3
La réceptionniste éteignit son comlink et sourit à l’homme et à la femme qui se tenaient devant elle.
— Le Chancelier Suprême va vous recevoir immédiatement, Maître C’Baoth, dit-elle.
— Merci, lâcha le Jedi Jorus C’Baoth d’une voix glaciale.
À ses côtés, Lorana Jinzler tressaillit. Son maître était en colère et elle ne pouvait pas vraiment le lui reprocher, au vu des circonstances. Son différend l’opposait cependant à Palpatine et non pas à cette pauvre employée sans pouvoir ni autorité qui se contentait d’obéir aux ordres en provenance du bureau du Chancelier Suprême. Il n’y avait aucune raison de se montrer désagréable avec elle.
C’Baoth n’avait de toute façon pas pour habitude de se soucier de ce genre de détail. Sans un mot de plus, il quitta la réception et se dirigea vers les portes qui donnaient sur le bureau de Palpatine. Lorana s’attarda quelques pas derrière lui avant de le suivre, le temps de lancer un sourire encourageant à la réceptionniste.
Ils croisèrent deux Brolfi dans leurs tuniques de cuir, dont la chair ornée de motifs jaunes et verts frémissait d’émotion.
C’Baoth continua droit sur les deux créatures, les contraignant à lui laisser le passage en se collant chacune d’un côté du couloir. Lorana grimaça une fois de plus, puis se hâta de revenir à la hauteur de son maître.
Le Chancelier Suprême Palpatine était assis derrière son bureau, dont la large baie vitrée offrait une vue imprenable sur les gratte-ciel de Coruscant. Derrière lui se tenait un jeune homme, quelques documents à la main, qui lui parlait à voix basse.
Il leva la tête quand C’Baoth et Lorana entrèrent et leur décocha un de ses fameux sourires.
— Ah, Maître C’Baoth ! dit-il en les encourageant d’un geste de la main, et vous, jeune Padawan, bien sûr… Lorana Jinzler, c’est bien cela ? Soyez tous deux les bienvenus.
— Trêve d’amabilités, Chancelier ! maugréa le Jedi en sortant une carte à mémoire de sa poche. Il ne s’agit pas d’une visite de courtoisie.
Le jeune homme se redressa soudain, les yeux brillants :
— Ne vous adressez pas au Chancelier Suprême sur ce ton !
— Tais-toi, sous-fifre ! répliqua C’Baoth. Sors d’ici et n’oublie pas tes fadaises bureaucratiques avec toi.
— Je ne tolérerai pas que vous vous adressiez au Chancelier Suprême sur ce ton ! répéta-t-il.
— Du calme, Kinman ! intervint Palpatine en se levant pour apaiser son employé. Je suis certain que Maître C’Baoth ne désire pas me manquer de respect.
Séparés par le large bureau, le Jedi et le Chancelier se jaugèrent un instant, les yeux dans les yeux, tandis que la tension montait brutalement dans la pièce. Puis, au grand soulagement de Lorana, son maître se résigna :
— Non, bien entendu, dit-il d’une voix encore plus polie.
— Vous voyez bien, sourit Palpatine à l’adresse du jeune homme. Vous n’avez pas encore rencontré mon nouvel assistant et conseiller, je crois, Maître C’Baoth ? Voici Kinman Doriana.
— Enchanté et honoré de faire votre connaissance, déclama le Jedi sur un ton qui ne laissait aucun doute quant à l’authenticité de ses propos.
— Moi de même, Maître C’Baoth, répondit Doriana.
C’est toujours un privilège de rencontrer l’un de ceux qui ont dédié leur vie à la sauvegarde de la République.
— Ça l’est également pour moi, reconnut Palpatine. Que puis-je faire pour vous, Maître C’Baoth ?
— Vous le savez très bien, grogna le Jedi.
Il se cala dans un siège sans y avoir été invité et déposa ses notes codées sur le bureau :
— En un mot : le Vol vers l’infini.
Le Chancelier invita Lorana à s’asseoir avant de faire de même.
— Naturellement, répondit-il d’une voix lasse. Que se passe-t-il donc, cette fois ?
— Ceci.
D’un geste de la main, le Jedi se servit de la Force pour faire glisser sa carte de données jusqu’au Chancelier Suprême.
— La Commission des Crédits du Sénat m’a une nouvelle fois coupé les fonds.
— Que voulez-vous que je vous dise, Maître C’Baoth ? soupira Palpatine. Je ne peux pas dicter au Sénat ce qu’il doit faire, encore moins contraindre ces obtus de la Commission des Crédits à se ranger à nos côtés.
— À nos côtés ? Il s’agit de notre projet, à présent ? Je me souviens d’une époque pas si lointaine où vous n’étiez guère enthousiaste.
— Peut-être devriez-vous vous concentrer plus intensément sur votre mémoire, répliqua le Chancelier, quelque peu agacé. C’est bien le Conseil Jedi, pas moi, qui a pris ses distances avec le Vol vers l’infini ces derniers mois. Pour tout dire, il me semble que Maître Yoda a même changé d’avis en ce qui concerne l’envoi de quelques Jedi pour accompagner cette expédition.
— Laissez-moi gérer cela avec Maître Yoda le moment venu. Pour l’heure, c’est vous qui tenez le destin de ce projet entre vos mains.
— Je vous rappelle que j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour vous soutenir. Vous disposez de vos vaisseaux – six cuirassés lourds flambant neufs, à peine sortis des usines de la Rendili Stardrive – de la zone centrale de stockage d’équipement et de réserves que vous désiriez, ainsi que de tunnels pour relier toutes ces unités, sans parler des passagers et de l’équipage, d’ores et déjà à l’entraînement sur Yaga Minor…
Le Jedi pointa du doigt la carte à mémoire que le Chancelier n’avait pas encore examinée :
— En réalité, je ne dispose pas encore de tous mes passagers, loin de là. Quelque stupide bureaucrate a jugé bon de modifier le profil requis ; ne sont désormais acceptés que les membres d’équipage, excluant ainsi les familles et autres colons potentiels.
— Une décision d’ordre budgétaire, selon toute vraisemblance, supposa Palpatine.
Après avoir inséré la carte dans un lecteur, il fit défiler négligemment les données devant lui.
— Il faudrait embarquer quantité de provisions supplémentaires pour toutes ces personnes.
— Cela reviendrait tout simplement à annuler le projet, rétorqua C’Baoth. Enfin, cela n’a pas de sens ! Envoyer à l’autre bout de la galaxie une expédition sans la moindre chance de s’établir une fois sur place !
— Peut-être est-ce là précisément le but de la Commission, hasarda calmement le Chancelier. La situation politique a considérablement évolué depuis que vous et le Conseil avez présenté ce projet.
— C’est pour cette raison que le Vol vers l’infini est capital. Nous devons absolument découvrir les menaces ou dangers susceptibles de surgir des Régions Inconnues pour nous envahir.
— Des dangers ? s’étonna Palpatine. Je croyais que le but du Vol vers l’infini consistait à rechercher de nouvelles formes de vie et à dénicher d’éventuels sujets sensibles à la Force au-delà de nos frontières ? Telles étaient en tout cas les raisons avancées lors du premier exposé de votre projet.
— Pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups ? s’entêta C’Baoth. Je pense même que le Sénat verrait d’un bon œil ce voyage, la sécurité générale ainsi mise en avant.
Palpatine secoua la tête, l’air dépité ; ses cheveux gris-blanc reflétaient la lumière qui inondait la pièce. Lorana se souvenait encore de l’époque où cet homme arborait une chevelure châtain, bordée de simples touches grisonnantes à hauteur des tempes. Cinq années passées à supporter le poids de la République sur ses épaules l’avaient fait vieillir prématurément.
— Je suis désolé, Maître C’Baoth. Si vous parvenez à convaincre le Sénat d’outrepasser le budget alloué, je serai ravi de vous soutenir. Je ne peux hélas rien de plus pour le moment.
— À moins, intervint Doriana, que Maître C’Baoth ne nous aide à résoudre la crise sur Barlok.
— Je ne peux rien faire de mieux, répéta le Chancelier en regardant fixement son assistant. Quoi qu’il en soit, le Conseil ne va pas l’envoyer dans le secteur Marcol alors qu’il y a tant à faire ici.
— Pas si vite, grogna C’Baoth. En quoi consiste l’obstacle, exactement ?
— Cela mérite à peine qu’on en parle, éluda Palpatine. Une simple dispute entre l’Alliance Inter-Corporations et l’un des gouvernements régionaux de Barlok à propos de droits miniers. Les deux Brolfi que vous avez croisés en arrivant étaient justement venus défendre leur cause et demander assistance pour la négociation d’un accord.
— Et vous n’avez pas aussitôt songé à moi ? répliqua C’Baoth, furieux. Je me considère comme insulté !
— Je vous en prie, Maître C’Baoth ! dit Palpatine en souriant. Je ne souhaite pas vous ajouter à la trop longue liste d’ennemis que je compte déjà sur Coruscant.
— Dans ce cas, je vous propose un marché ; si je parviens à résoudre ce petit accroc, ordonnez que les crédits initialement prévus pour le Vol vers l’infini soient rétablis.
Lorana remua dans son siège, mal à l’aise. Il lui semblait que c’était précisément ce genre de troc, fait à la va-vite et officieusement, qui rongeait lentement le concept de justice au sein du gouvernement de la République. Elle n’osa cependant pas soumettre cette idée à son Maître, encore moins en présence de Palpatine et de son assistant.
— Je ne peux rien vous promettre, prévint le Chancelier, ce d’autant moins que le Sénat est concerné. Cependant, je crois au Vol vers l’infini, Maître C’Baoth, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que votre rêve prenne corps.
C’Baoth resta silencieux un long moment et une fois encore, la jeune femme sentit la tension entre les deux hommes. Puis soudain, le Maître Jedi donna son accord :
— Entendu, Chancelier Palpatine, dit-il en se levant. Nous serons en route pour Barlok avant ce soir. Assurez-vous qu’à mon retour je dispose de mes fonds, ainsi que de mes colons.
— Je ferai de mon mieux, promit le Chancelier en souriant. Je vous souhaite une bonne journée, Maître C’Baoth, Padawan Jinzler.
Lorana attendit qu’ils soient sortis du bureau et engagés dans le large couloir avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres :
— Qu’entendiez-vous en parlant de notre départ avant ce soir ? Une telle mission ne doit-elle pas recevoir l’aval du Conseil ?
— Ne te soucie pas du Conseil, lui répondit sèchement le Jedi. À propos, tout à l’heure, quand nous sommes arrivés, tu as cédé le passage à ces deux Brolfi.
— Je n’allais tout de même pas leur rentrer dedans ! se justifia-t-elle.
— Cela ne se serait pas produit. J’avais évalué la distance qui les séparait. Aucun d’entre eux n’aurait eu à faire un pas de côté pour nous laisser passer.
— C’est pourtant ce qu’ils ont fait.
— Ils voulaient ainsi nous montrer leur respect. Comprends bien ceci, ma jeune Padawan. Un jour tu seras un Chevalier Jedi, avec tous les pouvoirs et toutes les responsabilités que cela implique. N’oublie jamais que nous sommes le ciment de cette République, au contraire de Palpatine ou du Sénat, de la bureaucratie et par-dessus tout de ces pauvres esprits fermés qui ne peuvent survivre une journée sans venir quémander de l’aide à Coruscant. Ils doivent apprendre à nous faire confiance et avant la confiance, nous devons leur inspirer le respect. Est-ce clair ?
— Je comprends que nous voulions être respectés, mais doit-on également inspirer la peur ?
— Le respect et la peur ne sont que les deux faces d’une même pièce de monnaie, que les citoyens honnêtes tiennent d’un côté et que ceux qui se vautrent dans l’illégalité tiennent de l’autre.
Et de lever un doigt pour attirer l’attention de la jeune femme :
— À aucun de ces groupes, tu ne dois paraître faible ou hésitante. Jamais.
Il rabaissa la main et tapota discrètement son sabre laser, fixé à sa ceinture.
— Il t’arrivera parfois de devoir cacher ton identité, alors tu dissimuleras ton arme ainsi que tout ce que tu es, mais, quand tu évolues en tant que Jedi, tu dois te comporter en Jedi. Systématiquement. Comprends-tu cela ?
— Oui, Maître C’Baoth, dit Lorana, pas vraiment convaincue par cette attitude.
Le Jedi la considéra un moment, comme s’il avait deviné ses doutes, puis à son grand soulagement, il finit par détourner le regard sans la questionner davantage.
— Très bien. Je me rends au Temple pour discuter avec le Conseil. De ton côté, prends la direction de l’astroport et organise notre voyage vers le système de Barlok, puis rassemble tes affaires.
— Pour combien de temps ?
— Pour une simple dispute à propos de droits miniers ? La durée de l’aller-retour, à laquelle tu peux ajouter trois jours standard. Je vais régler cela en un rien de temps.
— Oui, Maître.
— Nous verrons ensuite Maître Yoda à propos de ses craintes qui n’ont pas lieu d’être, ajouta-t-il comme pour lui-même en accélérant le pas.
Lorana s’arrêta un instant et remarqua que tous les messagers et employés de bureau qui se trouvaient sur le chemin du grand Maître Jedi aux cheveux blancs se hâtaient de lui céder le passage. C’Baoth, quant à lui, ne ralentit pas une seule fois, comme si cette faveur était on ne peut plus naturelle.
Quand tu évolues en tant que Jedi, tu dois te comporter en Jedi…
Elle poussa un profond soupir. Cette prétendue supériorité des Jedi sur le reste de la population ne lui paraissait pas une bonne chose.
Cependant, C’Baoth avait étudié avec attention depuis des années les subtilités et les mystères de la Force au fur et à mesure de son ascension, tandis qu’elle n’était qu’une jeune Padawan, au tout commencement de son long parcours. Elle serait malvenue de lui contester quoi que ce soit sur ces sujets, il était même de son devoir d’obéir en toute circonstance à son maître.
Après s’être dégagée du passage encombré d’une foule agitée, elle s’apprêtait à appeler une navette du Temple Jedi pour venir la chercher quand elle reconnut dans le couloir un visage familier.
Pétrifiée, son regard et ses sens de Jedi traversèrent la cohue qui les séparait. Elle avait déjà aperçu à plusieurs reprises ce jeune homme lors des dernières années, la plupart du temps en public, comme par exemple au Sénat. De taille moyenne, les cheveux très courts, il semblait jeune, sans doute quelques années de moins qu’elle, et arborait, comme souvent, un rictus vaguement amer. Elle n’avait jamais eu l’occasion de l’approcher suffisamment pour se rendre compte de la couleur de ses yeux, mais elle supposait qu’ils étaient sombres. Curieusement, elle avait chaque fois eu la sensation qu’il la regardait.
C’était d’ailleurs ce qui se produisait une fois de plus ; il l’observait discrètement du coin de l’œil, tout en faisant semblant de s’occuper d’un circuit électrique mural qu’il avait démonté. Elle l’avait souvent surpris en train de bricoler ce genre de choses très techniques, ou même parfois des circuits de droïdes, sans pour autant pouvoir préciser s’il s’y connaissait véritablement ou bien s’il se servait de cela pour justifier sa présence.
Elle avait tout d’abord cru à quelque coïncidence et même à présent, rien ne lui prouvait que ce n’était pas le cas une nouvelle fois. Au fil des années, à mesure que ses dons de Jedi s’étaient développés, elle était peu à peu parvenue à sonder son esprit, souvent au travers d’endroits bondés comme ce couloir. Elle perçut alors la même chose que les fois précédentes dans les pensées du jeune homme : un ressentiment amer, doublé de désillusion et de colère.
Dirigés contre elle.
L’aurait-elle blessé ou offensé dans un passé si lointain qu’elle ne s’en souvenait même plus ? Elle n’avait pour ainsi dire pas quitté le Temple Jedi depuis son enfance. Peut-être s’agissait-il alors d’un employé non-Jedi du Temple ? Alors, les instructeurs auraient rapidement réglé le problème s’ils avaient perçu une quelconque menace de sa part.
Soudain, il la fixa durement du regard, puis lui tourna délibérément le dos, se concentrant sur son travail. Déconcertée, Lorana l’observa un moment, ne sachant quelle attitude adopter. Devait-elle aller le voir pour lui demander des explications ? Ou bien était-il plus sage de se rendre tout d’abord au Sénat pour essayer d’en apprendre davantage sur son identité, tout en évitant une confrontation tant qu’elle n’en saurait pas plus ? Ou bien encore devait-elle oublier tout cela et reconnaître que leurs rencontres n’étaient que fortuites et sa colère dirigée contre les Jedi en général ?
Elle n’avait pas encore tiré de conclusion quand il referma le panneau électrique, rassembla ses outils, puis s’en alla. Après un dernier regard par-dessus son épaule, il disparut de la vue de la jeune femme.
Il n’y a pas de place pour les émotions, seulement pour la paix. Lorana avait appris ce dicton très tôt au cours de son apprentissage au Temple et avait toujours fait son possible pour l’appliquer dans la vie ; néanmoins, elle sut en cet instant que, tant qu’elle n’aurait pas résolu le mystère de cet étrange personnage, elle ne connaîtrait pas une tranquillité d’esprit totale.
Elle se rendit soudain compte qu’elle n’avait pas de temps à perdre, aussi s’empressa-t-elle de commander une navette pour la mener à l’astroport.
La porte se referma sur les deux Jedi ; un goût amer dans la bouche, Kinman Doriana ne quittait pas des yeux l’endroit où ceux-ci se tenaient quelques secondes plus tôt. Il avait en règle générale du mal à supporter les Jedi, leurs manières pompeuses, leur arrogance ainsi que cette façon de paraître si sûrs d’eux qui confinait à l’indécence. Jorus C’Baoth atteignait des sommets dans tous ces domaines.
— Tu ne l’aimes vraiment pas, dirait-on ? demanda calmement Palpatine.
Son assistant s’empressa de reprendre une expression plus neutre.
— Veuillez m’excuser, Monsieur.
Ce n’était pas une bonne chose de laisser affleurer ses sentiments personnels, quels qu’ils soient, d’autant plus s’ils concernaient des Jedi.
— Je pense simplement, reprit-il, qu’avec toutes les difficultés auxquelles la République doit faire face, il serait plus judicieux de reléguer un tel projet dans le dernier tiers de notre liste de priorités. Or, Maître C’Baoth insiste pour que vous interveniez personnellement…
— Sois patient, Kinman. Tu dois apprendre à laisser les gens exprimer leurs émotions. Le Vol vers l’infini est l’affaire de Maître C’Baoth. Même s’ils ne trouvent rien de valeur là-bas, la nouvelle de l’expédition pourrait être judicieusement exploitée pour enflammer l’imagination des peuples de la République.
— Oui, s’ils l’annoncent un jour. D’après les derniers échos, le Conseil Jedi garde toujours ce projet dans un secret absolu.
— Ils ont certainement de bonnes raisons.
— Peut-être…
Le conseiller hésita un instant, avant de poursuivre :
— J’aimerais m’excuser, Monsieur, au sujet de mon intervention intempestive, tout à l’heure.
— Ne t’en fais pas, le rassura Palpatine. C’était une proposition intéressante. Maître C’Baoth est un négociateur hors pair, c’est exactement ce qu’il nous faut pour résoudre la crise qui sévit à Barlok. J’aurais dû y songer moi-même. Pour être tout à fait honnête, il me convient très bien de l’éloigner une ou deux semaines de Coruscant. Je vais ainsi réfléchir plus calmement à la façon de convaincre la Commission des Crédits de restaurer les fonds du Vol vers l’infini.
— Tout comme vous allez tenter de persuader le Conseil de lui fournir autant de Jedi qu’il le désire ?
— Je ne peux rien faire à ce sujet. Si c’est ce qu’il veut, C’Baoth devra lui-même persuader Yoda et Windu.
— Entendu, Monsieur. Enfin… Peut-être remplira-t-il si bien sa mission sur Barlok qu’ils n’auront d’autre choix que de céder à ses exigences ?
— Ou alors ne capituleront-ils que pour se débarrasser de lui, dit Palpatine sur un ton dur. Il est aussi obstiné avec eux qu’avec moi. Quoi qu’il en soit, cette question est entre ses mains, à présent. À propos, quand pars-tu ?
— Ce soir. J’ai un vaisseau réservé ; tous les documents nécessaires sont prêts. Je n’ai plus qu’à passer chez moi récupérer quelques affaires personnelles et je pourrai partir.
— Parfait ! Tu peux te retirer dès maintenant, je n’ai plus besoin de tes services aujourd’hui.
— Merci, Monsieur. Je vous tiendrai informé des résultats de mes diverses rencontres.
— C’est cela. Et n’oublie pas : les cartes de données doivent être remises en main propre au gouverneur Caulfmar.
— Oui, j’ai bien lu vos instructions. En outre, si tout se déroule dans les délais prévus, je resterai un jour supplémentaire afin de tenter de démasquer le traître sur ses terres, avec votre permission, bien entendu.
— Accordé. Fais bien attention, cependant ; on m’a rapporté que le mécontentement allait grandissant dans ce secteur.
— Ce genre de rumeur se retrouve partout, de toute façon, dit Doriana. Tout ira bien.
— Je l’espère. Prends garde et reviens vite.
Le jeune homme consacra les vingt minutes du trajet qui le conduisait chez lui, vers les Tours du Troisième Cercle, au nord-est du complexe du Sénat, à relire ses notes et à passer quelques appels, puis à affiner les inévitables détails de dernière minute. Le taxi le déposa sur l’aire d’accostage du deux cent quarante-huitième étage, puis il emprunta l’ascenseur pour descendre les dix étages qui le séparaient encore de son appartement, dans lequel il s’engouffra enfin, avant de s’enfermer à double tour.
Il avait prétendu devoir encore préparer ses bagages, en réalité, ceux-ci se tenaient déjà en ordre dans le salon, prêts à être embarqués. Il s’assit au bureau disposé dans un coin de la pièce, sortit du double fond d’un des tiroirs du meuble un holoprojecteur, qu’il brancha sur son ordinateur. Il entra le mot de passe, une simple combinaison de douze lettres et de dix-huit chiffres, puis patienta.
Comme toujours, l’attente ne fut pas longue. Il ne s’écoula guère plus de trois minutes avant que le visage encapuchonné de Dark Sidious n’apparaisse au-dessus de l’appareil.
— Parle, ordonna-t-il de sa voix éraillée.
— Le Maître Jedi C’Baoth est en route pour Barlok, Seigneur. Il sera sur place d’ici à trois ou six jours, selon le mode de transport.
— Parfait, tu n’auras donc aucune difficulté à y parvenir avant lui ?
— Aucune, Seigneur. Mon vaisseau est plus rapide que ceux que les Jedi peuvent s’offrir. De plus, le Maître doit, dans un premier temps, se rendre au Temple Jedi pour obtenir une autorisation officielle, alors que je suis quant à moi d’ores et déjà prêt à partir. Tout le travail préparatoire est effectué.
— Il devrait donc subir une réception plutôt agitée, dit Sidious, un sourire de satisfaction sur les lèvres. Et qu’en est-il du Chancelier Palpatine ? Es-tu certain qu’il ne remarquera pas ta petite escapade ?
— Je me suis ménagé quelques temps morts dans mon programme. Je peux rester trois jours sur Barlok sans prendre de retard. Si les choses traînent, je m’arrangerai pour assister à quelques-uns de mes rendez-vous par holo-conférence depuis Barlok ou ailleurs, sans être contraint de me rendre dans les systèmes concernés.
— Parfait, une fois de plus, approuva Sidious. Parmi les nombreuses personnes qui sont à mon service, peu font preuve d’autant d’intelligence et de subtilité que toi.
— Merci, Seigneur !
Doriana se sentit submergé par une vague de chaleur ; Dark Sidious, Seigneur Noir des Sith, était plutôt avare de compliments.
— Ce sera un immense plaisir d’écarter Jorus C’Baoth de notre chemin, continua ce dernier. Tout se déroule selon mes plans.
— Oui, Seigneur. Je vous tiens au courant dès notre victoire établie.
— Assure-toi cependant de cette victoire, rappela le Seigneur Sith d’un ton sévère qui refroidit soudain l’allégresse de Doriana. À présent, au travail, mon jeune ami.
— Oui, Seigneur.
L’hologramme s’évanouit et Doriana éteignit son matériel avant de le replacer dans sa cachette. En effet, songea-t-il en se dirigeant vers ses bagages, la punition du Seigneur Sith serait sévère s’il échouait, tout autant que celle qu’il subirait de la part du Chancelier Palpatine si celui-ci découvrait qu’il abritait un traître dans son propre bureau.
Les récompenses étaient cependant à la hauteur des risques pris, comme en attestaient son appartement, sa situation et son influence. Le jeu en valait largement la chandelle, sans compter qu’il y prenait un grand plaisir.
Il appela un taxi pour le conduire à l’astroport, puis se dirigea vers l’ascenseur, ses sacs à la main.
La porte du Conseil Jedi s’ouvrit dans un glissement discret.
— Entre, dit le Maître Jedi Mace Windu.
Obi-Wan Kenobi obtempéra tout en se demandant pourquoi il avait été convoqué, puis s’avança.
Il s’arrêta net, stupéfait. Lorsque l’on était appelé dans la Salle du Conseil Jedi, on s’attendait légitimement à en voir les membres au grand complet, mais à part Windu, debout près de la baie vitrée, le regard perdu sur la ville, la pièce était déserte.
— Non, tu ne t’es pas trompé d’endroit, sourit Windu en se tournant vers lui. Je dois te parler.
— Certainement, Maître Windu, répondit le Jedi en s’approchant. Est-ce à cause d’Anakin ?
— Non. Pourquoi ? Qu’a donc encore commis le jeune Skywalker ?
— Rien. Rien d’important, en tout cas, mais vous savez comment sont les jeunes Padawan de quatorze ans.
— Forts, effrontés et immensément naïfs, dit Windu, amusé. Je te souhaite bien du courage avec lui !
— Je n’en manque pas.
— Ce n’est qu’une façon de s’exprimer. Dis-moi, as-tu entendu parler du projet nommé Vol vers l’infini ?
— Je ne crois pas, répondit Kenobi après un instant de réflexion.
— Il s’agit d’une mission d’exploration et de colonisation particulièrement ambitieuse. Six cuirassés lourds reliés les uns aux autres autour d’une zone centrale de stockage d’équipement et de réserves, à destination des Régions Inconnues, puis de là, vers une autre galaxie.
Obi-Wan écarquilla les yeux. Vers une autre galaxie ?
— Non, je n’ai pas connaissance d’un tel projet. Quand le départ est-il prévu ?
— En réalité, tout est prêt, à l’exception de quelques détails à régler, comme l’assemblage final et la liste des passagers, pas encore définie.
— Qui en est responsable ? Le Sénat ?
— En théorie, cette idée émane du Conseil, mais elle est en fait l’œuvre de Maître C’Baoth.
— Jorus C’Baoth, ce personnage si imbu de lui-même ? Cependant la nouvelle n’a pas été annoncée sur les réseaux d’information Holo ? Incroyable.
— Tu ne devrais pas parler ainsi d’un Maître Jedi.
— Ai-je tort ?
Windu haussa légèrement les épaules, avant d’expliquer :
— Le fait est que toutes les personnes concernées de près ou de loin par le Vol vers l’infini ont eu de bonnes raisons de ne pas le divulguer au grand public. Le Chancelier Palpatine a sans doute pensé que l’opinion ne verrait pas d’un très bon œil une entreprise si ruineuse, alors que tant d’autres obligations méritent son attention. Il en a sans doute été de même pour Ditto, du Sénat, qui a fourni les cuirassés lourds. Quant au Conseil, nous avions également nos propres raisons.
— Laissez-moi deviner, intervint Obi-Wan. C’Baoth espère découvrir grâce à ce voyage ce qui est arrivé à Vergere.
Windu se retourna, surpris :
— Tu es de plus en plus perspicace, Obi-Wan !
— J’aimerais le penser, mais j’ai encore du chemin à parcourir. Anakin et moi-même n’avons jamais su l’entière vérité quant à sa disparition. Pire, nous n’avons pas même été capables de la retrouver quand nous nous sommes rendus sur les lieux. Peu importe ce que désire réellement C’Baoth, je veux connaître le fin mot de cette histoire.
— Du calme, Obi-Wan. Tu ne dois pas laisser tes émotions interférer sur tout ceci.
— Excusez-moi, dit Kenobi en s’inclinant.
— Les émotions sont nos ennemies, poursuivit Windu. Les émotions de toutes sortes. Les tiennes tout comme celles de C’Baoth.
— Vous pensez que Maître C’Baoth tient ce projet trop à cœur ?
— Pour ne rien te cacher, je ne sais pas ce qui lui prend. Il insiste pour que nous envoyions de nombreuses forces dans les Régions Inconnues afin de retrouver Vergere et de la ramener, ce qui est louable, puis il suggère le transfert de nos meilleurs Jedi là-bas, prétextant ainsi les soustraire à la politique de Coruscant, la République étant selon lui au bord du gouffre.
— Vous n’y pensez pas une seule seconde, je suppose ? s’inquiéta Obi-Wan. Nous sommes assez déployés en l’état actuel.
— La plupart des membres du Conseil seraient d’accord avec toi, malheureusement, la majorité pense également que la trace de Vergere est si froide qu’elle serait impossible à retrouver. Quant à ceux qui gardent espoir, une enquête leur paraît toujours nécessaire, avec plus de moyens que ceux dont tu as disposé, loin toutefois de ceux que réclame C’Baoth. L’ennui est que celui-ci est le seul à véritablement croire au Vol vers l’infini.
— Pensez-vous qu’il irait jusqu’à défier le Conseil si vous décidiez d’annuler ce projet ?
— C’est possible, en effet, concéda Windu.
Songeur, Obi-Wan se tourna quelques instants vers la vue splendide, puis demanda enfin :
— Que le Conseil m’ordonne-t-il de faire, en ce cas ?
— À cette heure, Maître C’Baoth et sa Padawan, Lorana Jinzler, sont en route pour l’astroport. Apparemment, le Chancelier Palpatine a évoqué des négociations enlisées sur Barlok et C’Baoth est parvenu à convaincre le Conseil de l’envoyer régler ce différend.
— Est-ce un problème d’importance ?
— Suffisamment. L’Alliance Inter-Corporations contre le gouvernement local. Comme tu le sais, tout accroc concernant ces guildes fait du bruit, ces derniers temps.
Songeant qu’il était légitime d’avoir envoyé le Maître Jedi jouer les médiateurs, Obi-Wan acquiesça :
— Oui. Qu’attendez-vous de moi ?
Le visage de Windu se crispa quelque peu :
— Nous voulons que tu le suives sur Barlok et que tu le surveilles.
— Moi ? s’exclama Obi-Wan, stupéfait.
— Oui, je sais, mais tu es ici et disponible. De plus, Skywalker a paru bien s’entendre avec lui quand ils se sont rencontrés. Tu dois pouvoir justifier ta présence par le désir de montrer à ton Padawan un exemple de négociation Jedi.
— Vous pensez vraiment que C’Baoth va avaler cela ?
— Probablement pas, en effet, mais si tu ne te rendais pas là-bas, ce serait à moi-même ou à Yoda de le faire. Je te laisse imaginer la situation explosive qui en résulterait.
— Vous avez raison. Nous sommes actuellement en attente d’une mission et c’est vrai, Anakin a été plutôt impressionné par le caractère bien trempé de Maître C’Baoth. Un peu d’adoration juvénile ne peut que le calmer.
— Peut-être. Quoi qu’il en soit, un vaisseau se tient à votre disposition à l’astroport.
— Pas d’autre instruction que de simplement le surveiller ?
— Pas vraiment, répondit Windu.
Et de laisser son regard s’égarer sur l’horizon de béton, avant de reprendre, une légère moue sur le visage :
— Il se passe quelque chose d’autre, cependant. Quelque chose qu’il cache profondément en lui, mais que je n’ai pas pu découvrir. Peut-être des pensées privées, ou encore une idée précise… je ne sais pas. Quelque fait obscur, en tout cas.
— Entendu, dit Obi-Wan. Je ne manquerai pas de prêter une grande attention à cela.
Windu lui lança un de ces regards amusés et emplis de sagesse dont seuls les Maîtres Jedi semblaient capables :
— Et tiens-moi au courant.