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Chapitre Seize
La pyramide cyclopéenne s’élevait dans un ciel de feu. Ses flancs étaient sombres et salis par la latérite de Gangava. Les tirs d’armes lourdes avaient constellé ses parois de trous béants d’où s’échappaient parfois des flammes.
Toute résistance avait été balayée par les Loups. La cité était en feu ; les rares défenseurs qui avaient survécu à la rage des Space Wolves risquaient maintenant de périr brûlés. La violence des combats avait été abominable. Les Loups n’avaient pas fait de quartier. Peut-être qu’un autre chapitre, comme les Salamanders, aurait pris soin de laisser aux civils le temps de fuir, ou aurait réévalué la situation suite aux premiers assauts victorieux, afin de proposer une capitulation honorable à leurs adversaires pour le bien de l’Imperium.
Pas les Loups de Fenris. On leur avait donné une mission, et ils l’avaient poussée à son paroxysme. Gangava avait été réduite en cendre. Il n’y aurait rien à sauver. La ville avait été rayée de la carte au même titre que Prospero avant elle.
Enfin, quasiment.
En effet, les pyramides continuaient de défier par leur présence la fureur du Vlka Fenryka. Heaume de Fer avait insisté sur le fait qu’aucun frère de bataille ne devait attaquer ces bastions avant que le reste de la cité eût été rasé jusqu’aux fondations.
Je veux que tu contemples ton échec, Traître, avant que je vienne te chercher. Je veux que tu pleures cette perte, comme tu as pleuré la précédente.
L’heure était arrivée. Le fer de lance des Loups s’était rassemblé sur une immense esplanade devant la plus grande pyramide, sans se soucier de se mettre à couvert tant il était avide de se jeter à la gorge de l’adversaire. Il y avait en tout plus de trois cents frères de bataille, soit toute la grande compagnie de Harek Heaume de Fer, plusieurs meutes issues des autres compagnies, et les douze prêtres des runes qui avaient accompagné la première vague d’assaut. Les maîtres wyrds se tenaient aux côtés de la garde personnelle du Loup Suprême. Les runes de leurs armures rougeoyaient d’un feu intérieur.
Heaume de Fer se tourna vers Frei, celui qui l’avait averti de la présence de Magnus sur Gangava.
— Tu n’as toujours aucun doute ? s’enquit-il une fois de plus.
En guise de réponse, le Prêtre des Runes produisit un petit sac plein d’osselets qui pendait à sa ceinture, et en versa le contenu dans sa paume ouverte. Il jeta ensuite d’un geste révérencieux les petits objets au sol.
Pendant un long moment, Frei observa l’agencement des osselets sur les dalles de pierre et ne dit rien. Chacun d’eux était inscrit d’une unique rune : Trysk, Gmorl, Adjarr, Ragnarok, Ymir… Elles avaient toutes une signification spécifique, comme la glace, le destin, le sang, la fin, mais aussi une autre, collective cette fois. Pour un maître sachant décrypter le pouvoir mystérieux de Fenris, elles pouvaient révéler des facettes du présent, des secrets du passé, ou des prédictions. Lorsqu’elles étaient jetées, les rires caverneux se taisaient et les armes étaient baissées respectueusement. Les Loups vénéraient les runes, ainsi que leur père génétique le leur avait appris.
Frei finit par prendre la parole. Sa voix était éraillée suite aux derniers jours passés à beugler des ordres par-dessus le vacarme des combats.
— Les runes me disent qu’il est là, annonça-t-il. « Sa présence puante transpire depuis le cœur de cette pyramide. Mais il n’y a pas que cela… »
Heaume de Fer attendait patiemment, tout comme ses frères de bataille.
— Je vois autre chose. Je vois le Fléau des Loups.
Heaume de Fer pouffa de mépris.
— C’est ainsi qu’il aime qu’on le nomme. Ce n’est pas nouveau.
Frei secoua la tête.
— Non, Seigneur, je ne parle pas de lui, mais d’un autre pouvoir qui se trouve à ses côtés dans ces murs. Si nous y pénétrons, nous devrons l’affronter.
— Et en quoi cela te dérange, Prêtre ? Nul ne peut se mesurer à nous. Même un primarque ne saurait vaincre un tel rassemblement de Loups.
Frei se baissa pour ramasser les osselets. Au moment où il allait saisir le plus ancien, qui portait Fengr, la rune du Loup Intérieur, celui-ci se fendit en deux.
Frei resta comme paralysé, les yeux rivés sur l’osselet brisé. Heaume de Fer sentit sa détresse : Frei n’avait même pas effleuré l’objet.
La pyramide émit un roulement de tonnerre qui se réverbéra sur le sol de l’esplanade. Les cieux s’obscurcirent davantage sous les nappes de fumée.
L’instant fatidique passa. Heaume de Fer se ressaisit et chassa l’ombre du doute qui s’était emparée de son âme. Sa juste colère reprit ses droits.
Tu oses encore m’insulter ! Tu crois encore pouvoir nous berner à la veille de ta défaite finale…
— Arvek, est-ce que les boucliers ont été désactivés ?
— Affirmatif, répondit la voix rocailleuse de Kjarlskar dans le canal radio. « La Flotte est prête à faire feu et n’attend que votre ordre. »
Heaume de Fer scruta la pyramide face à lui. Sa taille en faisait une cible de choix pour les bâtiments de guerre en orbite.
Sa garde personnelle restait immobile malgré son impatience. Leur âme était telle un chien de chasse tirant sur sa longe pour se jeter à la gorge d’une proie. De plus en plus de Loups affluaient sur l’esplanade depuis les quatre coins de la ville. Leurs armures étaient maculées de sang. Leurs nerfs étaient à vif.
— Seigneur… intervint Frei. Il était troublé.
Heaume de Fer lui fit signe de se taire.
— La dernière heure de Magnus a sonné, frères, annonça-t-il par radio. Sa voix était calme et résolue. « Notre traque est sur le point de s’achever. Nous n’allons pas le bombarder depuis l’orbite. Nous allons pénétrer dans son repaire et le tuer en le regardant droit dans les yeux. »
Il dégaina sa lame de givre et l’activa.
— Nous sommes les Loups. Nous ne reculons pas face au danger. Vérifiez vos armes, et suivez-moi.
L’incendie avait atteint les niveaux de maintenance, juste sous le pont de commandement du Nauro. Il ravageait presque quatre-vingts pour cent du vaisseau. Ce dernier était condamné. Géoryth avait abandonné tout espoir de combattre les flammes et s’était résolu à faire ériger des murs pare-feu de deux mètres d’épaisseur aux intersections majeures, laissant une grande partie du navire à la merci de l’incendie.
Malheureusement, même ces cloisons ignifugées n’avaient pas suffi. La température dans le Nauro avait atteint la limite du supportable. L’équipage portait en permanence ses combinaisons de survie. Le vaisseau allait bientôt lâcher, ses moteurs exploser, son champ de Geller s’effondrer. Quant à ses boucliers, ils étaient hors service depuis longtemps.
On touche au but ! Par Russ, encore quelques heures de plus…
Aile de Corbeau était assis sur son trône de commandement, impassible. Les quelque deux cents survivants de l’équipage s’affairaient dans les coursives et sur le pont, se gênaient les uns les autres dans leurs tentatives désespérées de pousser jusqu’au bout les derniers systèmes encore fonctionnels du Nauro.
Ils étaient bloqués à ce niveau. À peine trois cents mètres sous leurs pieds, les couloirs étaient en proie aux flammes, et l’air irrespirable. Seul le pont de commandement et une poignée de salles auxiliaires étaient encore vivables : des poches de survie au cœur d’une épave ardente. Il était difficile d’estimer combien de temps encore elles résisteraient. Au moins plusieurs dizaines de minutes, peut-être quelques heures…
— Où en sommes-nous, navigateur ? demanda Aile de Corbeau par radio.
Neiman était condamné. Sa chambre d’observation était coupée du reste du vaisseau par les flammes et une masse de métal en fusion. Il aurait pu se mettre en sûreté sur le pont de commandement, cependant il avait choisi de rester à son poste. Grâce à son abnégation, le Nauro avait encore un mince espoir d’atteindre son but, car ce n’était que depuis le sanctuaire de la chambre d’observation qu’un navigateur pouvait orchestrer le saut entre le Warp et l’univers matériel.
— Plus vous demandez, et plus vous me faites perdre de temps dans mes calculs, Seigneur, répondit-il sur un ton irrité.
Neiman conservait néanmoins un flegme remarquable pour quelqu’un sur le point de mourir brûlé vif. Aile de Corbeau avait remarqué que ce trait était commun chez la plupart des navigateurs. Probablement leurs mutations leur insufflaient-elles ce genre de fatalisme, à moins que ce ne fussent les choses qu’ils apercevaient dans le Warp qui les aidaient à se détacher de leur propre destin. Ou peut-être cette qualité n’était-elle due qu’au hasard…
— On a pas beaucoup de temps, Djulian, répondit Aile de Corbeau en vérifiant les données des auspex. Elles indiquaient la destruction d’un pare-feu de plus. Il appelait le Navigateur par son nom par respect pour sa bravoure. C’était le moins qu’il pouvait faire. « Peux-tu me donner une estimation ? »
— Une heure, peut-être moins si vous me laissez travailler en paix.
— D’accord. J’attends de tes nouvelles.
Aile de Corbeau coupa la communication. Il avait les yeux rivés sur une des baies du pont de commandement, un vaste dôme de plexiglas d’un mètre d’épaisseur et de plusieurs mètres de diamètre. Il se fissurait. La zébrure partait du cerclage d’adamantium et avait commencé à se propager en zigzag vers le sommet du dôme.
Les boucliers énergétiques étaient morts. Si l’intégrité de la coque était atteinte, tout le pont serait aspiré dans le vide.
Aile de Corbeau bondit de sa chaise.
— Ok, ça suffit, déclara-t-il par radio à son équipage. « On a fait le maximum. Rendez-vous immédiatement aux modules de survie. »
Certains des marins levèrent vers lui des visages étonnés mais pleins d’espoir. Les autres, pour la plupart des kaerls, semblaient déconcertés.
— Nous n’avons pas encore terminé le saut, objecta Géoryth.
Il se tenait en bas de la volée de marches au pied du trône de commandement, l’air harassé. Sa voix était fatiguée et pâteuse, et trahissait les excès de stimulants qu’il avait pris au cours des derniers jours afin de rester debout.
Pour une fois, Aile de Corbeau sourit. Géoryth avait été un emmerdeur, mais il devait reconnaître que c’était un excellent officier. Quoi qu’il allât advenir désormais, il avait mérité sa place dans les sagas.
— Je suis au courant, Maître, répondit Aile de Corbeau. « Notre trajectoire a été calculée, et seul Neiman peut nous sortir du Warp. Dès que le champ de Geller sera désactivé, je déclencherai l’éjection des modules. Bien que vous ne soyez tous que de la vermine, j’éprouverais des remords à envoyer des modules vides dans l’espace. »
Géoryth hésita.
— Mais, Seigneur… et vous ?
Aile de Corbeau récupéra le casque posé au sol à côté de son trône. Il avait revêtu une combinaison spatiale de scout qu’il avait récupérée dans l’armurerie juste avant que les flammes ne l’envahissent. C’était une extension de son armure carapace standard. Elle permettait tout juste de survivre dans le vide pendant quelques heures, tout en maintenant une température à peine acceptable, même pour un Space Wolf. Une fois de plus, Aile de Corbeau regretta son armure énergétique de chasseur gris.
— Ta sollicitude me touche, dit-il en enfilant le casque. Le joint émit un sifflement en se scellant hermétiquement. « Mais je te conseille de ravaler ton paternalisme si tu ne veux pas que ton module subisse une avarie… »
Géoryth hocha la tête d’un air résigné. Il s’était habitué aux sarcasmes de son Capitaine au cours des dix-sept derniers jours.
Dix-sept jours. Quatre jours d’avance par rapport à mon estimation. Par le sang de Russ, j’aime ce vaisseau ! Il va me manquer.
— À vos ordres, Seigneur, répondit Géoryth en posant son poing fermé contre sa cuirasse – le salut fenrissien – et en se préparant à partir. « Que Russ vous garde ! »
— J’espère bien !
Les mortels avaient déjà commencé à quitter leurs postes et à se rendre vers les modules de survie. Le pont se vida rapidement. L’équipage avait pleinement conscience de la précarité de sa situation. S’éloigner aussi vite que possible du dôme sur le point de se briser était une évidence.
Une fois désert, le pont paraissait immense, et terriblement vulnérable. La fissure du dôme ne cessait de grandir. Cette baie donnait sur la pénombre, mais pas celle du vide spatial. Sans les chromofiltres du plexiglas, elle aurait présenté les couleurs chamarrées et virevoltantes de l’Immaterium. Toutefois, aucun humain ne souhaitait voir en permanence un spectacle aussi perturbant, c’est pourquoi la véritable apparence du Warp était rendue invisible.
L’ombre d’un instant, Aile de Corbeau hésita à désactiver les chromofiltres afin de contempler la matière dans laquelle filait le navire. Il n’y avait jamais pensé auparavant. Cette vision le rendrait-elle fou, ou éprouverait-il le même désintérêt qu’il ressentait pour la plupart des choses qui l’entouraient ?
Ses pensées furent interrompues par un craquement de mauvais augure sous le pont de commandement. Une grosse partie de la structure venait sans doute de se briser. En dépit de son entraînement, Aile de Corbeau sentit un frisson lui parcourir l’échine. Se trouver dans un vaisseau tombant en miettes et sur le point de sortir du Warp au beau milieu d’une zone de guerre n’était pas très engageant.
Cependant, en y réfléchissant bien, cette situation était logique.
Je suis un fils de Russ. Pas le plus flamboyant, peut-être, mais tout de même ! Et puis, c’est le genre de mission héroïque que tout griffes sanglantes rêverait d’accomplir.
Il s’avança vers le garde-fou de la plate-forme du trône de commandement, comme un capitaine dément se dressant face à sa géhenne.
D’autres grincements torturés se produisirent. De plus en plus nombreux, les échos de l’agonie du navire se répercutaient dans les coursives vides.
Le Nauro mourait lentement, comme une bête immense avare de rendre son dernier soupir.
— Bon sang, Neiman, dépêche-toi… souffla Aile de Corbeau en jetant un regard inquiet à la fissure grandissante du dôme.
Les longs crocs déversèrent un torrent de destruction qui pulvérisa les portes de la pyramide. Les battants en bronze tombèrent au sol avec fracas lorsque les colonnes corinthiennes s’effondrèrent. Les magnifiques gravures d’animaux représentant les signes zodiacaux furent réduites en poussière en un instant.
Le glyphe de l’Œil fut le dernier à subir le courroux des Loups. Le symbole de métal résista plus longtemps que les autres décorations avant de céder lui aussi, et d’exploser en une myriade d’éclats chauffés à blanc. Au même instant, une rafale de vent souffla depuis l’intérieur de l’édifice, comme si un sceau protecteur venait d’être brisé. La pyramide frémit ; des fragments de pierre et de fer dévalèrent le long de ses flancs. Les immenses portes avaient cédé la place à une gueule noire et béante.
Heaume de Fer n’hésita pas. Il fut le premier à enjamber les débris et à dégager les poutrelles aussi longues qu’un Rhino qui bloquaient le passage. Ses gardes loups vinrent lui prêter main-forte, poussant les décombres en s’aidant de leurs armures Terminator avant de marcher d’un pas résolu vers l’entrée. Tout le reste de la grande compagnie leur emboîta le pas, avide de se frotter à ses ennemis.
— Que la vengeance de Russ s’abatte ! déclara Heaume de Fer dans le canal radio.
La moindre parcelle de son corps hurlait sa soif de sang. Il sentait le Loup en lui qui écumait et qui se préparait à bondir. Une paire d’yeux couleur d’ambre à l’intensité démente s’ouvrit dans son esprit.
La porte donnait sur un vaste hall d’entrée. Le plafond disparaissait dans l’obscurité, ainsi que les extrémités des gigantesques piliers d’obsidienne qui le soutenaient. L’air était chaud, et chargé de la poussière soulevée par les détonations. D’immenses symboles Thousand Sons gravés dans la pierre se découpaient faiblement dans les ombres. Tout l’endroit puait la corruption, comme si quelque pacte impie avait fusionné avec les murs, et attendait patiemment son heure pour se réveiller.
Les Loups avancèrent à travers le hall. La pénombre assombrissait leurs armures. Seules les lentilles de leurs visières scintillaient. Ils étaient prêts au combat, leurs épées étaient dégainées, leurs bolters levés ; seul le feulement de l’un d’entre eux brisait de temps à autre le silence. La grande compagnie était en chasse, et les esprits de tous ses membres étaient focalisés sur leur mission. Les Loups se dirigèrent vers le cœur de la pyramide tels des prédateurs suivant une piste de sang.
Ils ne rencontraient aucun ennemi. Le premier hall débouchait sur un autre similaire d’aspect, mais encore plus vaste. Les pas des Space Wolves résonnaient en écho sur les parois plongées dans l’ombre.
Malgré tout, la rage de Heaume de Fer ne diminuait pas. Il eût été inutile de lui opposer des adversaires mortels. Leur trépas n’aurait fait que retarder de quelques secondes l’inévitable échéance, le duel que le Loup Suprême espérait depuis que ces rêves étaient venus le hanter.
Alors qu’il avançait, il reconnaissait les gravures dans la pierre. Il se souvint des symboles au fur et à mesure qu’ils défilaient. Ils les voyaient en songe depuis des décennies. Il avait déjà emprunté ce chemin d’innombrables fois.
J’étais destiné à venir ici. Cette traque fait partie de ma saga, elle est liée à mon wyrd. Et que le Père de Tous m’en soit témoin, je suis prêt à la mener à son terme.
Le deuxième hall donnait sur un troisième, puis un quatrième, chacun plus grand que le précédent. La taille délirante de la pyramide devenait criante. En dépit de son aspect austère, elle était bel et bien l’égal des structures réduites à néant sur Tizca. Néanmoins, elle ne contenait nulle bibliothèque, aucun scriptorium où seraient accumulées des sommes de connaissances considérables. Cette pyramide était une coque vide, une imitation de la splendeur des édifices de Prospero, car il était désormais impossible de rebâtir ce que les Loups avaient détruit.
Les meutes traversèrent une nouvelle arche à la hauteur vertigineuse. Une salle aux dimensions cyclopéennes s’étendait à la verticale du pyramidion. L’air y était encore plus lourd qu’ailleurs, comme s’il portait le poids de la culpabilité. Des braseros de la taille d’un marcheur Sentinelle de la Garde Impériale projetaient une lumière couleur saphir sur le sol de marbre. Des bannières de centaines de mètres de long sur lesquelles étaient inscrits d’interminables versets pendaient d’un plafond plus haut encore.
C’étaient des emblèmes de compagnies. Heaume de Fer ne les regarda même pas. Il n’avait aucun désir de se remémorer le passé des Thousand Sons.
Au centre de cette salle, une plate-forme était accessible par quatre escaliers escarpés, un vers chaque point cardinal. Elle était semblable à une petite pyramide au cœur de la grande, bien que son sommet mesurât tout de même près d’un hectare.
Au centre de cette plate-forme se trouvait un autel.
Et près de cet autel se tenait un homme.
Heaume de Fer pressa le pas lorsqu’il l’aperçut. Son affichage tactique ne lui indiquait aucune cible, mais ses yeux ne le trompaient pas : une silhouette voûtée et de petite taille qui les attendait. Et en dépit de la distance, Heaume de Fer pouvait parfaitement voir son visage.
Sa peau était parcheminée, tannée comme du cuir et constellée de tâches de vieillesse. L’homme portait une robe lie-de-vin, et devait maintenir son corps décharné à l’aide d’un bâton tordu. Les ongles de ses mains osseuses leur donnaient l’apparence de serres. Autrefois, sa chevelure avait dû être longue et abondante, mais elle était aujourd’hui réduite à quelques tresses argentées et filasses.
Il regardait approcher les Loups impassiblement, et toisait Heaume de Fer d’un air étrange ; un mélange d’émotions contradictoires : du mépris, de la pitié, de la fierté, du chagrin. De la haine, éprouvée envers soi-même et envers les autres.
Peut-être cette expression était-elle indéchiffrable simplement à cause du trait le plus notable de cet homme…
Heaume de Fer gravit les marches si vite qu’il distança ses gardes du corps. Son épée de givre émit un bourdonnement lorsqu’il l’activa.
— Que la galaxie contemple ta seconde mort ! rugit-il en brandissant son arme et en courant vers sa proie.
L’homme leva un doigt décharné.
Heaume de Fer s’immobilisa sur-le-champ. Derrière lui, toute sa grande compagnie fut elle aussi bloquée dans une stase temporelle, paralysée en pleine course.
Heaume de Fer rugit de frustration sans que personne ne puisse l’entendre. Il luttait de tout son être contre le maleficarum. Les servomoteurs de son armure gémissaient pour se défaire des liens invisibles qui les retenaient. Heaume de Fer sentit la sueur perler sur son front et couler le long de ses tempes. L’étau continuait de l’enserrer, bien que la pression diminuât légèrement.
Je peux surmonter cela !
Le Loup Suprême serra les dents et lutta plus fort contre la sorcellerie qui bloquait ses mouvements.
— Tu es fort, Harek Eireik Eireiksson, dit le vieil homme. Sa voix était fluette, amère, empreinte d’une pointe de paternalisme déçu. « Cela ne me surprend pas. Je t’ai regardé grandir au fil des siècles. »
Heaume de Fer respirait bruyamment ; ses cœurs battaient dans sa poitrine. Il aurait hurlé de défi s’il l’avait pu. Il parvint à bouger légèrement un bras. La gangue qui l’enveloppait frémit.
— Tu désires ardemment me tuer, constata le vieillard en continuant de dévisager son adversaire de son œil unique. « Tu pourrais y parvenir. Je sens que ton esprit commence à prendre le dessus sur les liens que j’ai tissés autour de toi. »
Il secoua doucement la tête, comme s’il s’étonnait du respect qu’il éprouvait soudain.
— Tu es si fort ! Les Loups ont toujours été l’arme la plus puissante de mon père. Même à l’apogée de mes pouvoirs, qu’aurais-je pu faire pour leur résister ?
Heaume de Fer retroussa sauvagement les babines. Il reprenait lentement le contrôle de ses muscles. Ses guerriers aussi. La lame de givre bougea peu à peu.
L’homme, lui, restait toujours immobile.
— Je n’ai pas beaucoup de temps devant moi, alors laisse-moi t’expliquer pourquoi je t’ai fait venir sur Gangava. Je voulais te poser un dilemme. Tu sais que j’adore ça. Tu penses que nous n’avons ni honneur, ni scrupules, mais tes préjugés te voilent bien des vérités. Nous avons un code de conduite strict, bien qu’il diffère du tien — que j’ai d’ailleurs pris soin d’étudier, je t’assure.
Heaume de Fer sentait les liens se délier. Ses bras bougèrent de plusieurs centimètres avant d’être à nouveau paralysés. S’il avait pu sourire, il aurait dévoilé ses crocs dans un rictus féroce.
Ta sorcellerie ne te sauvera pas. Ma lame va bientôt mettre un terme à ton monologue stupide.
— On m’a révélé la vérité autrefois, mais je n’ai pas su l’entendre. C’est pourquoi je souhaitais te donner à toi aussi la chance de l’entrevoir. Je suis au-delà de ton atteinte, fils de Russ. Alors que je te parle, mon esprit est ailleurs. Seul un de ses fragments te fait face à présent. Pourtant, il a suffi à t’attirer ici, loin du véritable combat. Si tu me tues, je serai libre de redevenir un être unique, et terriblement puissant. En revanche, si tu retiens ton bras, votre destin sera peut-être tout autre. À toi de choisir.
Le vieil homme dévisageait ardemment Heaume de Fer.
— Voilà l’honneur tel que je l’entends. J’ai échafaudé ta perte, néanmoins je t’offre une chance de l’éviter. Si tu accomplis ce que ton Primarque n’a pas su accomplir, et que tu fais preuve de mansuétude, le Fléau du Loup n’adviendra jamais.
Heaume de Fer cracha du sang et parvint à grogner de rage. Ses bras se libéraient. Encore un effort, et les liens se briseraient.
Je sens que tu faiblis.
Le vieil homme ne bougea pas, bien qu’un frémissement parcourût son échine. Ses mains calleuses serrèrent davantage son bâton, et il s’y appuya plus lourdement. Sa force mentale atteignait ses limites.
— L’heure est arrivée. Je ne puis te retenir davantage. Je t’ai donné le choix, Harek Eireik Eireiksson. Si tu pars sans verser davantage de sang, tu n’entendras plus jamais parler de moi.
Sa voix adopta un ton lourd de menace, et son regard se durcit.
— Par contre, si tu me tues, Chien de l’Empereur, nous nous reverrons très bientôt.
La baie se fissurait de plus en plus sous l’effet de la pression. Elle était pourtant d’une qualité irréprochable, fabriquée à une époque où l’humanité rêvait encore d’atteindre la perfection. Aile de Corbeau observait le plexiglas se déformer inexorablement. Le matériau avait résisté plus longtemps qu’il l’aurait cru, mais il était à présent sur le point de céder.
— Neiman… appela-t-il par radio en se préparant au pire.
— Du calme… répondit le navigateur. « On entame le saut… »
La voix du mutant était essoufflée et rauque. On pouvait entendre derrière elle le rugissement des flammes.
Aile de Corbeau poussa un soupir de soulagement. L’incendie avait atteint les postes des serviteurs du pont de commandement. Les automates cybernétiques poursuivaient leur tâche en dépit des flammes qui les dévoraient. Plusieurs niveaux en dessous, une des bobines Warp finit par lâcher dans un crissement strident. Il y eut un grincement bizarre, comme si les spires qui se tordaient soudainement envoyaient des signaux contradictoires au reste du circuit.
— Je désespérais que tu me l’annonces. Beau travail.
— Tu n’imagines pas à quel point, Space Wolf.
Aile de Corbeau sourit en entendant ce nom. Seuls les étrangers appelaient ainsi les membres du Vlka Fenryka, car ils ignoraient les us et coutumes de Fenris. Comme tous ses frères, Aile de Corbeau avait toujours trouvé cette appellation ridicule.
Toutefois, Neiman était parfaitement au fait des traditions. Il conservait pourtant le langage rigoureux de sa charge alors même qu’il était sur le point de mourir. Aile de Corbeau prit donc soin de lui répondre comme s’il s’adressait à un frère.
— On se reverra l’hiver prochain, Djulian.
Il n’obtint aucune réponse en dehors du grésillement des interférences. Il essaya de rétablir la connexion, sans succès. Le Navigateur était mort.
Le sol du pont céda brutalement, comme si le navire venait de pénétrer dans une zone de turbulences. Aile de Corbeau avait du mal à conserver son équilibre à cause de sa combinaison spatiale, et il tomba à la renverse sur le trône de commandement. La dalle métallique sur laquelle il se trouvait une seconde auparavant se détacha et tomba dans un tintamarre métallique vers le niveau inférieur. Le reste du pont de commandement gémit tandis que le vaisseau se retrouvait de nouveau soumis aux contraintes physiques de l’univers réel.
Aile de Corbeau se redressa sur son siège et attendit. Le navire fut parcouru par une autre série d’explosions. Des sirènes se mirent à hurler sur les ponts supérieurs.
Mon pauvre Nauro, personne ne peut t’entendre à part moi.
Aile de Corbeau put ressentir les effets du saut avant même que les instruments les détectent : il eut l’impression que tous ses organes internes étaient mis sans dessus dessous. Le tissu de la réalité se déforma imperceptiblement avant de se recomposer, et une forte nausée lui provoqua un violent haut-le-cœur.
Puis tout redevint normal. Le Nauro était sorti du Warp.
Aile de Corbeau appuya sur une rune de contrôle. La dépressurisation soudaine caractérisant l’éjection de modules de survie produisit un sifflement aigu à travers les coursives ravagées. Il désactiva ensuite les chromofiltres de la baie, et la noirceur de l’abîme spatial remplaça le trompe-l’œil précédent. Des dizaines de runes signalant la présence de navires s’allumèrent.
Loin en dessous de cette flotte, Aile de Corbeau put contempler la planète dont il avait entré les coordonnées dans les cogitateurs dix-sept jours auparavant.
Gangava Prime.
Le sol du pont se craquela comme la surface d’une banquise. La baie se fissura davantage. De nouvelles explosions résonnèrent, faisant vibrer la carlingue du vaisseau. Toutes les runes de la console tactique avaient viré au rouge.
Aile de Corbeau se leva en faisant promener son index sur le bras du trône.
— Je suis content de t’avoir connu ! dit-il à voix haute en s’adressant au vaisseau qui tombait en morceaux. « Arfang avait raison. Oirreisson n’y connaît rien aux vaisseaux spatiaux ! »
Il chercha ensuite du regard la première ouverture qui allait lâcher. Il n’avait aucun espoir d’atteindre les modules de survie, encore moins le hangar à navettes. Il ne pouvait plus compter que sur sa bonne étoile.
Le wyrd, comme disaient les prêtres des runes.
Un des dômes secondaires explosa dans une pluie d’éclats scintillants, qui furent emportés vers le néant par une bourrasque terrifiante. Une deuxième baie se brisa, expulsant toujours plus de débris dans l’espace. Les hublots cédèrent les uns après les autres. Aile de Corbeau vit un des serviteurs dont le harnais avait lâché être aspiré par le vide, le corps toujours en proie aux flammes, jusqu’à ce que le manque d’oxygène les souffle.
Le Space Wolf s’accrochait à son trône de toutes ses forces. Il ne quittait pas des yeux le dôme principal. Celui-ci ne s’était toujours pas brisé.
Maintenant !
Il lâcha le trône et bondit.
Il n’avait plus aucun contrôle sur sa trajectoire, et se mit à tournoyer comme le reste des débris aspirés par le vide. Il avait l’impression d’un chaos total, que la totalité du pont de commandement se désintégrait sous ses yeux. Puis il passa une des ouvertures et tout devint glacial.
Le souffle de sa respiration résonnait à l’intérieur de son casque. Il lui fallut plusieurs secondes pour se calmer. Les étoiles décrivaient une folle sarabande dans son champ de vision.
Tout en continuant à tourner sur lui-même, il vit les flancs du Nauro s’éloigner rapidement. Le vaisseau était dans un état encore plus piteux qu’il l’imaginait. L’intégralité du niveau des machines était à découvert et crachait des flammes et des morceaux de métal noirci. Aile de Corbeau contemplait l’épave du navire qu’il commandait autrefois. Du coin de l’œil, il nota les grappes de modules de survie dériver non loin.
Le silence qui régnait dans le vide spatial semblait ralentir le temps. Aile de Corbeau fut le témoin de l’explosion des réacteurs à plasma sans toutefois en ressentir l’onde de choc. Une boule de feu blanc aveuglant illumina la carcasse du Nauro, avant de se répandre telle une sphère de destruction irrépressible. Le navire s’ouvrit en deux comme un fémur fracturé, projetant en tous sens des débris semblables à autant d’esquilles d’os.
L’onde de choc finit par le rattraper. De simple objet flottant dans le vide, Aile de Corbeau fut emporté comme un fétu de paille dans la bise. Il pouvait sentir des détritus rigides – sans nul doute métalliques – percuter les protections de sa combinaison.
Il essaya en vain de diminuer sa vitesse, ou tout au moins de se protéger tant bien que mal des débris qui, débarrassés de toute force de friction, glissaient à vive allure à travers le vide. Il se débattait ainsi lorsqu’il aperçut une poutrelle de plusieurs mètres de long filer droit sur lui, propulsée par toute l’inévitabilité des lois physiques universelles.
Aile de Corbeau eut le temps de penser à trois choses. Tout d’abord, qu’après avoir survécu pendant plus de deux semaines épiques, c’était une triste façon de mourir. Ensuite, il se dit que ça allait faire mal. Très mal.
La poutrelle le percuta à pleine vitesse et transperça son plastron. Sa visière se disloqua sous l’impact. Il eut le temps de sentir le froid de l’espace envahir sa combinaison tandis qu’il sombrait dans l’inconscience.
Il fut emporté par l’élan du projectile, laissant derrière lui un sillage de gouttelettes de sang et de bulles d’oxygène. Sa troisième pensée survint alors qu’il allait s’évanouir. Une forme familière apparut dans son champ de vision. Elle était grise et compacte, immensément plus vaste que le Nauro, et surtout, totalement intacte.
Bénis soyez-vous, Père de Tous !, se dit-il avant qu’un voile rouge obscurcisse sa vision. « c’est le Gotthammar. »
Les liens cédèrent. Le vieillard recula d’un pas et lâcha son bâton qui tomba au sol.
Heaume de Fer fut sur lui en un battement de cœur. La lame de givre siffla, poursuivant la trajectoire qu’elle avait commencé à décrire. Le Loup Suprême avait pris soin de l’ajuster légèrement afin de compenser le mouvement de sa proie.
Le vieillard ne tenta pas de se protéger ou de fuir. Libérés du poids qui les accablait, les muscles de Heaume de Fer abattirent l’arme en diagonale, avec une force terrifiante. L’homme fut coupé en deux de l’épaule à la taille.
Juste avant que toute vie s’échappe de son corps, ce dernier dévisagea Heaume de Fer une dernière fois de son œil unique.
Il s’effondra ensuite dans une mare de sang. Heaume de Fer se dressait au-dessus de lui, prêt à une éventuelle ruse de la part de son adversaire. Ses gardes loups le rejoignirent, s’attendant eux aussi à un piège de la part du Primarque, et à voir surgir ses alliés démoniaques.
Cependant, rien ne se produisit. Une légère brise agita l’air moite et fit frémir les bannières. Le seul bruit était le pas lourd des armures énergétiques et les feulements intermittents des Space Wolves.
L’homme était bel et bien mort.
Heaume de Fer scruta le cadavre. Sa respiration était lourde ; la puanteur du maleficarum n’avait pas encore tout à fait quitté son corps. Il s’étonna de ne ressentir aucun soulagement. Au lieu de cela, il avait l’impression d’avoir perdu toute raison de vivre. Le Loup en lui hurla à la mort.
Frei s’approcha. À l’instar de Heaume de Fer, il ne manifestait aucune joie.
— Que s’est-il passé ? demanda Heaume de Fer. Sa stupéfaction était presque infantile, et il commençait à avoir la nausée. Il venait d’accomplir une quête longue de plusieurs décennies, mais il n’éprouvait rien.
— Le Primarque était ici, confirma Frei en examinant le corps prostré devant l’autel. « Mais il est parti. »
— Tu veux dire que je l’ai tué ?
La voix de Heaume de Fer trahissait sa consternation. Il savait pertinemment que ce n’était pas le cas.
— Quelque chose est mort, expliqua Frei. Lui aussi employait un ton inhabituellement inquiet. « En revanche, je ne comprends pas… »
— Seigneur !
C’était Rangr. Il avait l’air catastrophé.
Les feux des braseros s’intensifièrent subitement. Les flammes couleur saphir s’élevèrent, créant des colonnes d’énergies multicolores. Leur lumière était éclatante et chassa toute pénombre de l’immense salle. Les bannières furent révélées dans toute leur gloire. Heaume de Fer tourna son attention vers elles lorsqu’il réalisa qu’il avait commis une erreur en les ignorant. Ce n’étaient pas des emblèmes de Thousand Sons.
— L’étendard de meute d’Adgr, murmura-t-il en reconnaissant les crocs mordant un croissant de lune. « Et celui de Gramm, et de Beor… »
Frei fit volte-face pour les contempler. Des gravures venaient également d’être révélées dans la pierre des murs. Elles dépeignaient des événements familiers d’une façon stylisée. Une de ces frises représentait des pyramides au sein d’une cité ressemblant étrangement à Gangava. Une autre décrivait la venue du Gotthammar en orbite de la planète, une autre les renforts acheminés depuis Fenris, une autre la destruction des générateurs de champ de force, et ainsi de suite. Heaume de Fer se vit même en train de jeter dans le vide un autocanon depuis la hauteur d’une tour en feu.
Il savait exactement ce qui allait se produire.
Rangr restait sur ses gardes. Comme tous les autres Loups présents, il était prêt à agir, conscient que le combat n’était peut-être pas terminé.
— D’où viennent toutes ces bannières, Seigneur ? demanda-t-il à Heaume de Fer. « Elles sont Fenryka, mais n’appartiennent à aucune grande compagnie que je connaisse. »
Heaume de Fer se dirigea d’un pas lourd vers les escaliers, bien qu’il prît soin de ne pas rengainer son arme. Sa nausée cédait peu à peu la place à une terreur irrépressible.
— Elles appartenaient aux Wolf Brothers, à nos cousins perdus, répondit-il.
Frei lui emboîta le pas. Les deux vétérans descendirent les marches quatre à quatre, suivis par le reste des Space Wolves.
— Les Wolf Brothers ont disparu il y a plus de deux cents ans, s’interrogea Frei. « Je ne comprends pas pourquoi… »
— Tu l’as déjà dit, Prêtre, le coupa Heaume de Fer. Toute sa rage et sa soif de sang venaient d’être brusquement taries. Il en ressentait presque une douleur physique. « Je me suis lassé de tous ces mystères. Cet endroit ne sert qu’à nous narguer. Nous allons retourner à bord de la flotte et détruire cette planète depuis l’orbite. »
Alors qu’il se rapprochait de l’arche dorée de la sortie, les braseros changèrent de couleur, et passèrent du bleu intense à un vert maladif. Sous cette lumière blafarde, les emblèmes des Wolf Brothers avaient l’air déformés et grotesques.
Puis d’immenses pans des murs se relevèrent, ouvrant des trous béants tout autour de la plate-forme. Une brume verdâtre similaire à la fumée des braseros envahit la salle ; au milieu de celle-ci évoluaient des formes voûtées et tordues. Elles ressemblaient à des space marines ayant horriblement muté. Certaines possédaient des tentacules à la place des bras, d’autres avaient des têtes hypertrophiées coiffées de grandes cornes. Leurs armures énergétiques étaient déformées et fendues là où des excroissances osseuses avaient poussé sur le corps de leurs porteurs, ou avaient au contraire fusionné avec ce dernier. Les visières de ces choses luisaient d’un éclat ensorcelé à travers les miasmes qui baignaient désormais les lieux. Elles claudiquaient sur leurs sabots et leurs griffes, ou traînaient piteusement derrière elles des moignons qui avaient jadis été des jambes.
Leurs origines devinrent incontestables lorsqu’elles émergèrent à la lumière des flammes. Leurs armures étaient grises et décorées de totems et de talismans. Des fourrures pendaient de leurs épaules. Elles étaient aussi corrompues que leurs porteurs. Des symboles à l’image de crocs et de runes étaient gravés dans la céramite. Ils avaient subtilement mués en glyphes blasphématoires au fil des années. Alors qu’ils se rapprochaient, ces guerriers maudits se mirent à vociférer en une parodie dérangeante des cris de guerre féroces qu’ils poussaient autrefois. Ces hurlements étaient horribles ; ils cristallisaient tout le désespoir et la colère de ces créatures, et emplirent la chambre de la haine et de la jalousie qu’elles éprouvaient désormais à l’encontre des vivants.
— Le Fléau des Loups ! souffla Frei en comprenant enfin pourquoi l’osselet s’était brisé. « Ce n’était ni lui, ni nous. C’était eux ! »
Rangr et les autres gardes loups hésitèrent. En toute autre circonstance, ils se seraient jetés au combat sur-le-champ à la vue d’une telle corruption, cependant, cette fois, les runes sur les armures, les fourrures déchirées et les casques en forme de museaux les retinrent.
Les Space Wolves se rendaient compte avec horreur qu’ils partageaient le même patrimoine génétique que ces choses. Le Canis Helix.
— Quels sont vos ordres, Seigneur ? s’enquit Frei en serrant fermement son sceptre. Il éprouvait la même indécision que ses frères.
Heaume de Fer se redressa de toute sa hauteur en dépit de l’appréhension qui le tenaillait à la vue de ces mutants. Ils étaient parents des Space Wolves à plus d’un titre : ils étaient leur seul chapitre successeur, et à ce titre les seuls autres héritiers de Leman Russ dans toute la galaxie.
Ils avaient le même sang, le même patrimoine génétique. Ils étaient leurs frères.
— Tu le sais bien, prêtre, grogna Heaume de Fer en se dirigeant vers le Wolf Brother le plus proche parmi les centaines qui affluaient. « Ce ne sont plus des space marines. Tuez-les. Tuez-les tous, et débarrassez la galaxie de cette abomination. »
Le jarl Arvek Kjarlskar se détourna de la table d’opérations. Il se trouvait dans l’infirmerie du Gotthammar. Le scout qu’il venait de récupérer en train de dériver dans l’espace était plus mort que vif, même s’il restait encore capable de tenir des propos particulièrement sarcastiques. Le navire à bord duquel il avait émergé du Warp n’était plus qu’un amas de ferraille. Le Gotthammar continuait encore de récupérer les modules de survie lâchés avant sa destruction.
— Avons-nous une liaison radio ? s’enquit Kjarlskar. Sa voix grave laissait transparaître une pointe d’inquiétude.
— Pas encore, Seigneur, répondit le prêtre de fer Anjarm. « Heaume de Fer affronte l’ennemi à l’intérieur de la pyramide principale, et il semblerait qu’il y ait un champ de brouillage. »
Kjarlskar fronça les sourcils.
— Un champ de brouillage ? Comment est-ce possible ? Nous avons tout détruit !
Il serra les poings et fut à deux doigts de frapper la cloison de l’apothecarium pour calmer son sentiment d’impuissance. Contrôlant sa rage avec difficulté, il se tourna de nouveau vers Aile de Corbeau.
— Tu es sûr de toi ? redemanda-t-il pour la énième fois. « Nous avons reçu des communications en provenance de Fenris. De simples échanges de routine… »
Aile de Corbeau rit faiblement avant de toussoter et de cracher du sang.
— Sûr de moi ? Pas vraiment, Jarl. Peut-être que le Skraemar n’a pas été réduit en poussière par un bâtiment qui faisait deux fois sa taille. Peut-être n’avons-nous pas perdu toutes nos défenses orbitales en moins de deux heures. Et peut-être que le jarl Greyloc ne m’a pas ordonné de venir ici, ce qui m’a coûté dans la foulée mon navire et une bonne partie de mon équipage. Maintenant que vous me le dites, j’ai des doutes…
Kjarlskar se pencha vers Aile de Corbeau et l’attrapa par sa cuirasse fendue pour le soulever à hauteur de son visage.
— Ne joue pas à ce petit jeu avec moi, le menaça-t-il en découvrant les crocs. « Tu demandes qu’on rapatrie tout le chapitre alors que Heaume de Fer est sur le point de connaître son heure de gloire. »
La tête d’Aile de Corbeau resta ballante. Ses yeux devinrent vitreux et son sourire disparut.
— J’ai failli mourir pour vous faire parvenir ce message. Les anesthésiques rendaient sa voix pâteuse. « Mais ce n’est pas cela qui me gêne. C’est plutôt le fait que vous hésitiez au moment le plus critique. Les Thousand Sons sont sur Fenris. Toute une Légion. Même si notre flotte retourne là-bas sur-le-champ, elle va sans doute arriver trop tard pour sauver l’Aett. Qu’est-ce que je dois vous dire de plus ? Un « s’il vous plaît » poli ? »
Kjarlskar le scruta pendant de longues secondes, comme s’il tentait de mettre son âme à nu, avant de le lâcher d’un air dépité. Le scout retomba lourdement contre le métal froid de la table d’opérations.
— Établis cette communication ! ordonna-t-il au prêtre de fer. « Et prépare-moi une navette, puis préviens les autres navires de se préparer à un saut Warp. On rentre sur Fenris. »
Anjarm hocha la tête.
— À vos ordres. Toutefois, j’ai été informé de la présence de space marines renégats dans la pyramide. Heaume de Fer va avoir du mal à battre en retraite.
Kjarlskar cracha sur le sol.
— Tu peux être sûr que leur présence n’est pas fortuite. Par le sang de Russ ! Ils nous ont bernés comme des griffes sanglantes ! Il s’éloigna à travers l’infirmerie en poussant sans ménagement les thralls modeleurs de chair qui se trouvaient sur son chemin. « Je vais me rendre sur Gangava. Je jure par le Père de Tous que Heaume de Fer va m’écouter ! »
Aile de Corbeau releva la tête au moment où le Seigneur Loup allait sortir. La collision avec la poutrelle l’avait horriblement mutilé. Son nez et sa joue avaient été déchiquetés, sa poitrine perforée et ses deux bras cassés. Ses blessures étaient gravissimes, même pour un space marine. L’énorme quantité de sédatifs qu’on lui avait administrée faisait effet ; il était complètement groggy.
— Faites vite, Jarl, articula-t-il. « Et surtout, sachez que je ne vous en veux pas. Vous pourrez revenir vous excuser plus tard. »
Puis il sombra dans l’inconscience.