V - LE CORBEAU

Un matin, les portiers sonnent du cor. Un nonce
Se présente ; il apporte, assisté d'un coureur,
Une lettre du roi qu'on nomme l'empereur ;
Ratbert écrit qu'avant de partir pour Tarente
Il viendra visiter Isora, sa parente,
Pour lui baiser le front et pour lui faire honneur.
Le nonce, s'inclinant, dit au marquis :-Seigneur,
Sa majesté ne fait de visites qu'aux reines.
Au message émané de ses mains très sereines
L'empereur joint un don splendide et triomphant ;
C'est un grand chariot plein de jouets d'enfant ;
Isora bat des mains avec des cris de joie.
Le nonce, retournant vers celui qui l'envoie,
Prend congé de l'enfant, et, comme procureur
Du très victorieux et très noble empereur,
Fait le salut qu'on fait aux têtes souveraines.
-Qu'il soit le bienvenu ! Bas le pont ! bas les chaînes !
Dit le marquis ; sonnez la trompe et l'olifant !-
Et, fier de voir qu'on traite en reine son enfant,
La joie a rayonné sur sa face loyale.
Or, comme il relisait la lettre impériale,
Un corbeau qui passait fit de l'ombre dessus.
-Les oiseaux noirs guidaient Judas cherchant Jésus ;
Sire, vois ce corbeau, dit une sentinelle.
Et, regardant l'oiseau planer sur la tournelle : -Bah ! dit l'aïeul, j'étais pas plus haut que cela,
Compagnon, déjà ce corbeau que voilà,
Dans la plus fière tour de toute la contrée
Avait bâti son nid, dont on voyait l'entrée ;
Je le connais ; le soir, volant dans la vapeur,
Il criait ; tous tremblaient ; mais, loin d'en avoir peur,
Moi petit, je l'aimais ; ce corbeau centenaire
Étant un vieux voisin de l'astre et du tonnerre.