10
Riley aspira une longue bouffée d'air frais. L'après-midi s'achevait. Il avait annulé ses deux dernières réunions de la journée dans l'intention d'aller faire un tour en voiture. Mais au lieu de longer la côte ou même de faire un saut à L.A., il avait traversé la ville jusqu'à la villa de Gracie, comme indépendamment de sa volonté.
Elle était chez elle, la Subaru était garée dans l'allée. Il pouvait même entendre de la musique. Debout près de sa propre voiture, les yeux sur la porte d'entrée, il se demanda à quel moment précis il avait quitté le monde normal.
Il y avait une flopée d'endroits où il aurait pu se rendre, quelques autres où il était supposé se trouver à cette heure-ci. La villa n'entrait dans aucune de ces catégories. Gracie semait le trouble dans sa vie. Oh ! pas comme du temps où elle le harcelait et lui empoisonnait le quotidien... Non, aujourd'hui, c'était plus grave...
Il l'aimait bien.
Sa compagnie lui plaisait, mais aussi son humour, son grain de folie. En cet instant, il avait très envie d'être avec elle — dans tous les sens du terme.
Il se dit qu'il était venu discuter, pas plus, qu'elle n'était pas son genre et qu'il était, lui, un homme prudent et circonspect dans le choix de ses maîtresses. Ses ex avaient toutes le profil des trois S et ne s'en étaient jamais plaintes. Mais Gracie, rien à faire, ça ne collait pas.
S'il avait eu deux sous de bon sens, il serait remonté en voiture pour décamper en vitesse. Au lieu de cela, il se propulsa jusqu'au perron et pressa la sonnette.
— Une petite seconde !
Il entendit un bruit de choc, un juron étouffé, puis des pas précipités, et enfin la porte s'ouvrit.
Gracie se matérialisa devant lui, une tache sur la joue droite et un torchon de vaisselle à la main. Il nota sans le vouloir vraiment la queue-de-cheval, le T-shirt ajusté sur des rondeurs qui le hantaient, le battle un peu large porté bas sur les hanches. Cette fille était pieds nus, elle ne portait pas un gramme de maquillage et il la désirait avec une intensité si désespérée que les mots lui manquèrent.
Un sourire éclaira le visage de Gracie.
— Ni ma mère ni mes sœurs ! C'est mon jour de chance. Je ne les supporte plus, toutes autant qu'elles sont. Tu n'imagines pas ce qu'elles peuvent inventer pour m'humilier.
Elle recula d'un pas et s'effaça devant lui.
— Entre... J'ai un gâteau au four et je dois le tourner toutes les dix minutes pour qu'il cuise correctement. Je sais, je sais, j'aurais pu retourner chez Pam, mais j'y étais ce matin et j'ai pris peur devant son déploiement d'amabilités. Alors, qu'est-ce qui t'arrive ? demanda-t-elle en le précédant vers la cuisine.
Ses hanches souples ondulaient devant lui à portée de main. Riley dut résister à l'impulsion de l'empoigner, de la plaquer contre le mur et de lui arracher ses vêtements pour la prendre là, tout de suite, dans le vestibule. Elle gémirait, onctueuse, soumise, son prénom au bord des lèvres...
— Je n'étais pas d'humeur à travailler, articula-t-il péniblement. J'ai eu envie de passer te voir.
Penchée sur la porte du four ouverte, Gracie enfila une manique et tourna doucement le moule à l'intérieur.
— Je suis contente de te voir, dit-elle. Bizarrement, tu es la personne la plus normale de mon entourage ces jours-ci !
Elle se redressa et s'approcha du réfrigérateur.
— Veux-tu boire quelque chose ? J'ai du soda, du lait et un peu d'eau gazeuse... Attends, ajouta-t-elle en lui jetant un regard, je parie que les machos ne boivent jamais d'eau minérale.
— Jamais, confirma Riley, à moins d'ouvrir la bouteille avec les dents.
— Mais bien sûr. Un soda, alors ?
— Avec plaisir.
Riley parcourut des yeux la petite cuisine que Gracie, en un rien de temps, avait réussi à marquer de son empreinte. Il y avait des moules à gâteau et des grilles de refroidissement disséminés un peu partout. Outre l'article du magazine People, le mur portait plusieurs croquis. La table était couverte d'ustensiles dont il ignorait jusqu'au nom. Au total, la pièce dégageait une impression de chaleur et de confort. Aucun fantôme ne traînait ici comme au manoir.
Il prit place au comptoir sur un tabouret, son verre à la main.
— Quelles réunions affreusement importantes es-tu en train de manquer ? demanda-t-elle en réglant le minuteur sur dix minutes.
— Voyons... Une sur l'orientation probable de la Banque fédérale, une autre sur l'évolution de nos ratios prêts valeurs...
Gracie s'adossa au comptoir.
— Le métier de banquier ne semble pas te déplaire. L'ambiance ria pourtant rien à voir avec celle d'une plateforme pétrolière, je suppose ?
— Les journées de travail sont plus courtes, l'odeur est meilleure.
— Un avantage indéniable. Mais le travail lui-même, il te paraît intéressant ?
Riley fronça les sourcils et sirota son soda avant de répondre.
— Dans mon esprit, il n'a jamais été qu'un passage obligé avant l'héritage.
— Est-ce que tu pourrais envisager d'y faire carrière ?
— Peut-être. Il me plaît, oui, sous certains aspects. Le plus désagréable, c'est la tenue.
Pour preuve, il desserra sa cravate et défit le premier bouton de la chemise avec un soupir d'aise.
— Je te comprends. Pour ma part, j'apprécie les jours où j'ai les mains dans la farine, quand rien ne m'oblige à soigner ma tenue, dit Gracie en brossant une tache blanche sur son T-shirt. Quand je suis dans ma cuisine, tout doit être lavable. Il faut croire que je suis une pâtissière particulièrement maladroite, il m'arrive toute sorte d'accident.
De sa place, Riley pouvait sentir les effluves émanant du corps de Gracie, des effluves doux et féminins sans rapport avec le parfum du gâteau en préparation. Une seconde vague de désir le submergea. Pourtant, il tint bon et l'ignora de son mieux. Ils étaient amis. Surtout, ne pas gâcher le plaisir inattendu et précieux que lui procurait Gracie en mélangeant les genres !
— Diane me presse constamment de donner de l'argent au nom de mon oncle pour le nouveau pavillon pédiatrique de l'hôpital local, reprit-il. Mais je m'y refuse absolument.
L'œil sur le minuteur, Gracie coinça une boucle récalcitrante derrière son oreille.
— Tu refuses de donner de l'argent, ou tu refuses de le donner au nom de ton oncle ?
— Je tiens à ce que son nom ne figure nulle part.
— Alors baptise ce pavillon du nom de quelqu'un d'autre. Et pourquoi le nommer, d'ailleurs ? C'est obligatoire ?
— Je ne sais pas. Il se pourrait que je finisse par céder simplement pour avoir la paix. Mon assistante est très têtue...
— Peu importent tes motivations. A mon avis, le conseil d'administration de l'hôpital sera très content d'encaisser le chèque et personne ne te posera de questions. Mais d'où vient cet argent, au fait ? Tu n'as pas encore touché l'héritage, sauf erreur ?
— Est-ce que tu songerais à solliciter un prêt ?
— Tu m'as parlé de quatre-vingt-dix-sept millions de dollars. Si tu avais une telle fortune, c'est une donation que je solliciterais, pas un prêt.
— Un point pour toi. Cet argent est celui de la banque. Le cahier des charges stipule qu'un pourcentage précis des bénéfices doit être affecté aux œuvres caritatives.
Quelle ironie, songea-t-il. Le vieux avait pris ses dispositions pour distribuer des millions aux bonnes œuvres, tout en laissant mourir dans l'indigence sa propre sœur.
— Et c'est toi qui choisis lesquelles ? Sympa !
— Je signe les chèques, c'est tout. Diane se charge du reste.
Riley sourit.
— Cette femme est d'une efficacité remarquable. Je l'emmènerais volontiers avec moi dans ma prochaine vie professionnelle.
— Autrement dit, le commerce du pétrole ?
Il hocha la tête.
— Nous avons plus de cinquante puits, maintenant.
Gracie se redressa à la seconde précise où le minuteur se mit à sonner et alla tourner le moule dans le four.
— Dire que tu es parti d'ici sans un sou en poche... C'est stupéfiant. Ta maman serait très fière de toi. Est-ce qu'elle a appris ta réussite avant de mourir ?
— En partie. Je lui ai envoyé de l'argent dès que j'ai pu.
Si seulement cela avait suffi, songea Riley avec tristesse. Si seulement il ne lui avait pas tenu rigueur de l'avoir poussé à épouser Pam... Si elle lui avait dit la vérité... S'il était revenu à temps...
— Donc tu es déjà riche, le taquina Gracie. Voilà qui ajoute à ton charme.
— Tu n'es pas une croqueuse de diamants, répliqua Riley.
Gracie le considéra d'un air surpris.
— Comment peux-tu affirmer cela ?
— Je me trompe ?
— Non, mais nous n'en avons jamais parlé, tu me connais à peine...
— J'en sais suffisamment sur toi. De plus, j'ai épousé une créature qui en avait après mon argent. J'ai appris à reconnaître les signes.
— C'est pourquoi tu évites aujourd'hui d'évoquer ta fortune ?
— Je n'en arrive jamais au stade des confidences avec les femmes. Pour elles, je suis juste un type qui travaille sur une plate-forme pétrolière.
— Les femmes ? releva-t-elle. Tu en aurais donc toute une horde ?
— Si on veut. Mais je suis ouvert aux candidatures spontanées...
— C'est tentant, mais je n'aime pas partager.
Riley acquiesça. C'était une vie conventionnelle qu'il fallait à Gracie.
— Alors comment se fait-il que tu ne sois pas déjà mariée, avec trois enfants ?
— En fait, je rien veux que deux. Plus un chien, à la rigueur. Je ne sais pas. Je n'ai pas encore rencontré le bon.
— Le bon chien ou le bon mari ?
Elle éclata de rire.
— Le bon mari ! J'en ai testé quelques-uns, j'ai même failli me jeter à l'eau. Charmants, pour la plupart. Q.I. honorable, travail honnête, profil responsable...
— Mais...?
— Oh ! C'est un peu bête...
Gracie empila distraitement les saladiers vides pour les transférer dans l'évier.
— En fait, je veux des... des étincelles... Tu sais, l'alchimie parfaite, magique... Je veux que mon ventre se serre dès que mon homme me touche. Je veux retenir mon souffle quand le téléphone sonne...
— La passion, quoi.
— Exactement, dit-elle en saisissant un essuie-mains. C'est quelque chose que je n'ai jamais ressenti. Et puis, avec la famille que j'ai, il se peut que j'éprouve une certaine difficulté à accorder ma confiance.
— Ta mère t'avait bannie de la maison, c'est vrai...
Riley se leva et s'approcha d'elle, fasciné par le bleu de ses yeux. D'où pouvait venir une teinte aussi tendre ?
— Mon père à moi me battait quand j'étais gosse.
— Alors tu me comprends, murmura Gracie.
S'il n'y avait que les yeux, songea-t-il. Mais sa bouche l'hypnotisait. Son corps semblait tanguer vers lui. L'air vibrait de tension.
— Oh, firent les lèvres enjôleuses, je croyais que c'était une mauvaise idée ?
— Ça l'est toujours.
— Mais c'est avec cette mauvaise idée en tête, et pas une autre, que tu es venu ici...
Vraiment ? Il n'en avait pas eu conscience. Mais elle avait peut-être raison.
— Dis-moi non, répliqua-t-il, et je m'en vais.
Gracie le dévisagea un instant, puis leva la main pour effleurer sa bouche.
— Qu'est-ce qui séduit autant les femmes bien chez les canailles ? s'interrogea-t-elle à voix basse. Je n'avais jamais eu à affronter une tentation comme toi, jusqu'à aujourd'hui.
— Est-ce que tu comptes résister ?
Gracie hésita.
La réponse lui échappait. Evidemment, puisqu'elle avait de plus en plus de mal à réfléchir. Elle fondait sous ce regard qui la dévorait comme si elle était l'unique femme sur terre. Son corps lui faisait mal, chaque parcelle de peau réclamait que Riley la touche. Cet homme, elle le voulait contre elle, en elle, pour perdre pied et l'entraîner dans la folie... Qu'ils succombent ensemble ! Et qu'ils échangent après coup des soupirs et des baisers émerveillés...
Bien sûr, c'était Riley. Riley, dont la philosophie sentimentale ne prêtait pas à la tendresse. Etait-elle disposée à se soumettre à la sacro-sainte règle des trois S ? A n'être qu'une passade ?
Comme elle gardait le silence, il lui rendit sa caresse. Et le léger contact des doigts sur sa joue suffit à déclencher ce qu'il fallait bien appeler une gerbe d'étincelles. Alors, elle comprit.
L'après, les commérages en ville, leurs passés respectifs, tout cela n'avait pas la moindre importance, parce que le Riley qui hantait ses rêves d adolescente n'était qu'une ombre dénuée de substance, au regard de cet être de chair et de sang,
— Cesse de te torturer, Gracie. Si cela te coûte, je m'en vais, je ne veux pas te...
Il n'acheva pas sa phrase. Gracie s'était hissée sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la bouche. Il se figea, la main sur son épaule.
Ha ! Il attendait donc une preuve qu'elle désirait vraiment cela ? D'accord. Le défi ne lui faisait pas peur. Tout en lutinant ses lèvres, elle attrapa sa chemise, la dégagea de la ceinture du pantalon, glissa les mains sur la peau satinée du ventre...
Elle était prête à faire plus, beaucoup plus, pour le convaincre, mais ce ne fut pas nécessaire. Il reprit brutalement les commandes d'un baiser si fiévreux qu'elle crut défaillir. Par la grâce de la langue douce et joueuse, les étincelles éclatèrent en feu d'artifice... Gracie chavira dans les bras de Riley et sentit alors contre son ventre combien il la désirait déjà.
Un long frémissement la parcourut. Sous la chemise, ses mains dérivèrent dans le dos de l'homme, vers le creux des reins, puis le bombé des fesses, bien haut et ferme sous la pression. Quelle merveille, songea la jeune femme tout étourdie. Le désir déferlait dans ses veines en vagues puissantes, de plus en plus chaudes. Un désir partagé, lui sembla-t-il, car Riley la pressa violemment contre lui et se pencha sur son cou pour mordiller la petite plage de peau si sensible derrière l'oreille... Alanguie, elle eut à peine conscience qu'il lui retirait son T-shirt.
Leurs regards se rencontrèrent. La flamme dans les yeux de Riley aviva sa propre convoitise.
— Je te veux, souffla-t-il, les mains sur sa taille.
Ces mains brûlantes montèrent doucement vers ses seins gorgés de désir, mais son corps entier frissonnait de plaisir anticipé. « Touche-moi ! » aurait-elle voulu supplier.
— Moi aussi, je te veux.
Riley effleura les pointes dures avec ses pouces.
Les étincelles explosèrent alors en un bouquet d'éclairs aveuglants. La tête rejetée en arrière, Gracie le supplia tout bas de continuer, d'aller plus loin...
A travers la soie du soutien-gorge, elle sentit la chaleur moite de la langue, et la morsure légère. Elle saisit Riley aux épaules autant pour garder l'équilibre que pour le garder, lui, en position. C'était trop délicieux.
Un crochet céda dans son dos. Comme les brides glissaient sur ses épaules, elle s'écarta une fraction de seconde pour se débarrasser du sous-vêtement. Puis Riley fut là de nouveau, la bouche sur sa peau nue, et un cri s'étrangla dans sa gorge.
— Oui, gémit-elle, les yeux clos.
Il décrivit des cercles autour de la pointe, puis l'aspira tout en caressant l'autre sein. C'était incroyable. Indescriptible. Une soif, une brûlure, un plaisir croissant qui lui arracha un râle. Elle enfouit les doigts dans ses cheveux. Soudain, elle le voulait nu. Tout à elle.
— Riley, chuchota-t-elle, déshabille-toi !
Par bonheur, elle n'eut pas à se répéter. Riley se redressa, défit ses manches et fit passer la chemise par-dessus sa tête, cravate comprise. En un clin d'œil, il ôta chaussures et chaussettes. Le pantalon suivit, puis le caleçon...
Gracie réussit, sans savoir comment, à retirer ses propres vêtements et à se délecter du spectacle trois longues secondes avant qu'il reprenne ses lèvres pour un baiser qui la galvanisa corps et âme. Ils s'arrimèrent l'un à l'autre, fébriles, impatients. Sous sa poussée, elle recula sans voir où il l'emmenait, d'ailleurs quelle importance, il avait posé la main sur son sein, et le reste ne comptait plus. Son dos heurta la table...
Riley tendit le bras derrière elle et balaya la surface d'un geste ample. Casseroles et saladiers volèrent sur le carrelage dans un fracas de métal qui se répercuta dans la cuisine, mais Gracie s'en fichait. Parce qu'il venait de l'asseoir sur le bois lisse pour se poster entre ses cuisses.
Elle s'ouvrit toute grande, sûre qu'il la comblerait dans la seconde. Mais non, il lui saisit la nuque d'une main tandis que l'autre descendait explorer son intimité. Les doigts experts eurent tôt fait de dénicher le point d'origine précis de son désir, pour le provoquer.
— Regarde-moi, ordonna-t-il comme elle fermait les yeux. Je veux voir si tu aimes.
Elle sourit.
— J'aime beaucoup...
— Ah... Et ça aussi ?
Il pinça délicatement la chair sensible, la malmena entre ses doigts. Le plaisir déferla en une onde bienfaisante dans le corps tendu de Gracie. Impossible de respirer. Impossible de penser, ou de faire quoi que ce soit d'autre que prier pour que cela ne s'arrête jamais...
Sa prière fut exaucée. Une caresse après l'autre, la jouissance s'annonça bientôt comme la marée montante. Gracie ferma les yeux et se laissa emporter, agrippée au cou de Riley, de plus en plus loin...
Tout s'arrêta brusquement. Elle s'insurgea aussitôt contre cette injustice — elle n'était plus qu'à un souffle de...
Un baiser étouffa ses protestations. Au même instant, Riley plongea en elle, et ce n'était plus avec les doigts. Avec un râle de pure volupté, elle verrouilla les chevilles sur les reins de son amant pour le caler contre elle.
Tandis que leurs langues s'unissaient, il se mit à aller et venir en elle, l'emplissant de toute sa puissance, de toute son envergure, portant son corps échauffé aux confins de la raison, vers ce lieu où le plaisir règne en maître. Les ongles fichés dans ses épaules, tendue jusqu'à l'insupportable, Gracie bascula enfin dans l'extase libératrice. Le long tremblement de tous ses muscles lui arracha un cri, puis un autre... Riley redoubla d'ardeur, prolongeant le miracle des répliques qui se succédaient, avant de céder à son tour, sur un ultime coup de reins.
Gracie fut certaine d'avoir perdu conscience une fraction seconde. Quand elle recouvra ses esprits, elle haletait, la tête sur l'épaule de Riley, qui la tenait étroitement serrée contre lui. Elle perçut les battements fous de son cœur et sourit.
— Pas mal, dit-elle.
Il gloussa, cueillit son visage à deux mains et l'embrassa
— J'allais le dire...
— Alors, tu as connu pire ?
— Oh, oui.
— Et mieux ?
Encore un petit baiser, puis :
— Impossible.
— Encore heureux, dit Gracie.
Elle se sentait détendue et plutôt à l'aise. Il lui manquait juste une serviette ou un mouchoir pour... Mais, naturellement, pas la moindre boîte de mouchoirs en vue. D'ordinaire ces choses-là se faisaient dans le confort de la chambre à coucher où il y avait tout le nécessaire, mouchoirs, préservatifs...
Seigneur !
Ecartant Riley d'une poussée, elle glissa au bas de la table.
— Quoi ? demanda-t-il. Tu as une crampe?
— Nous n'avons pas pensé à nous protéger.
Riley se rembrunit d'un coup.
— Tu ne prends pas la pilule ?
— Non.
Plusieurs choses se produisirent alors en même temps.
Une odeur de brûlé envahit la cuisine tandis qu'une fumée noire s'échappait du four. Riley recula comme pour mettre une distance physique entre lui et ce qu'ils venaient de faire, Et quelqu'un se mit à tambouriner à la porte d'entrée.
Avec un cri de désespoir, Gracie se jeta sur ses habits.
— N'importe qui, mais pas ma mère, marmonna-t-elle en enfilant sa culotte. Et ne me regarde pas comme ça. Je ne l'ai pas fait exprès !
— Je sais.
— Toutes les Américaines ne prennent pas la pilule.
— Je sais, répéta-t-il.
— Alors tu n'as pas le droit de m'en vouloir à mort !
— C'est à moi que j'en veux.
Les coups reprirent à la porte. Une voix appela :
— Gracie ? Vous êtes là ? Gracie !
— Je crois que c'est ma voisine.
Elle agrafa son soutien-gorge, sauta dans son pantalon. Riley avait déjà remis le sien.
— Tu peux t'occuper du four ? Je n'ai pas envie que le détecteur de fumée se déclenche.
Il obéit tandis qu'elle filait dans le couloir, saisissant son T-shirt au vol. Le temps de se recoiffer du bout des doigts, et elle ouvrit grand la porte.
— Bonjour, dit-elle avec un sourire épanoui, espérant que sa voisine — quel était son nom, déjà ? — ne remarquerait rien d'anormal.
— Oh, Gracie... Je suis si contente de vous trouver... C'est Muffin. Elle est tombée dans la piscine et je n'arrive pas à sortir de l'eau. Elle ne veut pas s'approcher des marches elle nage en rond depuis un bon moment... Je vous en prie venez m'aider !
Cette dame d'une soixantaine d'années, au visage marqué par les vicissitudes de la vie, se tordait les mains sous l'effet de l'angoisse. Il faisait déjà sombre dehors ; une brise fraîche venue de l'océan s'était levée. Dans ces conditions, plonger dans une piscine glacée ne serait pas une partie de plaisir. Gracie hocha la tête de mauvaise grâce.
— J'enfile une paire de chaussures et je vous suis.
En se retournant elle aperçut Riley dans l'entrée. Il finissait de rajuster sa chemise.
— La chienne de la voisine est tombée dans la piscine, annonça-t-elle.
— J'ai entendu. Je m'en occupe.
Gracie écarquilla les yeux.
— Pardon ?
— Je m'en charge. Il fait froid à cette heure-ci. Tu peux me préparer une serviette ou deux?
Il passa devant elle avant qu'elle ait pu protester, et sa voisine, dont le nom lui échappait toujours, saisit Riley par le bras.
— Oh, merci ! Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans vous... Ma petite Muffin perd ses forces. Et puis l'eau est si froide, et elle est si petite...
Sa voix s'étrangla dans un sanglot.
Gracie s'apprêtait à les suivre lorsqu'elle se souvint des serviettes. Elle fila dans la salle de bains, en sortit trois de l'armoire et courut dans la villa d'à côté.
Le temps qu'elle arrive, Riley avait déjà retiré chemise et chaussures et pataugeait dans la piscine. Muffin, un yorkshire minuscule, battait furieusement des pattes dans la direction opposée et, quand il s'approcha, la chienne se mit à gronder en s'éloignant vers le grand bain.
— Muffin, non ! cria sa maîtresse. Le gentil monsieur essaie de t'aider ! Va vers lui, ma puce... Ta maman te le promet, tout ira bien...
Gracie s'accroupit au bord du bassin. Riley lui jeta un regard courroucé.
— Ne me dis pas que c'est ma faute, se défendit-elle. Tu t'es proposé tout seul !
— La prochaine fois, retiens-moi.
Il s'avança vers Muffin en marmonnant quelque chose qui ressemblait beaucoup à un juron.
Malgré sa taille ridicule, le yorkshire se révéla bon nageur. Il glissait d'un bord à l'autre de la piscine à la vitesse d'un missile de croisière. A la lueur des lampes d'extérieur, Gracie vit Riley frissonner dans l'eau. Elle en testa la température et retira vivement ses doigts. Bon, ce n'était peut-être pas la peine qu'ils soient tous les deux glacés jusqu'aux os...
Riley finit par coincer la petite chienne près de l'échelle côté grand bain. Il tendit la main, mais elle détala sur la gauche. Riley l'attrapa au vol et la ramena vers lui. L'homme et l'animal poussèrent un hurlement, mais Riley tint bon.
Jurant de plus belle, il rejoignit le bord en nage indienne et posa Muffin au sec sur le ciment avant de grimper à l'échelle. Gracie se précipita pour lui tendre une serviette. Alors, seulement, elle vit que l'animal lui avait méchamment griffé la poitrine.
— Je suis désolée, dit-elle. Je suis sûre qu'elle ne l'a pas fait exprès, c'était un réflexe...
— Peu importe, le mal est fait.
Pendant ce temps, la voisine roucoulait à l'oreille de sa chienne emmaillotée dans un linge moelleux.
— Là, tout doux... Tu m'as fait peur, tu sais... Il ne faut plus aller dans cette méchante piscine !
Puis, levant les yeux vers Riley :
— Je ne sais comment vous remercier...
— Pas de problème, dit Riley en filant vers le portail. Bonne nuit !
— Attendez ! Je veux vous dédommager !
Riley refusa d'un geste. Gracie accéléra pour se porter à sa hauteur.
— Il faut te désinfecter, dit-elle. Ces écorchures ont l'air...
Sa phrase resta en suspens. Au moment où Riley débouchait sur le trottoir, un grand flash les éblouit tous les deux. Gracie entendit quelqu'un courir. Une portière claqua, une voiture démarra aussitôt et disparut au bout de la rue.