XV
BANALEMENT DE DROITE
« Pour une vigilance républicaine »
Appel du 14 février 2008, Marianne.
Nicolas Sarkozy est de droite ! Il aime les patrons, il glorifie la réussite matérielle, il prononce des phrases frappées au coin du bon sens version Les Veillées des chaumières du genre « quand on veut, on peut » ou « il n’y a pas de sot métier ». Il croit d’abord que quand on est riche, c’est qu’on l’a certainement mérité. Ou que les parents l’ont mérité ! Il pense qu’il y a « les Français qui se lèvent tôt » et les fonctionnaires, que si « les Ricains n’étaient pas là, nous serions tous en Germanie », que Mai 68 a fait une génération de « je-m’en-foutistes », que « le train ça pue » (réponse faite à l’un de ses collaborateurs qui lui suggérait le train plutôt que l’avion privé pour aller à Tours pendant la campagne présidentielle)… que la répression, ça vaut mieux que la prévention. Il n’est pas pour autant d’essence pétainiste. Bref, il est d’une droite parfois un peu caricaturale et décomplexée, très Hauts-de-Seine à la sauce Balkany.
Il ne réforme pas notre pays de fond en comble, il ne modernise pas, il adapte les vieux instruments : il excelle dans la réforme des attributs classiques de la droite colbertiste française, de la droite interventionniste. Il adapte de façon efficace et utile à notre temps les cartes judiciaires, hospitalières ou militaires. Rien de révolutionnaire. Donc, à la question grandiloquente et dramatique d’Alain Badiou : « De quoi Sarkozy est-il le nom ? », la réponse n’est ni la barbarie ni la peste. Elle est d’une simplicité biblique : Sarkozy est le nom de… Nicolas, digne successeur de Jacques Chirac.
L’analyse paranoïaque d’Alain Badiou rencontre finalement un certain écho, parce qu’il n’est pas simple de la réfuter d’un revers de main. Son crédit est alimenté par le flou idéologique et le halo vaporeux de la « pensée » sarkozienne. Disons plutôt du discours de Nicolas Sarkozy. Dans ce discours, il y a tout et son contraire. Mais ce rien, ou presque, n’est pas le fruit du hasard. Il s’agissait, pour le candidat Sarkozy, d’embrasser tout ce que la droite pouvait charrier et de l’incarner avec un souci d’annexion de la plus grande partie possible du territoire idéologique encore non estampillé socialiste. Il fallait pouvoir être entendu et apprécié des libéraux et des autoritaires, des chrétiens et des nationalistes, des modérés et des centristes, des radicaux, des amateurs d’un grand soir conservateur, de ceux qui croient au « bon sens » en politique, et de « celui qui croit au ciel et de celui qui n’y croit pas », aurait dit Aragon.
L’objectif est louable puisqu’il s’agit de rassembler la droite. Mais le rassemblement ne peut pas s’opérer par une synthèse de tous les courants de la droite. Ce serait anesthésiant. Il faut donc, sinon synthétiser, au moins arriver à tenir tous les discours successivement, parfois même en une seule fois comme le 14 janvier 2007 – lors du discours de la porte de Versailles qui fut le lancement de sa campagne présidentielle –, sans avoir l’air de se contredire. C’est à Emmanuelle Mignon, normalienne et major de l’ENA, jeune collaboratrice de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, que le futur président demande de fabriquer un programme un soir de printemps 2004. À l’UMP c’est pratique, il n’y a pas de processus démocratique pour mettre au point les propositions. Le chef décide, le parti avalise de toute façon. Exactement l’inverse du fonctionnement du PS où personne ne peut décider et où, finalement, c’est une synthèse illisible qui est laborieusement approuvée, après des nuits de discussion entre représentants des courants et autres écuries pré-présidentielles. Selon le joli mot inventé par Laurent Fabius pour décrire François Hollande, premier secrétaire avant le funeste congrès de Reims : « Quand un socialiste dit qu’il est 6 heures du soir, il en est forcément un autre pour contester et affirmer qu’il est 6 heures du matin… Le premier secrétaire tranchera : “OK, on est d’accord, il est 6 heures.” » Pas de ça à l’UMP. Nicolas Sarkozy donne l’heure et chacun règle sa Casio sur la Rolex du chef.
Donc Emmanuelle Mignon avoue avec un naturel désarmant, dans l’une des rares interviews qu’elle a accordées 1, que son patron ne lui avait donné qu’une seule consigne pour établir le projet présidentiel : « Abordez tous les sujets. » Deux cent cinquante experts ont été consultés, les caciques de l’UMP représentant les anciens du RPR et des divers partis de l’UDF ont été marginalisés. Emmanuelle Mignon avait toute latitude pour concevoir un projet et n’avait à en référer qu’à Nicolas Sarkozy, qui tranchait les différents points. Simple et efficace, à défaut d’être très démocratique, mais la droite était à la recherche d’un « leadership » en même temps que de renouveau idéologique. Emmanuelle Mignon avait pour mission de « recréer du débat politique ». La jeune surdiplômée catholique explique que c’est sur le thème de l’immigration que l’idée de « rupture » est apparue. Ce thème illustre bien la recherche de réponses propres à « faire bouger les lignes ». Un discours ferme avec des mots qui provoquent les consciences de gauche : « l’immigration choisie » (un concept de plus qui sera abandonné en cours de route), l’accolement provocateur des mots « identité » et « immigration » avec l’idée née dans le cerveau de Patrick Buisson d’un « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale », les objectifs chiffrés de reconduite à la frontière des clandestins. Et, en même temps, des propositions plus novatrices ayant déjà l’apparence de l’ouverture : le rappel de la suppression de la double peine en 2003, la discrimination positive, Rachida Dati comme porte-parole de la campagne. Les innombrables sondages qualitatifs viendront confirmer ou infirmer les intuitions d’Emmanuelle Mignon 2.
« Là où il y a une volonté, il y a un chemin », disait Lénine. La citation est devenue un lieu commun du discours politique qui veut consacrer le volontarisme. Nicolas Sarkozy pallie l’absence de cohérence de son propos par l’énergie qu’il dégage. On voit vaguement où il veut aller, mais ce que l’on voit surtout c’est qu’il veut absolument y aller et qu’il y mettra toutes ses forces. C’est, nous dit-on, le retour de la force de caractère après des années de fatalisme et de « on a tout essayé ».
1 Interview d’Emmanuelle Mignon par Frédéric Martel et Martin Messika, décembre 2007, publiée par nonfiction.fr le 7 janvier 2008. ↵
2 Voir le chapitre VI. ↵