CONCLUSION
NI RUPTURE, NI DICTATURE
« Ce n’est rien » ne veut pas dire que rien n’a été fait. Seulement, ce qui a été fait n’est ni un drame antirépublicain ni la modernisation de la vie politique promise. En guise de réforme d’avenir et de courage politique, nous vivons le retour d’une droite bonapartiste, colbertiste et centralisatrice qui se donne des airs de XXIe siècle en communiquant avec les outils de notre époque. La fin de l’affichage libéral – du fait de la crise – permet à Nicolas Sarkozy d’exceller dans la réforme (mais les maintient) des structures de l’interventionnisme d’un capitalisme d’État ultraclassique : refonte des cartes militaire, hospitalière, judiciaire, découpage électoral autoritaire, refonte de la fiscalité locale, puis des collectivités locales dans un ordre qui prouve que l’on renoue avec la déconcentration plutôt que de renforcer la décentralisation amorcée au début des années quatre-vingt.
« CE N’EST RIEN » PARCE QUE CE N’EST PAS ÇA
« Je veux une République irréprochable, le président de la République c’est l’homme de la nation, ce n’est pas l’homme d’un parti, ce n’est pas l’homme d’un clan. Je veux donner à chacun sa chance. Je veux être le président de tous les Français. Je veux que tous sachent que dans mon esprit comme dans mon cœur, ils ont une place, ils ont un avenir. Je veux que les nominations soient irréprochables, je veux que le Parlement ait d’avantage de pouvoir, je veux que les ministres soient moins nombreux, quinze au maximum, et qu’ils rendent des comptes et qu’ils s’engagent sur des résultats. Je veux défendre la Ve République mais je veux changer la pratique de la république : plus de simplicité, plus de proximité, plus d’authenticité. Au fond, je souhaite, si vous me faites confiance, être le président d’une démocratie qui sera exemplaire au regard du monde. »
Nicolas Sarkozy, spot de campagne, avril 2007.
Relire ces phrases, c’est se dire que la vraie présidence de Nicolas Sarkozy n’a toujours pas commencé… Ou alors qu’il y a maldonne. Relire ces phrases, c’est comme relire en 1997 le fameux « je réduirai la fracture sociale » de Jacques Chirac en 1995. Les présidents de la République française sont-ils réduits à l’impuissance ? Sont-ils obligés, pour se faire élire, de promettre du rêve, des chimères ? Si l’on peut admettre, à la limite, que les candidats découvrent, lorsqu’ils accèdent à l’Élysée, que leur volonté, leur énergie, le vent politique qui les ont propulsés ne sont pas de taille à déplacer la montagne des habitudes et l’inertie de notre société, il est des domaines où les changements seraient tout à fait possibles avec un minimum de courage et de volonté politique. Tout ce qui concerne la gouvernance – « plus de simplicité, plus de proximité, plus d’authenticité » –, c’est-à-dire plus de dialogue, le respect de la séparation des pouvoirs et la prise en compte des contre-pouvoirs… Une république moderne, une démocratie transparente et des débats non instrumentalisés, la recherche du contrat plus que de l’affrontement politique classique. Tout ça, c’était possible et cela aurait constitué une vraie révolution, l’entrée de la politique française dans le XXIe siècle, le siècle où internet et la fluidité de l’information transforment les citoyens en acteurs quotidiens de la démocratie. Pour l’instant, Nicolas Sarkozy a loupé le coche de la modernité. En ne modernisant que les outils de sa communication sans rénover la façon de faire de la politique, il est vite apparu comme le dernier président du XXe siècle, un immobile qui s’agite sur place, un Chirac en sueur. En confondant volontairement, et pour des motifs politiciens plutôt que politiques, le consensus avec le tabou, le président a déclenché des réactions épidermiques et surdimensionnées. Des réactions outrancières qui, en réalité, le servent et dont il use, dans le cadre de sa campagne permanente. On en a encore eu un exemple frappant avec ce débat sur l’« identité nationale » lancé en octobre 2009. Là encore, des valeurs et des concepts fondateurs de notre pays sont manipulés avec une légèreté coupable. Il apparaît que le sarkozysme est une bonne méthode pour conquérir le pouvoir, plus qu’une solution pour réformer le pays. On l’a vu, la plupart des idées avancées lors de la campagne ne sont pas mises en œuvre, ou de façon cosmétique. La plupart des réformes sont des ajustements conjoncturels plus que des bouleversements fondamentaux. La distorsion entre un discours toujours plus péremptoire, volontariste, et l’absence de résultats concrets significatifs est à son comble. Dans bien des cas, ceux qui s’inquiétaient pour les fondements de notre république devraient plutôt se féliciter d’une telle impuissance. Pour ce qui est de la non-modernisation de la pratique politique, on ne peut que le déplorer. Mais le sarkozysme reste fondamentalement une énergie, l’énergie d’un homme. Pour l’instant, cette énergie a surtout servi à faire accéder son détenteur au pouvoir. Elle pourrait, si le président daignait, dans la seconde partie de son mandat, relire sa déclaration d’avril 2007 et enfin s’en inspirer, sauver son passage à l’Élysée.
Paris, décembre 2009.