18
— Le Vol vers l’infini, répéta Qennto en secouant la tête. Non, jamais entendu parler.
— Moi non plus, renchérit Maris. Et ces types, Kav et Stratis, voudraient le détruire ?
— Kav et je ne sais qui, dit Car’das. Thrawn pense que Stratis est un faux nom.
— Ah bon ! Alors, Kav et M. Personne, lâcha Qennto, impatienté. Pourquoi veulent-ils le détruire ?
Car’das haussa les épaules.
— Stratis nous a fait toute une comédie sur le danger que représentent les Jedi qui veulent prendre le pouvoir et commander le monde. Mais c’est sûrement faux.
— Pas forcément, dit Qennto. Il y a beaucoup de gens qui commencent à se poser des questions sur eux.
— En tout cas, ils ont l’air de soutenir la bureaucratie de Coruscant, observa Maris. Si on veut vraiment obtenir des réformes gouvernementales, il va falloir commencer par convaincre les Jedi de changer de camp.
— Ou les tuer, marmonna Qennto.
Maris frissonna.
— Ça n’ira pas jusque-là.
— Stratis n’avait pas l’air de vouloir les convaincre, nota Car’das. Et ces cuirassés lourds ? Vous en avez entendu parler ?
— Oui, indiqua Qennto, c’est le dernier cadeau de la Rendili Stardrive aux militaires. Six cents mètres de long avec de puissants boucliers et toute une gamme de canons à turbolaser, la plupart rassemblés par paires susceptibles d’envoyer de monstrueuses salves. L’équipage normal se compose de mille six cents personnes mais il y a encore la place pour deux ou trois mille soldats supplémentaires. Je me suis laissé dire que le Secteur Corporatif les achetait comme des souvenirs de la Fête Intergalactique et que certaines des plus grandes zones du Milieu n’étaient guère plus vastes.
— Est-ce que Coruscant a participé à ces achats ? demanda Maris.
— Il a encore été question, dernièrement, que la République se dote enfin de sa propre armée ainsi que d’une authentique flotte de guerre mais voilà des années qu’ils en parlent sans rien faire.
— Pourtant avec ces six cuirassés, demanda Car’das, on peut imaginer que le Vol vers l’infini compte une centaine de milliers de personnes ?
— La moitié tout au plus, assura Qennto, car de nombreux postes doivent être tenus par le même technicien sur plusieurs vaisseaux à la fois. Sans compter qu’il faut avoir la place de se retourner dans ces déplacements longue durée.
— Ça fait quand même beaucoup de gens à tuer pour quelques Jedi, objecta Maris.
— Ne t’inquiète pas, je suis sûr que ton noble commandant ne marchera pas dans la combine.
— Mais, rappela Car’das, même si Thrawn ne coopère pas, Stratis a encore la mainmise sur un cuirassé intact de la Fédération du Commerce. Ça fait une grosse puissance de feu, sans compter qu’il pourrait en arriver d’autres.
— Alors que fait-on ? demanda Maris.
— Nous ? se récria Qennto. Rien du tout ! Ce n’est pas notre boulot.
— Mais on ne va pas rester à se croiser les bras !
— Non, on va se tailler vite fait ! C’est le moment ou jamais.
— Mais…
— Maris, coupa Qennto en levant la main. Ce n’est pas notre problème. Tu entends ? Ce n’est pas notre problème ! Si les Jedi veulent se rendre dans les Régions Inconnues, à eux de se protéger. À nous de nous tirer. Du moins si tu te sens de t’arracher à toute cette noblesse et à cette culture…
— Tu exagères ! protesta-t-elle en rougissant.
— Peu importe !
Qennto se tourna vers Car’das :
— C’est toi son confident, depuis quelque temps. Tu crois que tu pourrais lui en toucher deux mots, afin qu’on récupère notre butin Vagaari que son frère a bouclé ? Sauf si Maris veut s’en charger ?
— Rak… commença-t-elle.
— Je ne crois pas qu’il se laissera convaincre par deux mots, laissa tomber Car’das.
La tension entre Qennto et la jeune femme semblait repartir de plus belle.
— Il ne pourra rien nous rendre sans l’accord de son frère et de l’Amiral Ar’alani.
— Et comment est-ce qu’on ramène Ar’alani sur le tapis ? interrogea Maris.
— Pas la peine, maugréa Car’das en regardant son chrono. En fait, Thrawn doit être en train de l’accueillir à la base.
— Génial ! s’exclama Qennto. On va pouvoir demander une audience, récupérer notre butin et filer d’ici.
— Je ne crois pas. Elle est venue s’assurer s’il fallait ou non relever Thrawn de son commandement.
Un ange passa.
— C’est aberrant ! finit par murmurer Maris. Il remplit remarquablement sa mission, il est honnête.
— Qu’est-ce que ça change ? intervint Qennto, atterré. Elle était déjà contre l’idée de nous rendre ce lot Vagaari… ça ne s’annonce pas bien.
— Tu ne peux pas penser à autre chose, une minute ?
s’emporta Maris. Il s’agit de la carrière et de la vie de Thrawn, quand même !
— Non, je ne peux pas penser à autre chose, rétorqua Qennto. Au cas où tu l’aurais oublié, ma belle, on a déjà deux mois et demi de retard dans la remise à Drixo de ses fourrures et de ses gemmes de feu. Notre seule chance de nous en sortir vivants c’est de lui offrir une compensation pour la calmer.
— Je sais, grimaça Maris.
— Alors, que fait-on ? interrogea Car’das.
— Que vas-tu faire, toi, pour les convaincre de nous rendre notre bien ? Et ne me pose pas la question : cajole-les, supplie-les, paie-les… mais fais ce qu’il faut.
— Je vais voir, soupira-t-il.
— N’oublie pas que notre temps est compté. En ce moment, on ne peut s’appuyer que sur un demi-allié en la personne de Thrawn. S’il se fait sacquer, on est fichus.
Un court instant, Car’das se demanda ce qu’ils diraient s’il leur révélait que Thrawn les avait accusés publiquement tous les trois d’espionnage. Mais à quoi bon les inquiéter davantage ?
— Je vais voir, répéta-t-il en se levant. À plus tard.
Dans le couloir, il s’avisa que la réception d’Ar’alani devait être terminée mais que l’amiral devait encore se trouver en compagnie de Thrawn, sans doute à s’entretenir des accusations de Thrass ; elle ne lui avait pas paru du genre à s’éterniser en rituels et autres cérémonials. Car’das devrait pouvoir prier un officier de lui obtenir un rendez-vous.
— Ainsi, vous circulez librement dans la base !
Il se retourna pour apercevoir Thrass qui arrivait derrière lui, l’air impénétrable.
— Administrateur Mitth’ras’safis, le salua Jorj. Pardonnez ma surprise, je croyais vous trouver auprès de votre frère et de l’amiral.
Thrass inclina la tête.
— Venez avec moi, je vous prie.
Retournant sur ses pas, il remonta le couloir, suivi de Car’das, la gorge serrée.
Ils atteignirent le niveau supérieur de la base où Thrawn et ses officiers supérieurs avaient leurs quartiers. Ils passèrent devant quelques guerriers qui ne parurent seulement pas les voir, pour arriver devant une porte marquée de symboles Cheunh que Car’das ne parvint pas à déchiffrer.
— Par ici, indiqua Thrass en lui faisant signe d’entrer.
Ils se retrouvèrent dans une petite salle de conférences aux sièges équipés d’ordinateurs, disposés en cercle autour d’un écran holographique. Face à eux, trônant dans son resplendissant uniforme blanc, se tenait l’Amiral Ar’alani.
— Prenez place, Car’das, dit-elle en Cheunh.
— Merci, amiral, répondit ce dernier dans la même langue. Bienvenue sur la base !
Tandis que Thrass s’asseyait à sa droite, elle répondit d’un léger signe de la tête.
— Vous avez fait des progrès en Cheunh, observa-t-elle. Mes compliments !
— Merci. C’est une très belle langue. Je regrette de ne pas la parler aussi bien qu’un Chiss.
— N’en demandez pas trop. J’ai cru comprendre que vous étiez avec le commandant Mitth’raw’nuruodo lors de sa dernière expédition militaire. Racontez-nous ce qui s’est passé.
Car’das jeta un regard vers Thrass avant de revenir sur Ar’alani :
— Pardonnez mon impertinence, mais ne vaudrait-il pas mieux interroger le commandant Mitth’raw’nuruodo lui-même ?
— Cela viendra. Pour le moment, c’est à vous que nous nous adressons. Dites-nous comment s’est déroulé cet acte d’agression.
Il prit une longue inspiration puis se lança :
— Avant tout, il ne s’agissait pas d’une agression caractérisée. C’était une expédition destinée à enquêter sur les vaisseaux de guerre inconnus signalés dans la région.
— Vaisseaux qui n’auraient fait l’objet d’aucun signalement si Mitth’raw’nuruodo n’était pas déjà enclin à une intervention militaire prématurée.
À côté d’elle, Thrass se raidit :
— La charte de la Flotte d’Expansion requiert des expéditions d’observation et d’exploration aux alentours de l’Ascendance Chiss.
— Observation, exploration, riposta Ar’alani. Aucune intervention militaire non provoquée.
Elle haussa les sourcils :
— À moins que vous ne démentiez toute action militaire et toute victime Chiss ?
Car’das se rembrunit. Thrawn n’avait pas mentionné de victimes.
— J’ignorais que des guerriers Chiss avaient disparu.
— Le Whirlwind n’est pas revenu.
— Oh !
Là, c’était un peu plus facile. Certes, le croiseur restait sur le champ de bataille, à tenir en respect le Darkvenge grâce à son projecteur de gravité Vagaari, mais il n’était pas question de le mentionner à l’amiral.
— Je maintiens que le commandant Mitth’raw’nuruodo n’a fait que se défendre.
— Ainsi, l’ennemi inconnu aurait fait feu le premier ?
— Un coup de feu ne constitue pas forcément le premier acte d’agression…
Là, il marchait sur des œufs.
— Les vaisseaux de la Fédération du Commerce ont lancé des forces massives de droïdes de combat. J’ai lu des rapports de batailles au cours desquelles ces armes avaient été utilisées et, si le commandant Mitth’raw’nuruodo n’était pas intervenu pour les neutraliser, ses propres troupes auraient été rapidement submergées.
— Peut-être, convint Ar’alani. Nous en saurons davantage une fois que vous nous aurez emmenés sur le champ de bataille.
— Sur le… articula Car’das, la gorge sèche.
— Une objection ?
— Eh bien… pour commencer, je ne sais même pas où il se trouve.
Gagner du temps, pour réfléchir… si Ar’alani découvrait le Darkvenge sur les lieux…
— Peu importe, assura-t-elle en brandissant un petit cylindre. J’ai ici les relevés de navigation du Springhawk sur deux mois.
Car’das réprima une grimace. Génial !
— Bon, dit-il. Mais ne vaudrait-il pas mieux commencer par le commandant Mitth’raw’nuruodo ?
— Nous allons nous y rendre tout de suite parce que je ne veux pas que le commandant Mitth’raw’nuruodo soit prévenu. Je l’ai envoyé inspecter la sécurité des systèmes alentour, ce qui devrait nous donner le temps d’examiner le champ de bataille et de revenir.
Les yeux brillants, elle ajouta :
— Alors seulement nous l’interrogerons sur sa version des événements.
— Ajustement de la première cible !
La voix caverneuse de C’Baoth résonnait sous le plafond bas de la salle de contrôle du poste de tir.
— Feu !
Ses mains parurent à peine effleurer les touches de contrôle et un clignotement indiqua que les canons à turbo-laser du Cuirassé-1 venaient de lancer une puissante salve.
À l’entrée de la tourelle, Obi-Wan fit appel à la Force. Il perçut alors, à l’autre bout du vaisseau, Lorana Jinzler également en train de tirer tandis qu’à l’extrémité du Vol vers l’infini, sur le Cuirassé-4, Ma’Ning et les deux Jedi Duros faisaient de même.
— Waouh ! souffla Anakin près de lui. C’est… intense !
— Oui, acquiesça Obi-Wan sans quitter C’Baoth des yeux.
C’était la troisième fois, aujourd’hui, que le Maître des Jedi opérait une fusion, et la tension devait commencer à lui peser ; mais, si c’était le cas, Obi-Wan ne put en détecter la moindre manifestation dans son attitude.
Il avait toujours considéré qu’une partie au moins de l’inébranlable confiance en soi de C’Baoth était ou feinte ou basée sur une énorme surestimation de ses facultés. Et voilà que, pour la première fois, il se demandait si l’homme n’était pas effectivement aussi proche de la Force qu’il le laissait entendre.
— Contrôle du guet, lança une voix dans le panneau de communication. Toutes les salves tests sont dans la cible !
— Pas mal ! murmura Anakin.
— Très bien, tu veux dire ! corrigea Obi-Wan. Perçois-tu un seul ordre de Maître C’Baoth ou seulement la fusion ?
— Je ne sais pas, avoua le garçon.
Obi-Wan sentit néanmoins qu’il se concentrait.
— Ajustement de la deuxième cible ! annonça C’Baoth.
— Guetteur, prêt !
— Feu ! dit C’Baoth.
Nouveau clignotement.
— Cible deux touchée, lança le guetteur. Une sauterelle.
— Une quoi ? demanda Anakin.
— Un tir qui a manqué la cible.
Il y avait quelque chose de bizarre dans ce dernier tir. Faisant de nouveau appel à la Force, Obi-Wan se concentra cette fois sur les bords de la fusion au lieu de son centre pour tenter de la capter.
— Ajustement de la troisième cible ! annonça C’Baoth. Feu !
Cette fois, au clignotement, Obi-Wan la perçut.
C’Baoth avait installé un total de six cibles pour cet exercice. Obi-Wan s’efforça d’attendre qu’elles aient été toutes détruites, les quatre dernières salves aussi précises que les deux premières.
Le guetteur émit son dernier rapport et, secouant la tête, C’Baoth brisa la fusion. Alors il demeura quelques secondes assis là, clignant vivement des yeux tandis que les derniers liens avec ses compagnons Jedi achevaient de se dissiper. Il finit par pousser un long soupir puis avisa Obi-Wan et Anakin :
— Qu’en as-tu pensé, jeune Skywalker ?
— Très intense, répéta Anakin. Je n’avais encore jamais rien vu de tel. Quand est-ce que je pourrai essayer ?
— Pas avant d’avoir terminé ton entraînement. Ce n’est pas un exercice pour les Padawan.
— Je suis sûr que j’y arriverais, insista Anakin. Je maîtrise bien la Force – vous n’avez qu’à demander à Obi-Wan...
— Quand tu seras Jedi !
L’air contrarié, C’Baoth se tourna vers Obi-Wan :
— Avez-vous une question, Maître Kenobi ?
— Si vous pouvez m’accorder une minute, oui. Anakin, si tu retournais vers le Réacteur Deux pour t’assurer qu’ils sont prêts à nous aider avec le système de refroidissement ? J’arrive tout de suite.
— Comme vous voudrez.
Un rien contrarié, Anakin quitta la pièce.
— Eh bien ? demanda C’Baoth.
— Vous venez de réunir les Padawan dans le poste de tir de C-4 avec maître Ma’Ning, je crois ?
— En effet. Y voyez-vous une objection ?
— Vous venez de dire à Anakin que ce n’était pas à la portée des Padawan.
C’Baoth eut un fin sourire.
— Calmez-vous, Maître Kenobi ! Bien entendu, ils ne participaient pas à la fusion.
— Alors que fabriquaient-ils là ?
— La même chose que votre Padawan ici, répliqua C’Baoth, légèrement impatienté. Ils se faisaient une idée de ce que pouvait représenter une fusion Jedi.
— Quelle idée, selon vous ? Ils ont à peine commencé leur entraînement. C’est tout juste s’ils y comprenaient davantage qu’un non-Jedi.
— Encore une fois, y voyez-vous une objection ?
— Oui, si l’attrait de techniques aussi avancées les pousse à vouloir brûler les étapes.
Ce qui eut le don de contrarier C’Baoth :
— Méfiez-vous, Maître Kenobi ! Une telle impatience est la marque du côté obscur. Je ne vous laisserai pas m’accuser d’emprunter ce chemin, pas plus que d’y entraîner les autres.
— Je ne vous accuse pas de quoi que ce soit. Sauf peut-être de trop en demander à ceux que vous avez sous votre tutelle.
— Mieux vaut leur en demander trop que pas assez.
— Tant que les objectifs demeurent assez réalistes pour leur offrir la satisfaction de la réussite, rétorqua Obi-Wan.
C’Baoth se leva d’un seul coup.
— Je refuse de laisser disséquer ma technique comme un vulgaire spécimen biologique, gronda-t-il. Et surtout pas par quelqu’un d’aussi jeune que vous !
— L’âge n’est pas forcément le meilleur critère de cognition de la Force, fit remarquer Obi-Wan.
— Non, mais l’expérience si. Quand vous aurez entraîné autant de Jedi que moi, nous en reparlerons. En attendant, je crois que votre Padawan vous a précédé dans le Réacteur Deux.
— Bien, Maître, souffla prudemment Obi-Wan. À plus tard.
Il sortit d’un air digne en invoquant la Force pour garder son calme. Il n’avait pas demandé à faire partie du Vol vers l’infini malgré ses préoccupations et celles de Windu à propos de C’Baoth. Même si cela devait leur permettre de retrouver Vergere.
Pourtant, il se félicitait d’être venu. Dans quatre jours, dès qu’ils atteindraient le système Roxuli, leur dernier arrêt dans le système de la République, il pourrait envisager de prendre contact avec Windu afin de demander l’autorisation qu’Anakin et lui restent à bord du Vol vers l’infini pour toute la durée de la mission.
Entre autres raisons, on préférait introduire au Temple plutôt des nourrissons car ils n’avaient pas eu le temps de préjuger du mode de vie des Jedi ni de la vitesse à laquelle ils pourraient atteindre ce but. Si tous les Padawan de C’Baoth avaient su se montrer prudents comme Lorana Jinzler, voilà une précaution qui n’aurait pas lieu d’être.
Aussi inexpérimenté que pût être Obi-Wan dans la formation de ses futurs Jedi, il estimait tout savoir sur la question.
S’il s’en tenait à l’intérêt manifesté par les enfants devant la fusion, il pouvait d’ores et déjà prédire que les Jedi du Vol vers l’infini n’avaient pas fini d’empêcher leurs nouveaux Padawan de repousser les limites qui les séparaient du côté obscur.
Alors, que cela plaise ou non à C’Baoth, celui-ci allait devoir entendre ce message. Avant qu’il ne soit trop tard.
Les lignes blanches des étoiles s’estompèrent et un petit soleil rouge apparut dans le lointain à travers la verrière du Darkvenge.
— Alors ? grogna Kav.
— Patience, Vice-Roi, conseilla Doriana.
La créature à la peau bleue qui se tenait près du gouvernail consultait le petit objet entre ses mains. Mitth’raw’nuruodo avait laissé ce technicien derrière lui pour les guider vers le lieu de rendez-vous spécifié par le commandant Chiss. Peu après, il murmurait quelques mots au droïde argenté TC-18 traducteur qui l’accompagnait.
— Il dit : « Nous sommes arrivés, Vice-Roi Kav », transmit le robot de sa voix mélodieuse.
Kav renifla :
— Reste à savoir où.
— Là où le commandant Mitth’raw’nuruodo a décidé de nous faire conduire, rétorqua Doriana ostensiblement dégoûté.
Kav avait eu tout le temps d’assumer la destruction de son corps expéditionnaire mais il était toujours aussi en colère.
Et s’il ne contrôlait pas sa langue et son mauvais caractère, il risquait de faire tuer le reste du groupe. Comme lorsqu’il demandait d’un ton mauvais :
— Alors où est-il ?
— Deux vaisseaux en approche ! annonça le Neimoidien devant les détecteurs. Un croiseur Chiss, un appareil plus petit.
Il continua en Sy Bisti technique :
— Il s’agit du Springhawk et d’une navette longue portée, traduisit le droïde d’un ton guindé. Le commandant Mitth’raw’nuruodo va vouloir embarquer immédiatement.
— Dites-lui que son poste d’arrimage habituel est prêt, répondit Doriana.
Quelques minutes plus tard, Mitth’raw’nuruodo entrait sur le pont de son pas décidé, suivi de deux guerriers Chiss.
— Bienvenue à bord, commandant ! lui lança Doriana en se levant du canapé.
L’intéressé se contenta de jeter un bref regard vers Kav qui s’était raidi.
— Merci. J’apprécie votre diligence à suivre mes instructions.
— Comme je vous l’ai déjà dit, nous ne demandons qu’à vous complaire.
— Parfait. Alors j’aimerais que vous commenciez par débarquer vos chasseurs automatisés.
Kav sursauta comme s’il venait de recevoir un coup de pied.
— Pardon ? souffla-t-il, les yeux encore plus exorbités que d’habitude.
— Vos chasseurs automatisés doivent être transportés sur cet astéroïde.
Mitth’raw’nuruodo désignait par la verrière un petit croissant irrégulier qui brillait faiblement sur les étoiles.
— Ensuite, poursuivit-il, je requerrai les services de ceux qui programment leurs manœuvres.
Kav émit une sorte de gargouillis et, pour une fois, Doriana le prit en pitié. Le principal atout d’un cuirassé de la Fédération du Commerce résidait dans ses chasseurs, ses batteries arrière quadrilaser constituant davantage un mode de dissuasion qu’un armement effectif. Privé de ses chasseurs, le Darkvenge redeviendrait le simple cargo qu’il avait autrefois été.
— C’est scandaleux ! s’exclama le Neimoidien. Jamais je ne consentirai à…
— Silence ! coupa Doriana, les yeux sur Mitth’raw’nuruodo.
Soit il comptait neutraliser le Darkvenge, soit…
— … Vous avez un plan pour traiter avec le Vol vers l’infini, n’est-ce pas ?
— J’ai un plan, confirma le commandant. Je le mettrai en action selon que vous me direz ou non la vérité.
Doriana déglutit.
— Veuillez vous expliquer.
— Vous ne vous appelez pas Stratis, dit Mitth’raw’nuruodo. Vous obéissez à un maître et ce n’est pas la menace de ces Jedi qui vous pousse à manigancer la destruction du Vol vers l’infini. Si toutefois vous projetez effectivement cette destruction…
— Pour quelle autre raison serions-nous ici ? interrogea Doriana.
— Par exemple pour les rencontrer. Si le Vol vers l’infini est peuplé de combattants et non de colons, vos forces combinées auraient à la fois la puissance de feu et le personnel nécessaire au lancement d’une puissante tête de pont.
— Je vous ai déjà dit que nous n’avions aucune intention agressive.
— Je le sais bien. Toutefois il va falloir maintenant m’en convaincre.
— Certes.
Doriana savait qu’il courait un risque mais il se doutait depuis le début que Mitth’raw’nuruodo finirait par tirer ce genre de conclusion. Sans doute était-il temps de lui avouer la vérité.
— Je crois pouvoir répondre à toutes vos questions à la fois. Si vous voulez bien me suivre, je pourrais vous présenter à mon supérieur.
Délibérément, il fixait Kav.
— Quant à vous, Vice-Roi, vous allez rester ici.
Sans se soucier des protestations de Kav, il traversa le pont pour reprendre la direction du bureau où ils s’étaient déjà entretenus deux jours auparavant. Après avoir fait entrer le Chiss, il ferma soigneusement la porte, non sans remarquer au passage que Mitth’raw’nuruodo avait laissé derrière lui son escorte. Le commandant semblait ne pas douter un instant de ses propres aptitudes, au point d’avoir déjà déduit que Doriana ne représentait aucune menace envers lui.
Du moins pas encore.
Son holoprojecteur spécial était déjà branché sur le système du Darkvenge. Tout en composant le code d’accès, il fit signe à Mitth’raw’nuruodo de prendre place sur le siège du bureau.
— Votre premier argument est des plus justes, commença-t-il.
Mentalement, il croisait les doigts pour que l’énorme transmetteur du cuirassé soit apte à tout relayer au réseau Holo de la République.
— Mon vrai nom est Kinman Doriana, identité que j’ai pris le soin de cacher à l’équipe du Vice-Roi Kav et à ses autres associés.
— Dans ce cas, vous jouez l’un contre l’autre ?
Doriana s’étonna :
— Comment le savez-vous ?
— Ça saute aux yeux. Qui sont vos deux maîtres ?
— Officiellement, le mien est le Chancelier Suprême Palpatine, le chef du gouvernement de la République.
Dire qu’il énonçait à haute voix ces notions qu’il osait à peine formuler dans son esprit quelques heures auparavant !
— Mon véritable maître, continua-t-il, est un seigneur Sith, Dark Sidious.
— Qu’est-ce qu’un seigneur Sith ?
— Un être qui s’oppose aux Jedi, au contrôle qu’ils exercent sur la République.
— Ah ! sourit Mitth’raw’nuruodo. Une lutte de pouvoirs.
— Dans un sens. Mais sur un tout autre plan que celui où les êtres comme vous et moi évoluons. Ce qui compte pour le moment, c’est que le Seigneur Sidious ait un accès à des sources ignorées par les Jedi.
— Et que lui disent ces sources ?
— Qu’une invasion se prépare. Une énorme force d’assaut de vaisseaux noirs, de silhouettes sombres et d’armes de grande puissance, basés sur une technologie organique inédite. Nous croyons que ces Inconnus Lointains, comme nous les appelons, ont déjà pris pied sur les bords reculés de la galaxie et, en ce moment même, envoient des éclaireurs à la recherche d’informations sur les mondes et les peuples à conquérir.
— Ces histoires de mystérieux envahisseurs sont aussi pratiques que difficiles à réfuter. Pourquoi ne m’en parlez-vous que maintenant ?
Doriana désigna la porte du menton :
— Parce que le Vice-Roi Kav et ses associés ne sont pas au courant. Pas plus que quiconque dans la République. Pas encore.
— Quand Dark Sidious compte-t-il le leur dire ?
— Dès qu’il aura mis de l’ordre dans le chaos de la République. Quand nous aurons bâti une armée et une flotte susceptibles d’affronter la menace. Si nous en parlions avant nous ne ferions que créer la panique et nous livrer au désastre.
— Quel est le rôle du Vol vers l’infini dans cette affaire ?
— Comme je vous l’ai dit, nous croyons que les Inconnus Lointains n’en sont encore qu’à recueillir des informations. Pour le moment, rien n’indique qu’ils connaissent l’existence de la République.
Sentant sa gorge se serrer, il ajouta :
— En fait, ce n’est pas tout à fait exact. L’un des Chevaliers Jedi, une certaine Vergere, a disparu dans cette région il y a quelque temps. Et c’est là l’un des objectifs non déclarés du Vol vers l’infini : tâcher d’apprendre ce qui lui est arrivé.
— Je vois. Et si un simple prisonnier ne peut donner que de faibles indications sur ses origines, un vaisseau entier peut fournir tout ce qui serait nécessaire à une invasion.
— Exactement. Sans oublier toutes les données, toute la technologie ainsi accessibles aux éventuels envahisseurs. Si le Vol vers l’infini leur tombe entre les mains, nous pourrions nous retrouver confrontés à une attaque avant d’avoir pu nous y préparer.
— Les Jedi ne comprennent donc pas ça ?
— Les Jedi se prennent pour les maîtres de la galaxie. Particulièrement le chef embarqué à bord du Vol vers l’infini, Jorus C’Baoth. Même s’il connaissait l’existence des Inconnus Lointains, je doute que ça changerait quoi que ce soit.
Au-dessus de l’holoprojecteur apparut la silhouette encapuchonnée qu’il ne connaissait que trop. L’hologramme paraissait un peu plus effiloché que d’habitude mais la connexion en elle-même semblait plus solide qu’il ne l’aurait craint. À l’évidence, Sidious avait quitté son habituel repaire sur Coruscant pour se rapprocher.
— Rapport ! ordonna-t-il.
Ses yeux cachés semblèrent apercevoir Mitth’raw’nuruodo et les coins de sa bouche s’affaissèrent encore davantage.
— Qui est-ce ? demanda-t-il.
— Le commandant Mitth’raw’nuruodo, de la Flotte d’Expansion de Défense Chiss, Seigneur Sidious. Malheureusement, nous avons subi un léger contretemps dans notre mission.
— Je ne veux pas le savoir ! siffla la voix menaçante.
— Oui, Seigneur…
Malgré les centaines d’années-lumière qui les séparaient, Doriana sentait presque la Force de Sidious le prendre à la gorge.
— Laissez-moi vous expliquer…
Il résuma le déroulement de la bataille inégale contre les Chiss. Au cours de cette explication, la tête de Sidious se tourna vers Mitth’raw’nuruodo.
— Impressionnant, commenta-t-il quand Doriana eut fini. Et un seul de vos vaisseaux s’en est sorti ?
— Oui, reconnut Doriana. Mais c’était bien parce que le commandant Mitth’raw’nuruodo avait décidé de le garder intact.
— Encore plus impressionnant ! lâcha Sidious. Dites-moi, commandant, êtes-vous un spécimen typique de votre race ?
— Je ne vois pas comment répondre à cette question, répliqua calmement Mitth’raw’nuruodo. Je peux seulement vous dire que je suis le plus jeune de mon peuple à porter ce grade.
Un sourire illumina le sombre visage de Sidious.
— On comprend pourquoi. Étant donné votre présence ici, je suppose que Doriana vous a expliqué pourquoi il fallait arrêter le Vol vers l’infini avant qu’il ne quitte votre territoire ?
— Oui. Avez-vous la preuve d’une menace d’invasion imminente ?
— J’ai reçu des rapports me le confirmant.
S’il s’offensait de ce que Mitth’raw’nuruodo ose mettre sa parole en doute, il n’en montra rien.
— Doriana vous les présentera si vous le désirez, poursuivit-il. En supposant que vous soyez convaincu de leur bien-fondé, quelle sera votre réponse ?
— En supposant que je sois convaincu, j’accéderai à la demande de Doriana d’intercepter et d’arrêter le Vol vers l’infini.
— Parfait ! Toutefois, je vous préviens, les Jedi n’accepteront pas la défaite d’un cœur léger et ils ont le pouvoir de parcourir de grandes distances pour atteindre et manipuler les esprits. Il ne faut en aucun cas leur permettre de découvrir vos projets d’attaque avant que celle-ci ne soit lancée.
— Je m’en doute. Dites-moi : cette capacité d’atteindre et de manipuler les esprits, fonctionne-t-elle également dans le sens inverse ? Si moi, par exemple, j’étais assez poussé par le désir de les faire rentrer chez eux, mon insistance suffirait-elle à influencer leur décision ?
La bouche de Sidious retomba :
— Ils percevront certainement votre insistance mais ne comptez pas sur eux pour en tenir compte. En aucune circonstance, maître C’Baoth ne retournera vers la République. Le seul fait de le lui proposer risquerait de vous faire perdre toute chance d’une attaque-surprise.
— Sans doute. Encore que chez ceux qui savent atteindre les esprits, le concept de surprise soit pour le moins limité.
— Voilà pourquoi Doriana a proposé d’utiliser les chasseurs automatisés comme pièce maîtresse de son attaque. Cependant, tout pouvoir suppose une faiblesse équivalente. Parmi l’amas de milliers d’esprits à bord du Vol vers l’infini, même la sensibilité Jedi sera émoussée. Une fois que ces milliers de personnes commenceront à mourir dans la bataille… ce handicap ne fera qu’augmenter.
— Je comprends, répéta Mitth’raw’nuruodo. Merci de m’avoir consacré cette entrevue, Seigneur Sidious.
— J’ai hâte de recevoir le rapport de votre victoire.
Il se tourna brièvement vers Doriana et l’image disparut.
Un long moment, le commandant demeura assis à sa place sans rien dire, ses yeux scintillants reflétant d’innombrables pensées.
— Il va me falloir, déclara-t-il enfin, un exposé technique circonstancié sur la composition de ce Vol vers l’infini et de ses cuirassés. Je suppose que vous avez ces informations en votre possession ?
— Jusqu’à la dernière liste de passagers, assura Doriana. À présent que vous êtes au courant de la puissance des Jedi contre tout artilleur de chair et de sang, pourrai-je faire annuler votre ordre de déplacer les chasseurs droïdes ?
— Certainement pas ! Et je compte bien que leur débarquement soit effectif dès la fin de la journée. Il faudra également livrer deux de vos droïdekas ainsi que quatre de vos droïdes combattants à bord de ma navette longue distance afin qu’ils soient transportés à ma base. Je suppose qu’on peut contrôler six droïdes à l’aide d’appareils moins encombrants que cet ordinateur de bord ?
— Oui, il existe des lecteurs de données susceptibles d’en contrôler deux cents à la fois, marmonna Doriana en réprimant une grimace.
Kav lui en voulait déjà assez de laisser le Chiss récupérer ses chasseurs sans qu’en outre il s’empare de ses droïdes de combat.
— Je vais vous en fournir un avec les droïdekas.
— Bien ! Je suppose que seuls ces droïdekas sont équipés de boucliers de protection ?
— En effet. Toutefois, si vous comptez adapter ces boucliers à l’usage de vos guerriers, je vous le déconseille. Ils émettent d’importantes radiations ainsi qu’un champ magnétique qui pourraient être fatals à des êtres vivants.
— Merci, mais nous connaissons ce genre d’équipement dont nous pouvons inverser la polarité.
— Pardon ? Vous voulez dire que le champ de déviation se tournerait vers l'intérieur !
— On les a utilisés comme des pièges contre les intrus. Ainsi, des voleurs insouciants se sont auto-incinérés en essayant de tirer sur un garde ou sur un propriétaire.
Doriana frémit.
— Ah !
— Mais, comme vous le dites, continua Mitth’raw’nuruodo, ils sont trop dangereux dans la mesure où ils peuvent également atteindre d’innocents passants. Si bien qu’on a cessé de les fabriquer voilà plusieurs dizaines d’années.
Il se leva.
— Je dois partir à présent. Je reviendrai plus tard pour vérifier que mes ordres ont été exécutés.