l'aise.
– Je n'aurais qu'un seul mot à te dire, ça
commence par « A » et ça finit par « lors »,
avec de multiples points d'interrogation derrière.
Elle hausse les épaules, avec un petit
sourire.
– Bah… que veux-tu que je te
dise ?
– Son prénom, pour commencer.
– Gédéon.
– Le pauvre. Bon, donc avec ce Gédéon,
comment ça s'est passé ? Il est bien ?
– Ben… il m'a dit qu'il était médecin…
– Excellent.
– … légiste.
– Ho ?
– Non, mais ça ne me gêne pas, il a l'air
gentil. Il est divorcé…
– Et ça, ça te gêne ?
– Pas du tout. Il a trois enfants…
– Ça par contre, tu peux pas, c'est
ça ?
– Non, non, c'est son ex qui les élève. Il
est végétarien…
– En même temps, vu son job… et ça
t'ennuie ?
– Non, je m'en fiche. Il n'écoute que de la
musique classique…
– Je le savais. C'est pour ça que tu fais
cette tronche de petite déçue.
– Mais non enfin, arrête d'essayer de
deviner ! Tu voulais que je te dise comment il est, je te dis
comment il est.
– Mais pourquoi il ne te branche pas,
alors ?
– Ça c'est une autre question, que tu ne m'as
pas posée.
– Tu veux un recommandé ? Aboule l'info,
folle.
– Tu connais El Postillador, l'homme qui te
douche tout habillée ?
– Noooon…
– Si. Telle que tu me vois, je suis
intégralement recouverte de son ADN.
– Yerk.
– Mais ça n'empêche qu'il est attentionné,
hein. Il a même soudoyé un serveur pour qu'il nous apporte quelques
petits-fours sucrés discrétos. « Des douceurs pour une
douceur », qu'il a dit.
– Miam. Tu m'en as gardé un ou deux,
charogne ? Ou bien je vais être obligée d'attendre, comme
l'individu lambda que je ne suis pas, l'ouverture du buffet
desserts ?
Elle secoue la tête, frémissant à l'évocation d'un
souvenir pénible.
– Non mais là, je n'ai pas pu. J'ai fui. Et
crois-moi, à ma place, tu aurais fui aussi. Rien que l'image de lui
mordant dans une truffe, et m'exposant son sourire réjoui aux
gencives incrustées de chocolat… Je me suis cassée avant qu'il ne
me dise qu'il trouvait ça bon en me crachotant la poudre de cacao à
la figure.
On ricane honteusement, en baissant la tête.
Jerry revient s'asseoir à notre table.
Je regarde mon cousin, avec sa chemise bariolée et
son pantalon à pinces, et je me dis qu'après tout, pourquoi pas, au
point où on en est.
– Clotilde, je te présente Jerry, le fils de
mon oncle. Jerry, voici ma délicieuse amie Clotilde. Faites
connaissance, je vais prendre un peu l'air.
L'orchestre s'est mis à jouer une musique
entraînante pour accompagner l'arrivée des mariés sur la piste de
danse. Beaucoup de gens se sont levés, tapent dans leurs mains ou
agitent leur serviette. Moi j'ai juste besoin de m'agiter autre
part.
Au moment où je quitte la table, j'entends
Clotilde demander :
– Bonsoir, on ne s'est pas déjà vus quelque
part ?
Petite débauchée, va. Tu perds pas de temps.
À peine ai-je franchi l'une des baies vitrées
restées ouvertes, que l'air pur de cette soirée de printemps me
monte à la tête.
Aussitôt je m'enivre de cette sensation exquise
comparable à l'inspiration d'un voile tissé dans des molécules
d'oxygène.
C'est le moment de la journée que je préfère,
entre chien et loup, quand le soleil n'est pas encore couché et que
le ciel se pare de flamboyantes couleurs chaudes qui irradient à
travers les nuages.
Bras croisés contre ma poitrine, je me promène sur
la terrasse le long d'épais bosquets récemment taillés, et la
fraîcheur d'une brise aux arômes de chèvrefeuille me fait
frissonner.
Je suis bien.
Visage offert à l'immensité du ciel, yeux fermés,
j'avance lentement devant moi, oubliant presque la vaste piscine
quelques mètres plus loin.
Je m'arrête juste à temps pour ne pas tomber
dedans, retire mes escarpins, retrousse ma robe et m'assieds sur le
bord. Puis je trempe mes jambes dans l'eau encore chaude de
l'après-midi ensoleillé.
Que c'est agréable…
Pendant de longues minutes, j'entends la musique
de l'orchestre résonner au loin, mais c'est le son du silence qui
emplit mes tympans, le bruit des feuilles doucement balancées par
un souffle de vent, le chant des oiseaux qui se répondent, l'écho
de l'eau qui clapote sous les langoureux mouvements de mes
mollets.
Depuis combien de temps ne me suis-je pas sentie
aussi sereine et aussi apaisée ?
Oui, c'est un grisant sentiment d'immunité qui
prédomine ce soir. Le sentiment que tout est possible, que moi,
Anouchka Davidson, je n'ai de comptes à rendre à personne, que je
n'ai aucune obligation. Telle l'exaltation d'un rendez-vous
amoureux en tête à tête avec moi-même. C'est si bon de me dire que
ça va durer encore quelques jours, sans chemises à repasser, sans
chienne incontinente à sortir, sans devoirs à corriger, à me
plonger avec délectation dans la lecture du boulot d'un autre, en
sirotant des cocktails sans alcool, comme ça, la fête sera plus
folle.
Me voilà seule, libre comme l'air.
Je pourrais me lever et courir à m'en faire péter
la cellulite, chanter à tue-tête, même faux, surtout faux, je
pourrais me sauver, et personne ne me retrouverait, je pourrais me
nourrir de cueillette, m'habiller d'embruns et m'abriter sous le
ciel, je me sens tellement libre que je plains la vie étriquée des
oies sauvages.
Tout doucement, à force d'étendre mes jambes, je
glisse lentement vers le bassin, au rebord duquel je me rattrape de
toutes mes forces.
Un bain de minuit sans qu'il ne soit minuit, avec
toute la famille à côté qui ne m'a plus vue dans mon plus simple
appareil depuis… pff… jamais ? Non mais ça va pas bien, ma
fille ?
Calmos, réfléchissons un instant.
Ou alors, en considérant que je garde ma
robe…
« Nooon, Anouchka, tu es dingue, soit
raisonnable. »
Voilà, je me parle encore à moi-même. Et je n'ai
même pas une Chochana pour me servir d'alibi. Cette sale poilue de
petite chienne qui pue.
En même temps, à quand remonte la dernière fois où
je me suis laissée aller à un coup de folie, comme ça, sans
cogiter ?
C'est vrai que je brille un peu trop par ma
rigueur, mon sérieux et ma fiabilité. Un vrai petit somnifère sur
pattes. Et ça ne date pas d'hier, même ado, jamais de mensonges à
mes parents, jamais de dépassement d'horaire quand j'avais de
promis de rentrer à une heure donnée, jamais de fumage de
substances illicites, jamais de fumage de substances licites non
plus, d'ailleurs. Depuis, en robe de chambre et grosses chaussettes
de laine, j'ai zigouillé une bonne centaine d'individus sans que
personne n'y trouve à redire. Même ça, on m'a laissée le faire à
condition que je reste sagement dans mon coin, et que le repas du
soir soit servi bien à l'heure.
Pourquoi serait-ce toujours aux mêmes d'avoir le
droit de faire des bêtises, et à ceux de mon espèce d'être là pour
les réparer ?
Ça va, maintenant, non ? Si on cumule tous
les bons points que j'ai amoncelés en trente-six ans de carrière,
j'ai assez de crédit pour m'acheter au moins… ça.
Avec une immense volupté, je me laisse glisser
dans la piscine et commence à nager. Barboter serait le mot exact,
car ma robe gorgée d'eau pèse un quintal autour de moi, tandis que
je m'escrime à essayer d'avancer. Heureusement, je n'ai pas choisi
l'endroit de ma descente au hasard, car là où je me trouve, j'ai
pied.
Finalement, même quand je me lâche, il faut quand
même que je me retienne un peu.
Tant pis, je continue de savourer mon bain d'avant
minuit tout habillée.
Progressivement, je perçois des bruits de voix sur
la terrasse, des gens sortent fumer une cigarette, mais personne
n'a encore remarqué ce qui se passe. S'ils tournaient la tête, ils
verraient qu'il se passe moi, en guest
star du mariage de ma cousine Charlotte, en train de lui
voler la vedette. Des rires fusent, mais je m'en éloigne et entame
une petite natation synchronisée avec les mains pour me dérouiller
les trapèzes.
Je suis si bieeen…
J'évite cependant de me mouiller les cheveux, que
j'ai pris soin d'attacher lors de ma courte promenade, car ma
nouvelle coiffure ne survivrait pas à une séance de frisottage
intempestive.
Soudain, une main m'agrippe sous l'épaule et me
tire vers le bord. Je me sens happée, soulevée malgré moi par deux
bras puissants, et c'est en échouant sur le gravier tel un
baleineau désorienté que je prends conscience que l'instant de
béatitude est terminé.
Retour sur la terre ferme.
– Merci de votre aide, mais ce n'était pas
nécessaire, j'étais très bien là où j'étais…, dis-je en réalisant
mon état lamentable. Je tords des pans de ma robe pour les
essorer.
– Pardonnez-moi, vous faisiez tous ces
curieux mouvements avec vos mains, je pensais que vous aviez un
problème.
Je lève enfin les yeux vers le sauveur accroupi
près de moi, et je reste figée.
Ma tête, avec sa bouche ouverte d'où aucun son ne
sort, doit être assez représentative de mon état d'esprit puisque
le gars affiche un air entendu. Ce type de réaction ne doit pas
l'étonner outre mesure, car c'est l'un des hommes les plus beaux
qu'il m'ait été donné de rencontrer.
Des cheveux châtains, merveilleusement décoiffés
au gel avec une longue mèche devant qui tombe sur son front,
encadrent un visage aux traits marqués, divinement ciselés. Il doit
avoir facilement la quarantaine. Peut-être quarante-cinq. Son nez
est parfait, ses lèvres, pas très charnues mais suffisamment pour
qu'on ait envie d'y mordre, arborent un demi-sourire si séduisant
que je regrette un instant d'avoir gardé ma robe pour ce bain
d'avant minuit. Ses yeux enfin… mais comment fait-il pour avoir un
regard si magnétique ? Ses yeux, disais-je, ont la forme et la
couleur bleu lagon de ceux d'un chat siamois, et ils me sondent
avec une telle intensité que soutenir son regard, ne serait-ce que
quelques secondes, me paraît indécent. C'est un regard candide,
quasi enfantin, où se lit une souffrance cachée, presque
insondable, une souffrance que seule une femme passionnée se
sentirait capable d'atténuer, de guérir peut-être. Je le sais, j'en
suis une.
Il porte ses vêtements avec la nonchalance d'un
mannequin Calvin Klein, rien sur lui n'est apprêté, son style est
un peu rock, avec son bandana autour du poignet, sa boucle
d'oreille et son pendentif inca autour du cou. Sa chemise
s'entrouvre sur un torse glabre que l'on devine musclé, et je finis
par me demander, l'espace d'un instant, si ça ne vaudrait pas le
coup de m'évanouir une minute, histoire de profiter d'une petite
séance de bouche-à-bouche ni vu ni connu j't'embrouille.
– Nous ne nous sommes pas présentés. Je
m'appelle Basil Perkins, dit-il en me tendant la main.
– …
– Et vous êtes ?
Je soupire.
– Mariée.
À ce moment précis déboule Jerry, suivi de
Clotilde, alertés par le petit attroupement qui commence à se
former autour de moi.
Jerry (inquiet). – Tu vas bien ? Qu'est-ce
qui t'est arrivé, tu es tombée à l'eau ?
Moi (penaude). – Heu… oui-oui.
Clotilde (en s'agenouillant près de moi).
– Mais regarde, ta robe est toute trempée, tu ne peux pas
rester dans cet état, tu vas attraper une pneumonie.
Moi (qui commence à atterrir). – Heu…
oui-oui.
Aussitôt, les secours s'organisent. Il faut que
j'aille me sécher et changer de vêtements, alors Jerry propose de
me prêter sa chemise, car il porte un tee-shirt en dessous et une
veste par-dessus.
Jerry (en la déboutonnant). – Je ne peux bien
évidemment pas te filer mon pantalon… mais sinon, je peux me passer
de caleçon, si tu veux.
À cette évocation, je me sens prise d'un
haut-le-cœur.
Moi. – Juste pour être sûre, on est bien en train
de parler du calbute que tu portes depuis le début de la semaine,
c'est ça ?
Jerry (hilare). – Celui-là même. Bien sûr, il est
un peu serré, mais je suis sûr qu'en tirant d'un coup sec
j'arriverai à le décoller de mes fesses.
Moi (qui m'éloigne rapidement, avec Clotilde à mes
trousses). – Je vais te gerber dessus et tu l'auras bien
mérité…
Passage aux toilettes, pour m'éponger grosso modo
avec des serviettes en papier.
Le temps de troquer ma dégoulinante loque violette
contre la chemise de mon cousin et le jupon noir qui était sous la
robe de ma copine, et me voilà de retour dans le couloir qui mène à
la salle, avec une seule envie, rentrer à l'hôtel.
– Je sais qu'il n'est pas très tard, mais que
dirais-tu d'aller saluer les mariés, et de nous éclipser rapidos
pour profiter du charme des Jacuzzi qui peuplent les terrasses des
chambres qui nous attendent ? je demande à Clotilde.
– T'as encore envie de te baigner après
ça ?
– Oui, mais sans robe, cette fois.
– Huuum…, fait Clotilde, en regardant
ailleurs.
Machinalement je la suis, tandis qu'elle
m'entraîne inéluctablement vers notre table.
– Au fait, avec Jerry, ça y est, vous avez
fait connaissance ?
– Oui. Enfin, en réalité, je le connaissais
déjà.
– Ah bon ? Mais c'est super, ça !
Et tu le connaissais d'où ?
– Nous avons eu un intéressant corps à corps,
il y a au moins un an et demi de cela.
– Non, please ,
pas les détails, c'est mon cousin. Pour moi, cet homme est asexué.
Comme une plante verte.
– Oh, il n'y avait rien d'érotique là-dedans,
rassure-toi. C'est juste ma main qui est entrée en contact avec sa
figure, et pas pour la caresser, crois-moi. Tu te souviens de la
fois où je me suis fait couper les cheveux très courts, après un
passage catastrophique chez un abruti de coiffeur qui avait raté ma
couleur ?
– Ne me dis pas que…
– C'était lui, l'abruti. Et je viens
d'apprendre en plus qu'il n'était même pas coiffeur.
– Je ne sais pas quoi te dire, je ne savais
pas que…
Elle hausse les épaules, et rajuste le col de ma
chemise, l'air pensif.
– Anouchka, je vais aller voir au bar s'ils
peuvent te préparer une boisson chaude, me dit Clotilde en
s'éloignant.
– C'est gentil, ma biche, mais tu n'as pas
besoin de faire ça, je vais bien, viens, allons-y et…
– Non, je t'assure, ça va te requinquer,
fais-moi confiance. Va t'asseoir à table, je reviens.
Je la regarde s'éloigner, en me disant que
finalement, la soirée allait être longue.