22

« … Ou vous serez anéantis. »

Lorana observa Ma’Ning près du dépôt d’armes, et lui trouva les lèvres serrées. Si la première voix qui leur était parvenue des vaisseaux inconnus semblait synthétique, celle-ci était indéniablement humaine.

Et celui qui l’émettait parlait le Basic. Ce qui ne présageait rien de bon.

— Un captif de la République ? suggéra-t-elle.

— Ou un traître, dit gravement Ma’Ning. Quoi qu’il en soit, cela ne fera que compliquer les choses.

— Pas du tout, lança du comlink la voix de C’Baoth. Personne, pas même un traître, n’aurait pu les préparer au type de défense que peut présenter un Jedi.

— Avec la centaine de vaisseaux de guerre dont ils disposent, je ne vois pas pourquoi ils s’inquiéteraient de la puissance de notre défense, remarqua Ma’Ning.

— Patience, Maître Ma’Ning, reprit C’Baoth avec un calme glacial. Faites confiance en la Force.

— Ils avancent, coupa soudain le capitaine Pakmillu. Tous les postes de tir, tenez-vous prêts.

Lorana ferma les yeux puis fit appel à la Force afin de ne pas s’affoler. Enfin l’occasion leur était donnée de tester les techniques de contrôle Jedi que C’Baoth avait passé tant de temps à leur enseigner.

— Quoi… ? s’étrangla Ma’Ning en se rapprochant de son moniteur. Maître C’Baoth ?

— Je les vois, déclara celui-ci. Voici donc le genre d’ennemis auxquels nous avons à faire face.

— Et ce sont… ? demanda Lorana en faisant pivoter sa chaise vers son écran.

— Regardez les vaisseaux de guerre. Vous voyez ces bulles de plastique sur les carlingues ?

Lorana sentit sa poitrine se serrer.

— Il y a des gens dedans !

— Des boucliers vivants, confirma C’Baoth non sans mépris. Le concept de défense le plus lâche et le plus abominable qui soit.

— Que fait-on ? s’inquiéta Lorana d’une voix soudain tremblante. On ne peut tout de même pas les abattre !

— Courage, Jedi Jinzler ! Nous ne tirerons qu’entre les otages.

— Impossible, lâcha Ma’Ning. Même avec des canons Jedi. Les turbolasers ne sont pas assez précis.

— Vous me prenez pour un imbécile, Maître Ma’Ning ? cingla C’baoth. Il est évident que nous ne tirerons que lorsque nous serons suffisamment près pour avoir la précision voulue.

— Et en attendant, nous nous contentons de subir leur attaque ?

— Pas du tout, répondit C’Baoth avec malice. Je leur réserve une petite surprise. Chevaliers Jedi, préparez-vous à fusionner. Faites appel à la Force… avant de vous tourner contre les Vagaari.

 

— Ils ne répondent pas, déclara le Miskara qui semblait accuser Car’das du silence du Vol vers l’infini.

— Peut-être sont-ils en train de discuter entre eux, Votre Éminence, suggéra-t-il en sondant l’espace devant lui.

Les vaisseaux Vagaari avaient peu à peu réduit la distance entre eux et le Vol vers l’infini, et se regroupaient à présent de façon à former un ensemble compact de boucliers qui se chevauchaient.

Ils se préparaient à attaquer.

Et toujours rien en provenance du Vol vers l’infini. Ou de Thrawn, en l’occurrence. Ses vaisseaux devaient bien se trouver quelque part. Mais où ?

— Faites-leur parvenir un nouveau message, ordonna le Miskara. « Le temps n’est plus aux discussions. Rendez-vous ou… »

Sa voix s’éteignit brusquement, remplacée par un gargouillis inintelligible.

Car’das se rembrunit et se colla le comlink à l’oreille. Le pont entier semblait avoir sombré dans le même murmure confus, comme si tout l’équipage avait été victime d’une attaque cérébrale.

Ce qui était la pure vérité.

Il regarda de nouveau le Vol vers l’infini et tressaillit désagréablement. Il s’était laissé dire que les Jedi avaient le pouvoir de maîtriser l’esprit de leurs assaillants en créant de faux bruits dans leurs oreilles afin de les empêcher de se concentrer correctement sur leurs armes et les systèmes de contrôle. Mais, s’il se disait que certains d’entre eux avaient la capacité d’utiliser ce pouvoir à grande échelle, il ne les avait jamais vraiment vus à l’œuvre.

Jusqu’à maintenant.

Les dés étaient jetés, à présent, et l’avenir proche était aussi fixe et inévitable qu’une orbite planétaire.

Le comlink toujours contre son oreille, Car’das attendit que vienne la fin.

*

* *

— Ainsi, vous disiez vrai, murmura Mitth’raw’nuruodo. Vos Jedi ont franchi la distance qui les séparaient des Vagaari et leur ont engourdi l’esprit.

— À ce qu’il semble, oui, répondit Doriana qui se sentait lui-même vaguement étourdi.

Même si seuls les chefs et les tireurs Vagaari avaient été affectés, et même si aucun d’entre eux n’avait prévu ce qui devait arriver, cela restait une prouesse terrifiante.

Une prouesse accomplie par une poignée de Maîtres et de Chevaliers Jedi.

Comme on aurait pu s’y attendre, Kav fut le premier à rompre le silence pour demander :

— Et notre rôle est de rester assis sans rien faire ?

— Notre rôle est de faire ce pour quoi nous sommes venus, répliqua Mitth’raw’nuruodo avant d’appuyer sur une commande. Il est temps que les Vagaari meurent.

— Les Vagaari ? répéta Kav, ulcéré. Non ! Si on vous a donné mes chasseurs, c’est pour que vous les utilisiez contre le Vol vers l’infini.

— On ne m’a pas donné vos chasseurs, corrigea Mitth’raw’nuruodo avec froideur.

Devant eux, les droïdes chasseurs s’élevaient à présent par vagues des astéroïdes qui leur servaient de bases de lancement, pour se diriger à pleine vitesse vers les groupes de vaisseaux de guerre Vagaari.

— Et c’est moi qui vais décider de la façon de les utiliser.

Kav grogna son mécontentement puis laissa tomber :

— Vous ne vous en tirerez pas comme ça.

— Prenez garde, Vice-Roi, prévint Mitth’raw’nuruodo en fixant le Neimoidien de ses yeux luisants. N’oubliez pas que les chasseurs ne sont pas la seule technologie neimoidienne dont je me suis emparé.

Doriana frémit puis fit volte-face, s’attendant à trouver les deux droïdekas que Mitth’raw’nuruodo avait dérobés au Darkvenge et qui se tenaient derrière eux dans une position de combat.

Mais il ne vit rien.

— Non, commandant, les droïdes de combat ne sont pas ici. Ils sont là où nous en aurons nettement plus besoin.

— Et où, exactement ?

— Où ? répéta Thrawn avec un sourire pincé. Sur le pont du vaisseau amiral des Vagaari.

Le soudain crépitement des blasters fit sursauter Car’das, qui heurta du coude le bord de la bulle alors qu’il écartait vivement le comlink de son oreille. Ses tempes vibraient encore lorsque les coups de feu rythmés des droïdekas furent rejoints par les tirs plus nets des fusils des quatre droïdes de combat. Apparemment, Thrawn avait conçu une autre stratégie de bataille que celle mise au point un peu plus tôt par Car’das pour le Miskara. Le bruit de la fusillade changea imperceptiblement tandis que les six droïdes se lançaient sur le pont, non sans abattre au passage les tireurs impuissants.

Alors qu’ils décapitaient systématiquement la hiérarchie Vagaari, les chasseurs droïdes arrivaient.

La première et la seconde vague leur volèrent au-dessus sans ralentir, frôlèrent la carlingue en passant à peine à cinq mètres du visage de Car’das avant de se diriger vers le groupe de vaisseaux Vagaari positionnés plus loin. La troisième vague arriva en mode de combat, les canons laser arrosant le vaisseau amiral dans une multitude de gerbes enflammées. Car’das recula instinctivement, mais sans même lui laisser le temps d’avoir peur, les chasseurs passèrent eux aussi à une vitesse étourdissante, ne laissant derrière eux que des éclats de métal arraché et des traînées blanches lumineuses. Sans en croire ses yeux, il scruta l’espace voilé de gaz dans l’espoir d’apercevoir les autres bulles, et à demi effrayé de ce qu’il allait découvrir.

Mais les chasseurs avaient déjà disparu. Dans chacune des bulles qu’il pouvait distinguer, les otages Geroons étaient encore vivants… et absolument terrifiés, certains d’entre eux s’en prenant à leur cage de plastique pour tenter de s’échapper. Comme les Jedi du Vol vers l’infini avaient empêché les tireurs Vagaari de défendre leurs vaisseaux, et grâce à la précision des systèmes de visée droïdes, les chasseurs avaient sans difficulté percé la carapace des carlingues regroupées, en se faufilant entre les boucliers vivants.

Et pas seulement pour atteindre le vaisseau amiral. Un nuage de débris scintillants flottaient autour de Car’das et des autres vaisseaux Vagaari. Déjà, lors de cette première attaque, il avait estimé que l’assaut lancé par Thrawn avait détruit le quart des bâtiments étrangers.

Toujours sans aucune réponse de ceux qui restaient. La question était maintenant de savoir si le contrôle des Jedi sur les étrangers durerait assez longtemps pour que les chasseurs achèvent leur travail. Se saisissant de sa lunette binoculaire, écoutant d’une oreille le bruit du combat qui continuait de faire rage sous lui sur le pont, il se concentra sur le Vol vers l’infini.

 

Jamais Lorana n’avait rien ressenti de tel. Jamais elle n’avait osé en rêver, et encore moins éprouvé le besoin de s’y préparer. Tandis qu’elle se laissait emporter dans la fusion Jedi, confiant à C’Baoth le soin de la guider, elle et les autres, alors qu’ils semaient le trouble parmi les commandants et les tireurs Vagaari, les esprits inconnus dont elle s’était enveloppée commencèrent subitement à exploser dans la mort.

Toutefois, ce n’étaient pas de simples morts, des vagues de sensations qui s’imposaient douloureusement mais de façon contrôlable à sa conscience. Non, ces morts lui parvenaient en torrents furieux, en déferlantes de terreur et d’agonie qui venaient frapper avec violence son esprit vulnérable. Elle se sentait vaciller, cherchant à l’aveuglette où s’accrocher tandis que son corps était secoué par la distorsion. Soudain, elle ressentit une douleur brutale à l’épaule et comprit, l’instant d’après, qu’elle était tombée de sa chaise pour atterrir sur le pont. Elle tremblait de façon incontrôlable, sentait les réactions des autres pénétrer jusqu’au cœur de la fusion, se nourrir de sa faiblesse alors que sa propre douleur se nourrissait de la leur. Des milliers de voix étrangères lui vrillaient le cerveau alors que leurs forces vitales leur étaient arrachées, comme elles seraient arrachées aux milliers d’autres qui attendaient encore…

À côté de Doriana, Mitth’raw’nuruodo poussa un long soupir.

— Ch’trai ordonna-t-il.

Dans un mouvement fluide, la flotte Chiss s’avança.

— À nous de jouer ? demanda Doriana.

Il ne pouvait quitter des yeux les vagues de chasseurs droïdes qui se frayaient méthodiquement un chemin au milieu des vaisseaux Vagaari.

— Non, dit Mitth’raw’nuruodo. À nous de lancer notre propre défi.

Alors seulement, Doriana se rendit compte que le Springhawk et le reste de la flotte Chiss avaient pris la direction du Vol vers l’infini. Serrant les poings, il s’attendit à tout moment que les canons du cuirassé fassent feu sur cette nouvelle menace.

Pourtant, rien ne se produisit. Le Springhawk traversa sans encombre la ligne de tir des turbolasers, la zone de défense et même les boucliers qui ne valurent que de légères secousses à la proue du cuirassé le plus proche. Les autres appareils Chiss s’écartèrent des flancs du Springhawk pour se rapprocher des cuirassés tandis que le vaisseau déviait de sa trajectoire initiale.

Et ouvrait le feu.

Les premières salves atteignirent les postes de tir, l’éclatante lueur bleue des lasers Chiss mordant à travers blindages et condensateurs pour s’attaquer aux tourelles elles-mêmes. Ensuite, ce fut le tour des générateurs de boucliers, le Springhawk zigzaguant le long des coques des cuirassés qu’il transperçait et détruisait tour à tour. Le tout sans la plus petite manœuvre superflue. Visiblement, Mitth’raw’nuruodo avait fait bon usage des notices techniques fournies par Doriana.

Soudain, à la grande surprise de ce dernier, le Springhawk effectua un virage serré pour filer s’enfoncer à nouveau dans l’espace profond. Au-delà du nuage de destruction, il put constater que les autres appareils Chiss faisaient de même.

— Que se passe-t-il ?

— Rien, répondit Mitth’raw’nuruodo. Pourquoi ?

— Vous avez interrompu l’attaque ! s’exclama Kav au moins aussi stupéfait que Doriana. Alors qu’ils sont incapables de se défendre.

— C’est justement pour ça que j’ai tout arrêté. Jedi Maître C’Baoth, dirigeants du Vol vers l’infini. Votre vaisseau est désarmé, vos défenses sont réduites à néant. Je vous offre une ultime chance de vous rendre et de regagner la République.

— Quoi ? couina Kav. Mais vous deviez les détruire !

— Le jour où vous reprendrez les commandes, s’il se produit jamais, Vice-Roi Kav, il vous reviendra d’en prendre la décision. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Aussi, Vol vers l’infini, j’attends votre réponse.

 

À travers la brume où résonnaient encore les imprécations des esprits moribonds, à travers la fumée et les débris, à travers les gémissements lointains des blessés, Lorana se rendit compte qu’elle était en train de mourir.

Sans doute d’asphyxie, songea-t-elle alors que ses poumons peinaient pour capter le peu d’air qui arrivait jusqu’à eux. Elle voulut bouger mais ses jambes semblaient plantées dans le pont. Elle voulut invoquer la Force mais les mourants Vagaari, rejoints par ses propres compagnons qui expiraient un à un, ne laissaient pas de lui embrouiller l’esprit.

Un métal froid lui encercla un poignet.

Elle ouvrit les yeux pour découvrir un droïde d’entretien en train de lui secouer le bras.

— Que faites-vous ? s’écria-t-elle d’une voix rauque.

À son grand étonnement, elle put constater qu’elle disposait encore d’assez d’air pour parler et tâcha d’en inspirer une longue goulée.

Une bienfaisante fraîcheur lui envahit enfin les poumons.

Clignant des paupières, elle débarrassa ses yeux de la brume qui lui bouchait la vue et scruta les débris tourbillonnants. Une longue entaille crevait le plafond, indubitablement provoquée par la décompression soudaine du poste de tir. À travers la brèche pointaient une dizaine de feuilles de métal tordu sans doute arrachées aux murs. Cinq ou six petits droïdes les escaladaient en produisant des étincelles, pour tâcher de les rassembler et de les souder.

À quelques mètres d’elle, les bras tendus vers le plafond pour maintenir en place, grâce à la Force, les plaques qui menaçaient de tomber, Ma’Ning restait allongé en travers du pont.

Gênée par les innombrables débris qui jonchaient le sol, Lorana n’apercevait qu’une partie de son corps mais cette seule vue suffit à lui retourner le cœur. Il devait avoir pris un coup de laser de plein fouet suivi des éclats de métal jaillis dans l’explosion.

— Maître Ma’Ning ! balbutia-t-elle en tâchant de se lever.

Cependant, ses jambes n’obéissaient plus.

— Non ! haleta le Jedi d’un ton malgré tout autoritaire. Il est trop tard pour moi.

— Pour…

Submergée d’horreur, elle n’osa en dire davantage. Cet assaut, sa propre suffocation l’avaient complètement déconnectée de la fusion Jedi qui avait si bien su bloquer, auparavant, l’attaque Vagaari.

De nouveau, elle tenta de s’y joindre, pour seulement découvrir que tout lien avait disparu.

— Non, murmura-t-elle.

Néanmoins, elle ne pouvait se bercer d’illusions. En visant les postes de tir, leurs assaillants avaient, sciemment ou non, visé les Jedi eux-mêmes.

À l’exception d’un ou deux rescapés pantois, ils étaient tous morts.

Tous.

— J’aurais dû… tenter de l’arrêter… plus tôt, articula Ma’Ning d’une voix faible. Mais c’était… le maître des Jedi… le maître des Jedi…

Dans un suprême effort, Lorana parvint à écarter l’horreur qui la paralysait.

— Ne parlez pas, souffla-t-elle en essayant encore de bouger. Je vais vous aider.

— Non. Trop tard… pour moi. Mais pas… pour les autres.

Il ouvrit une main vers elle, la libérant de la poutre qui l’emprisonnait en faisant léviter la masse de métal de quelques millimètres avant de la projeter plus loin où elle explosa.

— Vous devez… les aider, ajouta-t-il.

— Mais je ne vais pas vous laisser ici !

Cette fois, elle parvint à se lever.

— Vous ne pouvez… plus rien pour moi, dit Ma’Ning d’une voix infiniment triste. Allez. Aidez ceux… qui ont une chance… de s’en sortir.

— Mais…

— Non !

Un spasme lui crispa le visage, cependant il se reprit vite :

— Vous êtes… un Jedi. Prêté… serment… servir… les autres. Allez… allez…

Lorana déglutit.

— Oui, Maître…

Elle cherchait que dire de plus, ne trouvait pourtant rien.

Ce fut Ma’Ning qui enchaîna :

— Au revoir… Jedi Jinzler.

Un sourire fantomatique lui effleura les lèvres.

— Au revoir, Maître Ma’Ning.

Le sourire s’évanouit et il leva les yeux vers les droïdes réparateurs en plein travail. Lorana se détourna et parvint à se frayer un chemin jusqu’à la sortie.

Elle savait que jamais elle ne le reverrait.

La porte était complètement bloquée. Faisant appel à la Force, elle parvint à l’ouvrir assez pour pouvoir se glisser dans la fente. Le couloir présentait un état aussi déplorable avec ses murs à demi effondrés, ses fragments de plafond avachis. Au moins là, les assaillants n’avaient-ils pu complètement transpercer la coque ni provoquer de trous béants sur l’espace.

Toutes les écoutilles s’étaient bloquées automatiquement lorsque le tir avait frappé la tourelle, provoquant une décompression immédiate et isolant cette section du reste du vaisseau. Maintenant que les réparations avaient commencé, l’oxygène de secours pénétrait à nouveau dans les locaux et Lorana put actionner sans difficulté le mécanisme d’ouverture des portes.

De loin en loin, elle percevait des cris mais sentait aussi la peur, la panique qui les habitaient. Cependant, ce n’était pas vers ces gens qu’elle allait pour le moment. Les cuirassés étaient bien équipés, avec leurs nacelles de secours où les survivants pouvaient se réfugier le temps que les droïdes réparent la carlingue.

Tandis qu’il restait un groupe de personnes qui n’auraient pas cette chance, les cinquante-sept prétendus conspirateurs que C’Baoth avait ordonné de faire boucler dans le hangar de la zone centrale de réserves.

Les personnes qu’elle avait fait boucler dans le hangar.

Ses jambes commençaient à la faire souffrir à l’endroit où la poutre l’avait touchée. Invoquant la Force pour évacuer la douleur elle courut en boitillant vers l’ascenseur le plus proche.

 

— Nous avions conclu un accord ! protesta Kav. Vous deviez détruire le Vol vers l’infini pour nous !

— Je n’ai jamais rien dit de tel, répliqua Mitth’raw’nuruodo. J’ai simplement consenti à agir de façon à éliminer la menace que constituait cette expédition.

— Ce n’est pas ce que nous voulions !

— Vous n’étiez guère en position d’exiger quoi que ce soit, pas plus que vous ne l’êtes maintenant.

Un sifflement en provenance du haut-parleur les interrompit :

— Eh bien, étranger, gronda une voix méconnaissable, tu penses avoir partie gagnée ?

L’image sur l’écran correspondant apparut enfin… et provoqua un frisson glacé dans le dos de Doriana.

Il s’agissait de Jorus C’Baoth, pâle et ébouriffé, les habits maculés de sang, déchirés, un côté du visage complètement brûlé. Au fond de ses yeux brillait cependant toujours cette flamme arrogante qu’avait remarquée Doriana dans le bureau du Chancelier Palpatine, une éternité plus tôt.

Il agrippa la manche du Chiss :

— Kav a raison… Vous devez les détruire dès à présent, ou bien nous sommes tous morts.

Après un rapide coup d’œil vers son interlocuteur, Mitth’raw’nuruodo reporta son attention sur l’écran :

— Ma victoire est incontestable, dit-il. Il ne me reste qu’à lancer un simple ordre pour que vous ainsi que votre peuple mouriez. Votre fierté vaut-elle donc davantage que vos vies ?

Ce disant, il approchait la main d’un commutateur rouge situé sur sa console.

— Un Jedi ne cède pas à la fierté, cracha C’Baoth, pas plus qu’aux menaces vides de sens. Il ne suit que son destin.

— Dans ce cas, choisissez votre destin. Il me semble que le rôle d’un Jedi est de servir et de défendre.

— On vous a trompé. Les Jedi ont pour mission de guider les peuples mais aussi de détruire les menaces.

Le vieux Jedi esquissa un méchant sourire sur le côté encore intact de sa bouche.

Soudain, sans avoir rien vu venir, Thrawn fut éjecté en arrière contre son siège, puis saisi d’une sensation d’étouffement. Il porta la main à sa gorge pour se libérer, sans succès.

— Commandant ! s’écria Doriana en agrippant par réflexe le col de Mitth’raw’nuruodo.

C’était cependant inutile ; le pouvoir invisible qui détruisait la vie dans le corps du Chiss n’avait rien de physique et l’humain, au même titre que n’importe qui d’autre, était incapable de le stopper. C’Baoth se servait de la Force…

Mitth’raw’nuruodo serait mort d’ici à une poignée de minutes.

 

Lorana filait à bord de l’ascenseur quand elle perçut l’attaque mentale de C’Baoth, tel un écho aussi puissant qu’un coup de marteau dans son esprit. Il lui fallut une bonne minute avant d’identifier la colère, la fierté et la déception de son ancien maître. Que diable fabriquait-il encore ?

Soudain, elle fut frappée par la vérité dans toute son horreur, aussi sûrement que par une lame de sabre laser.

— Non ! cria-t-elle par réflexe dans la cabine. Maître C’Baoth ! Non !

Il était trop tard. Dans sa soif effrénée de vengeance, Jorus C’Baoth, maître Jedi, venait de basculer du côté obscur…

Une vague de douleur et de répulsion submergea la jeune femme qui souffrait autant que si on lui avait versé du sel sur des plaies à vif. Elle n’avait encore jamais assisté à la chute d’un Jedi, même si elle savait qu’une telle éventualité restait possible et que cela s’était produit à plusieurs reprises au cours de l’histoire. Cela lui avait toutefois toujours semblé très distant, comme si un tel événement n’avait aucune chance de tomber sur une de ses connaissances.

C’était pourtant bien ce qui venait de se produire… Suivant de près la vague de souffrance, un fort sentiment de culpabilité l’envahit alors.

Elle avait été sa Padawan ; la personne qui passait le plus de temps à ses côtés. La seule personne qui aurait eu une chance de se faire écouter, comme l’avait un jour noté Ma’Ning.

Aurait-elle pu éviter tout cela ? Aurait-elle dû lui tenir tête plus tôt, avec ou sans le soutien de Ma’Ning et des autres, dès les premiers instants où il s’était mis à rassembler le pouvoir entre ses mains ? Elle avait bien essayé de lui parler en privé en maintes occasions mais il avait toujours balayé ses remarques, lui assurant que tout se déroulait parfaitement. Aurait-elle alors dû insister ? Le forcer – mais comment ? – à l’écouter ?

Elle n’avait pas agi ainsi et il était à présent trop tard.

Vraiment trop tard ?

— Nous n’avons pas à tuer qui que ce soit, murmura-t-elle.

Concentrant ses pensées à l’intention du C-l, elle espérait ainsi atteindre l’esprit du Jedi.

Elle chercha son comlink et se rendit compte qu’elle l’avait perdu dans la mêlée.

— Nous ne devons pas les tuer ! insista-t-elle d’un ton suppliant. Nous n’avons qu’à rentrer chez nous pour faire cesser tout cela. Ils ne désirent que notre départ.

Pas de réponse. Si C’Baoth percevait sans aucun doute ses prières, il n’y répondait que par une indifférence totale, sa détermination plus forte que jamais. Il n’allait pas se retourner sur le chemin dans lequel il s’était maintenant engagé.

Peut-être, songea-t-elle, tout cela était-il inévitable…

L’ascenseur s’arrêta, les portes s’ouvrirent. Elle resta immobile une longue minute, se demandant si elle devait libérer les prisonniers ou bien se diriger vers le C-l dès à présent.

Elle n’y parviendrait jamais à temps et, même dans ce cas, rien n’y ferait. Elle sentait bien la rigidité de l’esprit du vieux Jedi et savait, de par son expérience, qu’elle ne serait pas en mesure de le stopper. Il persisterait dans son attaque jusqu’à la mort du commandant Mitth’raw’nuruodo, puis encore jusqu’à la disparition totale de tout l’équipage Chiss.

Le cœur déchiré, elle se dirigea vers la zone de stockage, avant de prendre la direction de la prison des familles rebelles. Même un Jedi, songea-t-elle amèrement, ne pouvait faire mieux. Elle était cependant bien décidée à agir autant que possible.

 

Les membres d’équipage présents sur le pont se précipitèrent sur leur chef en quelques secondes, écartant Doriana sans ménagement avant de tenter de libérer la victime de cette attaque inconnue. Leurs efforts se révélèrent toutefois aussi vains que ceux de l’humain.

Derrière cette activité frénétique, celui-ci réfléchissait en observant le dispositif de transmission. Si l’attaque Chiss avait affaibli C’Baoth, il ne décelait aucun signe de faiblesse dans ce visage pourtant ravagé. Doriana devait-il interrompre la communication et ainsi, au moins, priver le Jedi du plaisir de la vue de sa proie à l’agonie ? Malheureusement, il n’avait aucune idée de l’endroit où se trouvait cette commande et ne parlait aucune des langues comprises par le reste de l’équipage. En outre, il n’était même pas certain de l’efficacité d’une interruption de la transmission.

S’éloignant alors du visage de C’Baoth, son regard se porta jusqu’au commutateur rouge de la console de Thrawn.

Peut-être n’était-ce rien du tout mais il n’avait pas d’autre solution à sa disposition. Il se faufila en un instant parmi quelques Chiss avant de soulever le couvercle protecteur transparent et d’appuyer sur le dispositif.

 

Alors qu’ils continuaient à harceler les vaisseaux de guerre Vagaari, les chasseurs automatisés s’interrompirent soudain et prirent la fuite.

Car’das esquissa un mouvement de surprise, puis concentra son attention sur cet événement, grâce à sa lunette binoculaire. Un nombre non négligeable de bâtiments Vagaari n’avaient pas été touchés et se dirigeaient tant bien que mal vers le bord du champ d’action du projecteur de gravité de Thrawn. Pourtant, les chasseurs partaient. Avaient-ils déjà épuisé leurs réserves de carburant ?

Il suspendit sa respiration quand il entrevit la vérité ; non, ils ne fuyaient pas les Vagaari, ils se précipitaient sur le Vol vers l’infini !

Le jeune homme ne s’était pas encore remis de sa surprise lorsque la première vague passa à l’offensive. Ce n’était d’ailleurs pas une simple attaque, à base de tirs laser ou de torpilles énergétiques. Les chasseurs se jetaient littéralement à pleine vitesse sur les cuirassés, où ils se vaporisaient dans des éclairs aveuglants sous la force des impacts. La seconde vague agit de même quelques minutes plus tard, visant différents endroits stratégiques de leurs cibles. Les troisième et quatrième vagues se contentèrent d’une attaque plus traditionnelle et se concentrèrent sur les parties touchées par leurs prédécesseurs, notamment les batteries de missiles et les générateurs du bouclier de protection.

Car’das comprit enfin à quoi tout cela correspondait ; l’objectif des premières vagues n’avait pas été de simplement percer l’épais blindage des vaisseaux mais bien de créer des brèches dans leurs carlingues en des points bien précis, là où se trouvaient les portes intérieures.

Le vide de l’espace s’engouffrerait ainsi rapidement dans les bâtiments.

 

De plus en plus de débris entouraient les flancs du Vol vers l’infini tandis que les chasseurs poursuivaient leur carnage, propageant des ondes de mort soudaine à travers les parties externes des cuirassés.

Le visage plus dur que jamais sur l’écran, C’Baoth semblait à peine se rendre compte de tout cela, tant son attention restait fixée sur le pont du Springhawk.

Mitth’raw’nuruodo était en train de mourir, alors que Doriana, impuissant, gardait les poings fermés. Ainsi c’en était fini. Les ultimes vagues d’assaut n’avaient pas tué le maître des Jedi car il s’était éloigné de la zone dépressurisée qui s’agrandissait régulièrement. Malgré la faible épaisseur des cloisons internes, il n’y avait que peu de chances pour que les chasseurs puissent pénétrer dans le labyrinthe composé par les innombrables coursives.

Une formation pour le moins étrange attira l’attention de Doriana quand il avisa la verrière : deux chasseurs volant très près l’un de l’autre et soutenant un épais cylindre entre eux. Puis d’autres paires, remarqua-t-il, pas loin d’une dizaine au total, qui filaient droit sur le Vol vers l’infini.

Il se rappela soudain avoir entendu Kav critiquer la présence de ces réservoirs de carburant inutiles. Il observa alors les chasseurs se diriger un à un dans les brèches créées dans la carlingue ennemie avant d’y disparaître.

Rien ne se produisit pendant quelques secondes, puis, brusquement, l’écho d’une gigantesque explosion de brume bleutée se propagea, presque invisible, parmi les innombrables épaves qui dérivaient dans l’espace.

Reprenant subitement sa respiration, Mitth’raw’nuruodo s’écroula sur son tableau de commande.

— Commandant ! s’écria Doriana.

Il tenta de se frayer un passage parmi les membres d’équipage agglutinés.

— Je… Je vais bien, articula le Chiss en se massant la gorge d’une main.

Déjà, il renvoyait ses soldats de l’autre.

— Je pense que vous l’avez eu, révéla Doriana en considérant l’écran où le Jedi n’apparaissait plus. Je crois que C’Baoth est mort.

— Oui… Ils sont tous morts…

— C’est impossible ! s’étonna Doriana, mal à l’aise. Vous n’avez envoyé qu’une ou deux bombes dans chacun de ces vaisseaux.

— Une seule suffisait, dit Mitth’raw’nuruodo avec une tristesse dans la voix que l’humain ne lui avait encore jamais connue. Ce sont des armes très spéciales. Terrifiantes. Une fois déployées à l’intérieur de la barrière de protection d’un vaisseau de combat, elles explosent en émettant des radiations meurtrières qui franchissent les murs et les cloisons, détruisant ainsi toute forme de vie.

— Vous aviez préparé cela… murmura Doriana, abasourdi.

Le regard noir du Chiss fit reculer l’humain.

— Elles n’étaient pas destinées au Vol vers l’infini, expliqua-t-il. J’avais l’intention de m’en servir contre le plus grand des vaisseaux Vagaari.

— Je vois… balbutia Doriana.

— Non, vous ne voyez pas. Nous sommes à présent contraints de nous battre de façon traditionnelle contre les Vagaari survivants. Pire encore, certains de leurs appareils se sont déjà enfuis loin d’ici, où ils disposeront du temps nécessaire pour se rétablir et peut-être un jour représenteront-ils à nouveau une menace pour cette région de l’espace.

— Je comprends, dit Doriana. Je vous prie de m’excuser.

Il fut le premier surpris de constater qu’il venait d’exprimer le fond de sa pensée.

Mitth’raw’nuruodo le considéra un long moment en silence, puis la tension perceptible sur son visage s’évanouit peu à peu.

— Aucun guerrier ne possède le contrôle total d’un combat, énonça-t-il enfin d’une voix plus calme. J’aurais cependant souhaité que la situation évolue autrement.

Doriana se tourna vers Kav ; par miracle, le Neimoidien avait le bon sens de se taire.

— Que va-t-il se passer à présent ?

— Comme je l’ai dit, nous allons aborder les vaisseaux Vagaari, puis nous libérerons les Geroons une fois ces bâtiments sécurisés.

L’humain acquiesça. Le Vol vers l’infini était détruit et ses Jedi, particulièrement C’Baoth, morts. Tout était terminé.

À un détail près. La voix de Kav lui revint en mémoire : Quelle que soit l’issue de la bataille, ce Mitthrawdo finira par en mourir.

Dans le chaos d’un abordage, un accident se produisait facilement.

— Je souhaiterais être autorisé à accompagner la force d’assaut, demanda-t-il. J’aimerais observer les soldats Chiss en action.

Mitth’raw’nuruodo inclina la tête :

— À votre guise, commandant Stratis. Je pense que vous trouverez cela très instructif.

— Certainement, acquiesça l’humain. Je n’en doute pas un seul instant.

 

Les vibrations des cuirassés transmises par le métal des pylônes renfermant les tunnels s’estompèrent enfin.

— Est-ce fini ? demanda timidement Jorad Pressor.

Lorana laissa doucement sa main retomber de la cloison contre laquelle elle s’était appuyée. La vague porteuse de mort, aussi soudaine que terrifiante, s’était enfin calmée mais n’avait rien laissé derrière elle.

Rien du tout.

— Oui, dit-elle en tentant de sourire pour réconforter le garçon. Tout est terminé.

— Nous allons donc retourner là-haut ?

La jeune femme porta son regard vers le père de Jorad, dont le visage restait fermé.

— Pas tout de suite, dit-elle à l’enfant. Il y a beaucoup de nettoyage à faire ; nous gênerions.

— Et surtout, nous devrions retenir notre respiration, marmonna quelqu’un.

Caché dans le groupe, l’insolent eut tôt fait de se voir rappeler à l’ordre par un autre.

— Quoi qu’il en soit, il ne sert à rien de rester ici, dit un homme plus âgé d’un ton aussi calme que possible. Nous ferions mieux de retourner à l’école Jedi, où nous serions au moins plus à l’aise.

— Et où nous serions enfermés ? ajouta Uliar.

— Non, bien sûr que non ! protesta Lorana, qui tentait de se ressaisir. On trouve de nombreux outils de construction dans la zone de réserves. Nous mettrons bien la main sur une poutrelle ou autre chose pour bloquer la porte en position ouverte. Allons-y !

Le groupe fit demi-tour, tandis que certains enfants se laissaient peu à peu gagner par la panique, malgré le réconfort de leurs parents. Lorana s’apprêtait à les suivre quand Uliar lui effleura le bras :

— Quels sont les véritables dégâts ? demanda-t-il à voix basse.

— Je ne ressens aucune vie là-haut, soupira-t-elle. Rien du tout…

— Est-il possible que vous vous trompiez ?

— Oui, cela peut arriver, admit-elle, mais je ne le pense pas.

Il garda le silence un moment, avant de reprendre :

— Il nous faut en avoir le cœur net. Peut-être reste-t-il des survivants trop faibles pour que vous les perceviez.

— Je le sais bien. Néanmoins, nous ne remonterons pas tout de suite ; le fait que les ascenseurs soient bloqués est certainement dû à des câbles endommagés. Il nous faut patienter jusqu’à ce que les droïdes de réparation remettent ces systèmes en état de fonctionner.

— Cela prendra des heures, siffla le technicien.

— Il n’existe aucune autre solution, nous devons attendre.