17

 

 

      Plantée devant son planning de commandes, dans la cuisine de la villa, Gracie s'interrogea sur le temps qu'il lui restait avant que le scandale éclate. Tout en voulant croire que Neda Jackson n'ébruiterait pas la nouvelle, elle ne se faisait aucune illusion. Si le magazine de mariage refusait son papier, la journaliste irait logiquement le proposer ailleurs. Et à qui, sinon aux tabloïds, réputés bons payeurs pour ce type de scoop ?

  La question était : quand ? L'univers des hebdos lui était totalement étranger. Le délai se chiffrait-il en jours, en semaines ?

  Quelle importance, après tout ? Elle avait encore des gâteaux en cours, à préparer et à décorer. Depuis le jour de la débâcle avec les boîtes de préparation pâtissière, elle n'était pas retournée chez Pam. Son intuition lui soufflait que c'était elle la coupable, et elle n'avait pas envie de se trouver nez à nez avec elle avant d'avoir trouvé une preuve.

  Une voiture, dehors, dans son allée.

  Depuis sa réconciliation spectaculaire avec sa mère, Gracie s'inquiétait moins qu'avant de l'identité de ses visiteurs. Avec un peu de chance, celui-ci lui plairait beaucoup.

  Elle se hâta vers l'entrée et sourit en avisant une Mercedes familière près de sa propre voiture. Le séduisant propriétaire s'avança vers elle en souriant.

        Je croyais que tu avais une banque à diriger ? lança-t-elle.

  Les papillons qui s'étaient mis à voleter partout dans son ventre l'inquiétèrent un peu. Aimer bien était une chose ; aimer beaucoup pourrait se révéler une grave erreur.

        J'ai du personnel, répliqua-t-il en se penchant pour l'embrasser. C'est un des avantages du poste de président.

        Du personnel, mmm ? Il m'en faudrait aussi, alors.

  Elle s'effaça pour le laisser entrer dans le hall, puis dans la cuisine.

        Quoi de neuf ? demanda-t-elle.

  Il posa les mains sur ses épaules.

        J'ai de bonnes nouvelles au sujet de Zeke. Il n'avait pas menti. Il n'a pas de liaison extraconjugale, ni absolument rien de ce style.

        Quoi ? s'exclama Gracie, ahurie. Tu es allé discuter avec mon beau-frère ?

        Je savais que je pouvais t'aider à lever ce mystère-là, à défaut des autres.

  C'était vraiment gentil de sa part, songea Gracie toute joyeuse.

        Alors ? dit-elle. Que fait-il quand il disparaît ?

        Tiens-toi bien...

  En fait, Riley la tenait déjà. Bien serrée. Gracie avait plutôt envie de se frotter contre lui et de ronronner de plaisir.

        Je suis prête à tout entendre...

        Zeke suit des cours de comédie.

  Gracie en resta coite.

        Pardon ?

        J'ai eu la même réaction. Apparemment, il a toujours rêvé de se produire sur scène. Quand il est tombé amoureux d'Alexis, il a mis son projet de côté, mais depuis quelque temps l'envie est revenue, et il s'est lancé, pour ne pas avoir de regrets plus tard.

        Je ne l'imaginais pas si drôle... Pourquoi n'a-t-il rien dit à Alexis ?

        J'en suis aussi étonné que toi. Mais ils avaient parlé de fonder une famille et, de son point de vue, l'idée qu'il quitte son travail pour se lancer dans une carrière artistique risquait de déstabiliser Alexis. Il s'est rendu dans des clubs de Santa Barbara et de L.A. pour travailler ses sketches. Il y a deux semaines, des gens de Leno étaient dans la salle et, maintenant, il attend un appel de leur part qui devrait arriver d'un jour à l'autre.

  Gracie eut du mal à en croire ses oreilles. Le plus surprenant, ce n'était pas tant la vocation secrète de son beau-frère. C'était qu'il songe à faire un bébé avec Alexis. Décidément, le sujet était chaud, ces temps-ci, à Los Lobos.

        Est-ce qu'il va quand même se décider à lui en parler ?

        Je l'ai convaincu que c'était la meilleure solution.

        Est-ce que j'ai envie de savoir comment tu t'y es pris ?

  Riley semblait très satisfait de lui.

        Par la menace, expliqua-t-il.

        Tu l'as menacé... physiquement ?

        Mais oui.

  Gracie pouffa de rire.

        Est-ce que c'était agréable ?

        Délicieux. Je ne m'étais pas battu depuis des années, mais j'étais prêt à relever le défi. Zeke n'a pas franchement le sang chaud. Il s'est vite couché.

        Vous êtes des héros tous les deux, chacun à votre manière, murmura Gracie en nouant les bras autour du cou de Riley. Voilà donc un problème réglé ! Plus qu'une bonne douzaine à traiter...

        C'est si grave que ça ? demanda-t-il en lui caressant le dos.

        J'y pense à chaque seconde.

        Alors, passons au suivant : Pam et les boîtes.

        Pourquoi elle ?

        Parce que c'est la seule suspecte possible. Il ne nous reste plus qu'à déterminer ses motivations.

  Gracie soupira et songea avec envie à son tube d'antiacides.

        Ne me dis pas que nous allons surveiller sa maison...

  Riley recula d'un pas et lui sourit.

        Je passe te prendre à 20 heures. Habille-toi en noir. Oh ! Et n'oublie pas ton appareil photo...

 

*

* *

 

    Après le départ de Riley, Gracie se remit au travail. Un travail plus prenant que d'habitude, puisque les moules devaient être tournés toutes les dix minutes. Elle venait de retirer du four un étage supérieur lorsque son portable bourdonna.

        Gracie à l'appareil.

        Comment avez-vous pu ?

  La fureur faisait trembler la voix de son interlocutrice, une voix qui ne lui était pas familière.

        Votre conduite est inqualifiable. Et vous... vous n'êtes qu'une sale menteuse ! Une arnaqueuse ! Une... une salope !

        Quoi ? se récria Gracie en battant des paupières. Qui est à l'appareil ? Vous avez dû vous tromper de numéro...

        Et puis quoi, encore ? Je vous déteste. Je ne vous pardonnerai jamais, vous m'entendez ? Bon sang, je veux récupérer sur-le-champ mon acompte. Quel culot vous avez, de vous présenter comme une professionnelle ! Une incapable, oui ! Votre affaire n'est qu'une arnaque. Mon père est avocat, je vais lui demander conseil pour porter plainte contre vous pour... pour je ne sais pas quoi, mais je trouverai ! Vous êtes écœurante.

  Gracie pressa la main sur son ventre douloureux et répéta d'une voix blanche :

        Qui est à l'appareil ?

        Sheila Morgan. Vous étiez censée préparer ma pièce montée pour le mois prochain. Mais vous m'avez menti, Gracie, vous trichez depuis le début ! Maintenant, je vais devoir trouver une autre pâtissière. Allez donc au diable ! Oh, je suis tellement en colère... Les mots me manquent pour vous insulter !

  La communication fut brutalement coupée. Gracie fixa son téléphone muet, abasourdie, avant de sortir en courant.

  Quelques minutes plus tard, elle arriva devant l'épicerie de son quartier. Les hebdos de la presse à scandale étaient encore emballés par liasses près de la file d'attente devant la caisse. Gracie parcourut rapidement les gros titres des deux premiers journaux, avant de tomber en arrêt devant la une du troisième.

  « La pâtissière des stars voulait sa part du gâteau. »

 

  Titre illustré par le dessin d'une boîte de préparation pour gâteaux toute chiffonnée...

  Gracie tira le tabloïd de la pile et le feuilleta jusqu'à l'article. Le texte n'était pas long, une demi-page tout au plus. Mais il s'accompagnait d'une photo de sa voiture remplie de boîtes de préparation pour gâteaux et d'une autre qui la montrait, elle, pétrifiée, sous le choc, une boîte à la main. Et surtout, si l'auteur n'avait pas osé porter des accusations explicites, ses allusions étaient limpides.

  A 18 heures, ce même jour, quatre-vingts pour cent de ses commandes avaient été annulées. Gracie était allée visiter sur internet quelques forums spécialisés. Les messages furieux se succédaient à son encontre. L'éditrice du magazine de mariage qui avait commandé le reportage de Neda Jackson avait même appelé au boycott.

  Roulée en boule sur son lit, elle contemplait maintenant son téléphone. Chaque fois qu'elle l'allumait, elle trouvait un nouveau message venant d'une cliente qui annulait sa commande d'un ton outré. Comment expliquer à tous ces gens que c'était elle, et pas eux, qui avait été trahie?

  Cette histoire était invraisemblable. Le pire cauchemar possible. Elle avait travaillé si dur, pendant si longtemps, pour construire sa réputation... Des nuits entières à rester debout pour surveiller la cuisson, à la seconde près, du moindre gâteau! Mais qui s'en souciait désormais ? Qui voulait entendre la vérité ? Personne. Sa belle réputation, bâtie à la force du poignet, venait de voler en éclats.

  Le soir tombait. Elle se dit qu'elle devait se lever, faire quelque chose, mais l'énergie lui manqua. A la place, elle plaqua l'oreiller sur sa tête et ordonna au reste du monde de disparaître.

  Plus tard, elle entendit frapper de grands coups à la porte, mais elle ne bougea pas de son lit. Elle devait aller surveiller les allées et venues de Pam, ce soir, mais quelle importance désormais, si Pam était la coupable ? Le mal était fait et les dégâts, irréparables. Sa carrière était derrière elle.

  Le silence revint enfin. Gracie jeta l'oreiller de l'autre côté du lit et fixa le plafond. Les ombres s'allongèrent dans la chambre. Au loin, une portière claqua. Puis elle entendit des pas approcher.

  En temps normal, elle aurait craint le pire, voleurs, extraterrestres, mais, ce soir, plus rien ne pouvait l'atteindre.

        Gracie ?

  La voix de Riley. Le bonhomme n'abandonnait pas facilement.

        Par ici ! lança-t-elle.

  Elle reconnut à peine sa propre voix dans ce cri rauque, caverneux, gorgé de douleur. D'ailleurs, tout son corps lui faisait mal.

  Le hall s'éclaira. Une poignée de secondes plus tard, la silhouette de Riley s'encadra sur le seuil.

        Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu es malade ?

        Si seulement ! Au moins, là, je pourrais un jour aller mieux. Ou mourir. Le problème serait vite réglé.

  Il s'assit au bord du lit et dégagea les cheveux de son visage.

        Raconte-moi ce qui se passe.

  Pour toute réponse, Gracie ralluma son portable, brancha la messagerie et lui tendit l'appareil.

  Il écouta quelques minutes. Lorsqu'il raccrocha, elle luttait contre les larmes.

        Je n'ai rien fait de mal, gémit-elle. Sinon je pourrais accepter les reproches. Mais personne ne veut m'écouter ! Dans mon activité, tout repose sur la réputation et la mienne est brisée net. J'ai encore deux gâteaux à faire pour ce week-end, mais c'est uniquement parce qu'il est trop tard pour que les mariés s'adressent à une autre pâtissière. Toutes mes commandes ont été annulées, sauf cet affreux gâteau rectangulaire pour la Société du patrimoine et, à mon avis, s'ils n'ont pas renoncé, c'est parce que je le leur fais gratis !

  Elle vit la colère se peindre sur le visage de Riley. Il se pencha pour l'embrasser.

        Nous trouverons une solution, promit-il.

        Je ne voudrais pas gâcher la fête, mais... laquelle ?

        Je ne sais pas encore, mais ça viendra. Nous formons une fine équipe. Viens, allons d'abord harceler Pam. J'ai déjà demandé à mon détective d'enquêter sur elle. Il y a des zones d'ombre dans son passé et nous les découvrirons. Entre-temps, première étape : prendre des photos compromettantes.

  Gracie secoua la tête.

        Vas-y, toi.

        Pas sans toi.

  Il lui attrapa les bras et la redressa en position assise. Puis il s'agenouilla devant elle.

        Allez, Gracie... Allons ruiner Pam. Ce sera très amusant, tu verras.

  L'envie de se recroqueviller plutôt sous la couette faillit submerger Gracie. Si elle n'y céda pas, ce fut de peur de ne plus jamais se relever. Cette idée, malgré tout, lui déplaisait.

        D'accord, soupira-t-elle. Laisse-moi le temps de me changer.

  Elle se leva, alla ouvrir l'armoire. Mais choisir une tenue était au-dessus de ses forces. Riley s'approcha, prit un jean noir sur l'étagère et choisit un T-shirt violet foncé.

        Ce sera gothique, ce soir, déclara-t-il avec autorité en poussant Gracie vers la salle de bains. Tu as trois minutes.

        Tu connais la mode, toi?

        Qu'est-ce que tu crois ? Même sur une plate-forme pétrolière, on croise des fashion victims.

  Riley souriait. Gracie essaya d'en faire autant. La sensation fut étrange, mais agréable.

        Je me dépêche, souffla-t-elle.

  Peu après, ils étaient dans la Mercedes et traversaient rapidement Los Lobos dans le soleil couchant.

  Le regard dans le lointain, Gracie s'efforça de ne pas soupirer trop souvent.

        Cette affaire te prend un temps fou, dit-elle soudain. Les élections ont lieu dans deux semaines...

        On s'en occupe. D'ici un jour ou deux, je commence le porte-à-porte.

        Que disent les sondages ?

        Je ne baisse plus.

  Elle se tourna vers lui.

        Dis-moi la vérité !

        D'accord, d'accord... Je continue à baisser, alors.

  Dans quelle mesure était-elle responsable de ce plongeon ? se demanda Gracie. Si elle n'était pas revenue à Los Lobos, rien de tout cela ne serait arrivé.

        Je suis désolée, Riley. Pour tout.

        Moi, je regrette le fiasco de ton reportage, mais pas le reste.

        Quoi ? Tu es fou ? Si jamais tu perdais... Tout cet argent qui partirait en fumée...

        Je ne perdrai pas.

        Mais si Yardley l'emportait quand même ? Et imagine que je sois enceinte ?

  Cet argument-là parut retenir son attention.

        Tu l'es ou tu ne l'es pas ?

  Gracie s'affaissa sur son siège.

        Je ne sais pas. Je crois que non. Dans trois jours, je pourrai faire le test. Mais si c'est le cas ?

        Nous agirons en temps voulu.

  Il parlait très calmement, contre toute attente. A. sa place, elle ragerait, elle enverrait promener tout le monde... Mais, après la journée qu'elle venait de vivre, cette sérénité n'était pas pour lui déplaire.

  Il s'engagea dans une rue qu'elle reconnut vaguement el se gara derrière un monospace.

        Pam habite juste là, dit-il en pointant le doigt vers une maison au premier croisement. Nous continuerons à pied.

        C'est le moment de fredonner le thème de Mission impossible, non ? chuchota Gracie en mettant pied à terre.

  Elle suivit Riley sur le trottoir. Les halos des réverbères ménageaient encore des cachettes à l'ombre ici et là, mais ils n'en eurent pas besoin. Ils obliquèrent enfin dans un jardin, gagnèrent l'arrière de la maison à pas de loup et s'accroupirent dans les buissons.

        Elle n'a pas fermé les volets, chuchota Riley

        Elle ne pensait pas qu'on pourrait l'épier du jardin, sans doute... C'est une idée qui ne m'aurait pas effleurée, moi non plus. Mais je vais devoir changer mes habitudes, vu ce qui se passe dans ma vie actuellement...

        Là ! dit soudain Riley.

  Gracie suivit son regard vers la fenêtre. Pam était dans sa cuisine, en train de verser quelque chose d'une jatte dans un...

        Cette garce a pris mes moules !

  Ses paroles crevèrent le silence de la nuit. Riley abattit une main sur son épaule et l'attira au sol, mais elle avait déjà plaqué ses mains sur sa bouche.

        Pardon, murmura-t-elle. Je n'ai pas fait exprès.

        Je sais, répondit Riley, les lèvres collées à son oreille.

  Le son étouffé fit tressaillir Gracie, et comme si cela ne suffisait pas, le souffle chaud, la force des bras qui la tenaient, tout cela l'étourdit.

  Mais ce n'était pas le moment, et encore moins l'endroit idéal pour écouter son désir, se morigéna la jeune femme en fourrant les mains dans ses poches.

        Elle a pris mes moules à gâteaux.

        J'avais compris.

        A quoi est-ce qu'ils vont lui servir ?

  Riley haussa les épaules tandis qu'elle soupesait différentes possibilités.

        A faire elle-même de la pâtisserie ? Mais pourquoi ?

  Elle se redressa légèrement pour scruter de nouveau la cuisine. Penchée sur la porte ouverte du four, Pam glissait le moule sur la grille.

        La grille est trop haute, murmura Gracie. Les bords seront trop cuits. Si elle projette de se mettre à son compte, elle aurait dû d'abord se renseigner davantage...

  Elle se tourna vers Riley

        Alors c'est ça ? Pam va ma piquer ma clientèle ?

        Elle n'en a pas besoin, pourtant. Elle ne manque pas d'argent.

        Tu as raison. Elle doit bien trouver un financement quelque part pour ses tenues hors de prix, plus la rénovation du gîte... Alors, je n'y comprends plus rien. A quoi joue-t-elle ?

  Ils restèrent tapis dans les buissons près de deux heures pour tenter de trouver une réponse à cette question. En fin de compte, ils ne firent qu'une seule découverte — Pam était une très mauvaise pâtissière.

  Gracie éprouva une certaine satisfaction quand le gâteau, après cuisson, apparut bancal et grillé sur les bords. Satisfaction qui se changea en euphorie lorsque vint l'étape du démoulage — une petite moitié seulement atterrit sur la grille de refroidissement.

        Un vrai désastre, comment a-t-elle joyeusement comme ils regagnaient la Mercedes. Mon tout premier gâteau était plus présentable que celui-là et je devais avoir dix ans. Elle n'est pas près de me voler mes clients, je...

  Sa voix mourut. En fait, elle n'avait plus aucun client à se faire voler.

        On finira par la coincer, dit Riley en glissant un bras autour de sa taille. Quitte à revenir jouer les espions sous ses fenêtres plusieurs soirs de suite !

        Quel programme, commenta Gracie avec un sourire moqueur. Toi, tu sais parler aux femmes...

 

   Les deux soirées de guet suivantes donnèrent des résultats similaires. Pam faisait des gâteaux. Des gâteaux infects, à la vive joie de Gracie. Pam ne prenait pas grand soin non plus des moules, rayés, noircis, mais c'était le cadet de ses soucis.

  Le troisième jour, cependant, pas une grille de refroidissement n'était en vue dans la cuisine. Pam ne se rendit qu'une fois dans cette pièce, et ce fut pour enfourner un plateau de bouchées d'apéritif surgelées. Elle sortit aussi du réfrigérateur une bouteille de vin blanc.

        Elle a de la visite, conclut Riley avec satisfaction. Voyons un peu qui fraye avec Pam ces temps-ci ! Le mystère va peut-être s'éclaircir.

        Si seulement ça pouvait être le maire, chuchota Gracie. Tu imagines ? Mais c'est impossible. Elle le trouve répugnant, elle aussi.

        En es-tu si sûre ?

  Gracie ne répondit pas. Elle n'était plus sûre de rien, sinon que sa jambe droite serait prise de crampes d'une seconde à l'autre.

        Viens, dit Riley, rapprochons-nous.

  La jeune femme le suivit, les genoux fléchis et le dos courbé par précaution. Ils trouvèrent un nouveau poste de guet, de biais, cette fois, par rapport à la maison. Là, Gracie sortit son appareil photo, bien décidée à garder une trace du visiteur de Pam.

  Comme une voiture s'engageait dans la rue, Gracie se releva légèrement pour prendre appui contre un arbre bas. Puis elle leva l'appareil devant ses yeux. Le véhicule ralentit à l'approche de la maison...

        Montre-toi, si t'es un homme, murmura-t-elle.

Riley pouffa.

        Pour le moment, il se gare. Attention...

  L'avertissement arriva trop tard.

  Maladresse ou acharnement du destin, le pied de Gracie glissa sur l'herbe humide au moment où son doigt se posait sur le déclencheur. Elle se sentit tomber comme au ralenti, sans pouvoir éviter la chute... Et le flash illumina la nuit.

  Il y eut le chuintement de la photo papier sortant de l'appareil. Suivi du bruit d'une marche arrière à pleine vitesse.

        Viens, dit Riley en saisissant sa main.

  Il l'entraîna au pas de course hors du jardin. Il était temps. Une lumière apparut chez Pam, la porte d'entrée s'ouvrit toute grande...

        Qui est là ? cria Pam. Qu'est-ce qui se passe?   

  Gracie plongea littéralement dans la Mercedes, la tête sous le tableau de bord.

        Démarre... Mais démarre, bon sang !

        C'est ce que je fais.

  Il fit demi-tour et attendit d'avoir atteint le carrefour pour allumer ses phares. Gracie se redressa alors avec lenteur.

        Pardon, dit-elle, penaude, sans oser le regarder en face, tant elle craignait sa colère. Je ne l'ai pas fait exprès...

  Mais elle crut l'entendre rire, et se tourna vivement vers lui.

  Il riait vraiment !

        Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? On peut savoir ?

        Mais toi ! s'esclaffa Riley. Bien sûr que tu ne l'as pas fait exprès... Je t'ai vue déraper, j'aurais dû réagir plus vite, mais c'était comme dans les dessins animés...

  Il secoua la tête et ajouta, hilare :

        Je dois t'accorder au moins cela, Gracie. Avec toi, on ne s'ennuie jamais.

        Super. Tu pourras toujours graver ça sur ma tombe. En attendant, on ne sait toujours pas ce que fabrique Pam. Est-ce que tu as reconnu la voiture?

        Non. Dans le noir, je n'ai même pas repéré la marque.

  Gracie retira la pellicule protectrice sur sa photo. Elle découvrit ainsi une section du toit de Pam sur fond noir, le ciel, sûrement.

        Si ma carrière de pâtissière est à l'eau, soupira-t-elle, ce n'est pas la peine que j'envisage une reconversion dans la photo professionnelle.

        Tu vas la reprendre, ta carrière.

        Tu sembles drôlement sûr de toi...

        C'est simple. Nous allons résoudre ce mystère et le coupable révélera toute l'histoire publiquement. De gré ou de force !

  Le ton déterminé de Riley fit plaisir à Gracie.

        Je te trouve très généreux, dit-elle.

        Parce que je suis prêt à me battre pour toi ? Tu devrais revoir tes critères, murmura-t-il en lui effleurant la joue.

  Elle tourna la tête, de manière à presser les lèvres contre sa paume.

        Tu restes dormir ? demanda-t-elle.

        Et comment.

  Il avait répondu sans réfléchir. Gracie sourit.

        Vous êtes un homme bien, Riley Whitefield !

        Pas du tout. Je suis un salaud. Mais tu refuses de l'admettre.

        Ne dis pas de bêtises...

  Bien sûr, il avait ses défauts, mais qui n'en avait pas ? L'essentiel, c'était qu'il ait volé à son secours chaque lois qu'elle en avait eu besoin, depuis le début de cette histoire, et ce en dépit de leurs démêlés passés rocambolesques. Riley semblait remis du harcèlement qu'elle lui avait fait subir. Il se montrait protecteur, drôle, intelligent et, quand ils faisaient l'amour, elle entrait grâce à lui dans une dimension inédite. Il lui offrait la sérénité...

  Et les étincelles.

  Elle observa son compagnon du coin de l'œil pendant le trajet du retour. Après avoir coupé le moteur, il l'embrassa. En nouant les bras autour de son cou, elle se demanda s'il était possible, juste possible que, par le plus grand des hasards, elle ait trouvé l'homme de ses rêves à l'âge tendre de quatorze ans.