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— Presse-toi, Padawan, lui intima C’Baoth, quelque peu agacé en se retournant. Arrête de traîner !

— Oui, Maître C’Baoth, dit Lorana en accélérant le pas.

Elle priait pour ne pas se heurter à l’un des marchands qui formaient cette foule dense, marché matinal oblige.

Les Brolfi étaient jusqu’alors parvenus à s’écarter à temps du chemin de C’Baoth tandis qu’il avançait sans dévier sa route d’un centimètre, mais il était à peu près aussi difficile à ne pas remarquer qu’un ouragan en approche. Malheureusement, elle ne possédait pas une telle présence autoritaire et elle avait déjà manqué de peu quelques collisions.

Le plus frustrant, dans tout cela, était qu’ils n’avaient aucune raison de se hâter ainsi, les négociations du jour ne devant pas débuter avant un bon moment. Non, C’Baoth était tout simplement en colère. Contre les négociateurs Brolf tout autant que contre les représentants de l’Alliance Inter-Corporations, tous aussi obstinés les uns que les autres, mais peut-être plus encore contre les auteurs insouciants du contrat initial d’exploitation des mines, qui avaient laissé la porte ouverte à de multiples interprétations.

Et plus C’Baoth était furieux, plus il marchait vite.

La Force n’abandonna toutefois pas Lorana et la jeune fille parvint à l’extrémité de cette zone surpeuplée sans incident avant de traverser l’une des allées qui divisaient la large esplanade. Encore un attroupement à franchir et ils s’engageraient enfin dans l’escalier menant à la porte ouest du centre administratif de la ville, lieu où les pourparlers allaient bientôt reprendre.

Hélas, C’Baoth ne fit qu’accélérer encore quand il eut le champ libre. Tout en grimaçant, Lorana en fit autant, sans pour autant se mettre à courir, ce qui ne lui vaudrait qu’un reproche de plus, cette attitude étant jugée indigne d’un Jedi.

Soudain, sans prévenir, son maître s’arrêta.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle après l’avoir rejoint.

Une rapide interrogation de la Force ne lui apprit rien ; aucun danger ne semblait sur le point de survenir. Elle ne détecta que l’irritation du Jedi.

— Maître C’Baoth ? insista-t-elle.

— Typique, grogna-t-il en se retournant.

Ses longs cheveux et sa barbe se frottaient contre sa tunique.

— Nerveux et méfiants, tous autant qu’ils sont, ajouta-t-il. Viens, Padawan.

Il se dirigea vers un autre coin de la place, sur sa droite. Lorana le suivit tant bien que mal en tendant le cou pour apercevoir ce qui avait ainsi fait réagir son Maître.

Elle vit alors un Jedi et son Padawan se dirigeant vers eux à travers la foule, deux visages familiers qui semblaient se frayer un chemin parmi les gens ordinaires aussi facilement que des rayons de lumière dans un tourbillon de feuilles mortes.

Elle tiqua, étonnée par l’image qui lui était venue à l’esprit. Un tourbillon de feuilles mortes…

Comment diable avait-elle pu considérer ces personnes ainsi ? Elle n’avait en tout cas pas été élevée avec le mépris de ceux qu’elle avait juré de servir sa vie durant. Se pouvait-il qu’elle eût été influencée par l’un des peuples rencontrés au cours de ses voyages depuis qu’elle était devenue la Padawan de C’Baoth ? À vrai dire, beaucoup d’entre eux se considéraient comme inférieurs à ces êtres dotés de sabres laser. Ou bien son maître déteignait-il sur elle ? Était-ce là toute l’estime qu’il portait aux autres ?

C’Baoth s’arrêta à quelques mètres d’un ensemble de boutiques, d’où sortirent les deux Jedi. Lorana mit enfin des noms sur ces visages.

— Maître C’Baoth, dit Obi-Wan Kenobi en s’inclinant.

Aussitôt imité de son Padawan, Anakin Skywalker.

— Maître Kenobi ! répondit C’Baoth. S’il s’exprimait de la façon la plus protocolaire et la plus polie possible, une sourde intimidation se cachait sous ses mots.

— Quelle surprise ! Avez-vous donc parcouru tout ce chemin depuis Coruscant pour acheter quelques prishts sur ce marché ?

— Il est de notoriété publique que les techniques horticoles de Barlok produisent les meilleurs spécimens, avança calmement Obi-Wan. Qu’en est-il en ce qui vous concerne ?

— Vous savez parfaitement pourquoi nous sommes ici. Dites-moi, comment se porte Maître Windu ?

— Très bien.

— C’est une bonne chose.

Le vieux Jedi se tourna ensuite vers l’adolescent qui se tenait près de Kenobi, esquissa un léger sourire :

— Le jeune Skywalker, je présume ? énonça-t-il d’un ton amical.

— Oui, Maître C’Baoth, répondit Anakin, empli d’une gravité qui fit sourire Lorana. C’est un honneur de vous rencontrer à nouveau.

— Je suis tout aussi honoré de revoir un Padawan si prometteur. Dis-moi, comment se passe ton entraînement ?

— J’ai encore énormément à apprendre, fit l’adolescent après avoir jeté un coup d’œil à son maître. J’espère toutefois que mes progrès sont satisfaisants.

— Plus que satisfaisants, intervint Obi-Wan. À ce rythme, il fera un parfait Jedi avant ses vingt ans.

Lorana tressaillit ; elle était déjà âgée de vingt-deux ans et C’Baoth ne lui avait encore jamais parlé de la proposer au grade de Chevalier Jedi. Anakin était-il à ce point plus sensible qu’elle à la Force ?

— Cela est d’autant plus admirable qu’il a été recruté plus tard que la moyenne, ajouta C’Baoth presque avec tendresse.

— Il est clair qu’avec le recul, on ne peut que se féliciter que le Conseil m’ait autorisé à le former, se réjouit Kenobi.

L’espace d’une seconde, l’humeur du vieux Jedi parut soudain s’assombrir, comme s’il regrettait de ne pas s’être vu confier cette tâche, mais il se reprit aussitôt :

— Ce fut un plaisir de vous rencontrer, toutefois les négociateurs ne vont plus tarder à se réunir. Je suis certain que vous m’excuserez si je vous abandonne pour effectuer le travail dont m’a chargé le Conseil.

— Bien entendu, dit Kenobi.

Toutefois, l’allusion que lui-même et son Padawan n’étaient pas les envoyés officiels du Conseil ne lui avait pas échappé.

— J’oublie cependant la politesse la plus élémentaire, ajouta C’Baoth. Cette ville est dense et variée. Avec le Padawan Skywalker, vous désirez sans aucun doute goûter à tous les divertissements qu’elle peut offrir. Ma Padawan, Lorana Jinzler, serait honorée de vous servir de guide.

— Merci bien, mais cela ne sera pas nécessaire, dit Kenobi en considérant la jeune femme. Nous nous débrouillerons.

— Permettez-moi d’insister, objecta le vieux Jedi sur un ton sans réplique. Je ne voudrais pas que vous interveniez dans les négociations et qu’accidentellement, vous vous mettiez à dos l’une des parties. Je suis de plus certain que le Padawan Skywalker apprécierait la compagnie de l’un de ses semblables pour quelque temps.

— Eh bien… bégaya Anakin tout en regardant son maître une nouvelle fois.

— Je considérerais cela comme un service personnel, ajouta C’Baoth à l’adresse de Kenobi. Lorana n’ayant aucun rôle à jouer dans les négociations, je n’ai pas de raison de la contraindre à me suivre. Je suis sûr qu’elle préférerait profiter de la ville. Quant à moi, je me sentirais plus à l’aise si elle pouvait être accompagnée par des personnes dignes de confiance.

La jeune femme n’eut pas besoin de recourir à la Force pour deviner que cette proposition n’enchantait guère Kenobi, mais il ne pouvait décemment la rejeter.

— À votre guise, Maître C’Baoth, dit-il.

— Gardez-la aussi longtemps que vous le voulez, laissa tomber le vieux Jedi. Je dois à présent vous quitter. À plus tard.

Tandis qu’elle regardait son maître s’en aller, Lorana sentit sa gorge se serrer. Elle aurait été ravie d’assister à la suite des négociations à ses côtés et, jusqu’à maintenant, il avait paru tout autant satisfait de sa présence. Qu’avait-elle donc fait de mal pour qu’il la rejette ainsi ?

Ce qu’il venait de suggérer avait cependant valeur d’ordre, peu en importaient les raisons. Elle se tourna donc vers les Jedi pour se donner une contenance.

— Bien… commença-t-elle, vaguement intimidée par ces deux regards fixés sur elle.

Aussitôt, elle eut honte du seul mot qu’elle venait de balbutier ; la Padawan de Jorus C’Baoth était censée se montrer plus éloquente et courtoise que cela.

— Je ne suis ici que depuis une journée, reprit-elle, mais je me suis procuré une carte à l’astroport.

— Nous avons fait de même, lâcha Kenobi.

Visiblement peu disposé à lui faciliter la tâche.

— Maître Kenobi…

— Sais-tu où nous pouvons acheter des maxers au tarsh ? coupa Anakin. J’ai faim !

Kenobi sourit à son Padawan et, quand son regard se posa de nouveau sur Lorana, elle sentit disparaître la tension qui s’était installée.

— Voilà une bonne idée, reconnut-il. Essayons de nous dégoter un déjeuner.

 

Assis sur le balcon de sa chambre d’hôtel, un Doriana de fort mauvaise humeur les observait tous les trois alors qu’ils se dirigeaient vers un quartier de classe moyenne réputé pour ses restaurants, et suivait leur progression tranquille grâce à ses puissantes jumelles. Ainsi le Conseil Jedi l’avait devancé en envoyant Obi-Wan Kenobi et son jeune Padawan garder un œil sur C’Baoth. Cela n’avait pas été prévu par Sidious.

Cela commençait à devenir une habitude : il retrouvait sans cesse ces deux-là sur le chemin du Seigneur Sith. Il n’avait pas oublié la fureur de ce dernier après l’incident de Naboo et la défaite inattendue de ses alliés de la Fédération du Commerce. Leur armée aurait dû, pourtant, occuper la planète pendant des mois, voire des années, et ainsi créer des troubles, paralyser le Sénat, situation que n’auraient pas manqué d’exploiter Doriana et Sidious.

Tout s’était écroulé à cause de ce Skywalker et de sa chance inouïe quand il avait neutralisé le Vaisseau de Contrôle des droïdes de la Fédération du Commerce. La mort de Dark Maul, des mains de Kenobi et de Qui-Gon Jinn, s’était avérée tout autant dévastatrice et avait mis fin aux espoirs d’un règne de terreur qui aurait pour le moins déstabilisé les Jedi.

Et voilà qu’à présent, ils débarquaient sur Barlok et constituaient une menace bien réelle pour le plan d’élimination de Jorus C’Baoth établi par Sidious.

Il serra les dents. Non… Pas cette fois. Pas si Kinman Doriana avait son mot à dire.

Son comlink sonna soudain. Sans quitter ses proies des yeux, il décrocha :

— Oui ?

— Défenseur ? interrogea une voix Brolf.

— Oui, c’est bien moi, Patriote, répondit Doriana. Je suis de retour, comme promis en cas de besoin.

— Vous êtes en retard. Les négociations ont déjà débuté.

— Rien n’est décidé. Il est encore temps d’envoyer un message rassurant pour les Brolfi. Tout a-t-il été préparé conformément à mes instructions ?

— Presque, énonça Patriote. Les derniers éléments sont en route. Il reste à savoir si vous avez apporté la contribution prévue.

— Je l’ai ici même.

— Apportez-la. Troisième porte nord au carrefour des rues Chessile et Scriv. Dans deux heures.

— J’y serai.

Un léger chuintement ponctua l’arrêt de la communication. Doriana vérifia l’heure tout en rangeant son appareil. Parfait. Cette adresse ne se situait qu’à une demi-heure de marche, ce qui lui laissait le temps nécessaire pour s’y rendre sans se presser et pour observer les lieux en avance.

Cependant, il devait encore trouver un moyen de mettre Kenobi sur la touche et de l’y bloquer un bon moment.

Avec un peu de chance, cela ne présenterait aucune difficulté. Quel que soit le but de sa mission, le Jedi ne tenterait rien de sérieux sans en référer au Conseil. Il suffirait d’un léger bricolage sur les ordinateurs du réseau Holo de la ville pour qu’aucune information ne puisse arriver ou sortir pendant un jour ou deux ; plus de temps qu’il ne lui en faudrait, à lui et à ses alliés Brolf, pour effectuer leur tâche.

Il s’installa au bureau de sa chambre, brancha son ordinateur et se mit au travail.

 

La gargote qu’ils avaient dénichée ne présentait pas le décor le plus attirant qu’Obi-Wan eût jamais vu, mais tout comme chez Dex, sur Coruscant, les apparences pouvaient se révéler trompeuses, en particulier lorsqu’il s’agissait de restauration. Les arômes de tarsh rôti étaient bien présents, tandis que les maxers figuraient en bonne place sur le menu. Perspective de bon augure, d’autant que le guide de Lorana dotait cet endroit de trois étoiles.

Un droïde WA-2 se précipita vers eux dès qu’ils se furent installés à une table donnant sur la rue.

— Soyez les bienvenus chez Panky ! énonça la voix électronique du robot. Que désirez-vous ?

— Des maxers au tarsh et du jus de bribb ! s’enthousiasma Anakin.

Obi-Wan réprima un sourire ; depuis qu’il avait découvert le jus de bribb, lors de son premier voyage en tant que Padawan, le garçon en commandait dès que possible, que cela corresponde véritablement ou non au reste du repas.

— Également des maxers pour moi, dit-il, mais, en guise de boisson, je prendrai une noale corellienne.

— Du jus de bribb pour moi, ainsi qu’une salade de prisht, lança Lorana.

Et d’ajouter, après avoir esquissé un timide sourire vers Obi-Wan :

— Après tout, Barlok en produit vraiment les meilleurs spécimens.

— C’est ce que j’ai entendu dire, en effet, concéda le Maître Jedi sans la quitter des yeux.

De taille moyenne, les cheveux sombres et les yeux d’un gris saisissant, elle possédait un visage futé orné d’un joli sourire et arborait cette sorte de conscience globale, caractéristique de sa sensibilité à la Force. D’après les apparences, elle paraissait en bonne voie pour devenir un Jedi classique.

Quelque chose cependant ne cadrait pas en elle et sonnait vaguement faux, selon Obi-Wan. Sa dignité et son assurance semblaient des accessoires dont elle se parait chaque matin en lieu et place de quelque chose de plus intime et secret. Elle n’abandonnait pas totalement son sourire, par exemple, comme si cela pouvait la trahir et lui causer des ennuis. Elle n’était en fin de compte qu’une Padawan avec encore beaucoup de travail à effectuer.

— Je crois n’avoir encore jamais rencontré d’apprenti formé par Maître C’Baoth, remarqua-t-il tandis que le droïde s’éloignait de leur table. Comment cela va-t-il avec lui ?

Malgré son sens de la diplomatie, Lorana ne put retenir une petite moue :

— C’est une expérience très enrichissante. Je serais déjà satisfaite de seulement approcher un jour sa sensibilité à la Force.

Kenobi hocha la tête tout en songeant à la conversation qu’il avait eue avec Maître Windu. Peut-être avait-elle raison, ou bien alors se trompait-elle et Maître C’Baoth n’était-il pas si ancré dans la Force qu’elle le croyait. Peut-être même pas au point que le vieux Jedi lui-même le pensait.

Néanmoins, il n’était pas de mise de discuter de son Maître avec un Padawan, en particulier en présence d’un autre Padawan, plus jeune encore, de surcroît, tel Anakin.

— Je suis certain que tu y arriveras. D’après mon expérience, un Jedi peut acquérir autant de sensibilité à la Force qu’il ou elle le désire.

— Dans la mesure de ses moyens, bien entendu, nota la jeune femme avec regret. Je ne sais toujours pas où cette limite se situe, en ce qui me concerne.

— Personne ne le sait tant qu’il n’a pas atteint et testé cette barrière. De mon point de vue, toutefois, de tels obstacles n’existent pas.

Un autre droïde se présenta, avec leurs boissons disposées en équilibre sur un plateau. Obi-Wan se redressa, prêt à recourir à la Force pour rattraper les verres si cela s’avérait nécessaire, mais ils furent déposés sur leur table sans qu’aucune goutte n’en fût renversée. Tout en se saisissant du sien, il enveloppa la salle où ils se trouvaient d’un regard panoramique.

De tels endroits, étroits et sans prétention, n’étaient que rarement retenus par les touristes habituels qui recherchaient plus d’éclat et de couleurs. La majorité de la clientèle était en effet locale : de nombreux Brolfi à la peau rugueuse teintée de jaune et de vert contrastaient avec les quelques Karfs, créatures arboricoles plus fines issues des forêts de tisvollt situées de part et d’autre de la ville.

À cela il fallait ajouter quelques représentants d’autres espèces, à commencer par trois autres humains. Peut-être le guide et ses étoiles influençaient-ils quelque peu les étrangers, après tout. Son regard se posa ensuite sur le bar en bois véritable, à l’autre bout de la pièce, où un Brolf presque uniquement jaune servait des consommations.

Il tiqua soudain :

— Lorana. Cet humain, là-bas, en veste noire et chemise grise, qui parle au tenancier. L’as-tu déjà vu auparavant ?

— Oui, en effet. Il se trouvait dans le groupe qui patientait à l’extérieur de la salle de réunion, hier, quand les discussions ont pris fin. Je ne sais pas comment il se nomme.

— Le connaissez-vous, Maître ? demanda Anakin.

— Sauf erreur de ma part, il s’agit de Jerv Riske, un ancien chasseur de primes, actuellement Applicateur au service de l’Alliance Inter-Corporations.

— Que fait un Applicateur, exactement ?

— Il obéit au doigt et à l’œil à Passel Argente, dont il est le garde du corps, l’enquêteur privé et probablement le dur aux muscles épais quand il s’agit d’influencer certaines personnes. Je me demande lequel de ces rôles il joue en ce moment.

— Sans doute celui de garde du corps, avança Lorana. Le Juge Argente dirige l’équipe de négociation du côté de l’Alliance.

Un sentiment désagréable envahit soudain Obi-Wan. Le chef d’une organisation aussi puissante que l’Alliance Inter-Corporations, étendue sur toute la galaxie, n’avait sans doute pas de temps à perdre avec une dispute aussi mineure que celle-ci.

À moins que le conflit de Barlok ne soit pas aussi insignifiant que chacun semblait le penser.

Il tourna de nouveau son regard vers Riske, toujours penché sur le bar, la tête proche de celle du barman, également appuyé sur son comptoir.

— Anakin, vois-tu ce plat de noix ouvertes, sur le bar, près de l'Applicateur Riske ? dit-il en reposant son verre. Va donc nous en chercher quelques-unes.

— Tout de suite.

Et l’adolescent de se faufiler entre les tables après avoir sauté de son siège.

— Que faites-vous donc ? s’étonna Lorana.

— Je me prépare un prétexte pour me rendre là-bas, expliqua le Jedi.

Sans perdre des yeux son Padawan, il guettait le moment opportun pour agir.

— Attends-moi ici.

Encore une table… Maintenant.

Il se leva et se dirigea vers le bar, concentré sur la conversation qui l’intéressait, les sens en éveil maximal, grâce à sa technique de Jedi.

Il parvint à distance suffisante pour percevoir quelques mots alors qu’Anakin commençait à se servir de noix, installé entre un Aqualien et un Rodien.

— … centré sur le District Pataméen, signalait le patron de l’établissement, mais ce n’est là qu’une rumeur.

— Merci, dit Riske en avançant discrètement la main vers celle de son interlocuteur.

Obi-Wan perçut alors un fugitif éclat métallique, avant que le barman ne se redresse et ne passe précipitamment un poing fermé sous le bar. Le Brolf tressaillit quand son regard se posa soudain sur le Jedi. Riske saisit ce changement d’attitude et se retourna vivement, ramenant la main aussi naturellement que possible au niveau de sa ceinture, les doigts plongés dans les replis de sa veste.

— Ça suffit, Anakin, dit Obi-Wan à voix basse mais tout de même intelligible.

Il rejoignit son Padawan, lui posa une main sur l’épaule, comme pour le ramener vers leur table, tout en prenant bien soin de ne pas accorder le moindre regard aux deux autres, tout proches.

— Juste une ! supplia Anakin en désignant un tashru de bonne taille.

— Très bien, mais après ton déjeuner, concéda Kenobi. Sinon, tu n’auras plus faim.

Du coin de l’œil, le Jedi vit que Riske et le barman se détendaient, sans doute rassurés.

— D’accord… soupira le jeune garçon avec regret.

Et de se retourner, la noix dans la main.

Ce faisant, il heurta par mégarde de l’épaule le dos de l’Aqualien au moment où ce dernier portait son verre à sa bouche. L’effet fut immédiat : un flot de liquide rougeâtre se déversa sur la main massive de la créature.

Obi-Wan grimaça. Ce n’était qu’un incident mineur, qui ne devait avoir en temps normal que des conséquences minimes, mais il n’ignorait pas le tempérament des Aqualiens, à qui ce genre de subtilité échappait totalement.

Celui-ci ne dérogea pas à la règle :

— Eh, toi ! Espèce de mioche humain maladroit ! glapit-il dans sa langue natale.

Il se retourna si vivement qu’il renversa une nouvelle giclée de sa boisson.

— Tu me cherches, ou quoi ?

— Ce n’est qu’un accident, s’empressa d’expliquer Obi-Wan en ramenant Anakin près de lui. Veuillez excuser sa maladresse.

— Ce n’est plus un bébé dont tu dois réparer les bêtises ! répondit l’Aqualien, ses énormes yeux rivés sur le Jedi. Il serait temps de lui apprendre les bonnes manières et la discipline !

Il considéra un instant Anakin, puis porta la main à hauteur de l’arme accrochée à sa ceinture.

Obi-Wan resserra sa prise sur son Padawan quand il sentit la colère affluer dans l’esprit de l’adolescent. La discipline était en effet l’un de ses points faibles, il était contraint de le rappeler à l’ordre à ce sujet au moins deux fois par semaine. Le garçon n’en fut que plus mortifié d’entendre le même genre de commentaire de la part d’une créature bougonne.

— Du calme, Anakin ! intima Kenobi.

Conscient de ce qu’ils attiraient à présent sur eux tous les regards de la salle.

Le petit rôle qu’il avait joué avait sans doute rassuré Riske quant à une éventuelle indiscrétion de sa part, mais il en irait tout autrement s’il se voyait contraint de révéler son statut de Jedi.

— Allons, mon ami ! dit-il calmement à l’Aqualien. Je suis certain que vous n’avez pas d’énergie à dépenser pour ces bêtises. Laissez-moi vous offrir un autre verre et nous vous laissons tranquille.

Le curieux personnage le considéra un long moment, la main ouvertement posée sur la crosse de son pistolet, alors que Kenobi ne bougeait pas d’un pouce, l’esprit déjà concentré pour un éventuel combat, prêt à dégainer son sabre laser à tout instant.

Quelque chose sembla tout à coup vaciller dans la colère de l’Aqualien, qui lâcha son arme et tendit son verre :

— Une Likstro. Et une grande !

— Certainement, dit Obi-Wan.

Mieux valait ne pas relever que le verre qui avait été renversé ne correspondait en rien au plus grand modèle ; ce genre de détail n’avait pas sa place dans la conversation actuelle. Toujours aux aguets en cas d’attaque-surprise, le Jedi se tourna vers le barman :

— Une grande Likstro pour Monsieur.

Le patron s’activa aussitôt et, une minute plus tard, la boisson arrivait entre les mains de la créature, la monnaie dans celles du barman, tandis qu’Obi-Wan et son Padawan se dirigeaient vers leur table.

— Il n’avait pas un grand verre, remarqua Anakin, irrité.

— Je sais.

— Alors il vous a berné. Je me demande même s’il ne l’a pas fait exprès.

— C’est possible. Et alors ?

— Nous sommes des Jedi ! grogna le garçon. Nous ne devons pas céder à ce genre de manipulation.

— Il te faut encore t’exercer à prendre du recul, mon jeune Padawan. Tout ce que nous désirions ici…

Il s’interrompit soudain. Riske était parti.

Tout comme Lorana.