Chapitre Sept
Auries Fuerza du culte de Pavoni respirait lourdement et s’adossa à la paroi métallique pour reposer ses membres endoloris. Il venait de frôler la mort, l’étreinte finale de l’avilissement de la chair, et cela l’avait épouvanté. Il venait tout juste de réussir à repousser les horreurs du Warp, et sentait son cœur battre contre sa cage thoracique comme un animal griffant les barreaux de sa cage. Combien de temps s’était-il retrouvé dans le néant ? Quelques minutes ? Plusieurs heures ? Dans l’Immaterium, le temps s’écoulait différemment.
Voyager sur les dangereux courants de l’éther était éreintant, mais y plonger sans s’y être préparé et dans de telles conditions était à la fois douloureux et immensément risqué. Lorsqu’il avait vu le navire des Chiens se précipiter vers le sien, il n’avait eu que quelques secondes pour réagir. Heureusement, l’évacuation avait déjà débuté à cause des lourdes avaries que l’Illusion de la Certitude avait subies. Malgré cela, calculer de nouveaux vecteurs Warp en pleine bataille était une gageure.
Fuerza se félicita de ne pas s’être rematérialisé à l’intérieur de la structure du vaisseau. Sentir de l’air envahir ses poumons et ne pas être en train d’asphyxier, pris dans une gangue de métal, était bien la preuve que le destin avait d’autres projets pour lui.
Toutefois, il ne s’en était sorti que de justesse. Les paumes de ses mains étaient écorchées vives. Dans la pénombre, elles ressemblaient à deux pièces de viande luisantes fraîchement découpées. Il n’était pas encore parvenu à calmer sa respiration sifflante, et il ne pouvait que deviner avec inquiétude les blessures infligées à son visage.
Il avait disparu dans la bulle Warp accompagné par quatre Effacés, dont un seul s’en était sorti. Deux avaient disparu, perdus dans les remous capricieux de l’Océan. Le troisième était réapparu au beau milieu d’une poutrelle d’adamantium, sur laquelle il était désormais empalé. Des étincelles de résidu Warp couraient sur sa cuirasse transpercée alors que l’énergie parcourant le Thousand Son sans âme essayait vainement de le réanimer.
C’était sans espoir. Un Effacé était sans conteste un des guerriers-automates les plus résistants de la galaxie, immunisé à la peur et capable de rester opérationnel même après avoir subi des dégâts terribles, néanmoins, cette fusion impromptue avec la structure d’un vaisseau loyaliste avait totalement brisé l’enveloppe protectrice du space marine renégat. Fuerza ne put que regarder impuissant la lueur pâle qui animait la visière du heaume de l’Effacé s’étioler puis s’éteindre. L’esprit du guerrier qui l’habitait venait de mourir.
Il sentit une tristesse sincère l’envahir, l’écho de la douleur psychique venait s’ajouter à ses souffrances physiques.
Ils étaient déjà si peu nombreux, et venaient de perdre trois des leurs.
Il se redressa lentement pour limiter le spasme de douleur remontant le long de sa colonne vertébrale, et fit face au survivant. L’Effacé était impassible et ne trahissait pas la moindre émotion suite à la perte de ses compagnons. Une fois de plus, Fuerza se demanda comment l’esprit des Effacés appréhendait le monde. Voyaient-ils les runes sur les viseurs à réalité augmentée de leurs heaumes ? Entendaient-ils de la même façon que des mortels les paroles prononcées ?
C’était impossible à dire. Ahriman – maudit soit-il – les avait rendus aussi froids et insensibles que les icônes de Neiumas Tertius.
En dépit de cela, l’automate était impressionnant à contempler. Son armure de combat couleur bronze et saphir mesurait plus de deux mètres cinquante de haut, et son porteur détenait encore le bolter qu’il avait porté de son vivant sur Prospero. Sa cuirasse était décorée de dragons, de serpents, de constellations et de symboles astrologiques, et de glyphes de pouvoir plus ésotériques encore. Chacune de ces gravures était d’une beauté à couper le souffle.
Elles se liaient et se déliaient constamment pour reformer de nouvelles images. Fuerza n’avaient jamais compris pourquoi, et il n’y prêtait plus attention depuis longtemps. Seul le symbole de l’Œil restait apposé en permanence sur le plastron de céramite.
— Eh bien, frère, qu’allons-nous faire ? annonça Fuerza en jetant un coup d’œil autour de lui. Il sentit un filet de sang couler le long de son menton et sur son torse alors même qu’il parlait.
Ils se trouvaient au milieu d’une coursive sombre. Fuerza s’affala de nouveau contre la paroi. L’Effacé ne bougea pas. Les murs étaient en grande partie recouverts de machineries et de tuyaux. Le tout avait un aspect purement fonctionnel et dénué d’esthétique. Le sol était en treillis métallique, le plafond un enchevêtrement de câbles, de conduits de refroidissement et de boîtiers secondaires du circuit énergétique. Il faisait noir, et extrêmement froid.
Au son tout proche des moteurs, Fuerza déduisit qu’ils se trouvaient dans les ponts inférieurs. Le bruit des convecteurs Warp était normal, toutefois les pouvoirs télépathiques de Fuerza lui indiquèrent que l’esprit de la machine était en souffrance. Il entendit également des cris étouffés au-dessus de lui, et des grondements sourds et intermittents. L’équipage faisait de son mieux pour éviter que le vaisseau rende l’âme.
— Nous sommes dans le Warp, annonça Fuerza à voix haute. Il nota à peine que ses lèvres étaient sèches et gercées. « Et d’après ce que nous savons, il s’agit du seul navire qui est parvenu à échapper au blocus d’Aphael. »
Il regarda l’Effacé. Son heaume était surmonté d’une crête en céramite polie qui diffractait la lueur interne de son porteur.
— Nous sommes dans un vaisseau des Loups, reprit-il, essayant de visualiser mentalement l’agencement probable du navire. « Ils sont peut-être plusieurs à bord. »
Il sourit et réprima une quinte de toux qui lui aurait fait cracher du sang, et posa une main amicale sur le brassard de l’Effacé.
— Cela n’a aucune importance. Ces blessures vont guérir. D’ici là, tu seras mon protecteur. Lorsque ce vaisseau sortira de l’Immaterium, nous serons ses seuls occupants…
Les atterrissages dans les montagnes d’Asaheim se prolongèrent trois jours durant. Trois jours au cours desquels les meutes s’en donnèrent à cœur joie, détruisant, brûlant et lançant des attaques surprises. Trois jours au cours desquels les Loups accumulèrent les victoires, empêchèrent leurs ennemis d’établir une tête de pont solide et préservèrent envers et contre tout le sol de leur monde de leur présence. De nombreux vaisseaux de transport furent détruits avant leur atterrissage par des groupes de longs crocs, d’autres furent anéantis au sol par les meutes de chasseurs gris et de griffes sanglantes.
En dépit de cela, les envahisseurs parvinrent finalement à établir des têtes de pont. Le temps fit son œuvre, car les Loups durent faire face à de plus en plus d’adversaires. Ils ne pouvaient se trouver partout à la fois, et les batailles qu’ils livrèrent devinrent de plus en plus féroces et déséquilibrées. Les Thousand Sons s’assurèrent des positions défensives en neuf points différents autour du Croc, et acheminèrent toujours plus d’hommes et de matériel. Ils mettaient patiemment en place le nœud coulant qui allait se refermer autour de la gorge des Loups.
À l’aube du quatrième jour, le Croc était entouré par un anneau de feu. Des colonnes de fumée noire et huileuse générées par du prométhium répandu sur la glace formaient un cercle de plusieurs kilomètres de diamètre dans la chaîne montagneuse. Il se refermait peu à peu sur sa proie, le sacrifice de milliers de soldats ayant permis aux Thousand Sons de gagner du temps afin de faire atterrir toujours plus de transports, et d’en débarquer toutes sortes de blindés et de pièces d’appui.
Le Thunderhawk de Greyloc, baptisé Vragnek, fila sous les boucliers du Valgard qui résistaient encore et toujours à la pluie de plasma du bombardement orbital, et alla se poser dans un des hangars. Sa rampe d’accès s’ouvrit immédiatement pour laisser descendre le Seigneur Loup et ses gardes du corps en armure Terminator. Croc de Wyrm les attendait.
Tout le côté droit de l’armure de Greyloc était noirci, le reste était maculé de sang séché. Un morceau de son épaulière droite avait été arraché par un tir, balafrant la rune Trysk qui y était gravée. Ses griffes de loup crépitaient encore d’énergie résiduelle. La croûte brunâtre de sang coagulé qui recouvrait les poignets de Greyloc indiquait qu’il n’avait pas chômé.
— La chasse a été bonne ? demanda Croc de Wyrm, bien qu’il connût déjà la réponse.
Le casque de Greyloc produisit un sifflement de dépressurisation lorsqu’il l’ôta. Les yeux blancs du seigneur loup étincelaient.
— Ils sont trop nombreux, marmonna-t-il en passant à côté de Croc de Wyrm. Celui-ci lui emboîta le pas. « La neige n’est plus qu’une mer de sang, mais ils continuent d’atterrir. »
Croc de Wyrm hocha la tête d’un air grave.
— La première vague de transports était destinée à faire diversion. Des vaisseaux lourds ont atterri au-delà des sites les plus proches. Les mortels sont désormais accompagnés par des space marines renégats.
Greyloc cracha un jet de salive rougeâtre et secoua la tête.
— Par les reliques de Russ ! jura-t-il. « J’aurais voulu continuer le combat, jusqu’à ce que mes griffes ne tranchent plus que des corps sans vie. »
Il regarda le Prêtre Loup droit dans les yeux. Leur férocité n’avait pas diminué.
— Tu m‘entends ? J’aurais préféré rester là-bas !
Croc de Wyrm fixait attentivement Greyloc à la recherche de signes extérieurs qui trahiraient la pente fatale sur laquelle le Seigneur Loup se serait engagé, et s’attarda longuement sur ses iris laiteux.
— Ta colère est juste, frère, finit-il par annoncer en lui donnant une claque amicale sur l’épaule. « C’est une réaction normale. »
Greyloc grommela quelque chose pour tenter de cacher son soulagement et joua de l’épaule pour la débarrasser de la main condescendante du Prêtre Loup.
— Quelle est la situation ?
— Nous sommes encerclés, répondit Croc de Wyrm. Il parlait sans s’émouvoir. « L’étau se resserre. Si tu ne rappelles pas les meutes, elles vont être éliminées une à une. L’ennemi dispose désormais de sorciers, et nous n’avons pas les prêtres des runes pour les contrer. »
— Elles ne vont pas accepter facilement de revenir dans leur tanière…
— Alors elles seront détruites. Il suffit de regarder les auspex.
Greyloc ne répondit pas. Il envisageait les différentes possibilités.
— Nous sommes des chasseurs, Thar, annonça-t-il enfin. La soif de sang qui sourdait dans sa voix disparaissait peu à peu. « Il faut continuer. Nous sommes acculés, mais les griffes sanglantes refuseront de battre en retraite. »
Croc de Wyrm sourit, et sa bouche s’ouvrit comme une blessure à vif au milieu de son visage plissé.
— Dans ce cas, il va falloir qu’ils apprennent à se battre autrement. À changer. N’est-ce pas ce que tu dis toujours ?
— Je le disais parce que j’avais espoir que l’Altération…
— Ils apprendront à changer. Et tu seras là pour les guider.
Greyloc le regarda froidement. Ses traits crispés trahissaient ses pensées. De toute façon, il n’essayait pas de les cacher.
Ils ne me font pas confiance. Je suis le Loup Blanc, le fantôme au sang glacé. Ils sentent la façon dont je veux les transformer.
— Rappelle les meutes, grommela-t-il en étirant les muscles de son cou après ces jours de combats incessants. « Nous allons les affronter ici. Le passage des portes va les saigner à blanc. »
Le ciel bleu était zébré par le sillage noir des missiles. L’ennemi avait réussi à mettre des armes en batterie à quelques kilomètres de la position de Rossek ; plusieurs détachements s’avançaient vers eux.
— Rojk ! tonna-t-il dans la radio. Où est mon appui feu ?
Il reçut des grésillements pour seule réponse. Soit les communications étaient brouillées, soit l’escouade de longs crocs de Torgrim Rojk avait été forcée de se replier. La situation ne faisait qu’empirer.
L’escouade de Rossek avait attaqué six sites d’atterrissage au cours de la nuit, détruisant à chaque fois tous les transports avant de passer au suivant. En quatre jours, ses dix chasseurs gris n’avaient toujours pas subi de perte malgré le nombre invraisemblable de soldats qu’ils avaient massacrés. Toutefois, la vérité s’était dévoilée peu à peu : la première vague d’ennemis n’était que de la chair à canon, des conscrits mal entraînés et mal équipés destinés à encaisser la fureur des Loups pendant que les troupes d’élite étaient débarquées en retrait. Désormais, les montagnes grouillaient de centaines d’escouades adverses, telles que celles dont ils étaient en train d’approcher.
— Frar, Scarjaw, déployez-vous, ordonna-t-il par radio.
Les deux chasseurs gris obéirent immédiatement, et partirent vers la gauche pour gravir la pente du vallon. La meute de Rossek progressait le long d’un renfoncement entre les montagnes pour masquer son approche. Les rochers, parfois aussi gros qu’un Rhino, fournissaient un excellent couvert. L’ennemi progressait à l’autre bout de ce vallon, à quelques centaines de mètres.
Il disposait de deux blindés précédant un peloton de soldats. Leurs tirs étaient incessants et précis, et ricochaient sur la roche non loin des space marines. Les deux véhicules ressemblaient à des Leman Russ, mais dotés d’autocanons et de bolters lourds qui en faisaient de redoutables chars antipersonnel. D’une certaine façon, ils ressemblaient aux Exterminator que déployaient parfois les Space Wolves.
— Eriksson, Vre ! aboya Rossek.
Deux autres chasseurs gris partirent vers la droite, progressant d’un rocher à l’autre. Les six autres membres de la meute ne bougèrent pas, restant à couvert en attendant les ordres de leur chef.
Un rocher énorme se fendit en deux à quelques mètres à peine de Rossek sous l’impact d’un obus de mortier lourd. Les bolters lourds des chars continuaient de tirer de longues rafales. L’ennemi les quadrillait.
Rossek vérifia l’auspex sur son affichage tactique afin de s’assurer que ses hommes étaient en position.
— Maintenant ! ordonna-t-il.
Les chasseurs gris sur les flancs jaillirent de leur couvert et foncèrent vers l’ennemi, bondissant comme des konungur à travers le terrain accidenté. Ils se déplaçaient incroyablement vite. Leurs bolters ouvrirent le feu et mitraillèrent les flancs des chars ainsi que les premiers rangs de l’infanterie qui les suivait.
Rossek observait les tourelles latérales des blindés pivoter pour faire face à cette menace. Il attendit quelques secondes, le temps que son escouade sorte de leur ligne de mire, puis donna le signal.
— Hjolda ! cria-t-il en s’élançant.
Ses chasseurs gris l’imitèrent en écartant brusquement les peaux qui les camouflaient et en rugissant de défi. L’heure était venue d’abandonner la discrétion en faveur d’un assaut fulgurant.
Des projectiles de bolter lourd frôlèrent l’épaulière de Rossek tandis qu’il sprintait vers sa cible. Ses sens aiguisés lui donnaient des réflexes surhumains. Il tira au jugé tout en courant avec son bolter d’assaut, puis démarra le poing tronçonneur de sa main gauche lorsque les chars furent tout proches.
Les véhicules étaient lourdement blindés mais lents, d’autant plus à cause du terrain accidenté. Les Loups fonçaient vers eux et esquivaient habilement leurs rafales imprécises. Ils étaient incroyablement lestes malgré leurs armures énergétiques.
Rossek atteignit le premier char et sauta sur son toit en usant de l’impulsion surhumaine que lui conféraient les servomoteurs de son armure. La tourelle pivota lentement dans sa direction. Rossek y enfonça la lame de son poing tronçonneur et l’ouvrit comme une boîte de conserve, faisant naître une gerbe d’étincelles.
Deux chasseurs gris grimpèrent sur le second char pendant que le reste de la meute se jetait sur l’infanterie. Les aboiements des bolters couvrirent rapidement les crépitements des fusils laser.
D’un seul geste, Rossek se délesta de son bolter d’assaut en l’attachant à sa fixation magnétique, saisit une grenade antichar et la jeta dans le trou qu’il venait d’ouvrir dans la tourelle, puis sauta au bas du char au milieu d’une pluie de laser. Les bolters lourds latéraux de l’engin se pointèrent sur lui, toutefois leurs artilleurs furent mis en charpie par le souffle de la grenade avant de pouvoir tirer. Le char fut parcouru d’un immense spasme et sa coque se déforma vers l’extérieur sous l’effet de l’explosion de ses munitions.
Le second tank ne tarda pas à subir le même sort lorsque son réservoir de combustible s’embrasa. Deux panaches de fumée noire s’élevèrent des deux épaves.
Les soldats prirent leurs jambes à leur cou, toute leur confiance s’étant évaporée en même temps que leur soutien blindé. Certains jetèrent même leurs armes pour fuir plus rapidement. Rossek eut un rire de mépris tonitruant. Il s’empara de nouveau de son bolter d’assaut et se prépara à faucher ses adversaires en déroute.
C’est à cet instant qu’il remarqua que son auspex lui signalait de nouveaux arrivants. Une ligne de guerriers aux armures couleur bronze et saphir progressait au loin en remontant le flot des fuyards, lentement et inexorablement. Rossek se mit à couvert et les compta. Dix-huit. Deux fois neuf.
— Je reçois un signal de l’Aett, Jarl, lui rapporta Frar en se couchant à ses côtés derrière un énorme rocher. Sa voix trahissait sa soif de sang. « Nous avons pour ordre de battre en retraite. »
Rossek utilisa le grossissement de son viseur pour observer plus précisément ces nouveaux ennemis. Ils ne se cachaient pas et n’usaient pas des couverts ; ils avançaient avec une arrogance ostensible, comme si ce monde qu’ils foulaient était déjà à eux.
— Des traîtres ! cracha Rossek en sentant sa colère grandir. Les mortels n’étaient là que pour épuiser les munitions des Loups. Ce n’était que maintenant que leur véritable adversaire se présentait.
— Jarl, que dois-je répondre ? s’enquit Frar.
Rossek fut irrité par cette question. Il rencontrait enfin des guerriers dignes de sa lame qui ne fuiraient pas au premier signe de grabuge. Il se mit à grogner involontairement, l’index crispé sur la détente de son bolter d’assaut.
— Rien du tout, frère, dit-il alors que le reste de la meute se rassemblait autour de lui. Il estima la distance à laquelle se trouvaient les traîtres, les couverts à sa disposition et le soutien d’artillerie dont l’ennemi bénéficiait probablement. « Tu ne vas rien répondre du tout. Nous n’allons pas battre en retraite, même si le Père de Tous lui-même nous l’ordonnait. »
Il se tourna vers le chasseur gris et vit qu’il était lui aussi désireux de se battre. Toute la meute tuait sans discontinuer depuis des heures. Le sang qu’elle avait versé la galvanisait.
— Coupe les communications. Nous allons les abattre. Préparez-vous à déchaîner la fureur de Russ contre ceux qui ont osé profaner ses terres ! s’adressa-t-il au reste de la meute.
Les chasseurs gris vérifièrent rapidement leurs bolters et leurs épées tronçonneuses puis se préparèrent à l’assaut.
— La colère de Russ ! répéta Frar, une note de joie menaçante dans la voix.
Ramsez Hett progressait dans la neige qui détrempait le bas de sa robe. Son armure dorée l‘épargnait de l’essentiel du froid, mais celui-ci était si mordant qu’il parvenait tout de même à pénétrer en partie à l’intérieur de cette protection pourtant étanche.
Le site d’atterrissage Heq’el Mahdi était passé de quelques centaines de mètres à plusieurs kilomètres carrés. C’était d’ores et déjà une petite ville nichée au milieu des congères. Elle disposait de batteries antiaériennes, de générateurs de champ de force, de fortifications préfabriquées et de tranchées creusées à la hâte sur tout son périmètre. Plus de deux mille gardes des spires avaient atterri, et il en débarquait toujours plus au fil des heures. Ils étaient accompagnés par des escouades d’Effacés. Chacune d’elles était menée par un sorcier, et bénéficiait systématiquement de l’appui d’au moins cent soldats mortels. Des chars et de l’artillerie mobile de Prospero cahotaient sur le sol inégal. Leurs pots d’échappement produisaient une fumée âcre ; les moteurs souffraient des conditions extrêmes. Heq’el Mahdi abritait une armée imposante, pourtant ce n’était qu’un seul des neuf sites d’atterrissage que les Thousand Sons étaient parvenus à sécuriser. L’ampleur des ambitions d’Aphael se dévoilait peu à peu.
Nous ne pourrons plus jamais monter une telle opération. Tout va dépendre de cette bataille.
Le Seigneur Sorcier Raptora atteignit son but. Un commandant des gardes des spires s’approcha et le salua. Il portait l’armure lourde et le heaume de combat tactique qu’on avait négligé de donner aux troupes de la première vague d’assaut.
— Est-il à l’heure, Commandant ? La voix de Hett était râpeuse à l’extrême. Il avait souffert lors de l’Effacement. Ses cordes vocales avaient été distendues au-delà du tolérable. Cependant, si le Commandant remarqua ce handicap, il n’en montra pas le moindre signe.
— À la minute près, Seigneur, répondit-il en levant la tête vers le ciel.
Ils se trouvaient au bord d’une zone d’atterrissage qu’on avait dégagé au milieu de la roche à grands renforts de bombes à fusion. Sa surface avait ensuite été recouverte de plaques de plasbéton. Plusieurs Effacés montaient la garde, aussi immobiles que les pierres qui les entouraient.
Hett suivit le regard du Commandant et aperçut le vaisseau d’Aphael se diriger vers eux. C’était un Stormbird, un des nombreux appareils que la Légion possédait autrefois. Il était doré et décoré de frises représentant des animaux mythiques. Le cockpit se perdait sous une accumulation de symboles baroques en bronze aux formes géométriques et mystiques. Il était surmonté d’une mosaïque de grenats, de rubis et de béryllium représentant l’Œil.
Tout en observant le vaisseau se poser, Hett se demanda si Temekh n’avait pas raison de dire que la Légion avait perdu tout sens de l’esthétique. Cet appareil était laid, pompeux, presque vulgaire.
Nous avons perdu tout jugement, tout esprit critique. Il ne nous reste rien.
La rampe d’accès s’ouvrit et se posa délicatement sur le tarmac. Le seigneur Aphael en descendit avec assurance, suivi par six Effacés en armure Terminator. Son heaume couleur bronze était doté d’un haut-parleur ostentatoire. Chacun de ses mouvements était précis et débordait de morgue.
— Félicitations, frère, tu nous as donné la base dont nous avions besoin, dit Aphael en s’approchant de Hett.
Ce dernier s’inclina.
— Nous avons perdu de nombreux hommes, Seigneur, plus que je ne l’aurais souhaité. Les Chiens ont été plus rapides que prévu.
Aphael haussa les épaules.
— Il s’agit de leur planète natale. Nous aurions dû nous montrer aussi prompts à défendre la nôtre…
— Quoi qu’il en soit, des mortels ne devraient pas avoir à combattre des space marines. Les premiers affrontements ont tourné au massacre.
Hett sentit que sa remarque irritait Aphael. En dépit de son calme apparent, l’âme de son maître était tourmentée. Si Hett avait été un Athanéen, il aurait sans doute pu deviner ce qui le perturbait.
Ce n’était certainement pas la peur. Quoique…
— C’est bien pour cela que les Effacés sont là. Grâce à la ruse de notre Seigneur, il ne reste guère plus qu’une centaine de Chiens dans leur repaire. Nous avons avec nous six cent de nos frères silencieux, et deux millions d’hommes contre à peine quelques milliers des leurs. Que voudrais-tu de plus, frère ?
Son ton de reproche était patent.
Craint-il l’échec ? Non, ce n’est pas cela. Son malaise est plus subtil. Il se cache au fond de lui.
— Je ne voulais pas sous-entendre que…
— Si, tu le voulais, le coupa Aphael d’un air désabusé. « Et c’est ton droit, car tu es un officier, et tout aussi gradé que moi, de surcroît. »
Il s’arrêta pour contempler la base. Elle grouillait de soldats marchant au pas cadencé et d’escadrons de chars. Une escadrille de bombardiers portant les stigmates de combats récents passa en rase-mottes au-dessus d’eux. C’était une vision impressionnante. Peu d’adversaires dans toute la galaxie auraient pu faire face à un tel déploiement de troupes.
— S’il ne s’agissait pas de Fenris, je dirais que nous disposons déjà de suffisamment de forces. Néanmoins, nous ne devons pas sous-estimer nos adversaires, au risque de tous nous faire tuer.
Il se tourna vers le Stormbird. La rampe de débarquement arrière avait été baissée, et quelque chose d’énorme s’en extirpait.
— Tu verras que j’ai pris toutes les précautions possibles, Ramsez. Nous allons livrer cette bataille avec toutes les armes dont la Légion dispose encore.
Un engin massif sortit lentement de la soute de l’appareil. Il était deux fois plus haut qu’un Effacé et ressemblait à une montagne de métal aux formes arrondies. Sa tête se trouvait au centre de son torse, au milieu de filigranes en bronze. Ses bras énormes étaient équipés d’un canon et d’une perceuse industrielle. Il se déplaçait avec lenteur mais adresse, compensant la torsion de la rampe de débarquement sous son poids. Ce monstre doré exsudait une odeur d’huile de moteur et de liquide de refroidissement. En revanche, sa présence dans le Warp était inexistante, car il était totalement dénué d’âme, contrairement aux Effacés dont l’esprit défaillant y brillait malgré tout faiblement.
Hett le regarda d’un air éberlué.
— Des cataphractaires ! s’exclama-t-il en voyant un second engin descendre du vaisseau à la suite du premier. « Je croyais qu’ils avaient tous été… »
— Détruits ? Presque tous. Il ne reste que ceux-là.
Hett admirait les énormes robots de combat, les œuvres d’une techno-sorcellerie cybernétique ancienne. Ils s’arrêtèrent une fois parvenus au bord de la piste d’atterrissage. Ils avaient l’air terrifiants, invincibles. D’autres suivirent, jusqu’à former un escadron entier de machines de morts.
— Nous avons procédé à quelques modifications, expliqua Aphael en faisant un geste vers les bras équipés de perceuses. « Elles nous seront utiles pour déloger les Chiens de leur trou. »
— Tu penses que nous en aurons besoin ?
— Je l’espère ! La haine dans sa voix était palpable ; elle sembla aussi distordue que celle de Hett. « S’ils se montrent à la surface, nous irons les chercher. S’ils se terrent dans leurs tunnels, nous irons les chercher. S’ils s’enterrent sous des tonnes de roche, nous irons les chercher. Nous allons les débusquer, les forcer à se battre et répandre leur sang au point que ce monde en sera souillé à jamais. »