QUAND LES ARBRES ONT DES DENTS (1968)
Nombreux sont les écrivains qui personnifient les animaux, mais seul un animiste comme Silverberg pouvait inventer cette histoire belle et amère, dans laquelle les végétaux se montrent plus sensibles que les humains.
De la demeure dressée au sommet abrupt et grisâtre de Dolan’s Hill, Zen Holbrook voyait tout ce qu’il fallait : les bosquets d’arbres à suc dans la vallée étalée, le ruisseau rapide où sa nièce Naomi aimait se baigner et, plus loin, le vaste lac aux eaux immobiles. Il distinguait en outre la zone que l’on pensait infectée dans le secteur C, à l’extrémité nord de la vallée, et où – mais n’était-ce pas son imagination ? – les feuilles bleu lustré paraissaient déjà mouchetées d’orange par la maladie de la rouille.
Si c’était pour son monde le commencement de la fin, c’était là le point de propagation.
Il se tenait derrière la fenêtre claire, au verre incurvé, du centre d’information, en haut de la maison. C’était le petit matin. Deux pâles lunes restaient suspendues dans le ciel que rayait l’aube, mais le soleil s’élevait derrière la région des hauteurs. Naomi, déjà levée et active, barbotait dans le ruisseau. Les écrans de balayage et les sondes lui présentaient des vues éloignées de tous les points clés. Le buste incliné, Holbrook promena ses gros doigts sur les boutons de commande et activa les écrans de relais de part et d’autre de la baie. Il possédait 40 000 arpents d’arbres à suc – une fortune en termes de production, bien que son avoir fût réduit et ses traites énormes. C’était son royaume, son empire. Il examina le secteur C, son préféré. Oui. L’écran révélait les longs alignements d’arbres, hauts de cinquante pieds, dont les branches noueuses s’agitaient sans cesse. C’était la zone de danger, le secteur menacé. Holbrook scrutait le feuillage. Se rouillait-il déjà ? Les comptes rendus du laboratoire lui parviendraient bientôt. Il étudia les arbres, vit l’éclat de leurs yeux, le luisant de leurs dents. De bons arbres dans ce secteur. Alertes, intéressés, bons producteurs.
Ses arbres favoris. Il aimait jouer avec lui-même un petit jeu, accordant aux arbres des personnalités, des noms, des identités. Ce n’était pas difficile d’ailleurs.
Holbrook mit en marche l’émetteur.
— Bonjour, César, dit-il. Bonjour, Alcibiade, Hector, Platon !
Les arbres connaissaient leurs noms. En réponse à ses salutations, leurs branches s’agitèrent comme sous un souffle de tempête.
Holbrook voyait les fruits presque mûrs, étirés, gonflés, lourds de suc hallucinogène. Les yeux des arbres – des plaques écailleuses étincelantes incrustées en quadrillage sur les troncs – clignotaient et viraient pour le chercher.
— Je ne suis pas dans le bosquet, Platon, dit-il. Je suis encore à la maison. Mais je ne tarderai pas à descendre. Belle matinée, n’est-ce pas ?
De l’ombre encore épaisse au niveau du sol sortit le long museau rose cru d’un voleur-de-suc, dissimulé dans un tas de feuilles tombées. Holbrook, écœuré, observa l’audacieuse vermine qui traversait en quatre bonds rapides l’espace à nu et sautait sur le tronc massif de César pour l’escalader en évitant habilement les yeux de l’arbre. La ramure de César se secoua de colère, mais il ne parvenait pas à repérer le petit intrus. Le voleur disparut sous le feuillage et réapparut à trente pieds plus haut, au niveau où César portait ses fruits. Le museau de l’animal frémit. Il se dressa sur ses quatre pattes et s’apprêta à sucer pour huit dollars de rêves dans le fruit mûr le plus à sa portée.
Du faîte d’Alcibiade jaillit une liane préhensile, mince et serpentine. Elle traversa en coup de fouet l’intervalle entre Alcibiade et César pour s’enrouler autour du voleur. Celui-ci eut juste le temps de gémir en comprenant qu’il était pris, avant d’être étouffé par la liane. En décrivant un arc élevé, elle regagna la tête d’Alcibiade ; la bouche béante de l’arbre devint bien visible quand les feuilles s’étalèrent ; les crocs s’écartèrent ; la liane se déroula et le corps du voleur tomba dans la gueule de l’arbre. Alcibiade eut un frémissement de plaisir : un tremblement coquet, supérieur, et en même temps plein de fausse modestie, tandis qu’il se félicitait de la promptitude de ses réflexes qui lui apportait ce succulent déjeuner. C’était un arbre intelligent et élégant, très satisfait de soi. Vanité bien pardonnable, songea Holbrook. Tu es un bon arbre, Alcibiade. D’ailleurs tous les arbres du secteur C sont bons. Et si tu attrapes la rouille, Alcibiade ? Que deviendront tes feuilles brillantes et tes branches lisses si je dois te brûler et t’arracher du bosquet ?
— Bien joué, dit-il. J’aime te voir éveillé comme cela !
Alcibiade continua de se tortiller. Quatre arbres plus loin, en diagonale, Socrate serra ses branches en un geste que Holbrook connaissait comme exprimant le mécontentement, la désapprobation. La vanité, la coquetterie, la vivacité d'Alcibiade n’étaient pas du goût de tous les autres.
Soudain, Holbrook ne se sentit plus capable de supporter la vue du secteur C. Il manipula les boutons et se brancha sur le secteur K, le nouveau bosquet, au bout sud de la vallée. Là, les arbres n’avaient pas de nom et n’en auraient jamais. Holbrook avait compris depuis longtemps que c’était plutôt puéril de considérer les arbres comme des amis ou des animaux favoris. Ils constituaient un bien productif de revenus. C’était une erreur de faire du sentiment à leur égard… et il le saisissait plus clairement à présent que certains de ses plus vieux amis étaient menacés de la rouille qui passait d’un monde à un autre pour flétrir les plantations d’arbres à suc.
C’est donc d’un air plus détaché qu’il examina le secteur K.
Pense à eux comme à des arbres, se disait-il. Pas des animaux. Pas des individus. Des arbres. Avec de longues racines avides qui plongent dans le sol crayeux pour en extraire leur nourriture. Ils ne peuvent se déplacer. Ils pratiquent la photosynthèse. Ils fleurissent, reçoivent le pollen et produisent des fruits gonflés, phalliques, chargés d’alcaloïdes étranges qui projettent des ombres intéressantes dans l’esprit des hommes. Des arbres. Des arbres. Des arbres.
Mais ils ont des yeux et des dents et des bouches. Ils ont des branches préhensiles. Ils pensent. Ils réagissent. Ils ont des âmes. Quand ils y sont incités, ils pleurent. Ils sont adaptés à faire leur proie des petits animaux. Ils digèrent la viande. Certains préfèrent le mouton au bœuf. Certains sont pensifs et solennels ; d’autres volages et capricieux ; d’autres encore placides et presque bovins. Bien que chacun d’eux soit bisexué, certains ont une personnalité nettement mâle, d’autres femelle, quelques-uns ambivalente. Des âmes. Des personnalités.
Des arbres.
Les arbres sans nom du secteur K le tentaient, l’incitaient à commettre le péché de sentimentalité. Ce gros-là pouvait être Bouddha, et voici Abraham Lincoln… quant à toi, tu es Guillaume le Conquérant, et…
Ce sont des arbres !
Il fit un effort couronné de succès. Avec froideur, il étudia le bosquet, s’assurant que les rôdeurs de la nuit n’avaient pas commis de dégâts, lisant les renseignements que lui communiquaient les sondes à sève, inspectant les fruits mûrissants, surveillant les cadrans qui indiquaient la teneur en sucre, les degrés de fermentation, l’absorption de manganèse, tous les mécanismes complexes et finement équilibrés dont dépendait la production de la plantation. Holbrook s’acquittait de tout à peu près seul. Il avait un personnel de trois contremaîtres et trois douzaines de robots ; le reste s’accomplissait à distance et tout marchait bien en général. En général. Bien protégés, soignés et nourris, les arbres fournissaient des fruits trois fois par an. Holbrook vendait la marchandise à la station de ramassage, près du spatioport de la côte, où le suc était traité avant son expédition vers la Terre. Holbrook n’avait aucune part à cette dernière opération ; il n’était que producteur de fruits. Il y avait dix ans qu’il était installé et il n’avait pas d’autres projets. C’était une existence calme, solitaire, mais c’était la vie qu’il avait lui-même choisie.
Il promena les antennes de balayage de bosquet en bosquet jusqu’au moment où il eut la certitude que tout allait bien dans la plantation. Son dernier balayage le ramena au ruisseau et il saisit Naomi au moment précis où elle sortait de son bain. Elle escalada un entablement rocheux au-dessus du courant et ébroua sa chevelure soyeuse, longue et raide. Elle tournait le dos à l’appareil. Holbrook contemplait avec plaisir le jeu des muscles étirés. L’ombre dessinait nettement son échine ; le soleil dansait sur sa taille étroite, sur l’évasement brusque des hanches, sur les rondeurs tendues de ses fesses. Elle avait quinze ans ; elle passait un mois de ses vacances d’été avec l’oncle Zen ; jamais elle n’avait été aussi heureuse que parmi les arbres à suc. Son père était le frère aîné de Holbrook. Ce dernier n’avait vu Naomi que deux fois auparavant : quand elle était encore bébé, puis quand elle avait six ans. Il avait été un peu embarrassé à l’idée de sa présence car il ignorait tout des enfants et n’était guère amateur de compagnie. Mais il n’avait pas refusé à son frère. Et ce n’était plus une enfant. Elle se retourna, lui révélant des seins comme des pommes, un ventre plat, un nombril très creux et des cuisses lisses et fortes. Quinze ans. Plus une enfant. Une femme. Sa nudité ne la gênait nullement ; elle nageait ainsi tous les matins. Elle savait qu’il y avait des écrans de surveillance. Holbrook n’était pas tellement à son aise en la guettant. Devrais-je ? Ce n’est pas bien, en vérité. Cette vision l’agitait de façon suspecte. Que diable ! Je suis son oncle ! Un muscle tressauta dans sa joue. Il se dit que ses seules émotions en la voyant ainsi étaient le plaisir et la fierté que son frère fût le père d’une telle beauté. Rien que de l’admiration ; c’était tout ce qu’il se permettait. Elle était hâlée, une peau de miel, avec des îlots de rose et d’or. La main d’Holbrook se crispait sur le bouton de commande. Il y a trop longtemps que je vis seul. Ma nièce. Ma nièce. Une fillette. Quinze ans. Si jolie ! Il ferma les yeux, les rouvrit en une fente étroite, se mordilla la lèvre. Allons, Naomi, habille-toi !
Quand elle remit son short et son bustier, ce fut comme une éclipse de soleil. Holbrook débrancha le centre d’information et parcourut la maison, avalant deux pilules de petit déjeuner en chemin. Un véhicule compact et étincelant sortit du garage ; il sauta dedans et partit pour dire bonjour à la jeune fille.
Elle était encore au bord du ruisseau en train de jouer avec une chose velue, de la taille d’un chaton, avec des pattes nombreuses, enroulée autour d’un petit buisson anguleux.
— Regarde, Zen ! lui cria-t-elle. Est-ce un chat ou une chenille ?
— Éloigne-t’en ! hurla-t-il avec une telle violence qu’elle fit un saut en arrière. Il avait déjà sorti son pistolet à rayons et posé l’index sur la détente. Le petit animal, insouciant, continuait à jouer des pattes dans les branches.
Tout contre Holbrook, Naomi lui saisit le bras et lui dit d’une voix rauque :
— Ne le tue pas, Zen. Est-il dangereux ?
— Je n’en sais rien.
— Je t’en prie, ne le tue pas.
— Première règle sur cette planète ! Tout ce qui a une colonne vertébrale et plus de douze pattes est probablement mortel !
— Probablement ! répéta-t-elle, moqueuse.
— Nous ne connaissons pas encore tous les animaux d’ici. C’en est un que je n’ai encore jamais vu, Naomi.
— Il est trop mignon pour être mortel. Tu ne voudrais pas rentrer ton pistolet ?
Il le remit dans l’étui et s’approcha de la bête.
Pas de griffes, de petites dents, le corps faible. Mauvais signes : une créature comme celle-là, sans moyens de défense apparents, devait fatalement cacher un aiguillon venimeux dans sa petite queue poilue. Comme la plupart des divers animaux à nombreuses pattes. Holbrook ramassa une baguette d’un mètre de long et la pointa précautionneusement en direction du ventre de l’animal.
Prompte réaction ! Un sifflement, un grondement, le derrière se retourna, et une méchante pointe se planta dans l’écorce de la baguette. Quand la queue se retira, quelques gouttes d’un fluide rougeâtre coulèrent sur la brindille. Holbrook s’écarta tandis que la bête le surveillait et semblait l’inviter à approcher à bonne portée.
— Gentil ! Mignon ! dit Holbrook. Dis-moi, Naomi, n’as-tu pas envie de connaître les douceurs de la seizième année ?
Elle avait pâli, elle était sidérée, presque hébétée devant la férocité de la contre-attaque de la petite créature.
— Elle paraissait si douce, dit-elle, presque apprivoisée.
Il régla son pistolet sur un mince faisceau et brûla la cervelle de l’animal. Il tomba du buisson, se roula en boule et ne bougea plus. Naomi avait détourné la tête. Holbrook lui passa le bras sur les épaules.
— Je suis désolé, mon chou, dit-il. Je n’aurais pas voulu tuer ton petit copain. Mais une minute de plus, et c’était toi qui y passais. Compte les pattes quand tu tripotes des bêtes sauvages, ici. Je te l’ai dit. Compte les pattes.
Elle fit un signe d’acquiescement. Ce lui serait une bonne leçon, elle ne se fierait plus aux apparences. Mignon, c’est un mot vide de sens. Holbrook tapait du talon dans la terre brun verdâtre. Il songeait à l'âge de quinze ans, quand on s’éveille aux sales réalités de l’univers. Il proposa d’un ton très doux :
— Si on rendait visite à Platon, hein ?
Naomi recouvra aussitôt ses esprits. C’est l’autre aspect des quinze ans : on se remet vite de tout.
Ils arrêtèrent le véhicule juste devant le bosquet du secteur C et continuèrent à pied. Les arbres n’aimaient pas la circulation des engins à moteur autour d’eux ; ils étaient reliés par un réseau compliqué de filaments, à quelques centimètres seulement de profondeur, qui leur était une sorte d’organe nerveux. Le poids d’un humain n’était pas sensible, mais le passage d’un véhicule pouvait arracher un concert de lamentations aux arbres. Naomi allait pieds nus, Holbrook avait des bottes montant au genou. Il se sentait infiniment grand et lourdaud quand il était avec elle ; il était certes plutôt corpulent, mais la minceur de la jeune fille le grossissait encore par contraste.
Elle jouait comme lui avec les arbres. Il l’avait présentée à chacun d’eux et, maintenant, elle sautillait pour saluer tour à tour Alcibiade et Hector, Sénèque, Henry VIII, Thomas Jefferson et le Roi Tut. Naomi connaissait tous les arbres aussi bien et peut-être mieux que lui ; et ils la connaissaient également. Tandis qu’elle se déplaçait parmi eux, ils se secouaient, jacassaient et se paraient, chacun d’eux se dressant de son mieux et disposant avec toute l’élégance possible branches et feuilles ; même le vieux et grognon Socrate, tout tordu et bossu, semblait faire un effort de prestance. Naomi se rendit à la grande caisse grise au milieu du bosquet, où les robots laissaient chaque nuit des quartiers de viande. Elle y choisit des morceaux pour ses préférés. Des cubes de chair crue, bien rouge ; elle s’en chargea les bras puis se mit à danser de place en place, en les envoyant à ses favoris. Une nymphe dans ses rites, songea Holbrook. Elle jetait la viande très haut, avec vigueur. Tandis que les morceaux étaient en l’air, des lianes s’élançaient d’un arbre ou d’un autre pour les saisir au vol et les pousser dans les bouches en attente. Les arbres n’avaient pas besoin de viande, mais ils l’appréciaient, et c’était bien connu parmi les planteurs que les arbres bien nourris produisaient le maximum de suc. Holbrook donnait de la viande aux siens trois fois par semaine, sauf pour le secteur C qui avait droit à une ration quotidienne.
— N’oublie personne ! avertit Holbrook.
— Tu sais bien que non !
Pas un seul morceau ne tomba au sol. Parfois deux arbres visaient un même quartier et il s’ensuivait une petite lutte. Les arbres n’étaient pas immuablement bons amis ; il y avait du ressentiment entre César et Henry VIII, et Caton méprisait à la fois Socrate et Alcibiade, bien que pour des raisons différentes. De temps à autre, Holbrook et son personnel trouvaient des tronçons de branches arrachés, par terre, le matin. Mais, en général, les arbres même de personnalité opposée étaient tolérants. Il le fallait puisqu’ils étaient condamnés à rester toujours voisins. Une fois Holbrook avait tenté de séparer deux arbres du secteur F qui se livraient une vendetta incessante, mais il était impossible de déplanter un arbre adulte sans le tuer et sans démolir le système nerveux de ses trente congénères les plus proches, comme il l’avait appris à ses dépens.
Tandis que Naomi nourrissait les arbres en leur parlant et en caressant leurs flancs écailleux, comme on tapoterait quelque rhinocéros familier, Holbrook déplia sans bruit une échelle télescopique et inspecta une nouvelle fois les feuilles à la recherche de symptômes de rouille. En fait, c’était à peu près inutile. La rouille ne devenait visible sur les feuilles qu’après avoir déjà pénétré le système de racines de la plante et sans doute les taches orangées qu’il crut déceler n’étaient-elles que le fruit de son imagination. Dans une ou deux heures, il aurait le rapport du labo qui lui donnerait tous les renseignements souhaitables, dans un cas comme dans l’autre. Mais il ne pouvait s’empêcher de chercher. Il coupa, après s’être excusé, un paquet de feuilles sur une basse branche de Platon et les retourna pour frotter la face intérieure brillante. Qu’étaient ces petites colonies de particules rouges ? Il s’efforçait de repousser la pensée de la rouille. Une peste qui se répandait dans le monde pour venir le frapper si personnellement, pour le ruiner ? Il avait organisé la plantation à crédit. Un peu d’argent à lui, beaucoup à la banque. C’était une arme à deux tranchants. Que la rouille frappe la plantation et tue assez d’arbres pour abaisser les garanties au-dessous du niveau admis pour les prêts de complément, et la banque s’emparait de tout ! On l’engagerait peut-être comme directeur de la plantation. On lui avait cité de tels cas.
Platon bruissa, mal à l’aise.
— Qu’y a-t-il, mon vieux ? murmura Holbrook. Tu l’as, n’est-ce pas ? Tu as une étrange sensation dans le vent, pas vrai ? Je sais, je sais. Je la sens dans le mien aussi. Mais il faut nous montrer philosophes, toi et moi, à présent.
Il jeta les feuilles sur le sol et transporta l’échelle près d’Alcibiade.
— Allons, ma beauté, allons ! Laisse voir. Je ne vais pas te couper de feuilles ! (Il imaginait l’orgueilleux arbre reniflant et frappant du pied, dans sa colère.) Un peu moucheté par ici, non ? Tu l’as aussi. Exact ?
Les branches externes de l’arbre se serrèrent les unes contre les autres, comme si Alcibiade se fût tenu les flancs dans son anxiété. Holbrook se rendit plus loin dans la rangée. Les taches étaient beaucoup plus apparentes que la veille. Ce n’était donc pas son imagination. Le secteur C était atteint de rouille. Inutile d’attendre le rapport du labo. Il éprouvait un calme étrange devant cette certitude, même si elle présageait sa propre ruine.
— Zen ?
Il baissa les yeux. Naomi était au pied de l’échelle, un fruit presque mûr dans la main. Cela avait quelque chose de grotesque ; les fruits étaient une plaisanterie botanique, très évidemment phalliques, si bien qu’un arbre en pleine maturité avec sa centaine de baies brandies ressemblait à l’archétype du mâle superlatif, ce qui amusait prodigieusement tous les visiteurs. Mais la vue d’un tel objet remplissant largement la main d’une jeune fille de quinze ans n’était plus drôle, cela devenait obscène. Naomi n’avait jamais formulé d’observation sur la forme des fruits et, en ce moment, elle n’était pas du tout confuse. Tout d’abord, il avait cru à de l’innocence ou à de la timidité, mais quand il l’avait mieux connue, il s’était mis à la soupçonner de feindre l’ignorance quant à cette ressemblance biologique du plus haut comique, pour épargner sa pudeur à lui !
Comme il était clair qu’il la considérait comme une enfant, elle avait le tact de se conduire en gamine, pensait-il ; et il avait passé des journées fascinantes à interpréter à sa manière le comportement de sa nièce.
— Où as-tu trouvé ça ? demanda-t-il.
— Ici même. C’est Alcibiade qui l’a lâché.
« Cochon de plaisantin ! » songea-t-il.
— Et alors ?
— Il est mûr. Il est temps de récolter dans ce bosquet, n’est-ce pas ? Elle pressa le fruit ; Holbrook sentit son visage s’empourprer. Regarde, ajouta-t-elle en le lui lançant.
Elle avait raison : la récolte devrait commencer dans le secteur C avec cinq jours d’avance. Il n’y puisait aucun réconfort ; c’était une des manifestations de la maladie qui infestait les arbres, il le savait.
— Cela ne va pas ? s’enquit-elle.
Il sauta à terre et lui tendit le paquet de feuilles qu’il avait prélevées à Platon.
— Tu vois ces taches ? C’est la rouille. Une maladie qui frappe les arbres à suc.
— Non !
— Elle s’est répandue dans un système planétaire après l’autre depuis cinquante ans. Et maintenant, nous en sommes atteints, malgré la quarantaine et toutes les précautions !
— Et qu’arrive-t-il aux arbres ?
— Une accélération métabolique. Voilà pourquoi les fruits commencent à tomber. Les cycles s’accélèrent jusqu’à parcourir les processus d’une année en deux semaines à peine. Les arbres deviennent stériles. Ils perdent leurs feuilles. Six mois après la contamination, ils sont morts. Les épaules d’Holbrook s’affaissèrent. « Je m’en doutais depuis deux ou trois jours. Maintenant, j’en ai la certitude. »
Elle paraissait intéressée, mais pas vraiment inquiète.
— Qu’est-ce qui en est la cause, Zen ?
— En fin de compte, c’est un virus. Qui passe par tant d’hôtes que je ne saurais t’énumérer ses transformations. C’est une histoire de commutation de vecteurs, dans laquelle le virus envahit les plantes, passe dans leurs semences, est mangé par les rongeurs, passe dans leur sang, est ramassé par des insectes qui piquent, se transmet à un mammifère, puis… et puis à quoi bon tant de détails ? Il a fallu quatre-vingts ans rien que pour remonter jusqu’à l’origine première. Et on ne peut pas mettre tout un monde en quarantaine contre tout, hein ? Il est fatal que la rouille s’y glisse, véhiculée par un quelconque être vivant. Maintenant, elle est ici.
— Tu vas sans doute saupoudrer toute la plantation ?
— Non.
— Pour éliminer la rouille, quel est le traitement ?
— Il n’y en a pas.
— Mais…
— Écoute, il faut que je rentre à la maison. Tu arriveras bien à te distraire sans moi ?
— Bien sûr. (Elle montra la viande.) Je n’ai même pas fini de les nourrir. Et ils sont particulièrement affamés, ce matin.
Il allait lui dire qu’il était inutile de les nourrir à présent, que tous les arbres du secteur seraient mort à la tombée de la nuit. Toutefois son intuition lui indiqua qu’il serait trop compliqué de le lui expliquer pour le moment. Il esquissa un sourire sans joie et fila vers la voiture. Quand il se retourna, elle était en train de lancer un gros morceau de viande à Henry VIII qui le saisit avec adresse et se l’enfourna dans la gueule.
Le rapport du laboratoire sortit de la fente ménagée dans le mur deux heures plus tard. Il confirmait ce que savait déjà Holbrook : la rouille. La moitié au moins de la planète en était maintenant informée et Holbrook avait déjà reçu une douzaine de visites. Sur un monde où la population humaine était inférieure à quatre cents individus, c’était beaucoup. Ce fut Fred Leitfried, le gouverneur du district, qui vint le premier ; il était également commissaire local à l’agriculture. Ensuite ce fut une délégation de deux membres de la Guilde des Producteurs de Suc. Puis Mortensen, le petit homme au visage caoutchouteux qui dirigeait l’usine de transformation, et Heemslerck, de la compagnie d’exportation, puis quelqu’un de la banque avec un représentant de la compagnie d’assurances. Deux planteurs voisins passèrent un peu plus tard ; ils arboraient des sourires de sympathie, ils manifestaient leur camaraderie en lui serrant l’épaule, mais il ne fallait pas beaucoup gratter sous leur commisération pour découvrir une hostilité virtuelle. Ils ne le disaient pas ouvertement, mais Holbrook n’avait pas besoin d’être télépathe pour deviner leur pensée : Débarrasse-toi de ces arbres rouillés avant qu’ils contaminent toute notre foutue planète.
À leur place, il aurait réagi de même. Bien que les vecteurs fussent parvenus jusqu’à leur monde, la maladie n’était pas contagieuse à ce point. On pouvait la circonscrire ; il serait possible de sauver les plantations voisines, et même les bosquets non atteints de la sienne… s’il agissait promptement. Holbrook aurait montré la même impatience que ces gens ; il fallait se remuer !
Fred Leitfried, un homme de haute taille, au visage impassible, aux yeux bleus, sombre au point d’en être déprimant dans les circonstances les plus gaies, paraissait sur le point de fondre en larmes.
— Zen, j’ai ordonné l’alerte à la rouille pour toute la planète. Les éléments biologiques arriveront dans les trente minutes pour briser la chaîne des vecteurs. Nous commencerons par ta propriété et nous élargirons le rayon jusqu’à ce que toute cette section soit isolée. Après quoi nous nous en remettrons à la chance.
— À quel vecteur t’en prends-tu ? demanda Mortensen en se tiraillant la lèvre inférieure.
— Aux sauteurs. Ce sont les plus gros et les plus faciles à abattre, et nous savons que ce sont des porteurs de rouille en puissance. Si le virus ne leur a pas encore été communiqué, nous pouvons briser la chaîne et peut-être nous en sortirons-nous sans grand dommage.
Holbrook dit d’une voix creuse :
— Tu sais que tu parles d’exterminer à peu près un million d’animaux ?
— Je le sais, Zen.
— Tu le crois possible ?
— Il le faut. En outre les plans de circonstance sont dressés depuis longtemps et tout est prêt. La moitié du continent sera recouverte d’un bon brouillard de toxiques contre les sauteurs avant la tombée de la nuit.
— Fichtrement dommage, murmura l’homme de la banque. Des bêtes si paisibles !
— Qui sont devenues des menaces, répondit l’un des planteurs. Il faut qu’elles disparaissent.
Holbroock fronçait les sourcils. Il aimait bien les sauteurs ; c’étaient de grosses bêtes qui ressemblaient à des lapins mais atteignaient presque les dimensions d’un ours ; ils se nourrissaient de plantes sans valeur et ne causaient aucun tort aux humains. Mais on les avait reconnus comme sujets à l’infection par le virus de la rouille et on avait appris sur d’autres mondes qu’il était possible d’arrêter la marche de la maladie en détruisant un de ses moyens essentiels de propagation, puisque les virus mouraient quand ils ne trouvaient pas d’hôte pour l’étape suivante de leur cycle de vie. « Naomi les aime bien, les sauteurs, songea-t-il ? Elle pensera que nous sommes des sauvages de les supprimer ! Et si nous étions vraiment des sauvages, nous les aurions éliminés avant que la rouille parvienne jusqu’à nous, rien que pour nous assurer un peu de tranquillité. »
Leitfried se tourna vers lui.
— Tu sais ce qui te reste à faire, Zen ?
— Oui.
— Veux-tu de l’aide ?
— Je préfère m’en charger moi-même.
— On peut te fournir dix hommes.
— Il ne s’agit que d’un secteur, n’est-ce pas ? Je peux m’en acquitter. Je le dois. Ce sont mes arbres !
— Quand commences-tu ? s’enquit Borden, le planteur dont les biens jouxtaient à l’est ceux d’Holbrook. Il y avait quatre-vingts kilomètres de brousse entre les terres d’Holbrook et celles de Borden, mais il n’était pas difficile de comprendre que l’homme fût pressé de voir appliquer les mesures de protection.
— Dans une heure au plus, je pense, répondit Holbrook. Il faut d’abord que je me livre à quelques calculs. Fred, si tu montais avec moi pour délimiter sur l’écran la zone d’infection ?
— Volontiers.
L’assureur s’avança.
— Avant de partir, Mr. Holbrook…
— Eh bien ?
— Je tiens seulement à vous dire que nous vous approuvons entièrement. Vous aurez tout notre appui.
« Rudement chic de ta part, songea ironiquement Holbrook. À quoi servirait l’assurance sinon à vous appuyer ? » Toutefois, il sourit aimablement et murmura ses remerciements.
L’homme de la banque ne dit mot. Holbrook lui en fut reconnaissant. Il aurait tout le temps par la suite de régler les affaires de prêts supplémentaires, de renouvellement des traites, et ainsi de suite. Tout d’abord il fallait calculer ce qu’il resterait de la plantation une fois prises les mesures de protection.
Dans le centre d’information, avec l’aide de Leitfried, il activa tous les écrans à la fois. Holbrook indiqua le secteur C et introduisit dans l’ordinateur une image du bosquet. Il y ajouta les données du labo.
— Voici les arbres atteints, dit-il, en utilisant une lampe à faisceau étroit pour les encercler sur l’écran. Une cinquantaine, en tout. (Il esquissa un cercle plus grand.) Voici la zone d’incubation possible. Encore quatre-vingts à cent arbres. Qu’en dis-tu, Fred ?
Le gouverneur prit la lampe et en appliqua la pointe-stylet sur l’écran. Il dessina un cercle plus vaste qui touchait presque à la périphérie du secteur.
— Voici ceux qui doivent disparaître, Zen.
— Cela fait quatre cents arbres !
— Combien en as-tu au total ?
Holbrook haussa les épaules.
— Sept à huit mille.
— Tu préfères les perdre tous ?
— C’est bon. Tu veux donc un fossé d’isolement autour de la zone d’infection. Un bande stérilisée.
— Exact.
— À quoi bon ? Si le virus peut nous tomber du ciel, à quoi sert de…
— Ne parle pas ainsi. La figure de Leitfried s’allongeait de plus en plus ; elle était le résumé de toute la tristesse, de toutes les désillusions, de tout le désespoir de l’univers. Il trahissait ce que ressentait Holbrook. Mais son ton devint incisif quand il dit : « Zen, tu es devant deux possibilités. Tu peux aller déclencher les feux dans les bosquets, ou tu peux abandonner et laisser tout à la rouille. Dans le premier cas tu as une chance de sauver la plus grande partie de ton bien. Si tu lâches tout, nous brûlerons ta propriété de toute façon pour nous défendre. Nous ne nous bornerons pas à quatre cents arbres ! »
— J’y vais. Ne t’en fais pas pour moi, dit Holbrook.
— Je ne m’en faisais pas, au fond.
Leitfried se mit aux commandes pour relever l’ensemble de la plantation pendant qu’Holbrook donnait ses instructions aux robots et réquisitionnait le matériel dont il aurait besoin. En dix minutes, tout était organisé, il était prêt à partir.
— Il y a une jeune fille dans le secteur infecté, dit Leitfried. C’est ta nièce, hein ?
— Oui, c’est Naomi.
— Elle est belle. Quel âge ? Dix-huit, dix-neuf ?
— Quinze.
— Quelle plastique, Zen !
— Que fait-elle ? Continue-t-elle à nourrir les arbres ?
— Non, elle est à plat ventre sous l’un d’eux. On dirait qu’elle leur parle. Elle leur raconte peut-être une histoire ? Dois-je brancher l’émetteur ?
— Pas la peine. Elle adore jouer avec les arbres. Tu sais bien, leur donner des noms, leur imaginer des personnalités. Des trucs de gosse !
— Bien sûr, fit Leitfried.
Leurs regards se croisèrent, se fuirent. Holbrook baissa la tête. Les arbres avaient en effet des personnalités et tous les intéressés au commerce du suc le savaient ; sans doute nombre de planteurs avaient-ils avec leurs arbres des relations beaucoup plus poussées qu’ils ne l’auraient avoué à quiconque. On n’en parlait pas.
« Pauvre Naomi », se dit-il.
Il laissa Lietfried dans le centre et redescendit par-derrière. Les robots avaient tout préparé selon son programme : le camion-citerne de pulvérisation, dont le réservoir était remplacé par le canon de fusion, attendait sa venue. Deux ou trois des petites mécaniques tournaient en rond, au cas où il leur demanderait d’embarquer, mais il les congédia et se glissa derrière le tableau de direction. Il activa le système de données et le petit écran de bord s’éclaira ; du centre d’information, Leitfried le salua puis lui projeta la reproduction simulée de la zone d’infection avec les trois cercles concentriques brillants qui indiquaient les arbres atteints de rouille, ceux qui risquaient d’être en période d’incubation, et la ceinture de sécurité que Leitfried réclamait autour de toute la section.
Le camion partit en direction des bosquets. C’était le milieu du jour à présent, du jour le plus long qu’il eût vécu. Le soleil, plus gros et plus orangé que celui sous lequel il était né, flottait paresseusement au-dessus de lui, pas encore tout à fait prêt à entamer sa courbe descendante vers les plaines lointaines. Il faisait chaud, mais dès qu’il eut pénétré sous la voûte serrée des arbres qui défendaient le sol des radiations les plus pénibles, il sentit une fraîcheur agréable s’insinuer dans la cabine. Il avait les lèvres sèches. Une artère battait méchamment derrière son œil gauche. Il guida le camion à la main, par la piste d’accès qui contournait les secteurs A, D et G. Les arbres, en le voyant, agitaient un peu leurs branches. Ils avaient envie qu’il descende pour marcher parmi eux, en tapant sur leurs troncs, en les félicitant. Mais, pour le moment, il n’avait pas le temps.
En quinze minutes, il parvint à la limite nord de sa propriété, en bordure du secteur C. Il rangea le camion sur la piste d’approche surplombant le bosquet. De là, il était en mesure d’atteindre n’importe quel arbre avec le canon à fusion. Mais pas encore, toutefois.
Il pénétra dans le bosquet condamné.
Naomi n’était nulle part en vue. Il fallait qu’il la trouve avant de pouvoir tirer. En outre, il avait des adieux à faire. Holbrook prit le trot. Quelle fraîcheur sous ces ombrages, même à midi ! Comme l’air humide sentait bon ! Le sol était littéralement couvert de fruits ; il en était tombé par douzaines depuis deux heures. Il en ramassa un. Mûr. Il le fendit d’un coup de poing exercé et porta la pulpe interne à ses lèvres. Le suc, doux et épais, filtra dans sa bouche. Il en goûta juste assez pour se rendre compte que le produit était de premier ordre. Sa prise était de loin inférieure à la dose hallucinogène, mais elle suffirait à lui conférer une certaine euphorie, pour l’aider à accomplir son pénible travail.
Il leva la tête. Les arbres étaient repliés sur eux-mêmes, soupçonneux, mal à l’aise.
— Nous avons des ennuis, les amis, dit Holbrook.
Toi, Hector, tu le sais. La maladie est ici. Vous la sentez en vous. Il n’y a pas moyen de vous sauver. Tout ce que je peux espérer, c’est de sauver les autres, ceux qui n’ont pas encore la rouille. D’accord ? Vous comprenez ? Platon ? César ? J’y suis obligé. Cela ne vous raccourcira la vie que de quelques semaines, mais cela permettra peut-être d’épargner des milliers d’autres arbres.
Un froissement coléreux dans les branches. Alcibiade avait replié les siennes en signe de mépris. Hector, tout droit et loyal, était prêt au sacrifice. Socrate, difforme et noueux, paraissait également résigné. La ciguë ou le feu, quelle différence ? Criton, je dois un coq à Asclépios ! César paraissait furieux ; Platon avait vraiment peur. Ils comprenaient tous ! Il parcourait les allées, les caressant, les réconfortant. C’est par ce bosquet qu’il avait commencé sa plantation. Il avait bien cru que ces arbres vivraient plus longtemps que lui.
— Je ne vous fais pas de discours, dit-il. Je ne peux que vous dire adieu. Vous avez été bien gentils, vos vies ont été utiles, maintenant votre temps est fini et j’en suis bien navré. Voilà tout. Si seulement ce n’était pas indispensable ! (Il parcourut des yeux les rangées de plantes.) Fin de mon discours. Adieu.
Il pivota pour regagner le camion. Il mit le contact pour la liaison avec le centre d’information, et demanda à Leitfried :
— Sais-tu où est la petite ?
— Un secteur plus loin que toi, au sud. Elle nourrit les arbres.
Il projeta l’image sur l’écran d’Holbrook.
— Donne-moi un faisceau d’émission, tu veux ?
Holbrook s’approcha des micros.
— Naomi ? Ici, Zen !
Elle se retourna, alors qu’elle était sur le point de lancer un morceau de viande.
— Une seconde, répondit-elle. La Grande Catherine a faim et ne me permettrait pas de l’oublier ! (La viande partit en l’air, fut happée et disparut dans la bouche de l’arbre.) Bon, reprit Naomi. Qu’y a-t-il ?
— Je pense qu’il serait bon que tu rentres à la maison.
— J’ai encore des quantités d’arbres à nourrir.
— Tu le feras dans l’après-midi.
— Zen, que se passe-t-il ?
— J’ai du travail et je préfère que tu ne sois pas dans les bosquets pendant que je m’en acquitte.
— Où es-tu en ce moment ?
— Au C.
— Je pourrais sans doute t’aider, Zen. Je suis dans le secteur voisin. J’arrive !
— Non. Rentre à la maison.
C’était un ordre donné froidement. Jamais encore il ne lui avait parlé sur ce ton. Elle parut choquée, ahurie, mais elle monta dans son véhicule et partit. Holbrook la suivit des yeux sur l’écran jusqu’à ce qu’elle eût disparu.
— Où est-elle maintenant ? demanda-t-il à Leitfried.
— Elle revient. Je la vois sur la piste d’accès.
— Bon. Occupe-la tant que je n’ai pas fini. Je vais m’y mettre tout de suite.
Il manœuvra le canon à fusion pour braquer le court tube sur le cœur du bosquet. Dans l’âme solide de l’arme était suspendue par un système magnétique une minuscule pincée de matière solaire, disponible continuellement pour y puiser une énergie dépassant de beaucoup ses besoins de la journée.
Il n’y avait pas d’appareil de pointage, ce canon n’étant nullement une arme, mais il pensait pouvoir s’en tirer convenablement quand même. Les cibles étaient volumineuses. Visant à l’estime, il choisit Socrate en bordure du bosquet, tripota avec hésitation le mécanisme une ou deux secondes réfléchissant à la façon la plus pratique d’accomplir sa tâche, puis posa la main sur la commande de mise à feu. Le centre nerveux de l’arbre se trouvait à son sommet, en arrière de la bouche. Un court jet à cet endroit…
— Oui.
Un arc de flamme blanche siffla dans l’air. La tête difforme de Socrate s’illumina un instant. Une mort rapide et propre, qui valait mieux que de mourir dans la pourriture de la rouille. Holbrook fit descendre alors son feu de la tête aux pieds, parcourant tout le tronc. C’était un bois très résistant ; il tirait sans cesse, les branches, les ramilles et les feuilles se recroquevillaient et tombaient, mais le tronc même restait intact parmi les boules de fumée huileuse qui s’élevaient peu à peu. Le tronc sombre se dessinait clairement dans l’éclat blanc du feu et Holbrook était surpris de le voir si droit, une fois dépouillé de ses branches. Mais le tronc n’était plus enfin qu’une colonne de cendres. Il s’écroula, disparut à jamais.
Un affreux gémissement monta des autres arbres.
Ils savaient que la mort était parmi eux et ils éprouvaient la douleur de la perte de Socrate par le réseau nerveux des racines à fleur de sol. Ils pleuraient de peur, d’angoisse et de fureur.
Holbrook se força à braquer le canon sur Hector.
Hector était un grand arbre, impassible, stoïque, ni geignard ni coquet. Holbrook voulait lui donner la mort simple qu’il méritait, mais son pointage se dérégla ; le premier jet toucha au moins huit pieds plus bas que le centre cervical de l’arbre et le hurlement qui monta des arbres environnants trahit la souffrance d’Hector. Holbrook vit les branches qui s’agitaient frénétiquement, la bouche qui s’ouvrait et se refermait en un terrifiant rictus de torture. Le second jet mit fin à l’agonie d’Hector. Holbrook retrouva un certain calme pour achever la destruction de ce noble arbre.
Il avait presque terminé quand il se rendit compte qu’une voiture s’arrêtait près de son camion. Naomi en jaillit, rouge, les yeux écarquillés, près de la crise de nerfs.
— Arrête ! cria-t-elle. Arrête, oncle Zen ! Ne les brûle pas !
Elle bondit dans la cabine et lui saisit les poignets avec une force étonnante, pour l’attirer à elle. Elle pantelait, prise de panique ; ses seins se soulevaient, ses narines palpitaient.
— Je t’avais dit de rentrer à la maison ! lança-t-il.
— J’y suis allée. Mais j’ai vu les flammes.
— Veux-tu t’en aller d’ici !
— Pourquoi brûles-tu les arbres ?
— Parce qu’ils sont atteints de rouille. Il faut les détruire avant que la maladie se propage.
— C’est un meurtre !
— Écoute, Naomi, tu vas filer et…
— Tu as tué Socrate ! murmura-t-elle en jetant un coup d’œil sur le bosquet. Et… et César ? Non, c’est Hector. Hector aussi ! Tu les as réduits en cendres !
— Ce ne sont pas des gens. Ce sont des arbres. Des arbres malades qui ne tarderaient pas à mourir de toute façon. Je veux sauver les autres.
— Mais pourquoi les tuer ? Il doit bien y avoir un produit, Zen. Une pulvérisation quelconque. Il y a des remèdes à tout à présent !
— Pas à cela.
— Il le faut !
— Il n’y a que le feu, affirma Holbrook.
Une sueur froide lui coulait sur la poitrine. Un muscle de sa cuisse frémissait. C’était déjà pénible quand elle n’était pas là. Il parla le plus posément qu’il le put :
— Naomi, c’est une chose à faire et en vitesse. Je n’ai pas le choix. J’aime ces arbres tout autant que toi, mais je dois les brûler. C’est comme cette petite créature à pattes avec son aiguillon dans la queue : je ne pouvais pas faire de sentiment rien que parce qu’elle paraissait mignonne. Elle était un danger. Et maintenant Platon, César et les autres sont des menaces pour tout ce que je possède. Des porteurs de peste ! Rentre à la maison et cache-toi quelque part jusqu’à ce que ce soit fini.
— Je ne te laisserai pas les tuer !
Exaspéré, il l’empoigna par les épaules, la secoua deux ou trois fois et la repoussa de la cabine. Elle tomba en arrière mais atterrit en souplesse. Il sauta près d’elle.
— Bon Dieu, Naomi, ne me force pas à te frapper. Cela ne te regarde en rien. Il faut que je brûle ces arbres et si tu continues à me gêner…
— Il y a sûrement un autre moyen. Tu t’es laissé affoler par tous ces hommes, n’est-ce pas, Zen ? Ils ont peur que la maladie se propage, alors ils t’ont dit de brûler tes arbres en vitesse et tu ne prends même pas le temps de réfléchir, de te renseigner ailleurs ; tu arrives tout simplement avec ton canon pour tuer des êtres intelligents, sensibles, aimables…
— Des arbres ! C’est incroyable, Naomi ! Pour la dernière fois…
Pour toute réponse, elle bondit à bord du camion et alla se coller à la gueule du canon, la poitrine pressée contre le métal.
— Si tu tires, ce sera à travers moi !
Rien de ce qu’il disait ne parvenait à la persuader de redescendre. Elle était perdue dans quelque rêve romanesque, la Jeanne d’Arc des arbres à suc défendant le bosquet contre l’assaut des barbares ! Une fois encore il tenta de la raisonner ; une fois encore elle refusa d’admettre qu’il fût nécessaire de détruire les arbres. Il lui expliqua avec toute la force de persuasion qu’il put l’impossibilité absolue où il se trouvait de les sauver. Elle se contentait de répondre avec toute la puissance de son absence de logique qu’il y avait certainement une autre solution. Il poussa des jurons. Il la qualifia d’adolescente idiote et hystérique. Il la supplia. Il la cajola. Il lui donna des ordres. Elle restait accrochée au canon.
— Je n’ai plus de temps à perdre, dit-il enfin. Il faut que j’aie fini en quelques heures ou toute la plantation est fichue. Il tira son pistolet de l’étui, abaissa le cran de sûreté et pointa l’arme sur elle. Descends de là ! ordonna-t-il d’un ton glacial.
Elle rit.
— Tu te figures que je te crois prêt à me tirer dessus ?
Et elle avait raison, bien sûr. Il restait planté à bafouiller, le visage empourpré, ahuri. La folie était contagieuse ; sa menace avait été vaine, comme elle l’avait aussitôt compris. Holbrook remonta d’un saut sur le camion, la prit à bras-le-corps, s’efforça de l’entraîner avec lui.
Elle était vigoureuse et il était en équilibre précaire. Il réussit à l’arracher du canon, mais fut surpris du peu de succès de ses efforts pour la faire descendre du véhicule. Il craignait de lui faire mal et, par sa gentillesse, il se laissait vaincre dans cette lutte. Elle disposait d’une sorte de force nerveuse, elle n’était plus que coudes, genoux, doigts griffus. Il parvint à la saisir et s’aperçut avec horreur qu’il la tenait par les seins. Il la lâcha, pris de timidité et de honte. Elle s’écarta en sautillant. Il la suivit, la reprit et cette fois la poussa au-dehors. Elle sauta, se posa avec légèreté, pivota et s’enfuit dans le bosquet.
Ainsi elle était encore en avance d’une idée sur lui ! Il la poursuivit ; il lui fallut un moment pour la découvrir. Elle enlaçait la base de César et fixait d’un regard effaré les endroits où s’étaient dressés Socrate et Hector.
— Va ! lui dit-elle. Brûle tout le bosquet ! Mais tu me brûleras en même temps !
Holbrook fonça sur elle. Elle esquiva d’un pas de côté et fila jusqu’à Alcibiade. Il vira pour la saisir au passage, perdit l’équilibre et chancela, en battant l’air des bras.
Quelque chose de filandreux et de résistant s’abattit autour de ses épaules juste comme il allait toucher terre.
— Zen ! hurla Noami. L’arbre… Alcibiade…
Holbrook avait maintenant quitté le sol. Alcibiade l’avait soulevé avec une de ses lianes préhensiles et le hissait vers son faîte. L’arbre peinait sous ce fardeau, mais une seconde liane s’enroula autour de l’homme et la besogne devint plus facile pour Alcibiade. Holbrook se débattait déjà à une douzaine de pieds en l’air.
Il était rare que les arbres s’attaquent aux humains. C’était arrivé au plus cinq ou six fois depuis que plusieurs générations de planteurs cultivaient les arbres à suc. Dans chacun des cas la victime avait procédé à une opération que tout le bosquet jugeait hostile… comme de supprimer un arbre malade.
Un homme, c’était une grosse bouchée pour un arbre à suc. Mais leur appétit allait bien jusque-là.
Naomi criait, Holbrook continuait à s’élever dans les airs. Holbrook entendait claquer les dents au-dessus de lui ; la gueule de l’arbre s’apprêtait à l’accueillir. Le vaniteux Alcibiade, l’inconstant Alcibiade, l’imprévisible Alcibiade… le bien nommé, en vérité. Mais était-ce une traîtrise que cet acte de légitime défense ? Alcibiade avait la ferme volonté de continuer à vivre. Il avait assisté à l’exécution d’Hector et de Socrate. Holbrook leva les yeux vers les crocs qui se rapprochaient. Voilà donc mon destin, songea-t-il. Dévoré par un de mes propres arbres. Mes amis. Mes préférés. Bien fait pour moi, avec ma sentimentalité ! Ce sont des carnivores. Des tigres avec des racines.
Alcibiade poussa un cri aigu.
Au même instant une des lianes enroulées autour d’Holbrook se desserra. Il tomba de vingt pieds en une chute vertigineuse avant que la seconde liane se raidisse et le maintienne à quelques mètres au-dessus du sol. Holbrook baissa les yeux et comprit ce qui s’était passé. Naomi avait ramassé le pistolet qu’il avait lâché quand l’arbre l’avait enlacé et elle avait brûlé une des lianes. Elle visait de nouveau. Alcibiade cria une nouvelle fois. Holbrook se rendit compte d’un grand bruit dans les branches au-dessus de lui. Il dégringola jusqu’au sol et atterrit brutalement sur un tas de feuilles en décomposition. Après un temps il roula sur le flanc, puis s’assit. Rien de cassé. Naomi le regardait, les bras pendants. Elle tenait toujours le pistolet.
— Tu n’as rien ? demanda-t-elle simplement.
— Un peu secoué, voilà tout. Il se leva. Je te dois beaucoup. Encore une minute, et j’étais dans la gueule d’Alcibiade.
— J’ai failli le laisser te manger, Zen. Il ne faisait que se défendre. Mais je n’ai pas pu. Alors j’ai tiré sur les lianes.
— Oui, oui. Je sais ce que je te dois. Il fit deux pas hésitants vers la jeune fille. Allons, donne-moi cette arme avant de te percer un trou dans le pied.
Il tendit la main.
— Attends un instant ! commanda-t-elle avec un calme glacial. Elle recula tandis qu’il approchait.
— Qu’y a-t-il ?
— Je te propose un marché, Zen. Je t’ai sauvé, n’est-ce pas ? Je n’avais pas à le faire. Maintenant, tu vas laisser ces arbres tranquilles. Au moins jusqu’à ce que tu t’assures qu’il n’y a pas de produit efficace. D’accord ? Marché conclu ?
— Mais…
— Tu dis que tu me dois beaucoup. Alors, paie ! Tout ce que je te demande, c’est une promesse, Zen. Si je ne t’avais pas délivré, tu serais mort. Laisse donc vivre les arbres.
Il se demandait si elle oserait employer le pistolet contre lui.
Il resta un long moment silencieux, à soupeser les possibilités. Puis il déclara :
— Très bien, Naomi. Tu m’as sauvé la vie et je ne peux pas te refuser ce que tu demandes. Je ne toucherai pas aux arbres. Je verrai si on peut les saupoudrer et tuer la rouille.
— C’est sincère, Zen ?
— Je te le promets. Sur tout ce qu’il y a de plus sacré. Maintenant, rends-moi ce pistolet.
— Tiens, cria-t-elle tandis que les larmes lui coulaient sur les joues. Tiens, prends-le ! Oh ! mon Dieu, Zen comme tout cela est affreux !
Il lui prit l’arme des mains et la rengaina. Elle parut s’amollir toutes réserves usées, dès qu’elle n’eut plus le pistolet. Elle tituba jusque dans ses bras et il la serra toute tremblante, contre lui. Il tremblait aussi en l’étreignant, sentant les jeunes seins contre sa poitrine... Une vague de désir puissant – il se l’avoua – l’envahissait. « Saleté ! » songea-t-il. Il grimaçait en évoquant les images du matin, Naomi nue et radieuse après le bain, ses seins ronds, ses cuisses fermes. « Ma nièce. Quinze ans. Secourez-moi, mon Dieu ! » Pour la réconforter, il lui caressait les épaules et le creux des reins. Sa robe était mince ; son corps n’était que trop présent dessous.
Il la jeta violemment à terre.
Elle tomba en boule, se retourna et porta la main devant sa bouche quand il chut sur elle. Elle se mit à pousser des cris aigus, perçants, quand il pesa sur elle de tout son poids. Ses yeux terrifiés montraient clairement qu’elle le croyait sur le point de la violer, mais il avait d’autres perfidies en tête. Il la retourna d’un geste prompt, face contre terre, lui prit la main droite et lui ramena le bras derrière le dos. Puis il la fit asseoir.
— Debout, lui dit-il. Il lui tordit un peu le bras pour la persuader. Elle se leva. Maintenant, en route. Hors du bosquet, direction le camion ! Je te casse le bras s’il le faut.
— Qu’est-ce que tu fais ? balbutia-t-elle.
— Au camion, répéta-t-il. Il lui releva le bras d’un cran. Elle soupira de douleur, mais elle avança.
Arrivé au véhicule, il maintint sa prise tout en appelant Leitfried au centre d’information.
— Qu’est-ce que tout cela signifiait, Zen ? Nous avons suivi la plus grande partie des événements, mais…
— Trop compliqué pour que je t’explique. La jeune personne est très attachée à ses arbres, voilà tout. Envoie tout de suite des robots pour qu’ils l’emmènent. D’accord ?
— Tu m’as promis ! dit Naomi.
Les robots arrivèrent promptement. De leurs efficaces doigts d’acier, ils paralysèrent Naomi pour l’embarquer dans un véhicule et la ramener à la maison. Quand elle fut partie, Holbrook s’assit un moment près du camion pour se reposer et s’éclaircir les idées. Puis il remonta dans la cabine.
Il braqua d’abord le canon à fusion sur Alcibiade.
Cela lui prit un peu plus de trois heures. Quand il eut fini, le secteur C n’était plus qu’un champ de cendres et une large ceinture dénudée s’étendait autour des lieux dévastés jusqu’aux bosquets les plus proches d’arbres encore sains. Il ignorerait encore un certain temps s’il avait sauvé ou non sa plantation. Mais il avait fait de son mieux.
En roulant vers la maison, il pensait moins à l’œuvre d’exécuteur qu’il venait d’accomplir qu’à la sensation du corps de Naomi contre, le sien et à ce qu’elle s’était imaginé quand il l’avait jetée à terre. Un corps de femme, oui. Mais une enfant. Encore une enfant éprise de ses objets familiers. Incapable de comprendre que dans la réalité on pèse les nécessités en regard des sentiments et qu’on fait pour le mieux. Qu’avait-elle appris en ce jour, au secteur C ? Que l’univers ne vous offre souvent que des choix draconiens ? Ou simplement que son oncle adoré était capable de traîtrise et de meurtre ?
On lui avait administré des sédatifs, mais elle était éveillée dans sa chambre quand il entra. Elle remonta ses couvertures. Elle avait les yeux froids.
— Tu m’avais promis, dit-elle, amère, et puis tu m’as trompée !
— Il fallait sauver les autres arbres, Naomi. Tu comprendras un jour.
— Je comprends que tu m’as menti, Zen.
— J’en suis désolé. Pardonne-moi.
— Tu peux aller au diable !
Ces mots d’adulte venant de cette bouche encore enfantine le figèrent. Il ne pouvait rester plus longtemps près d’elle. Il monta au centre d’information.
— C’est fini, dit-il à Leitfried, à voix basse.
— Tu as agi en homme, Zen.
— Ouais…
Il examina sur l’écran le secteur en cendres. Il sentait la chaleur de Naomi contre lui. Il voyait ses yeux assombris. La nuit allait venir, les lunes effectueraient leur tour de danse dans le ciel, les constellations auxquelles il était accoutumé répandraient leur clarté. Il lui reparlerait, peut-être. Pour tâcher de lui faire comprendre… Puis il la renverrait en attendant qu’elle ait terminé sa métamorphose en femme.
— Il commence à pleuvoir, observa Leitfried. Cela va hâter la maturité.
— Sans doute.
— Tu as l’impression d’être un assassin, Zen ?
— À ton avis ?
— Je sais, je sais.
Holbrook entreprit de désactiver les antennes.
Il avait accompli toute sa tâche de la journée. Il dit d’un ton posé :
— Fred, c’étaient des arbres. Rien que des arbres. Des arbres, Fred, des arbres.
The Fangs of the Trees
Traduit par Bruno Martin.