II - LE DÉFAUT DE LA CUIRASSE
Maintenant il est vieux ; son donjon, c'est son cloître ;
Il tombe, et, déclinant, sent dans son âme croître
La confiance honnête et calme des grands coeurs ;
Le brave ne croit pas au lâche, les vainqueurs
Sont forts, et le héros est ignorant du fourbe.
Ce qu'osent les tyrans, ce qu'accepte la tourbe,
Il ne le sait ; il est hors de ce siècle vil ;
N'en étant vu qu'à peine, à peine le voit-il ;
N'ayant jamais de ruse, il n'eut jamais de crainte ;
Son défaut fut toujours la crédulité sainte,
Et quand il fut vaincu, ce fut par loyauté ;
Plus de péril lui fait plus de sécurité.
Comme dans un exil il vit seul dans sa gloire,
Oublié ; l'ancien peuple a gardé sa mémoire,
Mais le nouveau le perd dans l'ombre, et ce vieillard,
Qui fut astre, s'éteint dans un morne brouillard.
Dans sa brume, où les feux du couchant se dispersent,
Il a cette mer vaste et ce grand ciel qui versent
Sur le bonheur la joie et sur le deuil l'ennui.
Tout est derrière lui maintenant ; tout a fui ;
L'ombre d'un siècle entier devant ses pas s'allonge ;
Il semble des yeux suivre on ne sait quel grand songe ;
Parfois, il marche et va sans entendre et sans voir.
Vieillir, sombre déclin ! l'homme est triste le soir ;
Il sent l'accablement de l'oeuvre finissante. On dirait par
instants que son âme s'absente,
Et va savoir là-haut s'il est temps de partir.
Il n'a pas un remords et pas un repentir ;
Après quatre vingts ans son âme est toute blanche ;
Parfois, à ce soldat qui s'accoude et se penche,
Quelque vieux mur, croulant lui-même, offre un appui ;
Grave, il pense, et tous ceux qui sont auprès de lui
L'aiment ; il faut aimer pour jeter sa racine
Dans un isolement et dans une ruine ;
Et la feuille de lierre a la forme d'un coeur.