XIII - SILENCE
Tout à coup on se tait ; ce silence grandit,
Et l'on dirait qu'au choc brusque d'un vent qui tombe
Cet enfer a repris sa figure de tombe ;
Ce pandémonium, ivre d'ombre et d'orgueil,
S'éteint ; c'est qu'un vieillard a paru sur le seuil ;
Un prisonnier, un juge, un fantôme ; l'ancêtre !
C'est Fabrice.
On l'amène à la merci du maître.
Ses blêmes cheveux blancs couronnent sa pâleur ;
Il a les bras liés au dos comme un voleur ;
Et, pareil au milan qui suit des yeux sa proie,
Derrière le captif marche, sans qu'il le voie,
Un homme qui tient haute une épée à deux mains.
Matha, fixant sur lui ses beaux yeux inhumains,
Rit sans savoir pourquoi, rire étant son caprice.
Dix valets de la lance environnent Fabrice.
Le roi dit :-Le trésor est caché dans un lieu
Qu'ici tu connais seul, et je jure par Dieu
Que, si tu dis l'endroit, marquis, ta vie est sauve.
Fabrice lentement lève sa tête chauve
Et se tait.
Le roi dit :-Es-tu sourd, compagnon ?
Un reître avec le doigt fait signe au roi que non.
-Marquis, parle ! ou sinon, vrai comme je me nomme
Empereur des Romains, roi d'Arle et gentilhomme,
Lion, tu vas japper ainsi qu'un épagneul.
Ici, bourreaux !-Réponds, le trésor ?
Et l'aïeul
Semble, droit et glacé parmi les fers de lance,
Avoir déjà pris place en l'éternel silence.
Le roi dit :-Préparez les coins et les crampons.
Pour la troisième fois parleras-tu ? Réponds.
Fabrice, sans qu'un mot d'entre ses lèvres sorte,
Regarde le roi d'Arle et d'une telle sorte,
Avec un si superbe éclair, qu'il l'interdit ;
Et Ratbert, furieux sous ce regard, bondit
Et crie, en s'arrachant le poil de la moustache
-Je te trouve idiot et mal en point, et sache
Que les jouets d'enfant étaient pour toi, vieillard !
Çà, rends-moi ce trésor, fruit de tes vols, pillard !
Et ne m'irrite pas, ou ce sera ta faute,
Et je vais envoyer sur la tour la plus haute
Ta tête au bout d'un pieu se taire dans la nuit.
Mais l'aïeul semble d'ombre et de pierre construit ;
On dirait qu'il ne sait pas même qu'on lui parle.
-Le brodequin ! A toi, bourreau ! dit le roi d'Arle.
Le bourreau vient, la foule effarée écoutait.
On entend l'os crier, mais la bouche se tait.
Toujours prêt à frapper le prisonnier en traître,
Le coupe-tête jette un coup d'oeil à son maître.
-Attends que je te fasse un signe, dit Ratbert.
Et, reprenant :
-Voyons, toi chevalier haubert,
Hais cadet, toi marquis, mais bâtard, si tu donnes
Ces quelques diamants de plus à mes couronnes,
Si tu veux me livrer ce trésor, je te fais
Prince, et j'ai dans mes ports dix galères de Fez
Dont je te fais présent avec cinq cents esclaves.
Le vieillard semble sourd et muet.
-Tu me braves !
Eh bien ! tu vas pleurer, dit le fauve empereur.