11

— Une minute avant la sortie de l’hyperespace, prévint le pilote.

— Compris, répondit Thrawn. À tous, tenez-vous prêts !

Debout derrière le siège du commandant, Car’das observa Maris, le teint pâle dans sa combinaison de combat, le regard clair, la mâchoire ferme. Elle était sans doute impatiente d’admirer le Chiss dans le feu de l’action, songea-t-il amèrement. Impatiente de le voir confirmer l’opinion déjà stratosphérique qu’elle avait de lui. Ah, les femmes…

Mais lui-même ? Que diable fichait-il donc ici ?

— Si les rapports sont exacts, nous surgirons dans un espace sécurisé, à l’écart de la zone des combats, annonça Thrawn. Cela dit, il serait plus prudent d’enfiler dès à présent vos casques.

— Il ne nous faudra pas plus d’une seconde pour les ajuster en cas de besoin, jugea Maris.

— Très bien, concéda le commandant après une légère hésitation. Tenez-vous prêts, dans ce cas.

Il se retourna vers ses instruments.

Mal à l’aise, la bouche sèche, Jorj ne quitta pas le compte à rebours des yeux. Quand ils atteignirent le zéro, les lignes blanches du ciel hyperspatial se muèrent en étoiles fixes.

À travers la grande verrière, il aperçut alors le spectacle le plus terrifiant qu’il eût jamais contemplé.

Il ne s’agissait pas, comme il s’y était attendu, d’une simple attaque de pirates, composée de quelques maraudeurs Vagaari en train de harceler un croiseur ou un bâtiment civil. Devant eux se tenaient au moins deux cents vaisseaux de guerre de différentes tailles engagés dans le combat, groupés en deux ou trois amas, qui échangeaient d’incessants tirs de lasers et de missiles, le tout avec pour toile de fond un monde bleu-vert parsemé de nuages. Jorj aperçut également de l’autre côté de la planète les feux lumineux d’une bonne centaine d’appareils qui attendaient leur tour. Au milieu de ce chaos dérivaient les débris, corps et carcasses, de quelque vingt autres vaisseaux.

Il ne s’agissait pas là d’une attaque pirate, mais bel et bien d’une guerre.

— Intéressant, murmura Thrawn. J’ai apparemment fait une erreur d’interprétation.

— Sans blague ? coassa Car’das, incapable de quitter ce carnage du regard. Filons en vitesse avant que quelqu’un ne nous repère.

— Non, vous m’avez mal compris. Je savais que la bataille serait de cette envergure. C’est la véritable nature des Vagaari que je n’avais pas percée à jour.

Le Chiss pointa du doigt l’amas de bâtiments encore lointains :

— Vous voyez ces vaisseaux ?

— Ceux qui attendent leur tour pour s’engager dans l’affrontement ?

— Ils ne sont pas ici pour se battre, corrigea Thrawn. Ce sont des civils.

— Des civils ? Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ?

— Je le déduis de la façon dont ils sont regroupés, entourés de véritables appareils de combat. L’erreur dont je parlais était la suivante : les Vagaari ne constituent pas simplement une puissance pirate bien organisée, ce sont aussi des nomades.

— Cela pose un problème ? demanda Maris.

Non sans un vague ressentiment, son équipier nota qu’elle gardait devant tout cela le même calme qu’elle avait affiché face aux corps entassés dans le vaisseau pirate capturé.

— Et non des moindres, expliqua le commandant d’une voix grave. Cela implique que leur habitat, leurs bases et leur assistance sont complètement mobiles.

— Et donc ? dit Jorj.

— Il ne nous servira donc à rien de capturer l’un de leurs appareils pour localiser leur monde grâce à leurs instruments, puisqu’ils n’ont pas de monde, expliqua calmement le Chiss. À moins que nous ne puissions tous les détruire d’un seul coup, ils se disperseront dans le vide interstellaire et se regrouperont ailleurs ensuite.

Car’das avisa Maris et se sentit soudain extrêmement tendu. Avec une poignée de vaisseaux à sa disposition, Thrawn envisageait-il la destruction d’une telle machine de guerre ?

— Euh, commandant…

— Gardez votre calme, Car’das, lui intima le Chiss d’un ton apaisant. Je ne vais pas me ruer à l’assaut tout de suite.

Son attention fut alors captée par un point dans la mêlée :

— Intéressant, reprit-il. Voyez-vous ces deux appareils endommagés, dont l’un tente de prendre la fuite ?

— Non, avoua Jorj.

Pour lui, tout se ressemblait dans ce monstrueux désordre.

— Là-bas ! s’exclama Maris, le bras tendu. Ils virent sur tribord, suivis par trois chasseurs en formation.

— Ah oui, vu ! Et alors ?

— Pourquoi n’ont-ils pas procédé à un saut dans l’hyperespace ? demanda Thrawn. Leurs moteurs me semblent pourtant intacts.

— Peut-être une telle fuite leur paraît-elle déshonorante ? suggéra la jeune femme.

— Dans ce cas, pourquoi fuir ? remarqua Car’das en réfléchissant.

Les chasseurs se rapprochaient à présent, mais les fugitifs s’étaient suffisamment éloignés du champ gravitationnel de la planète pour tenter un saut. Il ne voyait pas ce que pouvait leur apporter une attente supplémentaire.

— Car’das a raison, dit le commandant. Je me demande… ah, voilà !

Après un léger frémissement, le premier appareil avait procédé au bond salvateur, suivi de près par le second.

Voyant les chasseurs faire demi-tour et se diriger vers le centre de la bataille, Jorj ne cacha plus son désarroi :

— Je ne comprends pas. Qu’attendaient-ils donc ? Une autorisation ?

— En un sens, oui. Une autorisation des lois de la physique.

— Ils étaient pourtant suffisamment éloignés du champ de gravité depuis un bon moment, non ?

— De celui de la planète, en effet, mais pas de celui des Vagaari.

Les yeux brillants, le Chiss considéra encore une fois la scène apocalyptique :

— Il semblerait qu’ils soient parvenus à mettre au point un champ de pseudogravité.

— Je ne savais même pas une telle chose possible, balbutia Car’das, ébahi.

— La théorie existe depuis des années, intervint Maris, songeuse. On nous en parlait déjà à l’école. Cela demandait toutefois beaucoup trop d’énergie ainsi qu’un générateur trop puissant pour pouvoir passer à la pratique.

— Apparemment, les Vagaari ont résolu ces deux problèmes, nota Thrawn.

Jorj observa un instant le commandant, étonné de percevoir chez lui une expression neutre, comme s’il ne s’en souciait que peu.

— Qu’est-ce que cela implique concrètement pour nous ? demanda-t-il avec prudence.

— Les agresseurs s’en servent à l’évidence pour empêcher leurs proies de s’enfuir avant d’être détruites. Je suis persuadé que je pourrais trouver d’autres applications, plus intéressantes, pour ce dispositif.

— Non… Oh non, vous ne feriez pas cela ! dit Car’das, la gorge serrée.

— Pourquoi pas ? Leur attention est clairement tournée ailleurs et les défenses de leurs projecteurs de gravité, quelles qu’elles soient, sont sans doute déployées en fonction de leurs victimes.

— Le risque est énorme !

— J’ai repéré la façon dont ils ont défendu le vaisseau que nous avons capturé. Je pense avoir une bonne approche de leur tactique.

Ce qui signifiait que Car’das n’avait pas la moindre chance de convaincre le commandant d’abandonner son projet fou.

— Maris ?

— Ne me regarde pas comme ça, dit-elle. Il a raison. Si nous devons nous emparer du projecteur, c’est le moment ou jamais.

Jorj sentit des nœuds se former dans son estomac. Nous, avait-elle formulé ? Ferasi se considérait-elle maintenant comme une Chiss ?

— Là-bas, fit soudain Thrawn. Ce large panneau grillagé sphérique.

— Je le vois, lâcha Car’das, résigné.

L’endroit en question était situé du côté de la bataille où se trouvait le vaisseau Chiss, ce qui impliquait qu’ils n’auraient pas à traverser l’affrontement. Trois gros appareils patrouillaient entre ce point et la zone des combats, mais une poignée à peine de chasseurs Vagaari se trouvaient à portée de tir.

Une cible donc bien tentante et pratiquement sans défense. Bien sûr que Thrawn allait se lancer.

— Je voudrais juste vous rappeler que nous ne disposons que du Springhawk et de six chasseurs lourds, dit encore Jorj.

— Et aussi du commandant Mitth’raw’nuruodo… susurra Maris.

Thrawn lui adressa un signe de tête amical, puis se tourna vers le côté bâbord du pont :

— Analyse tactique ? demanda-t-il.

— Nous avons localisé cinq autres projecteurs, commandant, répondit le soldat en charge des radars. Tous sont situés en bordure de la zone des combats, plus ou moins aussi bien défendus.

— L’analyse de l’agencement du projecteur et de l’endroit où les vaisseaux fugitifs ont procédé à leurs sauts indique que la zone sous influence gravitationnelle est plus ou moins conique, ajouta un autre membre de l’équipage.

— Les trois appareils de protection sont-ils à l’intérieur de ce cône ? demanda Thrawn.

— Oui, Commandant.

Le Chiss qui venait de répondre appuya sur une touche de son tableau ; une forme conique d’un bleu pâle apparut sur la verrière, superposée à la vue de la bataille.

— Comme vous le constatez, expliqua Thrawn aux deux humains, nos trois ennemis principaux sont situés dans la zone d’action du projecteur, ce qui limite leurs options. Ils sont de plus disposés de telle façon que leurs moteurs sont orientés vers notre cible. Des années de succès avec cette technique les ont apparemment rendus un peu trop sûrs d’eux-mêmes.

— En revanche, les chasseurs entrent et ressortent du cône, remarqua Car’das.

— Ils ne constitueront pas un obstacle, tempéra le Chiss avant de se tourner vers la station de détection. Le projecteur paraît-il escamotable ?

— Il est impossible d’apercevoir de tels détails de structure à cette distance sans utiliser les radars actifs.

— Il nous faut donc nous approcher, conclut le commandant. Transmettez à nos chasseurs de se tenir prêts au combat ; trajectoire hyperspatiale zéro-zéro-quatre par zéro-cinq-sept.

— Trajectoire hyperspatiale ? s’étouffa Car’das.

Lors de leur premier accrochage avec les Vagaari, Thrawn avait procédé avec succès à un micro-saut d’une fraction de minute, mais leur objectif était à présent beaucoup trop proche pour ce genre de fantaisie.

Soudain, il entendit Maris s’esclaffer derrière lui :

— Génial…

— Qu’est-ce qui est génial ? demanda-t-il.

— La trajectoire. Il va les envoyer à l’extrémité du cône de gravité, non loin du projecteur.

— Ah !

Bien entendu, il n’était alors plus nécessaire de recourir au micro-saut impossible. Les chasseurs pouvaient s’engouffrer dans l’hyperespace comme s’ils voulaient y demeurer un moment, et en sortir précisément à l’endroit prévu, grâce à l’influence du champ.

— Une fois déployés, ils devront éliminer les chasseurs ennemis et créer un périmètre de sécurité pour permettre au Springhawk de s’approcher et de récupérer le projecteur.

Car’das serra les dents. Cela paraissait si simple… à moins qu’ils ne manquent le bord du cône et se retrouvent projetés au milieu de la bataille, ou à moins qu’un saut si court ne détruise leurs moteurs, ce qui conduirait au même résultat.

— Que les Sections d’Assaut Un et Deux se préparent pour une opération extérieure, ordonna Thrawn. Il y aura certainement un équipage à bord du projecteur ; localisez-les et neutralisez-les avec le minimum de dommages pour l’objet lui-même. Que le Chef Ingénieur Yal’avi’kema et trois membres de son équipe se tiennent prêts à les rejoindre pour trouver un moyen de replier le projecteur afin de l’embarquer à bord, ou sinon de l’attacher à notre carlingue pour remorquage. Que chaque groupe rende compte dès qu’opérationnel.

Les minutes s’égrenèrent lentement. Car’das suivait la bataille avec dégoût, frémissant à chaque vaisseau détruit sous les assauts impitoyables et se demandant combien de temps la chance de Thrawn se maintiendrait. Le vaisseau Chiss avait bien entendu déjà prouvé ses capacités furtives quand il s’était approché du Bargain Hunter et de l’appareil de Progga mais, tôt ou tard, les Vagaari se rendraient compte de leur présence discrète.

Heureusement, les équipages ne traînèrent pas. À peine trois minutes plus tard, les chasseurs et les Sections d’Assaut se déclaraient prêts.

— Chasseurs, en position, dit Thrawn, le regard rivé sur la bataille. À mon signal pour l’attaque… Maintenant !

Les six chasseurs Chiss apparurent au loin, tout près du côté tribord du projecteur.

— Au pilote : tenez-vous prêt à les rejoindre, ordonna le commandant.

Celui-ci avait supposé ses ennemis un peu trop sûrs d’eux, notamment en ce qui concernait leur système de défense, mais leur réaction à cette menace soudaine fut immédiate. Alors que leurs assaillants se plaçaient en position de tir, les vaisseaux Vagaari se dispersèrent pour ne pas constituer une cible trop facile tout en déclenchant des tirs de lasers et de missiles.

Malheureusement pour eux, Thrawn avait déjà eu l’occasion d’observer des chasseurs Vagaari en action. Ceux-ci n’eurent le temps d’envoyer que deux coups chacun avant d’être réduits en miettes par la contre-attaque Chiss. Moins d’une minute après leur intrusion, ces derniers étaient maîtres de la zone.

Leur intervention n’avait toutefois pas échappé aux trois vaisseaux plus imposants qui, depuis leurs positions lointaines, ouvrirent le feu de leurs batteries arrière tout en pivotant avec lenteur pour faire face à l’ennemi.

— Aux chasseurs : en formation défensive, ordonna Thrawn. Au pilote : en avant.

Car’das fut incapable de desserrer les dents quand les étoiles s’allongèrent en lignes blanches, comme à l’habitude pour un saut, mais revinrent à la normale presque aussitôt tandis qu’un bruit effrayant se propageait depuis la poupe du Springhawk.

— Section Un à tribord du projecteur. Section Deux à bâbord, continua le commandant. Chef Yal’avi’kema, vous disposez de cinq minutes.

— Reste à savoir si nous disposons de cinq minutes ? marmonna Jorj alors que la verrière du vaisseau encaissait ses premiers tirs.

— Je le pense, dit le commandant. Ils doivent encore considérablement se rapprocher avant de pouvoir lancer une offensive précise et efficace. De si loin, ils risqueraient de détruire leur projecteur en même temps que le Springhawk.

— Et alors ? N’est-ce pas justement ce qu’ils pensent que nous allons faire ?

— En réalité, je suppose qu’ils ne doivent pas encore savoir à quoi s’en tenir quant à nos intentions. Un ennemi dont le seul but aurait été l’anéantissement du projecteur ne s’en serait pas approché de si près. Quoi qu’ils pensent, ils doivent cependant tout faire pour maintenir leur appareil en marche. Si leur champ de gravité venait à disparaître, leurs adversaires, pour l’heure piégés dans le cône, seraient à même de s’échapper ou pire, de se regrouper. Ils ne doivent donc pas tirer dans le tas et sont donc contraints de s’approcher.

Ce raisonnement était on ne pouvait plus logique, admit à contrecœur Car’das, mais qui savait si les Vagaari n’allaient pas paniquer ou commettre une bêtise ?

Les trois bâtiments ennemis, toutes batteries latérales déployées, avaient à présent parcouru la moitié de la distance qui les séparait du projecteur, mais ne semblaient pour le moment concentrer leurs tirs que sur les chasseurs qui les harcelaient.

Soudain, alors que le soleil lointain éclairait les côtés des vaisseaux, Car’das remarqua quelque chose :

— Hé ! Regardez ! Les mêmes espèces de bulles que nous avons trouvées sur le vaisseau au trésor.

— Obtenez-moi un zoom, ordonna Thrawn en plissant les yeux.

De multiples données tactiques disparurent d’un des écrans de contrôle, remplacées par une vue largement agrandie et un peu floue des bulles en question.

Jorj sentit tout à coup son cœur se serrer alors que Maris, à ses côtés, semblait atterrée.

— Oh non !… lâcha-t-elle.

Ces cavités n’étaient pas des hublots d’observation, comme l’avait supposé Qennto, pas plus que des détecteurs quelconques.

C’étaient des prisons. Chacune renfermait une créature de la même espèce que celle à laquelle avaient appartenu les corps mutilés que Car’das avait aperçus flottant parmi les débris de la bataille. Certains s’étaient plaqués contre le mur de leur cellule, d’autres s’étaient recroquevillés à terre, tandis que d’autres encore contemplaient le spectacle avec la résignation de ceux qui ont abandonné tout espoir.

Un missile explosa au bord du cadre de leur vue agrandie et, quand les débris et les lumières aveuglantes furent dissipés, Car’das vit que trois bulles avaient été détruites et leurs occupants réduits à l’état de chair et d’os brisés méconnaissables errant dans l’espace. Le métal que l’on devinait derrière les cellules, clairement la coque principale, était quelque peu effrité par endroits, mais parfaitement intact.

— Des boucliers vivants, murmura Thrawn d’une voix glaciale comme jamais.

— Vos chasseurs ne peuvent-ils pas déployer des filets Connor ? demanda Car’das. Vous savez… Comme ceux dont vous vous êtes servis pour nous attraper.

— Ils sont encore trop éloignés. De toute façon, ils seraient inefficaces face à la compartimentation électronique de vaisseaux de guerre de cette taille.

— Ne peuvent-ils pas alors tirer entre les bulles ? demanda Maris d’une voix tremblante. Il y a pourtant l’espace nécessaire. Ne peuvent-ils pas viser la coque sans toucher les prisonniers ?

— Encore une fois, pas à cette distance. Je suis désolé.

— Vous devez les rappeler, dans ce cas, insista la jeune femme. Ils exterminent des innocents.

— Ces prisonniers sont déjà morts, répliqua Thrawn d’une voix soudain plus dure.

— Mais…

Maris tressaillit sous l’effet de cet accès d’humeur inattendu.

— Je vous en prie ! reprit le commandant d’un ton glacial. Comprenez la réalité de la situation. Les Vagaari les tueront, dans cette bataille ou dans une autre. Il n’y a rien que nous puissions faire pour les sauver. Il ne nous reste qu’à nous concentrer pour détruire définitivement ces monstres et ainsi permettre à d’autres innocents de survivre.

— Il a raison, intervint Jorj en posant une main sur le bras de son équipière.

Rageusement, elle se dégagea, détournant le regard.

Car’das considéra Thrawn, mais celui-ci avait déjà reporté son attention sur les ennemis en approche, accompagnés par les six chasseurs Chiss.

Un soldat intervint :

— La Section Un a éliminé l’équipage Vagaari, Commandant. Le Chef Yal’avi’kema a repéré le mécanisme de déploiement du projecteur. Pliage en cours, avec l’aide de la Section Deux.

— Que la Section Un se joigne à eux, dit Thrawn avant de se tourner vers Car’das. Je me doutais bien qu’il existerait un tel système. Les Vagaari ne pouvaient pas assembler leurs projecteurs mécaniquement sans être repérés par leurs proies.

Il avisa ensuite les trois vaisseaux, qui avaient maintenant presque achevé leur demi-tour :

— Tenez-vous prêts à faire feu, ajouta-t-il.

Jorj vit que Maris lui tournait toujours le dos, les épaules voûtées.

— Armes parées.

— Feu nourri de missiles explosifs à mon signal, dit le commandant en jetant un rapide coup d’œil à Ferasi. Que les chasseurs déploient les filets au moment où le pont et la passerelle de commande des ennemis seront en visibilité minimale.

— Compris.

— Feu ! Chef Yal’avi’kema, il vous reste deux minutes.

— Le Chef Yal’avi’kema estime que le délai sera respecté, dit un équipier du poste des transmissions.

De multiples éclairs se produisirent au loin quand les missiles Chiss atteignirent leurs cibles.

— Casques ! aboya quelqu’un.

Car’das réagit instantanément et enfila le sien en une seconde, tout en vérifiant que tout le monde autour de lui en faisait autant. Il avait fixé les fermetures à hauteur du col de sa combinaison et s’apprêtait à déterminer d’où provenait le danger quand une explosion violente de lumière et de feu désintégra tout le côté bâbord de la grande verrière.

Il perçut le bruit de l’air comprimé des portes qui se fermaient automatiquement et, l’espace d’une fraction de seconde, le hurlement de l’alarme qui s’était déclenchée, avant que la décompression soudaine ne le plonge dans le silence le plus total. Il cligna encore une ou deux fois des yeux, toujours ébloui par l’image rémanente du flash, puis posa son regard sur les débris qui tournoyaient de tous côtés.

C’était aussi affreux qu’il l’avait imaginé. Les trois Chiss qui s’étaient tenus près du point d’impact se retrouvaient étendus au sol, désarticulés. D’autres avaient été expulsés de leurs sièges, la plupart semblaient pourtant encore en vie. Dans l’affolement général, certains luttaient, malgré leurs combinaisons déchirées ou leurs casques arrachés en attendant d’être secourus. Les panneaux de contrôle situés du côté de l’attaque n’étaient plus que débris métalliques déchirés et câbles entremêlés, tandis que tous les autres écrans s’étaient éteints.

Jorj était encore en train d’évaluer les dégâts quand il fut bousculé par Maris qui se précipita vers le siège de commandement, auprès duquel elle s’agenouilla.

Ce ne fut qu’à cet instant qu’il se rendit compte que Thrawn lui aussi gisait à terre, les yeux fermés, dans sa combinaison déchirée qui laissait échapper des bulles d’air.

— Commandant ! cria-t-il en fouillant ses poches dans l’espoir d’y trouver de quoi colmater ce trou. Un médecin par ici !

— J’ai un pansement, dit Maris en brandissant une sorte de rustine.

Après en avoir déchiré l’emballage, elle l’appliqua sur le tissu déchiré, qui se souleva tout d’abord sous l’effet de la pression restaurée dans la combinaison, mais Jorj se rendit vite compte que l’un des bords ne tenait pas.

— Ces deux matériaux ne correspondent pas ! s’écria Maris. Aide-moi à trouver quelque chose pour le maintenir.

Dans tous ses états, Car’das regarda autour de lui, mais rien ne lui parut convenir. Il avisa les murs, se disant que les Chiss avaient certainement disposé des trousses de secours un peu partout sur leurs vaisseaux de combat, mais ne put se concentrer suffisamment pour déchiffrer les inscriptions Cheunh qui y étaient indiquées.

— Laisse tomber, dit Maris en pressant sur les bords de la pièce ajoutée.

Après une infime hésitation, elle s’étendit sur le corps de Thrawn, torse contre torse, appuyant ainsi de tout son poids sur la déchirure.

— Va chercher de l’aide ! ordonna-t-elle à Car’das.

Tout en passant ses bras dans le dos du Chiss pour se maintenir fermement en place, elle ajouta :

— Vite ! Cette pression ne doit pas être idéale pour ses blessures.

Jorj sortit enfin de sa paralysie et se rua vers la porte la plus proche et une fois de plus, fut bousculé par deux Chiss qui se précipitaient de chaque côté de leur commandant inconscient.

— Préparez-vous à vous dégager, intima l’un d’entre eux en sortant une large bande adhésive. Allez-y !

Maris roula sur le côté. À peine avait-elle libéré la blessure que le nouveau pansement était en place et recouvrait totalement celui qu’elle avait placé. Elle recula encore et Car’das aperçut quelques volutes de fumée qui s’élevaient des bords de la déchirure.

— Ça tient, confirma l’un des soldats.

Son collègue, déjà prêt, enfonça aussitôt l’extrémité d’un réservoir de la taille d’une main dans une valve prévue à cet effet, située sur le casque du commandant.

Il vérifia les voyants lumineux situés sous la valve.

— Pression stabilisée, indiqua-t-il.

— Pouvons-nous vous être utiles ? demanda Maris.

— Vous l’avez déjà été. Nous allons le sortir d’ici.

Ils emportèrent aussitôt Thrawn. Ils ne se trouvaient pas encore à la porte quand les étoiles se transformèrent soudain en lignes blanches.

 

Les médecins travaillèrent durant les deux premières heures à l’abri de portes scellées, sans donner de nouvelles et sans laisser entrer que des aides ou de nouveaux blessés. Car’das se tenait non loin de la zone de premiers secours en essayant de ne pas trop gêner, exécutant de temps à autre une commission qu’on lui confiait. En surprenant une conversation, il avait fini par apprendre que Maris était demeurée sur le pont pour aider à évacuer les débris.

Il restait encore quatre heures de voyage quand tous deux furent convoqués à l’antenne médicale.

Ils y trouvèrent Thrawn, mi-assis, mi-allongé dans un lit étroit et couvert de perfusions et autres fils qui semblaient l’emprisonner comme les anneaux d’un serpent géant.

Malgré ses traits tirés, il les salua d’un ton calme :

— Car’das, Ferasi. On m’a appris que je vous dois la vie. Je vous en remercie.

— C’est principalement Maris qui est intervenue, en vérité, rectifia Jorj. Elle est plus vive que moi dans ces situations d’urgence.

— À force de passer mon temps avec Rak à bord du Bargain Hunter… sourit-elle sans trop de conviction. Comment vous sentez-vous ?

— Ce n’est pas la grande forme mais, apparemment, je suis hors de danger. On m’a également rapporté que vous aviez participé aux opérations de nettoyage sur le pont.

— Je ne voulais qu’offrir mon aide…

— Même après m’avoir vu ordonner des tirs de missiles sur les boucliers vivants des Vagaari ?

Elle baissa les yeux :

— Je suis désolée… euh… de m’être montrée agressive à ce sujet. Je prends maintenant conscience que vous n’aviez pas le choix.

— Ce qui ne rend pas forcément cela plus facile à accepter, d’ailleurs, dit Thrawn. C’est le genre de décision que, malheureusement, tout soldat est amené à prendre.

— Sommes-nous parvenus à nous emparer du projecteur de gravité, au fait ? demanda Car’das. Je n’ai pas eu d’information à ce sujet.

— Il a été replié, puis attaché à notre coque avant que nous ne procédions au saut. Les six chasseurs s’en sont également sortis.

— Nous avons eu de la chance, apprécia Jorj.

— Nous avions un bon chef d’orchestre, corrigea Maris. Les Vagaari vont être furieux.

— Tant mieux, dit le commandant. Peut-être seront-ils suffisamment en colère pour attaquer ouvertement l’Ascendance Chiss.

Car’das n’en crut pas ses oreilles :

— Autrement dit, vous tentiez de les inciter à vous attaquer ?

— J’essayais simplement de dérober un projecteur de gravité. Nous nous soucierons des conséquences en temps et en heure.

— Oui, bien sûr… laissa tomber Jorj.

Du coin de l’œil, il observait les médecins qui vaquaient à leurs occupations.

— D’ici là, notre objectif est de rentrer aussi vite que possible sur Crustai, poursuivit Thrawn. Nous avons besoin de soins plus approfondis pour nos blessés, et nos vaisseaux doivent être réparés.

— Vous-même devrez également prendre un peu de repos, ajouta Maris en effleurant le bras du Chiss. Nous vous reverrons plus tard, Commandant.

— Oui, articula ce dernier alors que ses paupières s’affaissaient sur ses yeux d’un rouge plus luisant que jamais. Je suis certain que vous aviez raison, Car’das. Qennto sera déçu d’avoir raté tout cela.

Ils se rendirent compte à leur retour à la base que Qennto rencontrait d’autres difficultés que des aventures manquées.

Écumant de colère, il regarda Maris et Car’das à travers le judas de la porte en matériau synthétique qui fermait sa cellule.

— Je vais la tuer ! promit-il. Laissez-moi un instant seul avec elle et je la tue !

— Calme-toi, dit doucement Maris.

À force de le fréquenter, elle semblait avoir pris l’habitude d’utiliser ce ton compréhensif et patient à la fois.

— Raconte-nous ce qu’il s’est passé.

— Elle a essayé de me voler ! Voilà ce qu’il s’est passé, s’énerva Qennto. Vous êtes tous les deux témoins. Thrawn nous a bien précisé que nous pouvions prendre quelques objets issus du butin des pirates en échange de nos leçons de Basique, non ?

— Oui, plus ou moins, dit Maris sans trop s’avancer. Malheureusement, l’Amiral Ar’alani est son supérieur.

– Je me fiche de savoir si c’est une divinité locale ! Ce que j’ai récupéré était à nous. Elle n’avait pas à venir se mêler de ça !

— Et, bien entendu, tu le lui as bien fait comprendre, je suppose ? souligna Car’das.

— Je ferais attention à ce que je dis, à ta place, petit. Tu es peut-être le chouchou du prof ici, mais le chemin du retour à la civilisation est long.

— Qu’est-il arrivé, enfin ? s’enquit Maris.

— Elle était sur le point de tout me reprendre, expliqua le prisonnier.

Son regard furieux demeura fixé quelques secondes sur son navigateur avant de se tourner vers sa copilote.

— Heureusement pour moi, l’autre Chiss – cet Administrateur Mitth’je-ne-sais-plus-quoi…

— Le frère de Thrawn, coupa Maris.

Qennto écarquilla les yeux :

— Non, sérieusement ? Enfin, il a déclaré qu’il devait entendre la version de Thrawn et a pu obtenir qu’elle ne s’empare pas de mes biens, mais elle a tout de même insisté pour qu’ils soient placés sous sceau de prescription… Je ne sais même pas ce qu’ils ont voulu dire par là.

— Donc, en résumé… ?

— Eh bien, pour finir, mes trésors sont enfermés à double tour quelque part et d’après Mitth’Machin, même Thrawn n’est pas en mesure de me les rendre.

— Nous verrons ça avec lui, promit Maris. Et à propos, ce n’est pas Mitth’Machin, mais Mitth’ras’safis.

— Oui, bien sûr. Bon, allez donc déjà parler de tout ça à Thrawn, et voyez s’il peut me faire sortir d’ici.

— Évidemment. Viens, Jorj. Allons voir si le commandant peut nous recevoir.

Le soldat qui gardait les quartiers de Thrawn se montra tout d’abord réticent à l’idée d’aller se renseigner pour savoir si le commandant pouvait leur accorder un moment, néanmoins la jeune femme finit par le convaincre. Une minute plus tard, ils se tenaient près du lit du Chiss.

— Oui, j’ai pris connaissance du rapport de Thrass, dit-il quand Maris lui eut expliqué la situation. Le capitaine Qennto doit apprendre à contrôler son tempérament.

Il paraissait encore faible, mais toutefois plus en forme que lorsqu’ils l’avaient vu à bord du Springhawk.

— Il doit apprendre à contrôler bien plus que cela, maugréa Maris d’un air contrit. Il ne supporte pas d’être enfermé. Ne pouvez-vous pas ordonner sa libération ?

— À condition que vous lui touchiez deux mots sur le respect dû aux officiers commandants Chiss. Peut-être devrions-nous simplement le mettre au cachot dès que l’un d’entre eux se trouve sur la base.

— Excellente suggestion. Merci.

— Qu’en est-il des objets que votre frère a mis sous scellés ? demanda Car’das. Qennto sera invivable tant qu’il ne les aura pas récupérés.

— Il va malgré tout devoir prendre son mal en patience. Si un Administrateur de la Huitième Famille Régnante a déclaré ces œuvres d’art scellées malgré la revendication d’un officier commandant, elles ne peuvent être rendues à quiconque avant que l’Amiral Ar’alani ne revienne nous présenter ses arguments.

— Cela peut-il prendre du temps ?

— C’est à elle d’en décider, mais sans doute pas avant que le vaisseau Vagaari ne soit examiné et ses systèmes et équipements analysés. Elle voudra assister à ces événements.

— Cela va durer des mois ! Nous ne pouvons pas rester aussi longtemps.

— Nous ne pouvons pas non plus retrouver nos clients sans biens supplémentaires pour les apaiser, ajouta Maris.

— Je comprends, dit Thrawn, mais je ne possède pas toutes les cartes en main.

La porte située derrière Car’das s’ouvrit alors. Le jeune homme se retourna, s’attendant à voir surgir un médecin…

— Eh bien, la chance des braves t’a finalement abandonnée, dit l’Administrateur Mitth’ras’safis en pénétrant dans la pièce.

— Entre donc, l’invita son frère en s’accompagnant d’un geste de la main.

— Nous avons à parler, Thrawn, déclara Thrass en jetant un coup d’œil aux humains. Seul à seul.

— Tu n’as rien à craindre d’eux. Rien ne sortira de cette chambre.

— Là n’est pas la question. Nous devons discuter d’affaires Chiss qui ne les concernent en rien.

— Peut-être pas à l’heure actuelle mais qui sait, peut-être dans le futur ?

— Que veux-tu dire par là ? interrogea l’Administrateur en plissant les yeux.

— Tu es doué dans bien des domaines, mon frère, mais tu dois encore développer la prévoyance nécessaire pour survivre parmi les conflits et les intrigues de la vie politique. Nous nous sommes vu offrir une opportunité rare : la chance de rencontrer et d’interagir avec les membres d’une vaste entité politique jusqu’alors inconnue. Des personnes dotées d’autres idées, d’autres points de vue, que les nôtres.

— Est-ce pour cela que tu juges nécessaire de les emmener partout avec toi, même lors de la visite officielle d’un amiral ? Penses-tu que leurs opinions ont quelque valeur ?

— Chaque avis mérite d’être entendu, qu’il soit ensuite jugé pertinent ou inutile, dit Thrawn. Tout aussi importants sont les liens sociaux et intellectuels que nous sommes en train de tisser entre nous. Notre Ascendance et leur République entreront en contact un jour ou l’autre ; les contacts amicaux avec ces alliés potentiels que nous construisons aujourd’hui pourraient bien définir le type de nos relations futures avec eux.

Et de se tourner vers les deux humains, avant de poursuivre :

— J’imagine que tous deux sont arrivés à la même conclusion, bien entendu selon leur propre cheminement intellectuel.

Car’das n’eut qu’à déceler un infime frémissement de la lèvre de son équipière pour connaître son opinion.

— En effet, admit-il.

— Tu vois, insista le commandant. Nous nous comprenons déjà, au moins à petite échelle.

— Peut-être, oui… répondit prudemment son frère.

— Mais tu es venu pour me parler affaires. Mes invités peuvent-ils t’appeler Thrass, au fait ?

— Absolument pas ! rétorqua sèchement Mitth’ras’safis.

Son expression s’adoucit quelque peu quand il se tourna vers Maris et il ajouta, presque à contrecœur :

— Je suis cependant bien conscient que vous avez sauvé la vie de mon frère.

— Ravie d’avoir pu rendre service, Administrateur Mitth’ras’safis, dit la jeune femme en Cheunh.

Thrass grogna vaguement, puis l’esquisse d’un sourire ironique apparut sur son visage :

— Ils ne sont pas très doués.

— Essaie le Minnisiat. Ils le pratiquent mieux que le Cheunh. Ou encore le Sy Bisti, que tu maîtrises également, je crois.

— D’accord, fit Mitth’ras’safis dans un Sy Bisti curieusement accentué. Si c’est plus pratique.

— À vrai dire, nous préférerions que vous continuiez en Cheunh, si cela ne vous dérange pas, intervint Car’das dans cette langue. Nous pourrions ainsi encore progresser.

— En effet, vous en avez besoin, dit l’Administrateur.

Il hésita une seconde avant d’incliner la tête dans leur direction.

— Et puisque vous avez tous deux joué un rôle capital dans le sauvetage de mon frère… je suppose qu’il est normal que vous m’appeliez Thrass.

— Merci, répondit Maris. Nous en sommes honorés.

— Je préfère ne plus entendre mon nom complet écorché, souligna-t-il.

Là-dessus, il se tourna vers son frère, le regard soudain plus dur :

— Bon, maintenant, à quoi joues-tu exactement ?

— Je ne fais que le travail qui m’a été confié. Je protège l’Ascendance de ses ennemis.

— De ses ennemis. Pas de ses ennemis potentiels. Tu saisis la différence ?

— Oui, admit Thrawn. Et non.

Thrass leva une main et la laissa retomber lourdement sur sa jambe.

— Je vais être honnête avec toi, Thrawn. La Huitième Famille Régnante n’est pas satisfaite de toi.

— Ils t’ont fait parcourir tout ce chemin simplement pour me dire cela ?

— Il n’y a pas de quoi rire. Ce vaisseau pirate et son trésor étaient déjà de trop ; quant à cette dernière escapade loin de notre territoire… Et sous le nez d’un Amiral, qui plus est.

— Les Vagaari ne sont pas de simples pirates, Thrass, expliqua le commandant en reprenant son sérieux. C’est une espèce totalement nomade, ils sont des centaines de milliers, peut-être des millions. Tôt ou tard, ils atteindront les frontières de l’Ascendance.

— Très bien. Nous les détruirons à ce moment-là.

— Pourquoi attendre ? Pourquoi tourner le dos alors que des millions d’êtres vivants souffrent à cause d’eux ?

— La réponse philosophique à cette question est que nous ne forçons personne à souffrir mais, d’un point de vue plus pratique, nous ne pouvons pas défendre la galaxie entière.

— Je ne demande pas une telle chose.

— Vraiment ? Et où comptes-tu t’arrêter, dans ce cas ? Dix années-lumière après nos frontières ? cent ? ou bien mille ?

— Je suis d’accord ; on ne peut défendre toute la galaxie, admit Thrawn ; toutefois il est bien imprudent et téméraire de laisser nos ennemis choisir l’endroit et le moment de l’affrontement.

— Thrawn, tu ne peux pas continuer à repousser les limites ainsi. L’observation pacifique est la marque de fabrique Chiss, et les Neuf Familles Régnantes ne resteront pas indéfiniment les bras croisés à te regarder ignorer leur doctrine militaire de base. De plus, la Huitième Famille a été très claire sur un point : elle te congédiera avant que tes actions n’entachent son image.

— Nous sommes tous deux nés roturiers, rappela Thrawn. Je peux tout à fait vivre à nouveau de cette façon si j’y suis contraint ; je ferai cependant le nécessaire pour que la Huitième Famille ne te fasse pas subir le même sort par ma faute.

— Je ne suis pas inquiet en ce qui concerne ma propre position, répliqua sèchement Thrass. J’essaie simplement d’empêcher mon frère de ruiner une honorable carrière pour rien.

Thrawn réfléchit un instant avant de répondre, les yeux dans le vague :

— Si je dois la ruiner, je peux t’assurer que ce ne sera pas pour rien.

Un long moment, les deux frères ne se quittèrent pas du regard.

— Je ne te comprends pas, soupira enfin Thrass. Je ne suis même pas certain de t’avoir compris un jour.

— Alors fais-moi confiance, tout simplement.

— Ce n’est possible que tant que les Neuf Familles Régnantes en font autant et cette confiance est proche de son point de rupture. Le dernier incident…

— Êtes-vous obligé de leur en parler ? s’interposa Maris.

— Avec quatre soldats tués ? Comment cacher ça ?

— C’est une mission de reconnaissance qui a mal tourné, rappela la jeune femme. Le commandant Thrawn ne s’est pas rendu là-bas pour se battre.

— Quelle qu’ait été la mission prévue, le fait de se rendre dans cette zone était déjà de trop. Je peux toutefois essayer d’en atténuer l’impact en la présentant en ces termes, mais ce que je dirai peut très bien n’être suivi d’aucun effet. Une action a été décidée, avec pour conséquence des morts. Cela pourrait être la seule chose que les Familles Régnantes vont retenir.

— Je suis persuadé que tu feras ce que tu pourras, assura Thrawn.

— La question est de savoir si ce que je peux faire correspond à ce que je dois faire. Te protéger des conséquences de tes décisions suicidaires ne servira peut-être qu’à te donner plus de liberté pour en prendre d’autres. Est-ce réellement la meilleure façon pour moi de rendre service à mon frère et à ma famille ?

— Je sais ce que je répondrais à cela, dit le commandant. Tu dois toutefois prendre ta décision par toi-même.

— Un jour, peut-être. En attendant, j’ai un rapport à préparer.

Puis, après un regard résigné à Thrawn :

— Et un frère à protéger…

— Fais ce qui te semble juste, mais tu ne connais pas ces Vagaari. Moi si. Je les détruirai, quel qu’en soit le prix.

Thrass hocha la tête et se dirigea vers la porte, où il s’arrêta, une main sur la poignée :

— As-tu seulement songé, dit-il sans se retourner, que des attaques comme la tienne pouvaient inciter des êtres tels que les Vagaari à nous agresser ? Que si nous les laissions tranquilles, ils ne deviendraient peut-être jamais une menace pour l’Ascendance ?

— Non, je n’ai jamais pensé une telle chose, répondit calmement le commandant.

— Je ne m’y attendais pas, de toute façon, soupira Thrass. Bonne nuit, Thrawn !

Sur ces mots, il quitta la chambre après avoir actionné le mécanisme d’ouverture de la porte.