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Chapitre Vingt et un
Pelisse Rouge n’eut pas le temps de s’émerveiller de la chambre du Grand Cercle. En d’autres circonstances, il aurait contemplé longuement l’immense disque de pierre, et décrypté une à une les runes qui y étaient gravées. Il ne pouvait se le permettre. L’ennemi était sur leurs talons. Il n’allait pas tarder à débouler pour terminer sa sinistre besogne.
Il s’activait aux côtés des derniers Space Wolves et des kaerls à bout de forces. Les survivants barricadaient tant bien que mal la salle, entassant tout ce qu’ils trouvaient devant l’arche de plusieurs mètres de large. Ces défenses de fortune ne tiendraient pas longtemps, mais au moins fourniraient-elles aux kaerls un couvert d’où délivrer des tirs d’appui.
De toute façon, les mortels étaient au bord de l’effondrement. Ils se battaient depuis des jours entiers, ne s’étant accordés que de brefs répits pour dormir un peu. Même leur robuste constitution de Fenrissiens était sur le point de faillir. C’était un miracle qu’ils fussent encore en mesure de tenir leurs armes, sans parler de les utiliser.
Poing Tonnerre aurait été aveugle face à une telle volonté provenant de mortels. Il avait toujours méprisé leur faiblesse.
— Pourquoi aurait-on besoin d’eux ? se plaignait-il sans cesse. « Créons plus de space marines ! Des milliers de Loups, jusqu’à ce que seul le Vlka Fenryka peuple Fenris ! »
Bien entendu, il plaisantait, mais ses propos n’étaient pas complètement innocents. Il ne parvenait pas à comprendre l’utilité d’un humain ordinaire. Pourtant, c’était précisément le pouvoir qui lui avait été conféré qui l’avait emporté.
Voilà pourquoi, frère. Notre puissance a un prix.
— Griffes Sanglantes ! l’appela Croc de Wyrm.
Pelisse Rouge fit volte-face. Le Prêtre Loup se tenait devant lui. Son armure était en piteux état, mais les flammes d’un foyer proche la faisaient luire d’une façon menaçante.
— Vous allez devoir défendre le Grand Cercle sans moi, continua le Prêtre.
Pelisse Rouge n’en croyait pas ses oreilles.
— Pardonnez-moi, Seigneur, mais je ne comprends pas…
— J’ai une tâche essentielle à accomplir. Si Russ le veut, je serais de retour avant l’arrivée de nos ennemis. Sinon, vous devrez tenir bon sans moi.
Pelisse Rouge sentit la colère l’envahir. Il était lui-même à bout de forces. Il savait ce qu’il en coûtait de défier un prêtre loup, cependant les paroles de Croc de Wyrm le mettaient hors de lui. Rien n’était plus important que défendre le dernier sanctuaire de l’Aett face à leurs adversaires.
— Vous ne pouvez pas faire ça, nous avons besoin de vous ici ! dit-il en parvenant à se contenir avec difficulté.
Croc de Wyrm secoua la tête.
— Ne me contredis pas, Griffes Sanglantes. Je comprends ce que tu ressens. Je vais faire aussi vite que possible.
L’ombre d’un instant, Pelisse Rouge hésita à protester. Il envisagea même de forcer le Prêtre Loup à rester.
À cette pensée, un sourire désabusé se dessina sur son visage.
Comment en avons-nous été réduits à cela ?
— Si vous partez, ce sera moi qui tuerai le Primarque, et cette honte entachera votre wyrd pour le restant de votre vie.
Croc de Wyrm poussa le rire étrange et cynique qui le caractérisait.
— Tu mériterais une telle proie. Cependant, je te fais le serment que tu ne combattras pas Magnus seul.
Puis il s’en alla, se frayant un passage au milieu des kaerls. Pelisse Rouge le regarda partir avant de s’atteler à l’organisation des défenses.
Il restait en tout et pour tout douze Loups : un mélange de griffes sanglantes, de chasseurs gris et de longs crocs. Les quelques centaines de kaerls se mirent en position autour de l’entrée de la chambre du Grand Cercle. Les défenseurs ne disposaient plus que d’une poignée d’armes lourdes, et les munitions n’allaient pas tarder à manquer.
Pelisse Rouge regarda enfin le Grand Cercle lui-même, enchâssé dans le sol à quelques mètres de lui. Une représentation du Loup qui Chasse dans les Étoiles – l’emblème du chapitre – en occupait le centre. Autrefois, Russ se tenait là, entouré par une garde rapprochée composée de héros étant depuis entrés dans la légende.
Douze à peine. C’est bien peu pour défendre le cœur de notre royaume…
Il soupira lourdement. La tragédie des événements récents l’avait lessivé. Il repensa à Poing Tonnerre et à ses moqueries.
Pas maintenant. Il avait encore fort à faire.
— Toi, là ! rugit-il à un mortel dont les troupes mettaient en place une barricade. « Ne la mets pas ici. Déplace-la là-bas. »
Il se remit au travail, déterminé à rendre la chambre du Grand Cercle aussi inexpugnable que possible. Il n’avait pas beaucoup de temps. Alors que les défenseurs œuvraient, il percevait déjà le tumulte de l’ennemi qui approchait par le labyrinthe de tunnels du Valgard.
Magnus parcourait les boyaux de l’Aett, ne s’accordant que de courtes pauses afin de détruire les derniers sceaux qui protégeaient encore les abords de Jarlheim. Les escouades d’Effacés le suivaient d’un pas discipliné.
Ils ne faisaient face à pratiquement aucune résistance. Les galeries et les salles étaient vides, ou tenues par de rares survivants qui périssaient en un battement de cœur. Magnus savait que des Loups continuaient le combat dans les niveaux inférieurs, toutefois ils étaient acculés par ses troupes et suffoquaient peu à peu sous le poids du nombre. Les rares défenseurs des niveaux supérieurs encore en mesure d’opposer une quelconque résistance s’étaient sans nul doute retranchés au sommet, dans l’espoir de défendre leurs sanctuaires quelques heures de plus.
Cette obstination ne le surprenait pas. Elle ne parvenait pas non plus à susciter en lui la moindre admiration. Certes, il ne s’attendait pas à les voir baisser les bras. Les Loups l’avaient attaqué sans hésiter quand il était apparu au pied des escaliers du Croc du Thane, et ce en dépit du fait qu’ils étaient certains de périr dans cette tentative. D’ailleurs, l’un d’entre eux, le gros guerrier roux maniant un poing tronçonneur, lui avait même porté un coup qui lui avait causé une blessure douloureuse.
Magnus porta un regard circulaire dédaigneux. Il se trouvait dans les niveaux abritant les antres des Loups, pourtant, ces lieux étaient aussi dépouillés et puants que le reste de la montagne. Le Croc du Thane possédait bien une certaine grandeur spartiate, mais le reste du Croc était dénué de beauté. Ce n’était qu’un gros rocher troué comme un gruyère, froid et austère.
Czamine, le Seigneur Sorcier Pavonien, le rattrapa d’un pas pressé.
— Seigneur, quels sont vos ordres ? J’ai envoyé des escouades dans les tunnels secondaires avec pour mission d’anéantir les derniers sceaux. Nous sommes libres de tout détruire avant d’engager les derniers défenseurs…
Magnus hocha la tête.
— Faites. Brûlez, brisez et broyez. N’épargnez aucun totem, aucun talisman. Les Loups y tiennent plus que tout : les jeter à bas portera un coup terrible à leur moral.
— Très bien. Et ensuite, nous nous attaquerons au sommet…
— Tout à fait. Mais vous devrez y aller sans moi, tout au moins au début.
Czamine inclina la tête d’un air interrogateur, toutefois il n’osa pas protester.
— J’ai un rendez-vous à tenir, expliqua Magnus. « Lorsque vous aurez détruit les derniers artefacts, je vous retrouverai au pinacle. »
Il ne prit pas la peine de masquer son impatience.
— La salle qu’ils appellent la chambre du Grand Cercle est proche, mon fils. C’est à toi que revient l’honneur de la capturer. Nous nous reverrons là-bas, une fois que l’ultime espoir de ce chapitre gangrené aura été balayé.
Croc de Wyrm pénétra avec empressement dans les laboratoires des modeleurs de chair. L’endroit était toujours bien éclairé, mais il semblait se morfondre. Croc de Wyrm n’avait rencontré aucun ennemi dans les tunnels menant de la chambre du Grand Cercle à son domaine, toutefois il se doutait que des adversaires ne tarderaient pas. Il ne disposait pas de beaucoup de temps ; il devait le mettre à profit pour sauver ce qui pouvait l’être avant que le fruit de ses efforts fût anéanti. Il ne savait pas ce qu’il ferait ensuite. Il improviserait, comme souvent.
Il traversa les salles vides sans jeter le moindre regard aux tables d’examen où des cadavres étaient encore allongés quelques semaines auparavant. Après tant de temps passé dans le Croc du Thane, le fait de se retrouver dans un lieu aussi aseptisé, carrelé de blanc et éclairé par la lumière froide des lumiglobes était étrange.
Il se dirigea vers le sanctum, l’endroit où ses recherches visant à aboutir à l’Altération s’étaient déroulées dans le plus grand secret depuis tant d’années. Les portes coupe-feu étaient fermées, ainsi qu’ils les avaient laissées suite à sa dernière visite. Il s’arrêta devant elles et se prépara à prononcer les mots qui les ouvriraient. Auparavant, il se calma, afin d’éviter que son agitation perturbât l’esprit de la machine du mécanisme.
C’est à cet instant qu’il s’aperçut que quelque chose clochait. Il examina les machines silencieuses et les paillasses bien ordonnées autour de lui.
Il n’y avait aucun corps. Frar, le chasseur gris amené par Morek, n’était plus là. Les autres non plus. C’était comme s’ils n’avaient jamais existé. Croc de Wyrm comprit enfin ce qui se tramait.
Il n’était pas arrivé au laboratorium le premier.
Conscient de la conséquence de son acte, il ouvrit les portes coupe-feu.
La salle où il avait mené ses recherches sur l’Altération était dévastée. Les tubes à essai étaient cassés. Leur contenu gouttait sur le carrelage. Les cadavres des sujets d’expérimentation gisaient au sol, à moitié démembrés. Tout le matériel avait été brisé en mille morceaux. Les cogitateurs des salles secondaires étaient en proie aux flammes et grésillaient. Ce matériel irremplaçable, remontant parfois aux jours de l’Unification de Terra, avait été entièrement anéanti. Ses composants délicats avaient été éparpillés au sol.
Il ne restait rien. Absolument rien.
Croc de Wyrm contempla avec amertume l’anéantissement de toute une vie de labeur. Ses yeux d’ambre aperçurent ensuite l’homme – ou plutôt l’être – responsable de son malheur.
Magnus était plus petit que sur les escaliers du Croc du Thane. Cependant, il restait encore plus imposant qu’un space marine, car il mesurait plus de trois mètres de haut. Son manteau doré pendait de ses épaules. Il portait toujours sa cuirasse couleur bronze. Des fluides amniotiques dégoulinaient de ses doigts. Son œil unique brillait triomphalement.
Croc de Wyrm dégaina son épée. La lame produisit un feulement menaçant en glissant le long de son fourreau.
— Tu comptes vraiment m’affronter, Thar Hraldir ?
— De toutes mes forces… répondit le Prêtre Loup en activant le champ disrupteur de son arme.
Le Primarque hocha la tête.
— Je n’en doute pas. Mais sache ceci, vieil homme : le futur que tu envisageais valait le sacrifice de ce qu’il restait de ma Légion afin de l’éviter. Sans ta curiosité, Fenris n’aurait jamais été envahie. Je voulais que tu en sois pleinement conscient avant de mourir.
Croc de Wyrm poussa son cri de guerre et chargea le Primarque. L’épée, dont la garde imitait la silhouette d’un wyrm, joignit son feulement à celui de son maître lorsqu’il frappa.
Magnus dégaina son arme en un battement de cœur. En dépit de leur rapidité, ses mouvements semblaient décontractés. Bien qu’il fût paisible une seconde plus tôt, il redevint instantanément l’ange destructeur qu’il avait été dans le Croc du Thane.
Les lames s’entrechoquèrent. Le crissement du métal résonna sur les murs du laboratorium.
Croc de Wyrm se déplaçait aussi agilement qu’un griffes sanglantes dans ses plus vertes années. Son épée frappait aussi vivement qu’une vipère. Il accompagnait chaque horion d’un cri rageur. Toute sa fatigue s’était évanouie, libérant ses membres de tout le poids qui les accablait.
Jamais au cours des siècles le vieux Prêtre Loup ne s’était battu aussi adroitement et aussi sauvagement. Il était porté par une colère et une douleur qui le consumaient jusque dans les tréfonds de son âme ; paradoxalement, celles-ci lui accordaient le talent des héros les plus légendaires de l’Imperium.
Pourtant, Magnus parait ses coups avec une aisance décourageante. Son arme semblait anticiper toutes les bottes de son adversaire. C’était comme si Magnus lui accordait un dernier instant de perfection, l’occasion de sublimer ses compétences martiales avant le coup de grâce.
Le duel ne s’éternisa pas. Malgré toute son énergie et son talent, Croc de Wyrm n’était qu’un space marine face à un primarque. Ses muscles finirent par faiblir et sa lame hésita, révélant une ouverture. Il n’en fallut pas plus à Magnus pour lui porter un coup fatal à la poitrine. Son épée surnaturelle traversa l’armure du Prêtre Loup comme du beurre.
Croc de Wyrm se retrouva empalé le long de l’arme de son adversaire. Il eut un spasme, puis lutta quelques secondes de plus pour tenter de se dégager. Sa propre épée tomba au sol dans un crépitement.
Le Prêtre Loup cracha un sang noir qui vint maculer l’intérieur de son heaume. Pour la dernière fois de son existence, son rêve lui revint à l’esprit : des Space Wolves, aussi nombreux que les étoiles, guerroyant d’un bout à l’autre de la galaxie, forgeant un Imperium aussi énergique et impétueux que le Roi des Loups lui-même.
— Je l’ai fait… pour Russ… articula-t-il, puis la mort l’enserra dans son étreinte glaciale.
Son cadavre s’affaissa sur la lame de son adversaire.
Magnus retira son arme d’un coup sec et laissa le corps glisser au sol.
— Dans ce cas, tu as échoué, fit remarquer le Primarque en l’observant impassiblement. « Ce combat est terminé. »
— Pas tant que tu vivras, Traître !
Magnus releva la tête. Plusieurs guerriers chargeaient dans sa direction : un géant en armure Terminator dont les griffes de loup luisaient d’une énergie bleutée, ses deux gardes du corps, et un prêtre des runes dont le bâton crachait des éclairs éthériques. Et derrière eux avançait une silhouette imposante que Magnus reconnut sans difficulté…
Le Russvangum était arrivé dans l’orbite de Fenris en faisant feu de toutes ses armes. Son escorte le suivait de près, ajoutant sa puissance de feu à la sienne. La venue de l’armada des Loups fut comme le déchaînement de mille enfers.
La flotte des Thousand Sons ne l’engagea pas, et se retira de Fenris conformément au plan. Le Herumon, qui était pourtant le seul bâtiment capable d’affronter le vaisseau-amiral de Heaume de Fer, se désengagea immédiatement afin de se rendre aux coordonnées où le saut Warp avait été planifié.
Les frégates et les destroyers des Space Wolves foncèrent droit sur l’ennemi, tirant des bordées contre les flancs des transports de troupes peu manœuvrables. Les vaisseaux dorés de l’ennemi prirent feu les uns après les autres tandis que leurs boucliers étaient saturés par le torrent de mort des Space Wolves.
Cependant, Heaume de Fer n’était pas revenu simplement pour livrer une bataille spatiale. La destruction perpétrée autour du Croc était bien visible depuis les baies d’observation. On pouvait distinguer les cratères énormes qui défiguraient le visage pâle d’Asaheim.
En les apercevant, Heaume de Fer repensa aux Wolf Brothers, à leurs faciès tordus par la haine tandis qu’ils périssaient sous les coups de leurs frères d’armes. L’air dans les pyramides de Gangava était toxique et avait définitivement fait basculer leurs esprits dans la folie et l’horreur. Il avait vu l’ancien seigneur loup Kjarlskar réduit à l’état de bête sauvage. Quitter ce combat avait été la décision la plus difficile qu’il eût jamais prise. Même lorsqu’il avait appris ce qui se déroulait sur Fenris, Heaume de Fer avait répugné à donner l’ordre de battre en retraite.
La gravité de ses erreurs lui était apparue dans toute son ampleur en un instant. Il aurait préféré continuer à se battre, et se noyer dans sa soif de sang pour oublier tout le reste, et débarrasser la galaxie de l’abomination qu’étaient devenus ses frères déchus.
Il revoyait les visages de ceux qu’il avait tués. Ils étaient torturés, mais trahissaient encore leur humanité de jadis. Une étincelle au fond de leur regard indiquait que les Wolf Brothers étaient conscients de leur destin.
Nous vivons avec le danger.
— Aux modules d’atterrissage ! grogna Heaume de Fer en quittant le pont et en se rendant vers les baies de lancement. Tous les jarls de la flotte l’imitèrent. Des centaines de modules d’atterrissage étaient prêts à être lancés. Les réacteurs des Thunderhawk démarrèrent, les appareils attendant impatiemment le signal pour décoller vers la troposphère.
Tout le chapitre s’était mis en orbite, balayant toute résistance aussi facilement que les Thousand Sons l’avaient fait quelques semaines auparavant. L’assaut allait pouvoir débuter.
Heaume de Fer embarqua dans son module d’atterrissage, s’assit sur le siège et abaissa le harnais. Les écoutilles se refermèrent et les sirènes d’alarme annonçant l’imminence du départ se mirent à sonner.
— Envoyez-moi au sommet, ordonna-t-il dans le canal radio.
C’était une manœuvre dangereuse qui n’autorisait aucune marge d’erreur. L’essentiel des modules serait plutôt lancé en direction des chaussées. Cependant, les opérateurs des baies de lancement n’osèrent pas protester et entrèrent les coordonnées voulues par le Loup Suprême.
— Tout est prêt, Seigneur, annonça une voix dans la radio.
— Allez-y, répondit Heaume de Fer en se préparant à la poussée initiale et à la chute vertigineuse en direction du Croc.
Le Loup Suprême arrive !
Les tubes de lancement s’ouvrirent. Immédiatement, les modules d’atterrissage furent éjectés. Pendant ce temps, les autres navires des Loups continuaient de pourchasser les vaisseaux ennemis trop lents pour échapper à leurs bordées.
Heaume de Fer avait deviné la stratégie de l’ennemi. Il savait qu’en bas, sur les chaussées, des bataillons de gardes des spires levaient la tête vers le ciel et s’apercevaient avec horreur que leur flotte les abandonnait. Et c’est en regardant les points noirs qui apparaitraient dans ce même ciel que les mortels des Thousand Sons comprendraient leur erreur. Heaume de Fer s’en réjouissait par avance.
C’est la planète des Loups. Et ils viennent la reprendre.
Sturmhjart écarta les bras en invoquant une tempête d’énergie mystique. Des éclairs jaillirent de ses mains et engloutirent Magnus dans un tourbillon de lumière. Les runes de l’armure du Prêtre rougirent telles des braises ardentes.
Greyloc et ses deux gardes loups en profitèrent pour se jeter en mêlée. Ils se ruèrent sur Magnus comme une meute s’attaquant à un konungur : l’un vers la gorge, l’autre vers l’abdomen et le troisième vers les jambes. Leur armure scintillait sous l’effet des protections psychiques de Sturmhjart.
Le Seigneur Loup fut le plus rapide. Il frappa vers le visage du Primarque avec ses griffes de loup. Ce dernier ploya face à la rapidité de l’assaut. Il avait beau dépasser les space marines en armure Terminator de plus d’un mètre, la brutalité de ces derniers l’obligeait à rester sur la défensive.
Magnus le Rouge, fils de l’Empereur immortel, Primarque des Thousand Sons, recula.
— Pour le Père de Tous ! Pour Russ ! vociféra Greyloc triomphalement. Il s’abandonnait entièrement à la soif de sang et à l’exaltation de la chasse. À l’instar de Croc de Wyrm, la haine qu’il éprouvait envers Magnus l’investissait d’une force et d’une agilité époustouflantes.
Il força le Primarque à reculer d’un pas de plus. Il continuait de hurler sa rage. Une tentative de riposte de Magnus fut habilement déviée par ses griffes.
Un des gardes loups en profita et porta un coup à son adversaire à la cuisse. Voyant cela, Sturmhjart beugla d’une joie sauvage et son feu wyrd gagna en intensité. Le second garde du corps imita son camarade et enfonça ses griffes dans le torse du Primarque. Les Loups avaient flairé l’odeur du sang et se déchaînaient.
Magnus trébucha et heurta le mur, qui s’écroula sous son poids. Greyloc et ses compagnons le poursuivirent. Sturmhjart restait en arrière, nimbé désormais d’un halo de flammes wyrd rugissantes. Les quatre Loups se ruaient pour la curée, frappant Magnus sans lui laisser le moindre répit. L’enchaînement des attaques était si rapide que l’œil ne pouvait les suivre. La majorité d’entre elles parvenaient d’une façon ou d’une autre à atteindre le Primarque.
Celui-ci reculait encore. Il détruisit un autre mur. Les combattants dévastaient tout autour d’eux. Les hurlements des Loups étaient terrifiants. Cette cacophonie haineuse sonnait comme un défi lancé à l’encontre de cet être qui avait osé souiller par sa présence les antres des modeleurs de chairs.
— Mort au Sorcier ! gronda Greyloc. Son corps était possédé par une énergie et une soif de sang inextinguibles.
Il se battait avec tant de talent qu’il ressentait comme une extase. Le contrôle de son propre corps allait lui échappait, comme si la démonstration de tant d’adresse et de sauvagerie allait le consumer définitivement. Il ne pouvait plus revenir en arrière. Ce combat était à mort, et il allait le mener jusqu’au bout quel qu’en fût le coût.
Je suis une arme.
Il n’avait pas le choix. Il affrontait un demi-dieu, et seules une foi et une obstination totales lui laissaient une chance de l’emporter.
La quintessence de mon être.
Il força une nouvelle fois Magnus à reculer. Il ne lui laissait pas la moindre seconde de répit. Un autre mur s’effondra, détruit par la puissance des coups portés.
Ils débouchèrent dans un vaste espace dégagé : des salles du laboratorium, ils étaient parvenus dans un hangar parmi les centaines qui coiffaient le sommet du Croc. L’épave noircie d’un Thunderhawk gisait non loin. Une bise violente soufflait par l’entrée située de l’autre côté. Elle hurlait aux oreilles des combattants, et les entoura de l’air glacial d’Asaheim.
L’esprit de Fenris partage notre colère.
Les Loups continuèrent d’avancer, nimbés par l’énergie de Sturmhjart. Chacune de leurs attaques aurait tué sur le coup n’importe quel autre ennemi, mais Magnus était d’une résistance phénoménale, si bien que le combat se prolongeait.
De plus, la force des Loups était limitée par leurs capacités physiques. Quant à lui, Magnus était un enfant de l’Empereur, l’un des vingt démiurges qui avaient allumé les feux de la Grande Croisade. Il ne pouvait être vaincu. Les coups qu’il avait reçus étaient terribles, les pires qu’il eût subis depuis mille ans, cependant sa force était illimitée, et sa ruse toute aussi grande. Il se redressa, surplombant ses assaillants, se souvenant enfin de la puissance qui résidait en lui.
Un des gardes loups baissa sa garde une fraction de seconde. Il n’en fallut pas plus à Magnus pour lui porter un coup de poing redoutable à la tête. Le terminator fit un vol plané de cinq mètres et s’écrasa lourdement au sol, le casque défoncé. Il ne se releva pas.
Sturmhjart fut le suivant sur la liste. Un jet de flammes éthériques jaillies des mains de Magnus l’enveloppa. Le Prêtre des Runes se tordit sous l’effet d’une douleur intolérable.
— Hjolda ! cria-t-il tandis que des larmes de sang s’écoulaient de ses yeux.
Magnus serra le poing et l’armure de Sturmhjart explosa, projetant une pluie d’éclats d’os et de céramite dans le hangar. Le Primarque se retourna ensuite pour faire face à Greyloc et au dernier garde loup. Son visage avait perdu sa sérénité, et ses cheveux rouge sombre pendaient en mèches désordonnées. Il saignait, et boitait à cause d’une profonde entaille à la cuisse. Il n’avait subi de telles blessures qu’une seule fois auparavant ; le souvenir de ces souffrances le mettait hors de lui.
— Tu m’as courroucé, Chien, l’insulta Magnus. Sans même regarder le garde loup, il lui brisa l’échine d’une simple torsion du poignet. Il pointa ensuite un doigt menaçant vers Greyloc, se préparant à l’incinérer dans des flammes surnaturelles.
Il n’en eut pas le temps. Une sphère de plasma l’atteignit à la poitrine et le projeta en arrière. Une seconde le frappa, puis une troisième, l’obligeant à reculer toujours davantage. Finalement, la silhouette baignée de flammes de Magnus se heurta à l’épave du Thunderhawk. Celle-ci céda lorsque le Primarque joua des poings pour se libérer des poutrelles et des plaques de métal qui entravaient ses mouvements.
Tu ne sais rien de la colère, Traître, tonna Bjorn en avançant à travers le hangar. Il libéra une nouvelle salve de plasma sur son adversaire. Voilà ce qu’est la colère ! Voilà ce qu’est la haine !
Les boules de feu frappaient le Primarque avec une précision redoutable. Magnus était plongé dans un enfer, soumis à un pilonnage en règle qui le fit s’effondrer au milieu de l’épave du Thunderhawk.
Il se releva, refusant de s’avouer vaincu. Pendant un instant, il sembla qu’il allait complètement réduire en miettes l’épave pour s’en extirper.
C’est alors que les réservoirs de prométhium explosèrent.
La déflagration fut titanesque. Elle fit trembler tout le hangar et projeta une onde de choc aux alentours. Magnus fut englouti par une immense sphère de feu blanc qui s’éleva vers le plafond et suivit la courbure de la voûte, comme une marée montante. Greyloc fut jeté au sol, lequel se fissurait. Le vent hurla de plus belle au milieu de cette tempête de flammes.
Seul Bjorn tint bon. Il continuait de tirer, déversant un torrent aveuglant de plasma sur la silhouette du Traître.
Lorsque celui-ci s’extirpa de la carcasse du Thunderhawk, son visage était tordu en un rictus de rage indicible. Par endroits, sa chair ravagée laissait entrevoir ses os. Son manteau autrefois doré était noir, ainsi que son armure. Sa crinière rouge était partie en fumée, son cuir chevelu pelait et découvrait le blanc de son crâne. Son œil unique était rouge sang, et ressemblait à un éclat de métal plongé dans une forge. Les plaies de son corps brillaient d’une lueur intérieure surnaturelle : l’enveloppe charnelle qu’il avait adoptée était sur le point de céder la place à sa véritable apparence démoniaque.
Il bondit droit sur Greyloc, laissant derrière lui une traînée de flammes similaires aux ailes d’un ange vengeur. Bjorn pointa son canon à plasma une seconde trop tard. Le Primarque blessé fut sur le Seigneur Loup avant que ce dernier ne puisse se relever. Le poing nimbé de feu de Magnus s’abattit. La tête de Greyloc retomba violemment en arrière, le désorientant momentanément.
Magnus abattit les deux mains. Ses doigts auréolés d’une énergie Warp dorée traversèrent la cuirasse du Jarl comme si elle n’existait pas et se refermèrent sur les deux cœurs de Greyloc.
Le Seigneur Loup hurla et se débattit, mais Magnus ne relâcha pas son étreinte et arracha les deux organes encore palpitants dans un geyser de sang avant de les jeter négligemment au sol.
Pendant une seconde, le Seigneur Loup soutint le regard de son assassin.
Sous son casque, le visage blême de Greyloc continuait de défier Magnus. Il repensa une dernière fois aux plaines couvertes de neige, aux proies qui les arpentaient sous le soleil, au vent qui caressait sa peau.
La quintessence de mon être.
Finalement, ses membres se relâchèrent et les visières rouges de son casque s’éteignirent.
Jarl ! gronda Bjorn d’une voix chargée de haine.
Reprenant son pilonnage, le Dreadnought fonça vers le Primarque, sa griffe de loup crépitant rageusement. Les deux géants se heurtèrent dans un fracas métallique, au milieu d’une tempête d’énergie Warp et de prométhium enflammé.
Alors que Magnus et Main Terrible se livraient un duel sans merci, l’ouragan gagna en intensité. Les fissures sous les pieds des combattants s’élargirent au point de former des failles béantes. Le Dreadnought était habité par une fureur divine et força de nouveau le Primarque à combattre sur la défensive afin d’échapper à la morsure de ses immenses griffes de loup et à ses salves de plasma incessantes. À une telle distance, les explosions étaient presque aussi risquées pour Bjorn que pour Magnus, mais le Space Wolf n’en avait cure.
Peu à peu, les deux combattants se dirigeaient vers l’ouverture du hangar. Ils étaient liés dans une danse de mort grotesque, enveloppés par des volutes de fumée, échangeant des coups terribles sans faiblir. Le bouclier énergétique qui aurait dû protéger l’entrée du hangar était désactivé. Au-dehors, la roche continuait en pente douce sur une courte distance avant de plonger en un à pic vertigineux. Bjorn et Magnus s’approchaient de ce précipice sans s’en apercevoir, car ils étaient occupés à délivrer des coups d’une telle puissance qu’ils faisaient littéralement trembler le sol.
Magnus avait été sérieusement blessé, plus gravement qu’il ne l’avait jamais été. Cela se ressentait dans ses mouvements de plus en plus lents et maladroits. Ils avaient perdu toute leur grâce et leur majesté. Dorénavant, le Primarque se battait comme un soudard, et martelait l’armure de Bjorn tandis que celui-ci rendait coup pour coup.
Ils étaient maintenant tout proches du bord de l’abîme. Des pierres se détachèrent de la paroi et tombèrent vers le néant. La falaise était quasiment verticale, et située à plusieurs milliers de mètres au-dessus des chaussées. Les deux adversaires s’affrontaient dans les cieux tels les dieux de Fenris, entourés par le chaos de la foudre et la plainte du blizzard.
Loin en dessous, tout n’était que mort et carnage. Les Loups avaient atterri par centaines et se déchaînaient. Ils fonçaient droit vers les portes disloquées, afin d’aller nettoyer leur citadelle de tout intrus. Les silhouettes des vaisseaux de transport et les traînées des réacteurs des Thunderhawk se découpaient dans le ciel. Au-dessus d’eux, baignés dans une mer d’éclairs blancs, des vaisseaux encore plus vastes entamaient leur descente à travers l’atmosphère.
Les deux adversaires les aperçurent. Bjorn émit alors un grondement triomphal.
Heaume de Fer est arrivé, Sorcier, le nargua-t-il au moment même où il lui portait un autre coup meurtrier. Ton heure approche.
Magnus ne répondit pas. Ses joues avaient été déchiquetées par les griffes du Dreadnought et noircies par le plasma. Il saisit le canon de l’arme de Bjorn et le serra convulsivement.
Bjorn tira de nouveau. La main de Magnus fut engloutie par une boule feu dévastateur. Le Primarque tint bon et absorba l’énergie, l’utilisant pour tordre le canon et le boucher entièrement. Son arme ayant été rendue inutilisable, Bjorn usa de ses griffes de loup pour lacérer le visage du Primarque. L’essence démoniaque de celui-ci commençait à s’échapper par ses nombreuses blessures.
Des piliers en pierre s’effondrèrent et tombèrent du haut de la falaise. Une fissure se propagea jusque sous l’immense pied de Bjorn. Les deux titans luttaient désormais au bord du gouffre, et continuaient d’échanger les coups malgré le risque d’une chute fatale. Le vent implacable d’Asaheim tourbillonnait follement autour d’eux.
Finalement, en dépit des blessures et de la fatigue, Magnus se rappela qui il était réellement. Il leva la main, et de ses doigts écartés jaillit un éclair Warp destructeur. Celui-ci s’enroula autour des griffes de loup de Bjorn, qui finirent par exploser dans une gerbe d’étincelles.
Le Dreadnought Vénérable était totalement désarmé, toutefois il tenta de percuter le Primarque afin de l’emporter avec lui dans le vide. Ce dernier l’esquiva sans peine, portant au passage un coup de poing terrifiant. La force de l’impact fut telle qu’elle fendit le blindage du sarcophage de Bjorn de haut en bas, et pulvérisa les talismans et les runes qui l’ornaient.
Le Dreadnought fut déstabilisé. Il était à la merci du Primarque. Celui-ci leva le poing et se prépara à l’abattre au niveau de la visière. Bjorn était impuissant. Il fut frappé de plein fouet, et tituba davantage vers le bord du précipice. Magnus l’avait contourné pour se mettre hors de danger. Il poussa la vénérable machine vers le gouffre, mais l’empêcha de chuter en la retenant d’une seule main. Le sol se déroba sous un des pieds de Bjorn, formant une petite avalanche dont les décombres disparurent dans le vide.
— Tu étais sur Prospero, j’ai reconnu ton âme, souffla le Primarque.
Bjorn voulut répondre mais ses synthétiseurs de parole avaient été détruits, ainsi que l’essentiel des systèmes électroniques de son corps artificiel. La douloureuse existence qu’il avait dû endurer pendant trop longtemps allait enfin se terminer. Il ne la regretterait pas.
— Tu pensais vraiment pouvoir me tuer ? croassa Magnus. Il était à la fois incrédule et furieux. Sa main libre se nimba de flammes bleutées. « Comment aurais-tu pu réussir là où mon frère a échoué ? »
C’est à cet instant que Bjorn décela la silhouette qui descendait le long de la pente au-dessus de lui : un immense guerrier qui progressait agilement malgré la glace et la roche. On pouvait voir non loin derrière la forme d’un module d’atterrissage qui s’était posé au sommet du Valgard.
À l’intérieur de son sarcophage brisé, les lèvres desséchées de Bjorn esquissèrent un sourire.
Heaume de Fer bondit en ouvrant les bras. Il atterrit au milieu des deux combattants avec la force d’un Land Raider lancé à pleine vitesse. Le choc des armures produisit un bruit assourdissant. Le bord du précipice s’effrita un peu plus ; finalement, les trois adversaires chancelèrent puis chutèrent le long de la pente dans un fracas de pierre brisée et d’échardes de glace.
La tête de Heaume de Fer bougeait dans tous les sens. Il heurta quelque chose, puis son bras percuta un affleurement rocheux et l’arracha. Il continua de tomber en laissant un profond sillon dans le flanc de la montagne. Il crut apercevoir Bjorn dévaler au milieu des congères, puis disparaître hors de vue. Il était aveuglé par la neige soulevée dans sa chute, mais entendit Magnus rugir de frustration, et sentit une forme énorme glisser à côté de lui et le dépasser.
Heaume de Fer continuait de tomber. Il ne pouvait rien faire pour s’arrêter sur cette pente rocheuse enneigée. Les pierres qu’il percutait se disloquaient sous l’impact sans parvenir à le ralentir. Le monde autour de lui était un tourbillon blanc sans fin.
Enfin, il finit par heurter quelque chose de vraiment gros, au point qu’il ressentit violemment cette collision malgré son armure Terminator. Cependant, le choc avait enfin réussi à le stopper dans sa chute.
Il s’était cogné contre une surélévation du terrain formée par une des innombrables terrasses naturelles situées sur les flancs du Croc.
Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre la gravité de ses blessures. Tout son corps lui faisait souffrir le martyre ; ses fractures étaient vraisemblablement nombreuses. La plaque métallique rivetée sur son front bougeait, ce qui indiquait que son crâne était également fracturé. La douleur qu’il ressentait derrière le front était d’ailleurs un autre indicateur tout aussi irréfutable.
Il grogna de colère et s’assit péniblement. Il vit Magnus. Ils étaient tombés ensemble. Il n’y avait aucun signe de Bjorn, cependant Heaume de Fer remarqua l’énorme sillon tracé dans la pierre derrière le Primarque. De la neige et des rochers continuaient de chuter de la falaise, arrachés à la montagne par leur dégringolade.
Le Primarque était debout, méconnaissable. Il n’avait plus de cape dorée, plus de cuirasse de bronze, plus de jambières gravées de signes zodiacaux magnifiques.
Il ne restait plus de lui qu’un être formé d’énergie pure, une silhouette vaguement humaine aux contours ondulants. Seul son œil était encore identifiable. Il étincelait tel un anneau de feu.
Le vent hurlait autour de lui. Il tentait de l’arracher du sol et de le précipiter une nouvelle fois vers l’abîme. L’âme de Fenris était horrifiée de sentir cette abomination fouler son sol, et brûlait de le voir retourner dans le Warp.
Magnus fit difficilement un pas en direction de Heaume de Fer et tituba. Il jeta un regard menaçant à son ennemi.
Le Loup Suprême parvint à se relever malgré la douleur qui ravageait son corps. Il sentait du sang s’écouler par ses innombrables plaies. La souffrance lui permettait néanmoins de rester concentré sur le combat. Par deux fois, il avait traversé l’Immaterium dans l’espoir de livrer un tel duel.
— Misérable sorcier ! cracha-t-il. Le sang dégoulinait de sa bouche.
Il avait perdu sa lame de givre au cours de sa chute, mais son armure Terminator disposait d’autres armes. Ses bolters d’assaut jumelés étaient toujours attachés à son avant-bras droit, et sa main gauche était engoncée dans un gantelet énergétique. Il savait manier les deux avec talent. Sans hésiter, il chargea son adversaire en ouvrant le feu. Les bolts atteignirent le Primarque mais n’explosèrent pas ; toutefois, leur morsure sembla le faire souffrir, car il hurla de douleur et de colère avant de se camper fermement au sol.
Heaume de Fer sentait les muscles de ses jambes protester, néanmoins son armure l’aidait, si bien que la masse de chair, d’os, de céramite et d’adamantium qu’était le Loup Suprême percuta violemment le Primarque. Au même moment, Heaume de Fer envoyait le poing droit vers le visage de son adversaire.
Magnus évita adroitement le coup et riposta en atteignant le Loup Suprême à la poitrine. Ce dernier chancela. Le Primarque enchaîna une deuxième attaque que Heaume de Fer parvint à intercepter avec son gantelet énergétique. Les deux poings se heurtèrent avec une force colossale.
Magnus fut projeté contre la paroi. Son corps scintilla au moment du choc, comme l’image d’un hololithe sur le point de s’éteindre. Son œil unique trahit une expression surprise et angoissée.
Le maître des Thousand Sons était terriblement diminué.
Heaume de Fer poussa un rire sauvage et entraîna de nouveau tout son poids dans une charge irrésistible. Magnus se releva et se prépara à le recevoir. Les deux combattants se heurtèrent dans un tumulte phénoménal. Heaume de Fer sentit son bras droit se briser sous l’effet du feu mystique qui entourait les poings de Magnus. Son propre gantelet énergétique frappa de plein fouet le Primarque et le mit à genoux.
Le Loup Suprême se délectait du plaisir du combat. Après tant de temps passé à pourchasser des fantômes, il était enfin dans son élément. Chaque coup qu’il portait lui donnait l’impression d’être un peu plus vivant. La douleur n’avait aucune importance. Seule comptait l’épreuve du combat, le déchaînement de toute la violence dont il était capable.
Ses talents étaient alimentés par la rage qu’il ressentait depuis qu’il avait quitté Gangava. Les visages de Wolf Brothers continuaient de hurler leur tourment dans son esprit. Il voyait également ceux des Space Wolves morts de Fenris qui lui jetaient des regards accusateurs. Greyloc avait raison. Ces guerriers avaient été sacrifiés sur l’autel de son orgueil. Ils réclamaient vengeance.
Et il comptait bien l’assouvir. Le gantelet énergétique frappa Magnus au flanc, le projetant de nouveau contre la paroi. L’œil se ferma sous l’effet de la douleur. Toute sa silhouette vacilla telle une flamme dans la brise. Les blessures du Primarque étaient critiques. Au-dessus de lui, la tempête rugissait triomphalement et redoublait de puissance. Heaume de Fer frappa derechef, empalant littéralement Magnus contre les rochers acérés.
Le Primarque poussa un long cri de désespoir, un cri qu’il n’avait plus poussé depuis que le Roi des Loups avait détruit sa première enveloppe mortelle. Ce hurlement se répercuta contre la falaise et noya l’ombre d’un instant le grondement du blizzard et de l’artillerie des Loups qui pilonnait les gardes des spires, très loin en contrebas. Ce cri portait la lassitude des âges, le désespoir d’un demi-dieu qui avait été créé pour mettre à jour les mystères de l’univers, et qui se voyait aujourd’hui réduit à livrer bataille dans la neige, sur le sol d’un monde barbare. C’était un cri de rancœur, qui exprimait toute la futilité d’une guerre qu’il n’avait jamais désirée.
En l’entendant, Heaume de Fer sourit cruellement. Il frappa, encore et encore. Ses membres ne ressentaient plus la fatigue. Ils étaient animés par une soif de sang éternelle.
— Bats-toi, sorcier ! Lève-toi et bats-toi !
Pendant un instant, il sembla que toute volonté avait abandonné Magnus. Il subissait son châtiment. Seules des flammes résiduelles continuaient d’envelopper sa silhouette. Son œil s’était rouvert. Il était empli de douleur. Le Primarque semblait perdu au sommet de ce monde qu’il avait juré de détruire.
Puis, comme auparavant, il parut se souvenir qui il était réellement, et les flammes qui le baignaient se ravivèrent. Les primarques avaient été créés avant tout pour survivre au sein d’une galaxie hostile. Leur puissance était illimitée, car elle puisait dans les réserves sans fin de l’esprit de l’Empereur. C’est ainsi qu’après avoir subi tant de souffrance et perdu l’essentiel de sa force, le feu qui animait l’esprit de Magnus restait invaincu.
Il se redressa, intercepta de la main droite le coup suivant de Heaume de Fer, et se servit de la gauche pour le frapper à la tête. Le Loup Suprême chancela.
Magnus se dressa de toute sa hauteur. Ses plaies prirent une teinte rouge vif tandis qu’elles se régénéraient à vue d’œil. Des éclairs crépitèrent sous ses pieds lorsqu’il s’avança. Son œil avait retrouvé sa détermination, et brûlait comme un lingot d’or au milieu de la neige. Il ouvrit la paume de la main. Un rayon de lumière en jaillit et enveloppa Heaume de Fer dans un feu électrique. Le Loup Suprême fut repoussé vers le bord de la falaise. Il tomba à genoux, submergé par le pouvoir de l’Immaterium.
Le rayon d’énergie s’étiola et disparut. L’armure de Heaume de Fer était noircie et fumante. Il s’écroula au sol et ne se releva pas.
L’ordre avait été restauré. Le demi-dieu regarda d’un air dédaigneux le dernier Loup qui avait osé se dresser face à lui.
— Tu aurais dû rester sur Gangava, dit Magnus. Sa voix jouait sur des cordes vocales intangibles, comme les doigts d’un harpiste de Hel. Il était épuisé, bien que son aspect désormais totalement inhumain ne permît pas de le deviner.
— Gangava n’existe plus, toussa Heaume de Fer à cause du sang qui avait envahi sa bouche. Il essaya de se relever. « Bombardement orbital. Elle n’est plus que poussière. »
Son bras droit décrivait un angle improbable et pendait lamentablement, quant à son gantelet énergétique, il avait été détruit par le coup du Primarque. Sa céramite était inerte et fendue. Il ne restait plus à Heaume de Fer que sa force primitive. Tous deux savaient que cela ne suffirait pas. Dans un effort surhumain, il parvint à se relever.
Magnus approcha. Les motifs que décrivait sa peau autour de ses blessures changeaient à chaque seconde. Quelque chose se modifiait en lui ; son bref séjour dans l’univers matériel n’allait pas tarder à prendre fin.
— Gangava a rempli son rôle… corrigea-t-il Heaume de Fer.
Il fondit alors vers le Loup Suprême tel un rapace sur sa proie. Ses bras avaient disparu au milieu des flammes de l’éther.
Le Space Wolf ne pouvait rien faire pour se défendre, cependant il fit face stoïquement, les babines retroussées et les poings serrés.
Il fut submergé par un raz-de-marée de souffrance. Il sentit son armure se briser comme une coquille sous l’énergie du Warp, et ses organes internes exploser les uns après les autres. À demi-conscient, il perçut le craquement sinistre de sa cage thoracique. Sa vision se brouilla face au feu blanc surnaturel de Magnus. L’ouragan de puissance déchaîné par le Primarque le balaya comme une tempête lors d’un hiver de Hel.
En dépit de cela, il ne tomba pas à genoux. Il resta debout, au bord du précipice, refusant obstinément de plier devant son adversaire. Son martyre se poursuivit, jusqu’à ce qu’il abandonne enfin et tombe sur le dos. La silhouette du fils de l’Empereur le surplombait.
Heaume de Fer n’y voyait plus que d’un œil. Au moins pouvait-il contempler la mort qui venait le prendre. D’une certaine façon, les deux adversaires étaient plus similaires en cet instant qu’ils ne l’avaient jamais été.
Le Loup Suprême cracha du sang. Il entendait au pied de la montagne le vacarme des machines de guerre de son Chapitre. Il savait que ses Loups avaient déjà reconquis l’Aett. Ils allaient traquer les intrus dans les halls avec la même obstination qui les rendait si redoutés aux quatre coins de la galaxie. Sa survie n’avait aucune importance.
— L’Aett va résister. Tu es à court de temps. Je saurai me contenter de cette victoire, dit-il dans un râle.
Magnus se pencha au-dessus de lui. Les motifs de sa peau continuaient d’ondoyer. Il était presque translucide. Le vent passait à travers son corps. Il se retint quelques secondes de plus d’asséner le coup de grâce.
— De quelle victoire parles-tu ? Tu voulais me tuer. Mais un mortel tel que toi ne pourras jamais vaincre un être tel que moi, Harek Heaume de Fer. Je suis au-delà de ta vengeance.
Heaume de Fer parvint à rire malgré le sang qui envahissait ses poumons.
— Te tuer ? Non, en cela j’ai échoué. Mais je t’ai fait mal, Traître. Nous t’avons fait mal. Nous avons fauché les wyrds de tes fils et brisé leurs sceptres. Nous avons balayé tout sourire de ton visage et t’avons écorché vif. Et tout cela, j’ai suffisamment vécu pour en être témoin. Cela valait bien la perte de quelques fioles des modeleurs de chair. Par le sang de Russ, j’ai vécu assez longtemps pour te voir hurler de désespoir !
Magnus ne répondit pas et leva le poing. Lorsqu’il l’abattit, le Loup Suprême riait encore malgré les souffrances qu’il endurait. Il gisait dans la neige, sans le moindre espoir de survie, toutefois il riait aussi sauvagement que Russ, à l’aube de la galaxie.