Chapitre Huit
— Pour Russ ! postillonna Rossek dans son casque.
Il frappa avec la lame de son poing tronçonneur vers la plaque pectorale du space marine renégat au moment où celui-ci se tournait pour lui faire face. Du coin de l’œil, il vit que ses frères rangeaient leurs bolters et s’emparaient de leurs armes de corps à corps en se jetant sur leurs adversaires. Ils ignorèrent les derniers soldats humains. Désormais, seuls comptaient les traîtres : dix-huit Effacés contre une meute de onze Space Wolves enragés.
Un combat égal.
L’Effacé se tourna vers Rossek avec une rapidité surprenante. Ces géants de saphir marchaient d’un pas lent, toutefois ils s’animaient dès qu’ils se retrouvaient dans le feu de l’action. Leurs réflexes étaient aussi vifs que ceux de n’importe quel membre de l’Adeptus Astartes au corps génétiquement amélioré et endurci par un entraînement rigoureux.
Les armures de céramite se heurtèrent, gris sombre contre saphir et bronze. Les Loups se jetaient au combat avec rage. Les fétiches en os tintaient frénétiquement contre les épaulières tandis que leurs bras drapés de peaux de bêtes portaient des horions terribles avec une précision époustouflante.
Les traîtres réagirent sans dire un mot, parant et contre-attaquant sans hésiter. Ils se déplaçaient avec agilité, rendaient coup pour coup et détournaient les armes de leurs adversaires avec leurs propres épées énergétiques aux lames cristallines.
Rossek surplombait la mêlée. Son armure Terminator arborait les traces d’innombrables tirs de laser. Il plongea dans la garde de son ennemi et le repoussa de tout son poids. Son poing tronçonneur décrivait des arcs mortels devant lui.
L’Effacé recula mais lui fit face stoïquement. Le poing tronçonneur mordait régulièrement dans son armure et arrachait de grands morceaux de céramite, cependant, pas une fois le Thousand Son ne flancha.
— Mort aux traîtres ! hurla Rossek en sentant une nouvelle poussée d’adrénaline parcourir son corps. Le loup en lui était en proie à une frénésie de destruction. Le silence de ses ennemis ne faisait qu’attiser sa colère et le plongeait dans les affres d’une sauvagerie indicible.
L’Effacé finit par trébucher sur le sol accidenté. Rossek saisit cette occasion pour le gratifier d’une rafale de bolts à bout portant. Les projectiles explosèrent à l’impact, ébréchant l’armure et pulvérisant les ornements du heaume et des épaulières.
— La fureur de Fenris !
Son cri de guerre se mêla à ceux du reste de sa meute.
Il se sentait vivant. Il tendait la main vers la perfection : porter le combat à ses ennemis, l’affronter sur la glace, comme l’avait voulu le Père de Tous. Car au milieu de toute cette rage aveugle, de cette fois de sang inextinguible, il ressentait aussi un plaisir extatique.
Rossek riait à gorge déployée sous son casque. Il ne prêtait plus attention aux runes qui indiquaient les positions de ses guerriers. L’Effacé continuait de ployer sous son assaut sans parvenir à prendre l’avantage. Son existence misérable allait bientôt se terminer.
Puis tout bascula.
Rossek vit Scarjaw sauter d’un rocher à droite sur deux Effacés, sa peau de bête claquant férocement derrière lui. Et soudain, le chasseur gris s’immobilisa en plein vol, comme si le temps venait de s’arrêter.
Le reste de la meute subit le même sort. Les gestes des Space Wolves ralentirent avant de se figer définitivement.
Pris au dépourvu, Rossek fit volte-face et sentit à son tour l’engourdissement qui s’emparait de ses membres.
— Résistez, Frères ! cria-t-il en comprenant qu’il s’agissait là de l’œuvre du maleficarum. La puanteur de la sorcellerie envahit ses narines. Les runes de son armure rougeoyèrent alors qu’elles tentaient de repousser cette influence néfaste. Sa vision se brouilla, comme s’il se retrouvait subitement entouré par une brume délétère.
Les Effacés ne semblaient pas affectés. Ils réagirent sans attendre, plongeant leurs lames dans les gorgerins des Loups paralysés, indifférents aux cris de douleur étouffés des chasseurs gris frappés à mort.
Rossek pouvait à peine bouger. Il avait l’impression d’être écrasé par une montagne.
Je ne pourrai jamais les sauver.
Il grogna sous l’effort, luttant de toute sa volonté pour continuer le combat. De grosses gouttes de sueur perlèrent sur son front et coulèrent le long de son visage. Lever simplement le poing lui coûtait toutes les peines du monde.
Trois Effacés se dirigeaient vers lui, dont celui qu’il affrontait. Il se semblait animé par aucune soif de revanche en dépit du traitement que Rossek lui avait infligé. Il leva son épée et se prépara à porter le coup de grâce.
Rossek voyait les runes de son casque indiquant la position de ses guerriers s’éteindre une à une. Ils se faisaient massacrer, non pas dans un combat à la loyale, mais comme du bétail.
Il parvint à serrer les poings et les dents, et maudit ses ennemis. Il avait l’impression que ses cœurs allaient exploser, que ses muscles allaient se détacher de ses os, pourtant il réussit à lever son arme.
C’est alors qu’il aperçut l’auteur de cette boucherie sortant de sa cachette. Le magus des Thousand Sons ne se trouvait qu’à quelques mètres, cependant sa silhouette était changeante et scintillante. Rossek flaira l’odeur doucereuse de la corruption qui émanait de lui. Sous ces robes se cachait un guerrier de chair et de sang, au cœur empli de haine.
Il portait un bâton doré dont l’extrémité s’auréola d’une boule d’énergie blanche.
+Sache ceci avant de mourir, Chien+ chuchota une voix maligne dans la tête de Rossek. Le sorcier pointa son sceptre vers lui. +Tous les tiens vont périr comme toi.+
Rossek fut baigné dans une lumière aveuglante et une douleur effroyable. Un impact terrifiant l’arracha du sol et le projeta dans les airs. Le rayon incandescent qui jaillit du sceptre du sorcier le brûla férocement malgré son armure. Il s’écrasa lourdement au sol et sentit immédiatement du sang lui envahir la bouche. Sonné, il crut tout d’abord avoir été victime d’une grenade antichar avant de comprendre ce qui s’était réellement passé.
Il tenta de relever la tête et de ne pas s’évanouir.
— Ne bouge pas !
C’était la voix de Rojk dans la radio. La vision de Rossek s’éclaircit au moment où des projectiles d’armes lourdes s’abattirent sur l’escouade de Thousand Sons. Les traîtres furent jetés au sol par les impacts. Des missiles antichars et des tirs de bolters lourds laissèrent dans les airs des traînées de feu. Plusieurs Effacés furent détruits, leurs armures ne résistant pas à la pluie de mort qui leur tombait dessus. Les survivants battirent en retraite avec discipline.
Quelques secondes plus tard, Rossek fut tiré à couvert d’un rocher.
— Ma… meute ! gémit-il alors que sa vision se brouillait à nouveau.
Ceux qui le traînaient le lâchèrent. Un casque familier se pencha au-dessus de lui. Il était blanc et représentait un crâne d’ours. Il ressemblait plus au heaume d’un prêtre loup qu’à celui d’un longs crocs.
— Un seul a survécu, annonça Torgrim à Rossek sur un ton de reproche. « On va vous ramener tous les deux. »
Rossek perçut enfin le grondement familier du moteur d’un Land Raider derrière une nouvelle salve de bolts tirée par les longs crocs.
Il se remit debout avec difficulté. Il se sentait nauséeux et souillé.
— Les progénoïdes… bafouilla-t-il en pensant à ses frères tombés au combat. La tête lui tournait et des détonations étouffées résonnaient dans son crâne.
Rojk fit signe à ses hommes d’embarquer à bord du Land Raider. Les vétérans se replièrent dans le calme, sans cesser de tirer pour couvrir leur retraite. Ils emmenaient avec eux le corps d’Aunir Frar. Visiblement, le space marine était grièvement blessé.
— Si on ne décampe pas vite fait, on est tous morts, répondit Rojk. « Regarde autour de toi ! »
Rossek se retourna et faillit perdre l’équilibre tant il était faible. Les Effacés s’étaient regroupés à quelques centaines de mètres de l’endroit où ses frères avaient été tués. Derrière eux, d’autres troupes remontaient la vallée étroite, aussi bien des Traîtres que leurs serviteurs mortels. Des chars arrivaient également. Ils étaient bien plus gros que ceux que la meute de Rossek avait détruits, et si lourds que leurs chenilles réduisaient la roche en poussière.
Les Space Wolves étaient sur le point d’être interceptés par un bataillon complet de Thousand Sons qui avançait vers le Croc. Rossek s’était trop attardé. De plus, la puanteur du maleficarum lui collait à la peau ; il était impuissant face à un tel pouvoir.
Il laissa les longs crocs le pousser sans ménagement à l’intérieur du Land Raider dont les bolters lourds faisaient feu sans discontinuer. Les pots d’échappement du transport de troupes produisirent d’épais panaches de fumée lorsqu’il se mit en branle.
Rossek remarqua à peine qu’il pénétrait dans le compartiment du véhicule. Il était perdu dans ses pensées lorsque ce dernier se mit en route le long du vallon. Le chancre de la corruption rongeait son esprit, parasitait ses pensées et émoussait ses instincts.
Le Land Raider se mit finalement hors de portée et continua de prendre de la vitesse. Rossek s’appuya contre la paroi du compartiment. Seuls les servomoteurs de son armure lui permettaient encore de tenir debout. Il reprit peu à peu ses esprits, et finit par voir l’horrible vérité.
Je les ai tués.
C’est alors que le loup aux yeux d’ambre qui l’habitait se mit à hurler au désespoir.
Reri Urfangsson aimait le vide spatial. Même lorsque son vaisseau se trouvait dans le Warp, et que l’équipage était en proie aux nausées et aux maux de têtes, il était conscient que travailler à bord d’un navire de l’Adeptus Astartes était une chance rare pour un homme de l’Imperium. Il le savait d’autant plus qu’il avait voyagé sur d’autres planètes et qu’il avait vu les horreurs – et parfois les merveilles – qu’elles recelaient. Il avait contemplé des cités-ruches de métal et de plasbéton qui s’élevaient dans une atmosphère acide, d’énormes sites agricoles baignés de poussière où les ouvriers suaient sang et eau, des mondes-forges dont les manufactorums s’étendaient sur des continents entiers, au milieu d’une mer de pollution et de vapeurs viciées.
C’est pourquoi il s’estimait satisfait de travailler dans l’enginarium du Nauro, bien que sa tâche fût souvent éreintante. L’endroit était froid et obscur, mais il n’était pas pire que Fenris ; l’odeur tenace et désagréable se faisait oublier au bout de quelques années et les kaerls, malgré leur tendance à jouer des coups de crosse quand le travail était mal fait, traitaient généralement l’équipage avec une certaine humanité. Le capitaine actuel du vaisseau avait même ordonné la distribution de demi-mjod, pour les récompenser d’avoir réussi à échapper au blocus orbital. Cette boisson fortement alcoolisée imitait le goût du stimulant que les Guerriers du Ciel prenaient avant d’aller au combat. Tout le monde avait accueilli cela avec joie, même si quelques accidents mineurs étaient survenus par la suite.
Suite à ce bref répit, l’équipage n’avait pas cessé de trimer. Il était difficile de dire combien de temps s’était écoulé : dans le Warp, les chronos du navire avaient tendance à dérailler, si bien que seul le navigateur avait une idée plus ou moins claire du temps passé depuis le début du saut dans l’Immaterium. À en juger à sa fatigue, Reri estimait que cela faisait plusieurs jours. Il avait dû mettre les bouchées doubles et n’avait fermé l’œil que quelques heures entre chaque quart. Le capitaine leur en demandait beaucoup. Pour une raison ou pour une autre, il semblait diablement pressé, et poussait les moteurs de son navire dans leurs derniers retranchements malgré les dommages qu’ils avaient subis.
En tant que simple ouvrier, Reri n’avait aucune vue globale sur l’état du vaisseau, toutefois il avait l’habitude des moteurs, et savait qu’ils étaient en piteux état. Les fuites étaient encore nombreuses, et trois des quatre principales conduites de combustible étaient hors service. Sept ponts avaient dû être scellés, ce qui compliquait d’autant la tâche des techniciens. Ceci dit, les visages des sous-officiers étaient moins crispés qu’ils ne l’étaient quelques jours auparavant, ce qui laissait penser que si Morkai avait bien failli les attraper, ils avaient depuis réussi à le semer.
Cette pensée rassura Reri Urfangsson. Il tenait à vivre, surtout depuis qu’Anjia, la fille qui travaillait au mess des officiers, avait finalement cédé à ses avances et avait accepté de s’éclipser de temps à autre avec lui dans un coin tranquille. Il ne se voilait pas la face en s’imaginant qu’elle était amoureuse de lui. Son travail l’avait rendu malingre et falot, il était donc loin d’être un canon de virilité. Néanmoins, le fait de frôler la mort avait tendance à ôter toute velléité de résistance à une femme…
Il se faufila dans une coursive de service. Il avait appris à parcourir rapidement les entrailles du Nauro au fil des ans. La lumière était encore plus faible qu’à l’accoutumée. Des sections entières étaient plongées dans le noir, là où les tableaux de dérivation redirigeaient la moindre parcelle d’énergie disponible vers les systèmes primaires du navire. Reri avait donc accroché deux lampes-torches à son casque rouillé pour pallier ce manque de luminosité. Il progressait au son de sa respiration haletante. Il n’avait pas fait de pause crapuleuse avec Anjia depuis longtemps ; sous l’épaisse couche d’huile, ses paumes étaient moites de désir.
Il tourna à un coin puis se baissa pour négocier un boyau où s’enchevêtraient des amas de câbles. Il était tout proche des moteurs. Les parois métalliques vibraient constamment sous leur grondement titanesque.
Il atteignit finalement son but : une salle de stockage située au cœur du labyrinthe de tunnels de service. L’endroit était éclairé par quelques néons vacillants.
Reri sourit et alluma ses lampes. Les deux rais de lumière n’étaient pas très puissants, mais ils étaient tout de même bien pratiques pour s’orienter. Il sauta dans la salle depuis le tunnel de service qui débouchait en haut d’une paroi, et atterrit lourdement sur une caisse pleine d’uniformes élimés dont le couvercle se brisa. Reri regarda autour de lui. Les faisceaux illuminèrent des empilements chaotiques de caisses disséminées sur le sol métallique.
Anjia l’attendait tête baissée, adossée contre une caisse contenant des pièces détachées de divers appareils. Reri vit sa chevelure rousse dans les rais de lumière et sentit un frisson d’excitation le parcourir.
— Tu es déjà là ! s’exclama-t-il en trottant vers elle.
Elle ne répondit pas. Reri hésita. Était-elle malade ? Avait-elle des scrupules ? Il s’accroupit devant elle et caressa ses cheveux d’une main mal assurée. Elle était plus affalée qu’adossée à la caisse.
— Anjia ?
Il dégagea ses cheveux afin d’observer son visage. Ses yeux n’étaient plus que deux orbites noires d’où s’étiraient deux filets de sang séché.
Reri hurla et s’enfuit à reculons, se cognant finalement le dos au mur.
Toutefois, ce qu’il croyait être le mur était un géant de métal à l’armure dorée et au casque surmonté d’une crête. Le monstre se pencha et l’attrapa par l’épaule. Il le serra si fort qu’il lui mit la chair à vif. Le sang se mit à bouillonner entre les doigts de l’Effacé.
Reri continuait de hurler lorsque l’autre Thousand Son apparut. Il portait une longue robe par-dessus son armure ouvragée. Il boitait, comme s’il était blessé. Son casque était surmonté d’une tête de cobra dorée. Il fit un geste machinal et les cris de Reri stoppèrent immédiatement : non pas que celui-ci désirait se taire, mais sa bouche béante ne laissait plus échapper aucun son. Il se débattit, plus par instinct qu’autre chose, car il avait reconnu ses deux bourreaux. Le fait qu’il s’agît de space marines corrompus en disait long sur ses espoirs de survie…
Celui vêtu d’une robe se pencha au-dessus de lui. Les lampes-torches de Reri illuminèrent les gemmes incrustées dans la tête de cobra dorée. Il continuait de rester la bouche grande ouverte, sans parvenir à extraire le moindre son de ses cordes vocales. Peu à peu, cependant, les traits de son visage se détendirent, jusqu’à prendre une expression hébétée.
Le sorcier dit quelque chose à son compagnon. Reri ne put identifier la langue qu’il utilisait. Le géant au casque doré se tourna de nouveau vers sa proie.
— Je suis content que tu sois venu, dit-il en fenrissien avec un accent étrange. Sa voix était douce, presque compatissante. « Ton amie n’a pas survécu au procédé que je vais maintenant tenter sur toi. J’imagine toutefois que tu es plus robuste qu’elle. »
Il approcha les mains. L’une tenait un scalpel incurvé, l’autre serrait deux orbes qui luisaient d’une lumière pâle et verdâtre. En dehors de cela, ces sphères ressemblaient à deux yeux ordinaires.
Reri tenta de nouveau de hurler. Il continua lorsque Fuerza éteignit les lampes-torches et se mit à l’ouvrage. Reri continua même de crier après que celui-ci eût terminé. Pendant tout ce temps, les traits de son visage restèrent détendus et sereins, en proie à un pouvoir qu’il ne pouvait comprendre. Toutefois, en dépit de cette plénitude apparente, l’âme de Reri Urfangsson serait désormais figée dans un hurlement pour l’éternité.
Poing Tonnerre sauta du promontoire. La lumière du crépuscule joua sur son armure lorsque la neige qui le recouvrait en glissa.
— Les Loups sont parmi vous ! rugit-il, trop heureux de briser enfin l’attente qui précédait l’attaque.
Les hommes qui marchaient cinq mètres en dessous de sa cachette firent volte-face, le visage déformé par une terreur presque comique. Ils avaient commis une erreur grossière en s’aventurant dans cette zone si propice aux embuscades.
Deux mètres à gauche de Poing Tonnerre, Pelisse Rouge surgit d’une congère et hurlant son cri de guerre. Le reste de la meute les suivit, mené par la silhouette imposante et vociférante de Sigrd Brakk. La pénombre lui donnait l’air d’un monstre, tout de griffes et de métal. Les Loups dévalèrent la pente et se jetèrent sur les mortels pris au dépourvu.
Quelques tirs de laser fusèrent tandis que les humains battaient en retraite vers le terrain accidenté qui s’étendait de l’autre côté de l’éminence où les Space Wolves s’étaient embusqués. Certains tombèrent, se brisant les poignets ou les chevilles sur les rochers aux arêtes cruelles. Ils étaient en tout plus d’une centaine, bien armés et bien équipés, pour des humains en tout cas.
Poing Tonnerre se réceptionna agilement et fracassa les vertèbres du soldat le plus proche d’un revers de gantelet énergétique. L’arme crépitait. Il fit décrire un large mouvement circulaire à son bras et faucha deux ennemis de plus. Ils tombèrent au sol en perdant leur masque et sombrèrent dans l’inconscience, se condamnant ainsi à mourir asphyxiés. Poing Tonnerre laissa parler son pistolet bolter. Sa rafale traça un sillon sanglant à travers la masse de corps. Le Space Wolf chargea sans hésiter.
— La colère de Russ ! s’écria-t-il. Il était presque en transe, mais cela ne l’empêchait pas de choisir ses victimes avec une précision mortelle.
Pelisse Rouge et les autres ne tardèrent pas à le rejoindre. Ils frappaient de droite et de gauche et lâchaient des salves de bolts dévastatrices. Les flammes des canons et les champs énergétiques illuminaient la scène, de même que les rayons des lasers quand l’ennemi essaya pathétiquement de riposter.
— Approche, traître ! lança Pelisse Rouge en s’élançant à travers le terrain rocailleux. « Tu vas regretter de… »
Un tir l’atteignit en pleine poitrine et le fit tomber à la renverse.
Les griffes sanglantes éclatèrent de rire en le dépassant. L’auteur de ce tir chanceux et bon nombre de ses camarades ne tardèrent pas à périr sous leurs coups.
— Regretter quoi ? se moqua Poing Tonnerre tout en éviscérant un soldat d’un bolt en plein ventre avant d’en saisir un autre avec son gantelet pour le broyer.
Dent Cassée beugla en abattant son épée tronçonneuse sur un groupe d’humains terrifiés. Les dents monomoléculaires déchiraient les armures comme du papier.
Pelisse Rouge se remit sur ses pieds. Il bouillonnait de rage et de honte. De la fumée s’échappait du trou noirci de son armure.
— Qui a osé faire ça ? rugit-il en rattrapant ses compagnons. Sa voix tonitruante recouvrait les hurlements d’agonie et le vacarme des explosions. Il vida le chargeur de son pistolet bolter dans le dos des fuyards. Une dizaine d’entre eux tomba au sol. « Essayez encore, pour voir ! »
Poing Tonnerre sourit au moment où il défonçait le masque de protection d’un soldat et faisait volte-face pour arroser les autres avec son pistolet.
— Justement, j’aimerais bien qu’ils essaient ! dit-il d’un air déçu par radio. « On commence à tomber à court d’ennemis… »
Effectivement, Brakk avait commis un massacre abominable, tuant encore plus d’adversaires que n’importe lequel de ses griffes sanglantes. Comme toujours, le Garde Loup s’était attelé à sa boucherie sans rien dire, laissant ses guerriers étancher de leur côté leur soif de sang tout en s’assurant que pas un ennemi n’en réchapperait. Lorsqu’il revint aux côtés de Poing Tonnerre, le sol derrière lui était jonché de dizaines de cadavres. Les derniers survivants furent abattus sans la moindre pitié.
— Ça suffit ! aboya Brakk une fois la tuerie terminée. Il enclencha un nouveau chargeur dans son bolter. « Notre mission ici est achevée. On retourne à l’Aett. »
Pelisse Rouge n’était pas calmé.
— Quoi ? ! protesta-t-il par dessus le vrombissement de son épée tronçonneuse. « On a encore toute la nuit pour combattre ! »
Brakk grogna quelque chose. Contrairement aux autres chefs de meutes, il portait une armure énergétique au lieu d’une armure Terminator. Néanmoins, il restait plus imposant que ses guerriers.
— On ne va pas rester ici pour te regarder tomber sur le cul encore une fois. J’ai reçu pour ordre de retourner à l’Aett, et c’est ce que nous allons faire.
Poing Tonnerre se rangea du côté de Pelisse Rouge. Son organisme était encore saturé d’adrénaline. Leur tableau de chasse était impressionnant, bien que leurs victimes fussent de piètre qualité. Cependant, il en restait encore des milliers à tuer. Rentrer prématurément au Croc était insultant.
— Ouais, on devrait rester ici, dit-il presque sans le vouloir.
Le reste de la meute n’osa prononcer un mot. Brakk se tourna lentement vers lui.
— Vraiment ? Et qu’est-ce qui te fait dire ça ? T’es un putain de génie, c’est ça ?
Poing Tonnerre en fut piqué au vif. Tout le ressentiment qu’il avait accumulé depuis des mois rejaillit soudain.
Greyloc est trop prudent. Son sang est aussi froid que l’eau des fjords. Il nous empêche d’aller chercher la gloire. Il a fait de nous la risée du chapitre. C’est Rossek qui aurait dû avoir sa place. Lui au moins, il nous aurait ordonné de nous battre. Il nous aurait permis d’étancher la soif des Rout.
En dépit de cela, il ne répondit pas. Brakk était un vieux garde loup, aussi robuste que de l’adamantium, et vétéran de centaines de campagnes. Il était le prédateur alpha, le maître incontesté de la meute. Il pardonnait à ses jeunes griffes sanglantes leurs plaisanteries, du moins tant qu’elles ne le défiaient pas.
C’est ainsi que Poing Tonnerre se soumit malgré toute sa rancœur.
— Les traîtres ont amené des sorciers avec eux, expliqua Brakk. « Si loin des sceaux de Sturmhjart, nous sommes vulnérables. Nous rentrons, parce que nous serons plus aptes à nous battre dans l’Aett. Le Jarl sait très bien ce qu’il fait. »
La meute rangea ses armes et se prépara à rentrer à l’Aett au pas de course. Elle se mit rapidement en route, progressant à travers le terrain accidenté avec aisance. La nuit tombante lui permettait de rester hors de vue de l’ennemi.
Brakk se porta au côté de Poing Tonnerre et posa fermement la main sur son avant-bras.
— Je sais ce que tu ressens, lui dit-il par le biais d’un canal radio privé. « Le feu brûle tes veines, Kyr Aesvai. Tu vas bientôt pouvoir le calmer, et obtenir la gloire que tu désires tant. »
Sa poigne se durcit.
— Cependant, si tu t’avises encore une fois de remettre en question un de mes ordres, je t’arrache la gorge.
Ahmuz Temekh balaya du regard la salle où il se trouvait. Elle était circulaire, faisait neuf mètres de diamètre et était située au cœur de l’Herumon, isolée du vide spatial par des kilomètres de structures métalliques. Son mur était parfaitement poli et brillait comme un miroir. Même les yeux de Temekh, pourtant si perçants qu’ils pouvaient déceler la moindre imperfection, n’en apercevaient aucune sur cette surface lisse. Elle était le résultat de milliers d’heures de labeur de la part de ses acolytes. Ils s’étaient attelés à cette tâche avant même que Temekh ne leur évoque leur mission sur Fenris. Le sol était tout aussi brillant, et le plafond de vingt mètres de hauteur était richement décoré : des signes zodiacaux, et les cinq polyèdres mystiques, rehaussés d’or et entourant le symbole central de l’Œil.
L’Œil. Comment est-il devenu notre emblème ? L’un d’entre nous sait-il au moins ce qu’il représente ?
Temekh le scrutait de sa vue psy, en étudiait le détail. Les frises, bien que d’une beauté saisissante, n’étaient pas de simples décorations. Elles étaient placées en des points précis par rapport au centre de la salle, des points déterminés par l’harmonie et les résonances qu’ils induisaient dans l’éther.
Les practicae et autres néophytes supposaient souvent que l’Immaterium et le Materium n’avaient pas de liens figés, et que les événements de l’un n’influaient pas ceux de l’autre. Rien n’était plus faux, bien que ces relations fussent incroyablement difficiles à décrypter pour les non initiés. Les liens étaient même plus constants et plus importants qu’entre les objets du monde réel. Néanmoins, toute une vie d’étude était nécessaire pour comprendre de quelle manière les éléments infinis de ces deux mondes interagissaient. Même les maîtres sorciers avaient recours aux symboles afin de retranscrire le sens caché des choses. Les images avaient autant d’importance que les noms. C’est ainsi que les murs de cette pièce étaient également gravés de mots de pouvoir. Ils avaient été inscrits avec une perfection époustouflante par des machines dont l’Imperium avait perdu depuis longtemps le secret de fabrication.
En eux-mêmes, ces noms n’avaient guère de signification. Mais lorsqu’ils étaient placés dans le bon ordre, et traités avec suffisamment de respect, leur pouvoir pouvait être terrifiant. Tout était question de liens de causalité.
Au centre de la salle se dressait un autel de bronze rehaussé de dorures ésotériques. Temekh se tenait face à lui comme il l’avait fait au cours des douze dernières heures, immobile, les mains jointes, la tête baissée, dans une attitude de contemplation silencieuse. Il avait progressé très loin dans les Énumérations, jusqu’au seuil de la désincarnation. Il n’osait pas aller plus loin, conscient des dangers que cela impliquait.
Quelque chose prenait forme au-dessus de l’autel. Bien que ses yeux violets fussent clos, Temekh la sentait grandir. Pour l’instant, elle n’était pas décelable à l’œil nu, et se présentait comme un éclair de lumière intermittent, un vague reflet l’instant suivant. Parfois, l’air tremblait comme s’il s’échauffait.
C’était une tâche ardue malgré les préparatifs interminables, les recherches exhaustives et les sacrifices consentis. Il était difficile de revenir en arrière sans regret lorsqu’on était allé aussi loin. Au fil des siècles, l’univers avait appris à résister à l’influence de la matière psychique. Le Materium avait sa propre essence – même si peu de gens en avaient conscience – qui lui permettait de repousser les incursions originaires de l’autre côté du voile. Si cela n’avait pas été le cas, les démons auraient envahi la galaxie depuis bien longtemps.
Toutefois, Temekh devait museler temporairement ce pouvoir afin d’accomplir la volonté de son maître. Ahriman disait souvent qu’il chantonnait pour endormir doucement l’univers. Temekh trouvait cette image très parlante.
Son cœur ralentit davantage à la pensée de son vieil ami, jusqu’à ne battre plus qu’une fois par heure. Ces souvenirs l’aidaient dans son rituel.
L’ombre d’une seconde, une pupille prit forme au-dessus de l’autel. Elle était aussi profonde que le vide sidéral, et nimbée d’un iris rouge. Elle disparut aussitôt au milieu des mirages et des formes esquissées qui dansaient sur l’or et le bronze.
Ils vous cherchent sur Gangava, Monseigneur, pensa Temekh. L’ironie d’une telle situation le satisfaisait. Comme si vous étiez encore limité par une géométrie physique ! Ils ne savent pas à quel point vous êtes devenu immensément puissant, et en même temps, immensément faible.
L’air ondula de nouveau, comme si cette pensée l’irritait, comme s’il était le reflet direct mais intangible d’un être majestueux dont l’amour-propre pouvait encore être blessé en dépit de son omnipotence.
Temekh refréna ses pensées. Il fallait qu’il se concentre. Ses pouvoirs allaient s’avérer décisifs dans les jours à venir. Chaque atome de cette pièce allait lui résister, les lois de la physique allaient tenter de l’empêcher d’accomplir sa mission. Le Materium pouvait ressentir le blasphème que Temekh allait commettre, et bouillonnait déjà d’une colère insondable.
Calme-toi, lui murmura Temekh en exerçant subtilement ses pouvoirs sur la matière de la pièce. Je suis ici tout-puissant, et je vais accomplir le dessein de mon maître. Je suis ici pour te plier à ma volonté.