I

Brouillard…

Brouillard qui s’évapore, l’ombre de la nuit avait perdu sa pesanteur pour s’élever, s’écarteler, se déchirer.

Le plateau semé de touffes d’épineux rabougris s’étendait sans limite.

Loin, la montagne était peu à peu sortie de sa gangue de ténèbres, pour s’affirmer et retenir à elle seule toutes les noirceurs de la nuit. Le vent soulevait des soupirs de poussière. Sur les monts écartelés du levant, le ciel avait pris une teinte verdâtre, très douce et claire. Cela tranchait comme une véritable déchirure sur le teint brouillé de la voûte céleste. Des lambeaux de nuages éclatés s’éparpillaient dans tous les sens.

Dans la naissance fraîche de ce presque matin, le ventre du Murwik 3 s’ouvrit, abattant au centre du trépied de soutien deux portières métalliques concaves. Par cet orifice, le déchargeur automatique descendit lentement, et il portait dans ses griffes la navette d’exploration planétaire.

Debout parmi les pierres rousses du plateau nu, les membres de l’expédition surveillaient silencieusement la manœuvre. Ils étaient là, tous les huit.

Mal Ken, telle une flamme immense et raide dans sa combinaison de plastcuir rouge sang, le vent dans ses cheveux de feu. Et puis Gow, et puis Jen, Man-Tree, Vogth, Marten, Soorg et Batbury. Leurs tenues étaient semblables à celle de Mal Ken, mais de couleur bleue. Ils portaient comme le Premier des bottes fourrées, et à la ceinture de chacun pendait une besace contenant les doses quotidiennes de plaquettes nutritives, les cigarettes vitaminées, les gélules de sommeil-conscient, qui pouvaient leur permettre, le cas échéant, d’accomplir certains efforts pénibles tout en se reposant comme dans un vrai sommeil. En outre, ils portaient également au côté un pistolet radiant à charges thermiques, dont les effets s’échelonnaient de la simple brûlure à la désintégration pure et simple. Certains, comme Gow, Man-Tree et Soorg, étaient armés d’un fusil supplémentaire, du même type, mais particulièrement destiné au débroussaillage pour l’avance en terrain encombré.

Les visages des hommes étaient calmes, sereins, malgré les traces de fatigue évidente laissées au fil des jours. Mal Ken, et c’était le seul, arborait une expression sévère.

Jen Mahutri, lui, contenait mal son excitation. Chaque départ d’exploration planétaire le mettait dans cet état, et le plaisir était toujours nouveau, toujours renouvelé.

Il était biologiste, mais étudiait également l’histoire, l’origine et les religions des peuples nouvellement découverts : en tant que tel, il ne ressentait réellement toute l’importance de son rôle qu’une fois le pied à terre sur un monde étranger. Les Haut-Penseurs d’Armok avaient su détecter en lui cette curiosité et cette soif de connaissances, qu’ils avaient canalisées en dirigeant Jen vers les sciences anthropologiques et biologiques. Ils avaient su également aiguiser son intérêt pour les théologies. Toutes les théologies qui n’étaient pas celle d’Armok.

Le ventre de la navette toucha doucement le sol, et l’engin s’immobilisa. Les griffes du déchargeur s’ouvrirent.

Woll apparut, descendant l’échelle métallique qui pendait sous le ventre du vaisseau intergalactique. Il s’immobilisa sur le dernier échelon. Cria :

— C’est fait. Tout est en ordre, Premier !

Mal Ken dit :

— Parfait, Woll. Nous allons partir. Vous vous occuperez du vaisseau.

— Ce n’est pas l’ouvrage qui manque, assura Woll. Rien qu’avec les deux navettes que nous allons tenter de remettre en état…

— Que l’un d’entre vous reste à l’écoute radio, coupa Mal Ken. Ne sortez pas seuls si vous avez à quitter le bord. Et quand vous serez à l’intérieur, vérifiez précautionneusement l’écran de forces magnétiques qui doit vous protéger contre tout danger.

— Oui, Premier, dit Woll. Bonne chance à vous.

Il gravit son échelle et disparut à l’intérieur du vaisseau. L’instant d’après, les griffes rétractées du déchargeur remontaient avec leur support cylindrique, et les portes de la cale se refermaient.

— Allons, dit Mal Ken.

La navette avait l’apparence d’une vedette marine des anciens temps. Elle en avait cette coque de forme hémisphérique, quillée d’une longue nervure. Le pont était plat, ovale et garni sur son périmètre d’une rambarde de métaplast. La cabine, ovoïde et totalement transparente, était située au centre exact de ce pont. Une vedette marine… mais celle-ci ne croulait pas sous la poussière des musées de l’Empire. Elle n’était point faite pour flotter sur l’eau, mais dans l’air, et elle se déplaçait aussi bien en rase-mottes qu’en haute atmosphère. L’énergie stellaire condensée dans des piles de faible volume lui assurait une autonomie de vol quasi illimitée ; cette énergie alimentait également le canon d’étrave, et pouvait créer tout autour de la navette un bouclier de force sans faille. Une navette de ce type pouvait tout à la fois jouer le rôle de véhicule d’exploration, celui de machine de guerre, et, enfin, se transformer en abri inexpugnable.

L’un après l’autre, les membres de l’équipe montèrent à bord, s’installèrent en bon ordre sur les bancs périphériques de la cabine. Gow prit place sur le siège des commandes, Mal Ken demeura debout.

— Départ !

Le cœur de Jen battit un peu plus fort.

Il y eut une faible secousse, presque rien, et la navette s’éleva au-dessus du sol. Lentement, comme un gros poisson qui se risque à quitter son abri de roche, l’engin pointa le nez entre les pattes du Murwik 3. Une pression du pouce de Gow sur la poignée d’accélération lança d’un seul coup la navette à dix mètres de là.

— Tu connais le cap à suivre, dit Mal Ken.

Gow fit de la tête un signe affirmatif. Il éleva le véhicule à trois ou quatre mètres, puis le lança vers les montagnes noires. À l’est, le ciel était passé du blanc laiteux et vaguement verdâtre au rose franc.

*
*   *

« Je suis Jen Mahutri, pensait Jen. Et je ne devrais pas me trouver là, au milieu de tous. »

« Je ne devrais pas ? »

Il eut un faible sourire, tandis que sous ses yeux défilait la terre rousse du plateau. S’il était là, c’est que cela devait être ainsi.

Sur Armok, les Haut-Penseurs se trouvaient à la tête de l’Empire. Ils étaient la Pensée de Melech-Dieu, ils étaient ses Mains, son Vouloir.

Ils étaient l’intelligence de l’Empire, et ils décidaient. L’Empire était un tout. Non seulement Armok, mais les planètes colonisées de plusieurs centaines de systèmes solaires, et les peuplades intelligentes de ces planètes, au même titre que la race des Élus de Melech-Dieu. Un tout. L’Empire était une partie vivante de Melech-Dieu, et chacun des milliards de sujets comme une sorte de cellule vivante dépendant de cette partie vivante du TOUT.

Chaque individu touché par la sagesse et l’enseignement de Melech était devenu une partie de lui-même, une partie de Dieu. C’était ainsi ; c’était la parole des Haut-Penseurs.

Les cellules n’ont pas d’initiatives personnelles, et elles obéissent strictement aux règles du Grand Ordre. C’est ainsi que tout se conserve, que tout se perpétue ; c’est ainsi que règne la Loi de Melech-Dieu.

Les Haut-Penseurs vivaient dans le ventre d’Armok. Nul ne pouvait les approcher, ni les regarder en face, ni les toucher, car ils étaient l’intelligence suprême, et leurs sujets de simples cellules, de vulgaires véhicules de cette intelligence. Certains, pourtant, parmi le peuple, avaient leurs entrées dans ce lieu souterrain. Comme par exemple les Premiers des expéditions civilisatrices. Comme Ir Ghad, comme Mal Ken, lorsque le Murwik 3 serait de retour sur Armok. Mais jamais les Premiers ne parlaient de ce qu’ils avaient vu dans les entrailles de l’Empire.

C’était ainsi. Et c’était depuis des millénaires ; et toujours les frontières de l’Empire s’élargissaient dans les cent mille directions de l’espace.

Alors, si Jen Mahutri se trouvait là où il était, en place et lieu de Sand Mun, c’était la volonté des Haut-Penseurs, et celle de Melech. C’était ce qui devait être.

Il coula un regard en direction des autres membres de l’équipage. Se posaient-ils des questions, eux ? Man-Tree, Soorg, et tous ?… Certainement pas. Alors, pourquoi lui ? Pourquoi Jen Mahutri ?

Jen secoua la tête pour échapper à ces pensées. En bon sujet de Melech qu’il était, il refoula au plus profond de son esprit ces inquiétudes et curiosités malsaines.

*
*   *

Dès les premières minutes de vol, l’atmosphère se détendit à l’intérieur de la navette.

Mal Ken n’était pas un Premier comme les autres. Ils l’avaient connu Second particulièrement liant, et tous les membres du commando ne tardèrent pas à s’apercevoir que le grade de Premier n’avait point altéré cette qualité d’humanité. Il parlait, souriait, et cette expression figée qu’il avait en surveillant la sortie de la navette avait totalement quitté son visage. Il était le Mal Ken de toujours, celui-là même qui partageait leur vie commune depuis un an, qui en leur compagnie avait participé aux douze précédentes reconnaissances planétaires.

— Deux heures et quinze minutes de vol ! lança Gow.

— Ce pourrait être cinq minutes, dit Batbury, on ne verrait guère la différence.

Jen acquiesça et il dit pour Mal Ken qui se trouvait à son côté :

— C’est vrai. Toujours le même plateau, avec ici ou là quelques fosses peu profondes, quelques crêtes. Une végétation rarissime.

— C’est tout ? sourit Mal Ken.

— Non. D’après ces premières observations à l’œil nu, on dirait que nous survolons un immense océan asséché. Comme si toutes les eaux de ce monde s’étaient soudainement évaporées.

— C’est ce que je pensais aussi, approuva Mal Ken. Mais pourtant nous avons repéré des océans, des fleuves, en survolant la planète… Il n’y a cependant aucun doute en ce qui concerne cette étendue désertique. Cela fut effectivement un océan, jadis, il y a très longtemps. Quelque gigantesque cataclysme géologique a dû élever ici le niveau de la croûte terrestre, et le fond de l’océan s’est transformé en plateau.

— Je le crois, oui, dit Jen.

Pendant quelques instants, ils se contentèrent de regarder défiler le paysage roux, dans les feux d’un soleil brûlant.

— Quelque chose d’étrange ! cria soudain Man-Tree, en indiquant le sol du doigt.

Ils purent, l’espace de quelques secondes, apercevoir dans les rougeurs sèches du sol, une sorte de trace brillante. Une trace qui filait droit, apparemment, se contentant de contourner ici et là les plus gros obstacles rocheux.

Gow guida la navette de façon à suivre cette trace pendant quelques minutes. C’était étrange…, comme une traînée de peinture vaguement fluorescente…, ou encore ces marques de bave sèche que laissent derrière eux escargots et limaces ; mais ici, la trace avait un bon mètre de large…

— Bizarre, souffla Jen, tandis que la navette reprenait de l’altitude.

— Ce n’est pas la première, dit Man-Tree. J’avais déjà remarqué de semblables traînées.

— Il est évident que ce monde porte la vie, dit Mal Ken. Nous avons détecté, depuis le Murwik 3, plusieurs courants épars d’ondes biologiques.

— J’ai les rapports, oui, dit Jen. Mais impossible de dire s’il s’agit d’ondes animales ou humanoïdes.

— Et cela ! glapit Soorg.

Ce qu’ils virent alors à la surface du sol crevassé les glaça d’effroi pendant quelques secondes.

Une araignée. Une simple araignée… Une araignée visiblement effarouchée par l’ombre portée du véhicule volant, et qui courait, courait de toutes ses forces, en zigzags. Un corps rond et sombre, marqué d’une croix blanche sur le dos, sertie de petits points brillants… Elle s’engouffra finalement dans une crevasse et disparut.

Après un temps, Jen laissa tomber :

— Arachnide, épeire Diadème…

Les hommes à bord de la navette échangèrent un coup d’œil.

— À vue de nez, dit Mal Ken au bout d’un instant, elle devait peser trois à quatre cents kilos…

— Les premières manifestations de la vie sur B.4., dit quelqu’un.

… Des traces brillantes, comparables à des sillages baveux de limaces… mais larges d’un mètre. Des épeires Diadème de quatre cents kilos…

Vogth, après un nouveau temps, glissa :

— Nous rencontrerons des hommes, fatalement. Des humanoïdes… À moins que les bouleversements géologiques dont nous parlions tout à l’heure…

— Non, dit Batbury. Les pires catastrophes laissent toujours quelques survivants… et ces bouleversements paraissent trop éloignés dans le temps pour que l’espèce humaine n’ait pas eu la possibilité de se relever.

Jen dit :

— Pourtant, lors de nos survols d’étude, nous n’avons remarqué aucune trace de ville, ni de structures habitées…

— Il y a, dit Mal Ken, des structures habitées souterraines qui échappent aux détections. De toute façon, les villes de ce monde, si elles existent, ne nous intéressent pas.

La phrase tomba comme un couperet.

N’était-ce point par la recherche de centres habités qu’ils commençaient habituellement toute prospection ?

— Regardez ! lança Mal Ken, sans se préoccuper de la surprise qu’il avait causée.

Ils suivirent son regard et virent la barre de forêt, à quelques kilomètres de distance. Le désert lançait encore quelques replis, quelques ruades figées, et puis il mourait lentement, dévoré par les étendues herbeuses, elles-mêmes tachées de bosquets nains. Ces prairies formaient comme une frange irrégulière, une sorte d’espace-frontière entre les crevasses sèches et les vagues de forêt.

Quelques instants plus tard, la navette survolait cette mer végétale… et cela fut encore une surprise énorme.

La cassure entre la sécheresse et cette débauche avait été très nette, et cela ne faisait que renforcer cette hypothèse de l’élévation d’une mer, d’un océan, dans les temps reculés.

Avant, c’était la pierre, les lézardes, les rocs, les gouffres et leurs pauvres chevelures d’épineux clairsemés. À présent…

À présent, une multitude de vagues ondoyantes, vertes, vertes… Et puis des remous, des jaillissements, des explosions échevelées… Des taches noires, déchirées, molles et coupantes à la fois, des marées de corolles tordues, creusées, nouées… Des océans, oui, des océans de champignons géants, parmi la végétation luxuriante. Des champignons qui avaient la taille de vrais arbres, des champignons par taches gigantesques couvrant des hectares et des hectares, comme s’ils se battaient, comme s’ils luttaient avec les feuilles pour la possession du terrain, ou plutôt comme une fantastique alliance symbolique, poussée à l’extrême, entre les végétaux et les cryptogames, pour la conquête et la possession d’un monde… Des champignons à perte de vue, jusqu’aux limites de l’horizon… Helvellas, agaricinées, polyporées, hydnées… Remous de chapeaux creux, bombés ou torturés, couleurs mauves, noirâtres, dans toutes les gammes des jaunes et des roux, pelés, brûlés, cassés, perforés de branchages, salis de feuilles mortes… Des champignons comme un océan sans limite, que le soleil cuisait.

Et les huit hommes du Murwik 3, dans un oiseau silencieux, métallique, ne purent que regarder, sans dire un mot. Regarder ces moutonnements, ces lèpres et ces cancers, que survolaient parfois de ridicules oiseaux, minuscules ; à moins que ce ne fussent des moustiques ou des mouches gigantesques ?

Sur Armok, les champignons poussaient parcimonieusement dans des serres…

— Ici ! jeta soudain Mal Ken.

Le mot lancé abruptement cassa l’enchantement. Gow, aux commandes, hocha la tête. Dans l’instant qui suivit, la navette filait doucement, en vol plané, vers une sorte de clairière ouverte dans le magma.

Ils pénétrèrent dans la jungle de champignons comme on se laisse couler au fond d’une eau épaisse. Le souffle des tuyères brisa quelques corolles qui s’écroulèrent en charpie. En quelques secondes, le véhicule se posa sur un épais tapis de mousses et de pourritures que crevaient de hauts réseaux de mycélium, dans l’air glauque et les rayons de soleil irisés. Les cris et les piaillements – oui, il s’agissait bien d’oiseaux ! – se refermèrent sur eux.

Mal Ken était immobile, adossé au siège de Gow.

Un moment, il demeura ainsi, supportant les regards ahuris de l’équipage. Puis il dit :

— Nous suivons la route tracée par Ir Ghad. Et nous ne pouvons la suivre à bord de cette navette. Aussi, nous allons abandonner ici le véhicule, avec deux d’entre vous pour en assurer la garde. Ce sera le premier relais, et, en fait, le point de base de cette reconnaissance.

— Nous continuons… à pied ? s’enquit Vogth.

— Oui, dit Mal Ken. Pour diverses raisons. La progression sera plus ardue et plus longue, mais l’observation plus sérieuse. Si nous devions continuer à bord de cette navette, nous serions condamnés au haut vol, au-dessus de cette jungle qui ne fait qu’épaissir. Au niveau du sol, nous pourrions bien entendu nous frayer un chemin au canon-laser, mais la consommation d’énergie serait considérable… et je vous rappelle que cette navette est la dernière que nous possédons. Il faut la ménager… Cette jungle des plus étranges nous est inconnue, et mille dangers peuvent entraver notre marche. Je ne veux pas courir le risque de perdre notre unique véhicule.

— Bien sûr, dit Vogth, peut-être plus étonné encore par le fait que sa question ait reçu une réponse aussi détaillée.

— Nous allons décharger tout le matériel qui nous sera nécessaire, poursuivit Mal Ken et nous nous le partagerons.

— Une question, Premier, osa Jen.

Le regard froid de Mal Ken, peut-être un peu irrité, se posa sur lui.

— Oui ?

— Cette marche sera-t-elle longue ?

Après deux secondes d’hésitation, Mal Ken dit :

— Je ne sais pas. Commençons immédiatement le déchargement. Matériel radio, caméras, vivres, etc.

Ils obéirent.

 

Lorsque Mal Ken et Gow se retrouvèrent seuls dans la cabine de la navette, dans l’odeur forte que dégageait la forêt de champignons, dans les cris d’oiseaux, le chef d’équipage posa sur le Premier un regard appuyé. Il dit, après un temps :

— Ne crois-tu pas qu’on devrait essayer de leur fournir un semblant d’explication ? Cette histoire de Ir Ghad dictant la route à suivre au seuil de sa mort… cela me paraît maintenant un rien fragile…

Mal Ken hocha négativement la tête. Il désigna d’un imperceptible mouvement du menton les hommes d’équipage qui s’agitaient autour de la navette, dans le parfum poivré du mycélium piétiné, et dit :

— Pas la peine, Gow. Ils sont de parfaits sujets de Melech-Dieu, et ils obéissent sans chercher. Sans jamais chercher à comprendre. C’est ce que veut Melech, n’oublie pas…

— Ils obéissent… comme Sand Mun, comme Ir Ghad…

— Et où sont Sand Mun et Ir Ghad ? renvoya Mal Ken. Quand ils se mettent à se poser des questions, ou quand ils cherchent à savoir ce qui se cache derrière un ordre, cela se remarque aussi fort que s’ils n’avaient plus de tête… Leur servilité aveugle, voilà notre meilleure arme, Gow, et tu le sais. Cette arme que nous parviendrons à détruire un jour, pour le bonheur d’Armok.

Gow soupira. Puis, entre haut et bas :

— Franchement, Mal… Est-ce que cela prendra beaucoup de temps ?

Le regard que Mal Ken posa sur son compagnon avait perdu toute froideur. C’était un immense gouffre d’eau claire. Il dit, dans un souffle :

— Je ne sais pas, Gow. Je ne sais pas, ne sais rien. Sinon que c’est ici, sur cette planète. Quelque part.

— Que les dieux nous aident, murmura Gow.

Mal Ken lui lança un regard amusé. Il dit :

— Surtout pas, Gow !… Personne ne peut nous aider, et surtout pas les dieux… Nous deux, toi et moi. Rien que nous deux, dans… dans cette sacrée jungle puante, sur cette sacrée planète oubliée au fond de l’espace…