III
PETITS PONTS
ET AMORTIS DE LA POITRINE

« Je ne soupçonnais pas la force d’inertie qui pèse sur les décisions, la tentation de faire comme d’habitude ou comme avant. Vous me direz, c’est tout ce que Nicolas Sarkozy déteste. C’est vrai lui, il suffit qu’on lui dise qu’il ne peut rien faire pour qu’il bouge ! »

Catherine Pégard, conseillère du président.
Interview Le Monde, 27 octobre 2009.

On a beaucoup écrit (tous les jours, on vient de le voir !) sur l’hyperprésident, sur son activisme forcené, sur la concentration des pouvoirs, sur le rythme infernal qu’il imprime à la politique française, aux parlementaires qui ne peuvent pas légiférer aussi vite qu’il annonce, aux commentateurs de la vie politique qui ne peuvent pas analyser, décortiquer les rafales de réformes, qui ne peuvent pas en évaluer les véritables effets. Parce que le président agit : il bouge, il parle, il commande, il commente, il discourt. Il est en mouvement. Il nous met tous dans son essoreuse à idées. On en ressort groggy. L’action, l’hyperaction, donc. Mais pour faire quoi ? Pour appliquer le sarkozysme. Le président l’explique lui-même, il faut tout faire à la fois. Se lancer dans une réforme tous azimuts car, quoi que vous fassiez, en France, la pression est la même. Une réforme à la fois et c’est la pression sociale, le poids de tous les « conservatismes », qui pèsent et restreignent les velléités de changement. Il faut donc mener de front l’ensemble du programme de réformes, dans tous les domaines. La pression ainsi répartie est moins forte sur chaque chantier. Nicolas Sarkozy fait volontiers le parallèle entre sa méthode et celle des architectes qui construisent les fondations d’un immeuble. Plutôt que de concentrer la pression sur trois ou quatre piliers, ils la répartissent sur une multitude de petits piliers. Chacun d’entre eux supportera un poids beaucoup plus faible car bien réparti. Le raisonnement est limpide : il ne faut jamais s’arrêter, ne pas hésiter à ouvrir des chantiers à foison, à multiplier les piliers de soutènement. L’image est habile, le raisonnement, efficace, mais il est réversible : si chaque pilier subit une pression minimale, c’est qu’il ne soutient pas grand-chose, c’est que la réforme qui repose sur chaque pilier est d’une faible ampleur, ni lourde ni vaste. Certes, l’ensemble permet au bâtiment de tenir debout, mais grâce à une multitude de petites réformes d’ajustement. Loin de toute « rupture ».

 

On pourrait peut-être s’arrêter un moment et se retourner, juste le temps de se demander ce qu’est vraiment le sarkozysme. On y verrait que ce n’était pas grand-chose, et l’on constaterait que ce n’est presque plus rien. Alors si ce n’est rien, pourquoi en parle-t-on autant ? Parce que nous nous trouvons, nous les commentateurs de la vie politique, dans la situation dans laquelle seraient nos confrères commentateurs sportifs s’ils assistaient à un match de foot au cours duquel le joueur vedette de l’équipe de France monopoliserait la balle pour faire des figures incroyables. Des dribbles acrobatiques suivis de petits jonglages habiles du genou à la tête et de la tête à la pointe du pied. Il faudrait commenter tout ça, s’extasier, applaudir la dextérité de l’artiste, la précision du jongleur, ou bien dénoncer en permanence la frime, le jeu perso et la monopolisation de la balle. Bref, parler de lui, de celui qui fait le jeu. Et puis constater à la mi-temps (nous y sommes) qu’il n’y a toujours pas de but marqué. Rien.

Sarkroniquer c’est bien souvent commenter une vaste gesticulation, un spectacle d’artifice. Catherine Pégard, ancienne journaliste au Point devenue conseillère auprès du président, ne se rend sans doute pas compte qu’elle dit exactement la même chose que ce que je viens de décrire par ma lourde métaphore sportive quand elle affirme : « Il suffit qu’on lui dise qu’il ne peut rien faire pour qu’il bouge ! » Vous aurez remarqué qu’il suffit qu’on lui dise qu’il ne peut rien faire, non pas pour qu’il fasse… mais pour qu’il bouge ! Le mouvement perpétuel en guise d’action, ou plutôt l’action continue en guise de résultat.