Chapitre Vingt
Temekh observait son Primarque. Magnus affichait une expression étrange, à la fois résignée et plongée dans l’expectative.
— Le Croc m’est ouvert, annonça-t-il.
Temekh refréna son excitation.
— Aphael a réussi !
— Oui, il a fait du bon travail.
Magnus se tut. Malgré la lumière vacillante du sanctum, Temekh pouvait ressentir l’énergie brute qui émanait de son avatar. Depuis qu’il avait échappé aux contraintes de la chair, le Primarque avait besoin de vastes quantités de pouvoir afin de perdurer sur le plan matériel. Il donnait l’impression d’un soleil enfermé dans un bocal.
— Permettez-moi de protester une nouvelle fois, dit Temekh tout en étant conscient de la futilité de son insistance. « Je suis sûr que je pourrai vous être utile sur Fenris. Les Loups continuent le combat. Je ne serai pas de trop. »
Magnus secoua négativement la tête.
— Je te le répète pour la troisième fois, Ahmuz. Ton destin est différent.
Il se tourna vers lui.
— Tu as reçu tes ordres à propos de la flotte. Ne t’en détourne pas, quoi qu’il advienne sur Fenris.
Alors qu’il parlait, le visage de Magnus se désagrégea, comme s’il partait en fumée.
— À vos ordres. Cependant, soyez prudent. On a mis la main dans un véritable guêpier.
Le rire de Magnus résonna dans la pièce comme un carillon surnaturel. Son corps s’évaporait doucement et se fondait dans les ombres.
— Prudent ? J’imagine que tu plaisantes ! Ça me plaît, au contraire. Ça me rappelle une époque où la galaxie était moins morose.
Temekh regarda sans répondre les dernières volutes de Magnus s’étioler, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’œil cerclé de pourpre qui brillait d’amusement. Il finit par s’éteindre lui aussi.
Dès la disparition de son maître, Temekh s’adressa à son compagnon.
+Seigneur Aphael ?+
+Je suis heureux de t’entendre+ répondit la voix sarcastique et lasse d’Aphael. +Annonce-lui que les sceaux sont suffisamment affaiblis pour qu’il puisse…+
+Il le sait déjà. Il arrive. Retourne auprès des troupes. Nous n’avons pas beaucoup de temps.+
Aphael ne répondit pas immédiatement. Temekh en déduisit qu’il était vexé par son ton péremptoire : le Pyromancien imaginait sans doute toujours qu’il était le commandant en chef dans l’opération. Temekh aurait dû avoir pitié de lui, mais il n’y parvint pas.
+Je suis proche du lieu qu’ils nomment le Croc du Thane+ finit par dire Aphael. +J’y serai dans quelques instants. J’ai hâte de revoir notre père arpenter de nouveau l’univers matériel.+
Non, je ne crois pas, mon frère.
+Il a loué ton labeur+ se contenta de répondre Temekh.
Il perçut un rire amer juste avant que le lien psychique fût coupé.
Temekh soupira et sortit du temple. En l’absence du Primarque, l’air lui semblait froid et rare. Sans doute était-ce dû à sa fatigue physique. Les incantations de ces derniers jours l’avaient épuisé au point que ses mains tremblaient en permanence.
Il fit un signe et les portes s’ouvrirent silencieusement. Un mortel portant l’uniforme d’un capitaine des gardes des spires l’attendait dans le couloir.
— Tu attends depuis longtemps ? lui demanda Temekh.
— Non, Seigneur.
De toute façon, tu ne me l’avouerais pas si c’était le cas.
L’homme paraissait nerveux. Il tendit une tablette de données à son maître.
— Voici les rapports des augures de la flotte. J’ai pensé que vous aimeriez les lire.
Temekh jeta un coup d’œil aux runes et comprit la gravité de la situation. Les devins des Thousand Sons étaient bien plus doués que n’importe quel navigateur loyaliste pour détecter les remous dans le Warp annonçant l’arrivée de vaisseaux. De toute façon, les signaux indiqués sur la tablette auraient pu être perçus par un novice sourd-muet enfermé dans un isolarium. Une flotte arrivait à toute allure vers Fenris.
— Merci, Capitaine, dit Temekh calmement. « Je ne pensais pas que cet intercepteur parviendrait jusqu’à Gangava. »
Il lui rendit la tablette et s’étira le cou.
— Que la flotte se prépare à quitter l’orbite.
Le Capitaine était abasourdi.
— Vous voulez dire que…
Temekh lui jeta un regard de reproche.
— Je suis harassé, Capitaine. N’abusez pas de ma patience. Que la flotte se prépare à quitter Fenris.
Il claqua des doigts et les portes du temple se refermèrent.
— Notre petit jeu est sur le point de se terminer…
Aphael se dirigeait vers le Croc du Thane. Sa colère le stimulait plus que n’importe quelle drogue de combat. Le ton de Temekh avait été évident, et pendant qu’il restait bien à l’abri sur le pont de commandement de l’Herumon, c’était lui, Aphael, qui devrait encore une fois se salir les mains.
Il se moquait du danger. Aucun pyromancien n’avait peur du combat. En revanche, le ton autoritaire de Temekh le mettait hors de lui. Il n’avait d’ordre à recevoir de personne.
Magnus avait toujours eu un faible pour les corvidae, car ils étaient les prophètes et les mystiques de leur Légion. Les cultes aux disciplines plus belliqueuses en avaient toujours nourri de la frustration. On voyait bien ce qu’une telle politique avait entraîné : si les Thousand Sons n’avaient pas suivi les voies tortueuses des corvidae, et opté pour une application plus directe des pouvoirs du Warp, peut-être l’auraient-ils emporté sur Prospero, au lieu d’être trahis par leurs doutes et leurs visions prophétiques.
Il arriva dans la salle permettant d’accéder au front. Des escouades d’Effacés s’y trouvaient déjà, ainsi que d’imposantes formations de mortels. Des sorciers évoluaient parmi cette foule. Certains boitaient sous l’effet de blessures récentes. Le bruit étouffé d’explosions provenait des galeries menant aux escaliers du Croc du Thane, à plusieurs centaines de mètres de là. Les Loups se faisaient étriller, toutefois ils tenaient toujours bon.
— Bienvenue, Seigneur, le salua de sa voix fluette Orfeo Czamine, le commandant en chef pavonien.
Aphael sentit son visage se crisper en un rictus de mépris irrépressible : ses muscles faciaux avaient fusionné avec les mécanismes de son casque et ne lui obéissaient plus complètement.
— Comment se déroule l’assaut ? répondit-il en faisant signe à ses gardes de faire halte.
Aphael savait que sa voix ressemblait dorénavant à un chœur affreusement asynchrone. Il ne pouvait rien faire pour le cacher, néanmoins Czamine ne sembla pas s’en étonner.
— Nous les aurons à l’usure, comme vous l’avez demandé.
— Cela devrait déjà être le cas. Vous les attaquez depuis des jours, j’ai…
Aphael s’interrompit. Czamine lui porta un regard inquiet.
— Est-ce que tout va bien, Seigneur ?
Aphael ne pouvait pas lui répondre. Les mots se formaient dans son esprit, mais il était incapable de les formuler. La frustration accumulée au cours des dernières semaines l’envahit. Il saisit son sceptre à deux mains, sans toutefois savoir ce qu’il allait en faire. Lorsque ses doigts se crispèrent sur la hampe, un feu ensorcelé se mit à la parcourir.
Czamine en fut effrayé et recula.
— Seigneur, nous sommes vos alliés !
Les mouvements d’Aphael ne lui appartenaient plus. Le sceptre se mit à tournoyer de plus en plus vite dans ses mains. Son métal luisait d’une flamme intérieure qui gagnait en vivacité.
Aphael voulait hurler, expliquer qu’il n’y était pour rien.
Ce n’est pas moi ! Aidez-moi ! Au nom de Magnus, aidez…
Ses pensées furent alors submergées par une présence, celle qui épiait depuis des jours dans les tréfonds de son âme.
+Pourquoi t’aiderais-je, mon fils ? C’est ton destin. Profite de cet instant tant que tu le peux encore…+
Le sceptre tournait de plus en plus vite, générant un vortex d’énergie. Les mains d’Aphael se brouillèrent tant elles bougeaient rapidement, donnant au sceptre une vitesse de rotation démentielle.
Aphael n’avait pratiquement plus conscience de son environnement. Il percevait à peine Czamine qui reculait, et les escouades de mortels qui s’enfuyaient en hurlant de terreur. Les parois de pierre étaient presque blanches, puis il comprit que c’était sous l’effet de la propre lumière qu’il irradiait. Il était en feu. Un feu qui le dévorait et illuminait toute la caverne. L’énergie du Warp jaillissait de ses yeux, de sa bouche et des interstices de son armure. Les changements de sa chair s’accéléraient et déformaient son corps, jusqu’à briser la coque rigide de son armure afin d’étendre des vrilles argentées.
Rassemblant ses ultimes forces, Aphael réussit à articuler trois mots :
Punissez-les, Seigneur.
+Je te le promets+
Soudain, la boule de feu blanc ne fut plus Herume Aphael, mais une simple accumulation d’énergies éthériques informes.
Il y eut une violente détonation qui fit vibrer la roche et qui arracha des cascades de poussière au plafond. Des fissures s’ouvrirent dans le sol à partir de cette sphère aveuglante.
Le maelström d’énergie diminua lentement. La lumière faiblit jusqu’à n’être plus qu’un point lumineux au milieu duquel se dessinait une silhouette. Le nouveau venu était plus grand qu’Aphael, et d’une beauté époustouflante. Il émergea du portail Warp, entraînant derrière lui des volutes de matière brillante issue de l’Immaterium.
Dès qu’il apparut, tous les soldats se prosternèrent, y compris Czamine, qui posa son sceptre au sol en symbole de soumission.
— Père ! articula-t-il d’une voix joyeuse, mais empreinte de respect.
— Mon fils, répondit Magnus le Rouge en souriant. Il faisait jouer tous ses muscles pour les détendre. « Cela fait trop longtemps que tu dois supporter la puanteur de ce lieu. »
Il se tourna en direction du tunnel qui se rendait vers le Croc du Thane. Ses yeux luisaient d’une lumière verte menaçante.
— Je crois qu’il est temps que les Loups apprennent la véritable signification du mot douleur.
Odain Sturmhjart rugit une nouvelle fois de défi. Sa voix commençait à s’érailler. Il invoquait le pouvoir de la tempête depuis des jours afin de diviser et de démoraliser les forces qui attaquaient le Sceau de Borek. La fatigue commençait à se faire lourdement sentir. Ses lèvres étaient sèches et gercées, et sa gorge était à vif.
Toutefois, il ne pouvait pas faiblir maintenant. Les sorciers étaient puissants, d’autant plus depuis que la plupart des sceaux qui protégeaient les Maisonnées avaient été détruits. Sturmhjart n’avait que peu d’alliés, si bien qu’il devait défendre presque seul les soldats du Croc contre le maleficarum. Un prêtre des runes moins endurant que lui aurait abandonné depuis des jours, terrassé par la nécessité d’assurer un flux constant d’énergie wyrd. Seul Sturmhjart était suffisamment versé dans les arcanes de Fenris pour résister aussi longtemps. Tant qu’il serait en vie, les machinations de l’ennemi seraient contrecarrées, ce qui laisserait le temps aux guerriers de l’Aett de se consacrer au combat. S’il mourait, la sorcellerie des Thousand Sons ferait pencher la balance en leur faveur.
C’est ainsi que Sturmhjart restait debout vaille que vaille, et lançait des invectives silencieuses aux Effacés tout en déchaînant sur eux un déluge d’éclairs. À chaque instant, il devait contrer les pouvoirs de ses adversaires et essuyer les pires attaques psychiques.
Il était gonflé de fierté. Suite à son incapacité à prédire l’arrivée de l’ennemi, il avait tout fait pour se rattraper. Sans lui, l’Aett serait déjà tombé depuis plusieurs jours. La forteresse était toujours sur le point d’être envahie, mais au moins était-il parvenu à lui offrir un peu de répit. Mourir au combat après avoir provoqué autant de pertes chez l’adversaire serait une fin honorable. Seule une mort veule et inutile était source de honte.
Sturmhjart se trouvait au milieu des lignes défensives, se préoccupant à peine de rester à couvert. De part et d’autre du vieux Prêtre des Runes s’étiraient des escouades de mortels maniant des armes lourdes. Les Loups opéraient en avant de ces défenses afin d’empêcher les envahisseurs de réussir une percée. Ils étaient soutenus par les Dreadnought et les silhouettes bestiales des créatures du Croc. Ces monstres semaient encore plus la terreur au sein des troupes mortelles des Thousand Sons que les Loups eux-mêmes. Un grand nombre d’entre eux avait été tués depuis le début des hostilités, toutefois il en restait encore suffisamment pour provoquer un carnage terrifiant.
Sturmhjart jeta un coup d’œil à droite, là où les combats étaient les plus féroces. Greyloc continuait de se battre, comme il le faisait depuis des jours. Ses fourrures pendaient en lambeaux, son armure Terminator était noircie par les impacts de plasma, tandis que la céramite était entaillée en des dizaines d’endroits. En dépit de cela, le Seigneur Loup était toujours aussi froid et implacable. Sa simple présence permettait à la ligne de tenir envers et contre tout. Il n’était plus le Loup Blanc, mais plutôt l’ombre de Morkai, une incarnation du Loup des Morts libre de moissonner les âmes dans le monde des vivants.
Je suis surpris, Seigneur. Il y a de l’acier sous cette peau blanche.
Greyloc et Bjorn dominaient la bataille du Sceau de Borek. Les Thousand Sons avaient beau être trop nombreux pour être repoussés, leur avance était stoppée net par ces deux géants. Les Loups étaient parvenus à établir un statu quo, ce qui était un exploit impensable étant donnée la supériorité numérique écrasante de l’assaillant.
Cependant, cela ne saurait durer. Tôt ou tard, la ligne allait finir par céder et les Effacés envahiraient les cavernes au-delà du Sceau de Borek. Néanmoins, chaque Loup était prêt à mourir pour les en empêcher.
— Fenrys hjolda ! beugla Sturmhjart pour galvaniser les troupes autour de lui. Il frappa le sol avec son bâton. Des éclairs se mirent à serpenter sur la pierre en direction de l’ennemi.
— Pour Russ ! Pour le Père de…
Ses mots s’étranglèrent dans sa gorge. Une ombre passa sur son âme et la glaça. Le pouvoir qui s’infiltra dans son armure runique éteignit sa flamme. Il tituba, et manqua de tomber.
Tu le sens aussi, Prêtre…
La voix de Bjorn grondait dans la radio. Des étoiles dansaient devant les yeux de Sturmhjart. Il était groggy.
— Il est ici !
Greyloc s’approcha de lui.
— Qu’est-ce qui se passe, Odain ? lui demanda-t-il avec inquiétude. Les chasseurs gris refermèrent la ligne derrière leur chef lorsque celui-ci se dégagea de la mêlée.
Sturmhjart secoua vigoureusement la tête pour tenter de reprendre ses esprits.
— Il était là depuis le début. Il est nulle part, et partout à la fois !
Les attaques des sorciers gagnèrent soudainement en intensité. Des vrilles de magie vinrent envelopper les rangs des Effacés. Immédiatement, les attaques des Loups perdirent en férocité.
— Il est là ? s’écria Greyloc d’une voix haineuse. « Mène-moi à lui, Prêtre ! »
Il est en train de dévaster le Croc du Thane !
— Il est hors de notre atteinte ! gémit Sturmhjart.
— Nous devons y aller, insista Greyloc. « Il existe des chemins secrets à travers la montagne. Personne au Croc du Thane n’est en mesure de s’opposer à lui ! »
— Personne sur Fenris ne peut le vaincre !
Moi, je le peux.
Sturmhjart était encore nauséeux et désorienté, toutefois il parvint à faire volte-face vers le Dreadnought qui approchait d’eux.
— Vous n’y pensez pas ! rétorqua-t-il. « Vous ne ressentez pas sa présence comme moi je la ressens ! C’est un primarque, l’égal de Russ ! Il est la mort incarnée, Bjorn ! Il va mettre fin à notre wyrd ! »
Le Dreadnought pointa son canon à plasma vers la tête de Sturmhjart d’un air menaçant.
Tu as un cœur de feu, Prêtre. Heureusement pour toi, j’ai pu le constater au cours de ces derniers jours, sinon, tu serais déjà mort pour avoir proféré de telles paroles.
Greyloc n’hésita pas.
— La défense du Sceau va être confiée au Vénérable Hrothgar. Je suis sûr qu’il pourra tenir encore un peu. Je vais aller pourchasser le Traître avec mes gardes loups. Bjorn va m’accompagner, tout comme toi, Prêtre. Je vais avoir besoin de tes pouvoirs.
Sturmhjart se redressa, et jeta un regard dédaigneux au canon à plasma avant de se tourner vers l’armure noircie du Seigneur Loup. La nausée induite par l’irruption de Magnus au sein du Croc se dissipait peu à peu, si bien qu’il sentait sa résolution revenir. La honte l’envahit.
— Tu as raison, grogna-t-il en saisissant fermement son bâton. « Nous devons lui faire face ensemble. »
Greyloc hocha la tête d’un air approbateur et fit signe à ses deux gardes loups encore en vie de le rejoindre.
— Tout d’abord, il faut réussir à quitter ce combat, répondit-il d’un air sombre.
Ne vous en faites pas pour cela, intervint Bjorn. Sa voix grondait comme un roulement de tonnerre. Il pivota et lâcha une rafale sur l’ennemi. Ordonne aux longs crocs de nous assurer un tir de couverture. J’ai besoin d’exercer mes griffes sur une proie digne de moi.
Croc de Wyrm resta les bras ballants. Il se tenait au sommet de l’escalier du Croc du Thane, entre les silhouettes massives de Freki et de Geri, au niveau de la dernière ligne de défense de l’immense caverne. Le Prêtre Loup était un vétéran de milliers de batailles. Comme le reste du Vlka Fenryka, il ne connaissait pas le désespoir ou la peur.
Pourtant, il était incapable de bouger. L’être qui s’était manifesté sous ses yeux était si terrifiant, et transcendé par un pouvoir si immense, qu’il glaçait le cœur de guerriers les plus endurcis.
Magnus était là. Le Primarque démon était au pied des escaliers et se riait des tirs qui pleuvaient sur lui. Les obus explosaient avant de l’atteindre, formant des boules de feu orange qui illuminaient sa silhouette massive, car les longs crocs et les escouades d’armes lourdes faisaient feu sans discontinuer sur cette créature surnaturelle qui venait de se joindre à la bataille.
Néanmoins, cette pluie d’enfer semblait totalement inefficace. Magnus était un géant de cinq mètres de haut. Il avançait à travers une mer de prométhium bouillonnant comme un homme à travers un champ de blé. Il était magnifique, engoncé dans une armure couleur bronze qui scintillait au milieu des ombres de la caverne. Rien ne pouvait le blesser. Il était né lors d’un âge mythique, lorsque les dieux marchaient parmi les hommes. Le monde fragile du trente-et-unième millénaire n’avait rien à lui opposer, si bien que cet enfant du Père de Tous avait tout loisir pour répandre la mort.
Croc de Wyrm était enserré dans une gangue irrépressible. Il ne pouvait que regarder impuissant le Primarque se mettre à l’œuvre. Il ne poussait aucun cri de guerre, nul hurlement de haine. Magnus fauchait ses adversaires avec une froideur mesurée. Le Prêtre Loup vit ses Space Wolves charger ce titan scintillant sans hésiter pour tenter de ralentir son avance. Ils furent jetés au sol, l’échine brisée et la nuque rompue par les poings du Primarque.
Ce dernier progressait d’un pas implacable. Il atteignit les premières marches. Les barricades qui résistaient depuis des jours continuaient de cracher la mort, l’entourant d’une myriade d’étincelles furieuses. Magnus détruisit les emplacements d’armes les uns après les autres, projetant les servant et les canons dans les airs avec une facilité déconcertante.
Lauf Brise-nuage se dressa alors devant lui. Le Prêtre des Runes entonna une invocation. Une tempête se leva et vint à la rencontre du Primarque. Celui-ci se contenta de serrer le poing et Brise-nuage explosa littéralement, projetant des éclats d’armure runique et d’os en tous sens, et aspergeant les défenseurs proches d’une pluie de sang. Horrifiés, les kaerls perdirent toute velléité de résistance face à cet adversaire invincible et entreprirent d’évacuer les bunkers.
Magnus continuait d’avancer imperturbablement. D’autres Loups vinrent à sa rencontre sans se laisser impressionner par le sillon de destruction qu’il laissait derrière lui. Croc de Wyrm vit Rossek se porter au-devant de son adversaire. Les flammes léchaient son armure Terminator. Des chasseurs gris vinrent l’épauler en hurlant de rage. Le Primarque fut ralenti pendant quelques secondes par l’assaut de tant de lames maniées avant tant de courage et d’adresse. Croc de Wyrm vit même Rossek parvenir à porter un coup au Primarque avec son poing tronçonneur.
Il n’eut pas le temps d’en enchaîner un second. Magnus s’empara de lui et le jeta à terre avant de le piétiner avec sa botte ferrée, jusqu’à ce qu’il ne reste plus du Garde Loup qu’un amas de céramite et de chair broyées. Rossek n’avait tenu qu’une poignée de secondes avant que son wyrd fût fauché brutalement, et avec un dédain intolérable. Les chasseurs gris ne tardèrent pas à subir le même sort que leur chef. Les armes automatisées continuaient en vain de cracher la mort sur le Primarque avant d’être détruites, balayées d’un revers de main tels de simples jouets d’enfants.
Magnus gravit les marches. Les six Dreadnought qui défendaient le Croc du Thane l’attendaient. Ils ouvrirent le feu à l’unisson, déversant un torrent de missiles et de plasma si intense qu’il aurait pu exterminer toute une compagnie de traîtres. Les bolters lourds engloutirent leurs bandes de cartouches et les canons à plasma vidèrent en un instant leurs batteries énergétiques. Magnus émergea indemne de cet enfer, son armure laissant derrière elle un sillage de flammes et de fumée. Les Dreadnought se préparèrent au contact en faisant jouer leurs poings massifs et leurs griffes de loups aussi longues que des sabres.
Le Primarque saisit le marcheur Space Wolf le plus proche d’une seule main et le souleva du sol. Pendant un instant fatidique, l’immense sarcophage blindé resta en l’air. L’arme de corps à corps de la machine s’agitait en vain tandis que ses bolters lourds continuaient de faire feu sur la silhouette invulnérable de Magnus.
Celui-ci projeta le Dreadnought contre la paroi de la caverne. Le Vénérable percuta violemment la roche et retomba au sol au milieu des gravats et des éclats de granite. Magnus s’approcha et abattit le poing. Le blindage de la machine révérée se brisa comme une coquille d’œuf, révélant le cocon amniotique et l’enveloppe de chair fripée qu’il renfermait. Le pilote se tortillait dans le fluide vital, poussé par un instinct de survie indomptable, mais Magnus brisa sans hésiter le plexiglas et en tira la forme prostrée du pilote. Il l’écrasa entre ses doigts comme un vulgaire insecte.
Il se tourna ensuite vers les autres Dreadnought.
Croc de Wyrm était toujours paralysé. Il avait l’impression d’être en proie à un pouvoir invisible.
— Seigneur !
Ses membres étaient engourdis. Son épée pendait mollement au bout de sa main.
— Seigneur !
Un voile de désespoir obscurcissait ses yeux.
Nul ne peut l’arrêter. Même Bjorn ne pourrait rien faire.
— Seigneur !
La silhouette qui se présentait à lui le fit finalement sortir de sa rêverie. Les Loups survivants s’étaient rassemblés au sommet des escaliers. Ils n’étaient plus qu’une douzaine. Les quelque deux cents kaerls encore en vie refluaient eux aussi. Seuls les Dreadnought continuaient le combat, et périssaient les uns après les autres sous les horions dévastateurs de Magnus. Encore quelques dizaines de secondes, et le Primarque serait libre de reprendre son avance.
La silhouette qui s’adressait à Croc de Wyrm était un griffes sanglantes à l’armure maculée de sang et dont le casque arborait une rangée de crocs. À l’instar des autres Loups, il avait combattu férocement, ainsi que le prouvait son armure éraflée, entaillée et noircie.
Croc de Wyrm s’en voulut de ne pas avoir compris plus tôt ce qui lui arrivait.
Le Maleficarum ! Il tente de submerger mon esprit.
Rassemblant toute sa volonté, Croc de Wyrm chassa le désespoir qui tentait de s’emparer de son âme. Ses guerriers avaient besoin de lui pour les guider. Au même instant, le griffes sanglantes saisit fébrilement son avant-bras.
— Quels sont vos ordres ?
Croc de Wyrm dévisagea ses hommes. À peine quelques heures auparavant, ils continuaient de croire à une possible victoire. Après tout, les défenses avaient tenu plus longtemps que nul n’aurait pu l’imaginer. Toutefois, leurs espoirs venaient de s’envoler en l’espace d’une poignée de secondes.
Il ne savait pas quoi leur dire. Cela ne lui était jamais arrivé depuis qu’il avait été intronisé prêtre.
— Nous allons le retenir, intervint une voix ferme.
Tous les regards se tournèrent vers elle. Elle appartenait à un konungr au visage franc et honnête. De tous les kaerls, il était le seul à ne pas avoir l’air effrayé. Néanmoins, ses yeux étaient ternes, comme si toute étincelle de vitalité en avait été définitivement chassée.
— Mes mortels vont le ralentir autant que possible, annonça-t-il calmement en dépit des explosions qui montaient depuis les marches en contrebas. Contrairement à vous, notre sacrifice n’a aucune importance. Partez. Trouvez un moyen de le repousser lorsqu’il arrivera dans le Valgard. Si vous restez ici, vous mourrez.
Croc de Wyrm reconnut instantanément cet homme. L’influence maléfique de Magnus s’envola. Le konungr soutint son regard avec insolence.
Morek Kareksson ! Comme je t’ai sous-estimé !
— Ce mortel a raison, acquiesça Croc de Wyrm. Il avait retrouvé sa contenance et reprit fermement son épée. « Nous allons battre en retraite et établir notre dernier carré près du Grand Cercle. »
Il fit ensuite signe à Morek.
— Prends le commandement des dernières escouades d’armes lourdes. Retiens-le autant que possible. Les autres, suivez-moi ! Cette abomination ne doit pas pénétrer dans nos sanctuaires.
Puis sans attendre, il partit en courant à travers le Croc du Thane en direction des élévateurs qui les mèneraient au sommet. Les Loups lui emboîtèrent le pas sans discuter ses ordres, bien que Croc de Wyrm pût deviner leur répugnance à abandonner le combat. La majorité des kaerls les suivirent, soulagés de pouvoir s’éloigner du tourbillon de destruction qui se déchaînait sur les escaliers. Au même moment, de nouvelles détonations s’élevèrent des marches, ponctuées par l’aboiement rageur des bolters lourds.
Croc de Wyrm jeta un regard par-dessus son épaule. Morek s’affairait déjà à organiser les mortels qu’il avait gardés sous ses ordres, et les disposait en haut des escaliers afin de former une ultime ligne défensive, à l’ombre des statues immenses de Geri et de Freki.
C’était un acte de courage insensé. Une fois le dernier Dreadnought détruit, Morek et ses hommes ne survivraient qu’une poignée de secondes.
Le Prêtre Loup chassa cette pensée et se concentra sur la tâche à venir.
Je n’ai pas le droit de me sentir coupable. Ce qui est en jeu est bien plus important que la vie de ces mortels.
Cependant, tandis qu’il courait à travers le Croc du Thane, laissant derrière lui une partie de ses guerriers seuls face à la rage du Primarque afin de gagner du temps, et dans l’espoir de repousser son ennemi au niveau du Grand Cercle, il était conscient de la futilité de ses actes.
Je n’ai aucun moyen de vaincre un tel adversaire.
Les Effacés étaient libres de provoquer un carnage. Suite au départ de Bjorn, de Greyloc et surtout du Prêtre des Runes, leurs pouvoirs s’étaient trouvés décuplés. Des phalanges de guerriers en armure couleur saphir se jetaient au combat, entourés par un halo d’énergie psychique, leurs gantelets baignés dans des flammes surnaturelles. Même les Loups qui tenaient encore les barricades ne pouvaient s’opposer à eux. Ils étaient forcés de mener un combat d’arrière-garde tout en battant en retraite vers les lignes de défense suivantes.
Cette manœuvre s’opérait sous le tir de couverture des armes automatisées et des cinq Dreadnought. Ces derniers étaient menés par Hrothgar, une machine immense, à peine moins imposante que Bjorn. Sous son commandement, Aldr et les autres reculaient avec discernement, tout en inondant l’adversaire de projectiles dans le but de ralentir sa progression. Les bêtes continuaient elles aussi le combat avec une sauvagerie intacte. Elles se jetaient à la gorge des Effacés et déchiraient le métal avec leurs griffes et leurs prothèses mécaniques.
Néanmoins, Freija savait que cela ne suffirait pas. Le départ du Seigneur Loup et de sa suite privait les troupes de leurs atouts les plus précieux. Elle avait été glacée de terreur en voyant Bjorn se frayer un chemin à travers la mêlée avant de disparaître dans les tunnels derrière les défenseurs. Elle ne pouvait qu’imaginer avec effroi la menace qui avait obligé les plus grands héros présents au Sceau de Borek à quitter la bataille.
Pour couronner le tout, les Thousand Sons semblaient combattre avec une vigueur renouvelée. Ils étaient plus rapides, et leurs coups plus mortels que jamais. Le pouvoir qui les animait avait grandi subitement après le départ du Prêtre des Runes.
Freija obéit aux ordres qu’elle venait de recevoir et passa sous l’arche du Sceau de Borek avant de battre en retraite dans la caverne. Son escouade restait en formation, face à l’ennemi, tirant rafales après rafales. Les tirs de riposte des Effacés explosaient autour d’elle. Lorsque les défenseurs abandonnèrent leur première ligne de défense, les armes automatisées de la ligne suivante entrèrent en action. Les assaillants furent ainsi accueillis par un torrent de feu qui ajouta sa fureur au fracas de la bataille.
Les lignes de defense secondaires étaient constituées de tranchées et de barricades. C’était là que les défenseurs comptaient se regrouper, résister autant que possible puis battre de nouveau en retraite vers la ligne suivante. Tant que les Dreadnought tiendraient bon et qu’il resterait des Loups en vie, l’espoir subsisterait. Freija avait la foi. C’était une sensation étrange et exaltante, surtout après tant d’années passées à remâcher son cynisme.
Soudain, elle poussa un cri de douleur et trébucha.
Un de ses hommes l’épaula afin de l’aider à se relever. Une nouvelle chute serait fatale, car nul n’aurait plus le temps de lui venir en aide.
Des étoiles dansaient devant ses yeux. Au début, elle pensa qu’elle avait été atteinte par un tir de laser, puis elle réalisa que la douleur était interne, comme un fer rouge qui lui brûlait le cœur. Elle eut un spasme de souffrance intolérable.
— Debout, Huskaerl ! lui cria le soldat en la tirant par l’armure.
Freija l’entendait à peine. Elle eut la vision d’un géant en armure couleur bronze avançant à travers un mur de flammes, qui dévastait tout sur son passage. Elle vit alors un homme, un mortel, se dressant devant ce dieu destructeur. Il se tenait entre deux immenses statues de loups sculptées dans le granite, toutefois, bien que leurs babines fussent retroussées, ils ne pouvaient qu’observer la scène avec impuissance.
La vision disparut aussi rapidement qu’elle s’était manifestée, et le fracas des combats du Sceau du Borek la rattrapa.
— Père, s’écria-t-elle en comprenant soudain ce qu’elle venait de voir.
Submergée par la détresse, elle lâcha son arme. Le soldat essayait vainement de l’entraîner avec lui. Le reste de l’escouade était déjà loin. Les tirs ricochaient autour des deux traînards.
— Il est mort ! pleura Freija. Un chagrin insondable l’envahit. Les larmes embuèrent ses yeux. « Que le Père de Tous ait pitié de moi, il est mort ! »
Les nerfs du kaerl finirent par lâcher. Il l’abandonna et courut rejoindre ses camarades. Freija retomba au sol, totalement hermétique au carnage. Tout autour d’elle, les Loups continuaient le combat malgré leur défaite imminente. La mêlée allait la rattraper, l’emporter.
Elle n’en avait cure. Ce qu’elle avait de plus cher au monde venait de lui être arraché. La fatigue accumulée au fil des jours finit par prendre le dessus et elle sombra dans le désespoir.
Il est mort !
Ainsi, à l’instant même où les défenses du Sceau de Borek étaient balayées, et où les space marines renégats s’emparaient du plus important bastion au cœur de la citadelle de Russ, Freija Moreksson, l’indomptable fille de Fenris, resta prostrée au sol, insensible à tout en dehors du deuil qui venait de la frapper.
Elle resta immobile jusqu’à ce qu’une ombre la surplombe, celle d’un des innombrables guerriers venus répandre le sang dans l’Aett. Lorsqu’il abattit son arme, Freija ne leva même pas la tête.
Magnus se trouvait dans le Croc du Thane. Sa cape était nimbée de flammes mourantes. La vaste caverne résonnait encore des derniers échos du combat. Le sol était jonché de corps et d’armes brisées, partiellement cachés par l’épaisse fumée qui avait envahi le lieu. Les statues de Freki et de Geri gisaient en mille morceaux au milieu des barricades, symboles de la résistance brisée des Space Wolves.
Les Effacés progressaient en escouades disciplinées et se préparaient à exploiter leur percée. Des gardes des spires s’affairaient déjà à dégager les décombres éparpillés sur les escaliers. Maintenant que ce carrefour majeur était entre leurs mains, les envahisseurs étaient libres d’accéder aux niveaux supérieurs du Croc.
Magnus savait ce qu’il avait à faire. Il allait se frayer un chemin jusqu’au sommet de la forteresse à travers les tunnels et les puits d’accès, ne laissant derrière lui que mort et destruction. Il prendrait ensuite l’aspect d’un seigneur de la ruine, et observerait ses fils détruire le Croc, pierre par pierre. Son annihilation serait totale et irréparable ; elle dépasserait tout ce que les Loups avaient infligé à Tizca. Lorsque Magnus consentirait à partir, le Croc ne serait plus qu’un tombeau effondré sur les sépultures des Loups.
Toutefois, il n’en était pas encore là. Il lui restait une tâche à accomplir. Il l’attendait impatiemment depuis des siècles.
Il s’avança vers la statue cyclopéenne de Russ.
Magnus lui reconnut une certaine ressemblance. L’énergie exubérante de son frère génétique avait été capturée à la perfection. Au fur et à mesure que le Primarque des Thousand Sons approchait, sa taille grandissait, au point qu’elle égalait celle de Russ lorsqu’il se retrouva face à lui. Ils échangèrent un long regard, comme ils l’avaient fait sur Prospero. Finalement, Magnus sourit.
— Te souviens-tu de ce que tu m’as dit ?
Il parlait d’une voix forte et assurée. Ses doigts jouaient nerveusement. Il avait attendu ce moment depuis si longtemps !
— Te souviens-tu de ce que tu m’as dit lorsque nous nous sommes combattus au pied de la pyramide de Photep ? Te souviens-tu de tes paroles ? Moi, je ne les ai pas oubliées. Ton visage était défiguré par la peine. Quelle ironie ! Toi, le Maître des Loups, en proie à la tristesse ! Et malgré cela, tu as accompli ton devoir, comme tu l’avais toujours fait. Tu étais si loyal, si obstiné. Le bon toutou de l’Empereur !
Son sourire s’effaça.
— Tu as souffert en accomplissant ton œuvre. J’en ai été témoin. Cependant, les temps ont changé. Je ne suis plus tout à fait le même. Quant à toi… eh bien, j’imagine qu’il est inutile d’épiloguer sur ton destin…
Magnus enroula ses gigantesques doigts de bronze autour des épaules de la statue.
— N’imagine donc pas que mes émotions sont les mêmes. Ce que je vais faire va me procurer du plaisir. Je vais me délecter de voir ta demeure réduite en poussière et tes fils forcés d’errer dans la galaxie. Au cours des siècles à venir, cette petite vengeance me fera souvent sourire, et me consolera quelque peu de la douleur que tu as infligée à mon peuple au nom de l’ignorance.
Magnus souleva alors l’effigie monumentale, qui se brisa au niveau des chevilles dans un craquement terrifiant. Avec une facilité déconcertante, le Primarque s’accroupit, la statue posée sur le genou.
— Cela fait longtemps que j’attends ce moment, Roi Loup. Et j’avoue qu’il me procure un sentiment de satisfaction intense.
D’un unique coup sec, Magnus brisa les reins de Russ. Les deux moitiés de la statue tombèrent au sol dans un fracas dantesque en soulevant un nuage de poussière. Ce grondement résonna sur la voûte du Croc du Thane tel un immense sanglot. La tête de Russ se détacha de son corps, toujours fixée dans un rictus de rage. Elle roula au milieu des débris avant de s’immobiliser.
Magnus fit une pause pour observer la déchéance de son adversaire. Il resta ainsi immobile un long instant, le visage plongé dans la plénitude d’un homme jouissant enfin d’un plaisir qui lui avait été longtemps refusé.
Toutefois, derrière ce masque – Ahriman l’aurait vu – il y avait une douleur profonde ; celle du souvenir. Elle ne guérirait jamais. Telle était la tragédie du passé, des événements qui ne peuvent plus être changés.
Cette introspection fut de courte durée. À peine la poussière fut-elle retombée sur le sol du Croc du Thane que Magnus s’anima une fois de plus. Il savait que ses fils s’impatientaient, et il avait encore fort à faire.
— L’assaut final… murmura-t-il pour lui-même. « Et le coup de grâce… »
Il reprit son chemin, réadoptant dans la foulée sa taille originelle. Les Effacés et leurs sorciers avaient attendu ce moment ; tous le suivirent. Un grand nombre d’entre eux avaient péri, mais il en restait encore des centaines pour accomplir la tâche à venir. Ils marchaient avec leur assurance habituelle, baignés dans une aura surnaturelle, et se dirigèrent vers les élévateurs.
Lorsqu’ils furent partis, les gardes des spires s’aventurèrent au milieu des décombres du Croc du Thane. Ils étaient épuisés suite à ces semaines de campagne difficiles, cependant ils gardaient la tête haute. Ils n’étaient plus effrayés. Ils avaient été témoins de la chute des Loups, et cela leur avait redonné confiance. D’ailleurs, la plupart d’entre eux étaient fermement persuadés que les space marines en armure grise avaient été exterminés, ce qui n’était pas étonnant vu la récente tournure des événements.
C’est ainsi que quelques heures plus tard, aucune des sentinelles ne vit les paires d’yeux rouges qui apparurent au pied des escaliers et se précipitèrent sur elles. Ce n’est que lorsque leurs ennemis surgirent des ténèbres au milieu du grondement des machines de guerre que les gardes des spires comprirent qu’ils avaient commis une erreur fatale.
Il restait des Loups en chasse dans le Croc.