I
SARKRONIQUEUR
« En fait, tu n’es pas chroniqueur politique ! Tu n’es qu’un “Sarkroniqueur” ! »
Félix, mon fils, fin juin 2009.
« Sarkroniqueur ! » me lance mon fils ce soir de juin en lisant, par-dessus mon épaule sur l’écran, l’édito du lendemain que je peine à finir. Encore un édito sur Nicolas Sarkozy ! En cette fin de première saison, je claviotte sur mon ordinateur portable l’analyse d’une énième promesse à moitié tenue, d’une concentration de pouvoir de plus, d’un coup médiatique particulièrement gonflé ou d’une « rupture » qui n’aura pas lieu. J’essaie, encore une fois, de suivre le rythme que le président imprime à la vie politique française. Je suis essoufflé, comme si j’avais voulu lui emboîter le pas dans l’un de ses fameux joggings. Enfin, de l’un de ses fameux joggings d’avant le jogging de trop de la fin juillet 2009.
« Nicolas Sarkozy ». Combien de fois ai-je écrit, puis prononcé à l’antenne, ce nom propre en quelque deux cents « papiers » sur France Inter ? Il faut prendre la mesure de l’invasion, évaluer l’accaparement, comme on constate un dégât des eaux longtemps resté invisible sous un papier peint. Je décide de lancer une recherche sur Word. J’ouvre mon dossier « Kro-Inter » qui regroupe toutes mes chroniques et clique sur « recherche »… le mot-clé « Sarkozy » apparaît dans cent quatre-vingt-douze chroniques sur les deux cent cinq écrites entre septembre 2008 et début juillet 2009 ! Je recommence l’exercice dans le dossier « Kro-RTL » qui contient les vingt-cinq éditos de l’été 2008 que j’assurais pendant les vacances avant de venir à France Inter. « Sarkozy » apparaît dans vingt d’entre eux, les cinq autres étant consacrés au conflit entre la Russie et la Géorgie ou à d’autres sujets « étrangers » qui faisaient l’actualité de cet été-là. Donc, faisons les comptes : depuis août 2008, sur un total de deux cent trente papiers, deux cent douze contiennent le mot « Sarkozy » au moins une fois ! Cela ne veut pas dire que le président est le thème principal à chaque fois, mais dans tous les sujets consacrés à l’opposition, par exemple, il est bien sûr question de la meilleure stratégie pour contrer le président ou de l’échec du PS à s’opposer efficacement au chef de l’État, ou bien encore de l’attitude de Ségolène Royal ou de Martine Aubry vis-à-vis d’une annonce de plus faite par l’Élysée. Sur ma lancée statistique, et à titre de comparaison, je renouvelle l’opération d’épistémologie de bazar avec le mot-clé « Fillon ». Un mot peu usité qui signifie Premier ministre. Le résultat est aussi éloquent qu’un cours de science politique sur l’évolution de nos institutions sous l’influence conjuguée du quinquennat et du style présidentiel de Nicolas Sarkozy… treize sur France Inter, un sur RTL ! Mon fils a raison, je suis devenu un « sarkroniqueur », et je ne suis pas le seul !