partir
en déconne prêchaillante, le bougre ?
- MI' Alcazar est une personne bizarre, dominée par votre personnalité.
Elle
n'acceptera aucun traitement si vous ne l'y engagez vous-même. La prison Saint-Gratien est un modeste établissement. Il serait très facile que vous y fassiez
une visite clandestine dont je vous garantis qu'elle resterait secrète.
compte de mes actes. En me nuisant, la femme Alcazar a nui àmes amis, durement,
croyez-le, il n'est pas question que je leur fasse courir le moindre risque dans
une période pré-électorale susceptible d'amener des bouleversements sociaux.
Un temps.
Il reprend souffle! Ouf! voilà, c'est dit!
Chassel se lève.
- Je doute qu'une visite de vous à une malheureuse plongerait la France dans le
chaos, monsieur le Président.
Leurs regards se frottent comme la lame d'un coutelas sur un fusil à
aiguiser.
- Ce n'est pas de gaîté de cúur que je refuse cette forme d'assistance à
Ginette, mon père.
L'aumônier a un sourire méprisant.
- Il ne manquerait plus que ça, lance-t-il avec une violence mal contenue.
Vous
croyez vous occuper du bien public, monsieur le Président, mais le bien public
passe par notre prochain le plus abandonné, comme la plus grosse des fortunes
passe par la plus humble des pièces de monnaie.
Il s'incline, gagne la porte. Tumelat l'escorte avec raideur. Ils franchissent
le hall o˘ Juan-Carlos déboule avec le café. Le Président va lui-même appeler
l'ascenseur, selon sa bonne habitude qui lui vaut une réputation de grande courtoisie.
- Vous permettez, dit Chassel en lui remettant un méchant carton bleu.
- qu'est-ce que c'est?
- Mes coordonnées pour le cas o˘ vous vous raviseriez. La conscience commence
toujours par chuchoter, mais il arrive parfois qu'elle se mette à hurler.
La cabine arrive, amenant Eric. Le garçon est blême, tragique. Il sort en bousculant le prêtre et se blottit près de la porté ouverte. Lorsque le visiteur
a disparu, Plante enfouit sa pauvre gueule défaite dans ses mains et se met à
sangloter.
il s'est contenu toute la nuit.
Il est ivre mort.
III
Comme elle sort de la salle de bains, elle avise AdélaÔde Tumelat assise sur le
lit non défait de la chambre d'amis. NoÎlle lui dit un timide bonjour de pensionnaire d'institution libre saluant sa directrice.
Elle est drapée dans un peignoir de bain en tissu de couleur orange, ses cheveux
mouillés collés à sa tête paraissent accentuer la gravité de ses br˚lures.
MI'
Tumelat s'abstient de répondre àson bonjour. Sa physionomie n'a rien de bienveillant. La femme du Président parait très méchante lorsqu'elle est ainsi :
m‚choires crochetées et úil pointu.
La jeune fille n'ose commencer de shabiller devant son hôtesse puisque, pour
cela, il lui faudrait d'abord se débarrasser du peignoir; elle attend, sur un
pied, se frottant le mollet de l'autre.
AdélaÔde replie ses jambes en tirant chastement sur sa jupe.
- NoÎlle, commence-t-elle, pensez-vous que cette situation puisse durer longtemps ?
L'adolescente ne s'attendait pas à une telle attaque. Son saisissement est tel
qu'elle ne trouve rien à répondre de valable.
- La complaisance comporte des bornes à ne pas franchir, poursuit AdélaÔde.
Je
veux bien que mon ménage soit en miettes, mais ce n'est pas une raison pour tolérer qu'une jeune fille dorme dans la chambre de mon mari tandis que j'en
occupe une autre.
NoÎlle laisse traîner son regard sur les gravures anglaises décorant la chambre.
Jumping! Hop! hop! Sauts d'obstacles, redingotes prunes. Comme ces cons des champs de course qui se saboulent en turfistes d'Epinal (avec gibus gris, please) pour aller voir galoper des bourrins, merde, il faut pas chier la honte!
- Nous ne faisons rien de mal, plaide-t-elle, un peu sottement, bien s˚r, mais
elle est prise au dépourvu et c'est le seul %raliment nili Iiii uié-nnp LES CLEFS DU POUVOIR
Ainsi mise en demeure, la petite regarde Bobonne et sent des rebifferies croître
en elle à toute vibure.
- Je conviens qu'il y a là un manquement aux convenances, répond-elle, d'un ton,
tu l'entendrais, à la place d'AdélaÔde tu lui allonget-ais une baffe, tant tellement c'est lourd d'impertinence.
- Je suis ravie de constater que mon initiative a porté ses fruits, fait AdélaÔde en réprimant sa rage : votre séjour ici vous a été salutaire du point
de vue moral. Hier, comme vous ne l'ignorez pas, votre papa a téléphoné car votre silence l'inquiète, je m'étonne que vous ayez refusé de prendre la communication. Pour parler net, je pense qu'il serait souhaitable pour tout le
monde que vous retourniez chez vos parents.
Voilà qui est net et péremptoire. Chassée! Ce bonheur animal qui l'emportait
lentement vers le salut tourne court. C'est comme si elle br˚lait une deuxième
fois. Les flammes de l'incendie se rallument et l'enveloppent, l'étouffent telle
une couverture de feu jetée brusquement sur elle. Elle voudrait crier d'horreur.
Elle se sent si infime, si petite fille molestée !
Sans rien dire elle quitte la chambre à la recherche du Président.
j
Horace vient de lire l'article.
Sa réaction ? Un éclat de rire rabelaisien.
- Moi, pédale! Même mes adversaires politiques n'oseront pas taper sur un tel
clou! La petite garce! Oh! il fallait s'attendre à une ruade de ce genre.
Voulez-vous que je vous dise, Eric? C'est d'assez bonne guerre. Et je comprends
mal votre désarroi.
Eric a séché ses larmes. Le Vieux contemple son visage rosi par les sanglots. Il
se dit que s'il était porté sur les'hommes, il serait s˚rement très épris de
celui-ci.
- Si tu me disais un peu, Fiston ? Hmm ? Ne me laisse pas mourir idiot.
C'est
quoi, ton drame ? qu'est-ce qui te ronge ?
- Mon père! avoue brusquement Plante.
Tumelat comprend et hoche la tête. Il est décontenancé par la simplicité de l'explication, son évidence.
Eric raconte :
- C'est lui qui m'a élevé car ma mère est morte de bonne heure. Un homme fabuleux. Je lui dois une enfance exceptionnelle. Nous deux, c'est...
c'est...
Il hausse les épaules et se tait. Une ‚cre émotion lui tord la gorge. Il mordille une peau morte à son pouce.
- quand il va voir cette saloperie, ce sera la chute libre. Il croit en moi.
Il...
Bon, inutile d'en dire plus long. Eric Plante est resté un petit garçon qui adore son père et qui le craint. La perspective de le décevoir le terrorise.
Je dois vous sembler puéril, n'est-ce pas? soupire-t-il.
148
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
149
Au contraire. Je sens que cela est très beau!
C'est également très beau; mais il y faudrait un livre avec beaucoup de talent
pour pouvoir faire passer ce qu'il y a de... d'indicible entre nous.
- O˘ vit-il ?
- Dans la propriété de famille, en Ardèche.
- Pourquoi l'avez-vous quitté, pour faire carrière ?
- Non : parce qu'il s'est remarié.
- Ah, oui...
Le Président est attendri. Bon gosse, au fond, ce Plante. Pas du tout la vermine
qu'il croyait au début. Faux salaud, cela existe. Un adolescent déçu qui essaie
de toiser l'existence avec hauteur et de se venger sur elle de ses désillusions...
- Il ne lira peut-être pas ce caca.
- Il est abonné au journal.
- Téléphonez-lui pour lui expliquer qu'il s'agit d'une vengeance.
- Mon père est à la fois plein de fantaisie et de rigueur. La chose imprimée
compte pour lui, elle lui paraît indélébile.
- Comment croyez-vous qu'il réagira ?
- Je pense qu'il débarquera chez moi.
- Pour quoi faire ?
- Pour me regarder.
Tumelat hoche la tête. Il est frappé par la gaminerie de son secrétaire. Un tout
petit garçon épouvanté par les sourcils de son papa! S'il s'attendait à une telle découverte! Il en est un peu gêné, lui qui aime les battants de sa trempe.
Le côté gonzesse de Fiston, quoi! Un garçon brillant, rusé, capable de rouler à
deux cents à l'heure sur une moto, mais fragile au point de pleurer pour un article.
- Tu sais, petit, si tu veux atteindre le sommet du cocotier, il va falloir te
cuirasser et que papa y mette du sien. Appelle-le, je vais lui parler, moi.
L'éclairer un peu sur notre jungle! C'est beau, l'Ardèche, mais c'est loin dans
le temps.
Eric prend tout à coup conscience de la scène, il la capte dans le regard lourd
du Président et s'abstrait suffisamment pour la juger.
- Non, laissez, monsieur le Président, je me débrouillerai seul avec mon père.
- Bravo! Explique-lui qu'en politique, on doit avoir des plumes qui ne laissent
pas passer les injures. Si tu restes perméable aux critiques, aux mensonges, aux
quatre vérités, alors retourne au pays, Fiston.
Il le chope par le revers et l'attire violemment à lui.
- Pour arriver, il va falloir que tu aies des couilles au cul, mt%n crruncl à-1- n-~ e~ -;* 1- *; - - ~A1~ ---- A "?
- uui, monsieur ie rresiaeni.
Tumelat l‚che son protégé et rafle le journal sur la table. Il le lui brandit à
bout portant au visage.
- Es-tu prêt à me donner une preuve que tu es quelqu'un, Fiston ?
- Je suis prêt, monsieur le Président.
- M'obéiras-tu, même si ce que j'exige de toi te paraît fou ou impossible ?
- Je vous obéirai, monsieur le Président, parce que j'ai besoin de votre volonté
pour vivre!
- Tu connais Ruy Blas ?
- Oui ?
- Te rappelles-tu la fin de l'Acte I, Fiston ? La Reine paraît, tous les grands
d'Espagne se couvrent; Don Salluste tend un chapeau à Ruy Blas, son valet et lui
dit " Couvrez-vous donc, César. Vous êtes grand d'Espagne ". Et quelle est la
réplique de Ruy Blas ?
Eric Plante sourit en déclamant
" Et que m'ordonnez-vous, Seigneur, présentement ? "
- Parfait, vous avez des lettres. que répond Don Salluste en montrant la reine ?
Docile, Plante, récite
" De plaire à cette femme et d'être son amant. "
Le Président fourre l'hebdo plié en quatre sous le pull gris de son secrétaire,
comme dans une boîte aux lettres, en tirant exagérément sur le col.
_ Eh bien moi, Don Tumelat, je vous dis : " Attaquez-vous à une oeuvre d'envergure, mon garçon. Devenez l'amant d'Eve Mirale ! Si vous relevez le défi,
dans trois ans je ferai de vous l'un des plus jeunes députés de France. "
Il a dit cela, le Président Tumelat.
L'a dit posément, sans passion, mais d'un ton sombre, voire même farouche.
Il
est en train de b‚tir, comprends-tu, ce génial architecte ? Il b‚tit une carrière. C'est son plaisir, son hobby comme ils disent, ces franglaises-franglais de chiasse.
Il s'offre ce bon plaisir, M. le Président. Il s'est d'abord fait, maintenant,
tel Dieu le Père, il fait les autres. Il crée la descendance qu'il n'a pas eue.
Ah! le génial fumier! Non, ne le hais pas, tente plutôt de le comprendre.
Nous
devons essayer de tout comprendre, et plus que le reste l'incompréhensible.
A vrai dire, ce n'est pas d'un dauphin qu'il a besoin, non plus que d'un fils
adoptif. Ce qu'il tente, c'est une espèce de recommencement. Il se transmute, tu
vois ? Touchant, je te jure. Et puisque nous sommes là, tous les deux, moi l'auteur de Bourgoin-Jallieu, toi le lecteur de partout, rendons-lui gr‚ce de se
sentir homme au point de renouveler sa vie par individu assurer Eric. Son triomphe est dans cet aveu au Président. Le grognard auquel
Napoléon pinça l'oreille n'était pas davantage galvanisé que l'est le jeune secrétaire.
Il met ses mains contre sa poitrine o˘ craquette le sale hebdo. Enfin, une vraie
mission!
- Bien, monsieur le Président, dit-il seulement.
On gratouille à la porte. C'est NoÎlle, plus défigurée que jamais, dans un peignoir de bain orange. Elle a les pieds nus, l'air égaré.
- Vous pouvez venir? lance-t-elle à Horace.
Alarmé, il accourt.
- qu'est-ce qui t'arrive, l'Ange ?
- Elle m'ordonne de rentrer chez mes parents tout de suite. Dois-je lui obéir?
Tumelat a une sorte de léger hennissement.
Mais tonnerre de Dieu, il en prend plein la pipe, ce matin! C~est la grosse coalition! Lui qui se sentait si heureux au lever! La pourriture d'Alcazar lui
envoie un curé à bouille d'abbé Pierre pour lui faire chier la conscience avec
son cancer! Son secrétaire sanglote pour un article parce qu'il redoute les r
actions de son vieux papa! Et maintenant sa vacherie de bonne femme se met à
faire un numéro de bourgeoise bafouée! Oh! la vie! Dis, il a soixante et deux
bougies, Horace! Faudrait arrêter de lui pomper l'air! Voilà qu'il éprouve de
l'homicide par autodéfense dans toutes les phalanges, l'ami. A quoi sert d'être
devenu l'un des dix principaux personnages du Royaume s'il doit se laisser casser les burnes par tout un chacun. Il supporte mal qu'on flanque des peaux de
banane sur sa trajectoire. Alors, je te le répète, cette troisième emmerde matinale le fait sortir de ses gonds.
Il écarte NoÎlle sans ménagement, shoote dans l'aspirateur de l'Espingo qui lui
barrait le passage et part à la recherche de sa Madame Michu.
Vaguement inquiète, la vieille tringle mijote, bras croisés, dans le couloir des
chambres; maudissant cette petite gredine défigurée, partie la rapiner auprès du
grand maître sans consentir à la discussion. Son Monsieur accentue ses alarmes.
Vache, cette gueule défaite! Un cyclone jamaÔquain!
1 Il lui surgit contre, avec des yeux à réitérer le Dix-huit Brumaire.
- Madame la Marquise a ses humeurs? demande Horace.
- J'ignore ce que cette petite putain t'a raconté, la seule chose qui m'intéresse, c'est son départ.
Le Président est follement imprévisible. Tu sais quoi ? Il consulte sa montre et
ronchonne :
- Merde! j'ai rendez-vous dans dix minutes chez le Garde des Sceaux.
Puis, à sa femme, très neutre brusquement
- Bien, alors ?
Muclilluu ilu bait plua Liv-a "1~1. risque :
- Voyons, mon pauvre Horace, tu te rends bien compte que cette nouvelle foucade
devient intolérable. Nous ne pouvons pas continuer ce ménage à trois : elle dans
ta chambre et moi dans la mienne.
Il l'a écoutée en hochant la tête. Et puis il déballe son sourire de brochet
apercevant l'hameçon à travers le corps du vif.
- Non, tu as raison, on ne peut pas continuer ainsi, AdélaÔde. Tu es une femme
trop pudique pour accepter cela.
- Merci de le reconnaître.
- Juan-Carlos! hèle le ténor de l'hémicycle.
Malgré le grondement de son Tornado grand sport, le larbin a perçu l'appel et
accourt.
- Madame nous quitte, lui annonce le Président, allez dire àRosita qu'elle l'aide à faire ses bagages et à César de se tenir à sa disposition pour l'emmener à Gambais, ou ailleurs.
Il dépose un baiser de bois sur le front marmoréen de son épouse.
- Bon vent, ma grande ! Surtout laisse les fenêtres de ta chambre grandes ouvertes en partant car ça doit puer la chaisière dans ta boutique.
NoÎlle a assisté à la scène, adossée au mur, pareille à une pauvresse. Elle est
terrorisée par ce dont elle est la cause.
- Viens avec moi, l'Ange! ordonne le Président. Non, tu n'as plus le temps de
t'habiller, garde ton peignoir, tu m'attendras dans la voiture. Tu veux bien
m'attendre toute la journée dans la bagnole ?
Elle acquiesce.
- Tu trouves normal, n'est-ce pas, de m'attendre toute une journée, en peignoir
de bain, au fond de ma voiture? Dis àcette vieille peau que tu trouves ça tout à
fait normal, dîs-le lui bien de manière à ce qu'une fois dans sa vie, elle sache
ce que c'est qu'une femme !
IV
Après la croisière sur " la Rivière Enchantée ", Boby a voulu aller sur les toboggans. Il joue en poussant des cris, appelant sa mère à tout propos et hors
de propos, car les enfants ont avant tout besoin de témoins.
Eve est assise sur un banc, devant l'enclos sableux. A tout hasard, elle a emporté avec elle un jeu d'épreuves à corriger (Stock va publier un recueil de
ses meilleures chroniques de l'an passé); mais il ne lui est guère possible de
s'y consacrer dans cette ambiance enfantine du Jardin d'Acclimatation. De plus,
un vent mutin agite les longs " bandeaux " imprimés. Elle relit pour la troisième fois un même paragraphe et reste perplexe, découvrant avec inquiétude
que des chroniques journalières, livrées dans la frénésie d'un quotidien, supportent mal le refroidissement pondéré du livre. Ses phrases perdent de leur
mordant et ses sujets souffrent durement de ne plus être d'actualité. Elle se
reproche son immodestie. Conséquence d'un dîner littéraire. Christian de Bartillat a lancé la suggestion entre le café et une Chartreuse de cent ans d'‚ge " Pourquoi ne réuniriez-vous pas vos papiers en un volume? " Il a même
trouvé le titre : Le Carquois (un carquois étant, rappelons-le, un étui à
flèches). Eve a été séduite d'emblée par la perspective de tenir entre ses doigts un livre portant son nom. En secret, elle souffre que sa prose serve à
empaqueter des radis le lendemain de sa publication. Tout journaliste ambitionne
de s'accomplir dans les deux cent vingt-quatre pages d'un bouquin.
Elle juge sa verve défraîchie. Comment la critique accueillerat-elle ce plat
réchauffé ? Certes, la république des copains jouera et elle sera ménagée par
une grande partie de la presse, mais elle redoute une certaine tiédeur de complaisance. Déjà, elle se récite les points forts des papiers qu'on lui consacrera : " la bonne idée d'avoir réuni, pour notre agrément, ces petits chefsd'oeuvre qui... " Pour un peu, elle téléphonerait à son éditeur pour crier
" pouce ". Mais l'ouvrage est déjà composé. En très beaux caractères, d'ailleurs, souples, élégants, " bien lisibles ".
Ces cris de gosses l'agacent. Elle fait effort le mercredi après 154
LES CLEFS DU POU
midi pour amener Boby ici. Elle s'exécute " par devoir ". U mère, même débordée
par ses occupations professionnelles, d réserver du temps à son enfant. Le gamin
la réclame. Il raff de leurs virées à peu près bimensuelles, au cours desquelles
e le sature de manèges et de friandises, comme si cette goinfre de plaisirs compensait leur rareté.
- Maman, maman, regarde!
Boby arrive en brandissant comme un étendard une gigant que sucette versicolore.
- O˘ as-tu pris cela? s'étonne Eve.
- C'est le monsieur qui me l'a donnée.
La jeune femme bondit, tout de suite sur le qui-vive, reprochant d'avoir perdu
de vue son enfant pendant quelq instants.
- quel monsieur?
Boby désigne un grand garçon triste adossé à un arbre proc Eve reconnaît Eric
Plante et ses alarmes se changent maussaderie.
- Va la lui rendre! ordonne-t-elle sèchement, je te défen d'accepter des cadeaux
de gens que tu ne connais pas.
- C'est pas un cadeau, c'est une sucette! objecte le bamb peu résigné.
Il est drôlet, avec sa petite bouille aux pommettes parsern de taches de rousseur, ses grands yeux bleus, son nez retrous Il fait gavroche de luxe.
- Va rendre cette sucette! répète Eve, je t'en achèterai u autre.
L'argument convainc Boby qui rejoint Eric en lui proposant monumentale confiserie. Mais Plante conserve ses mains da les poches de son imperméable et
lui dit qu'il doit garder sucette. Prêt à y consentir, le gosse se tourne vers
sa mèr
- Le monsieur veut pas!
Eve hésite à aller rabrouer Eric. Si elle s'écoutait, e s'emparerait de la sucette et la flanquerait loin d'elle sur u pelouse. Elle a mal dormi à
cause de
lui et sa soudaine présen dans le jardin l'horripile.
Elle n'a pas à balancer longtemps car c'est lui qui s'approc
- Laissez-la-lui, murmure-t-il en montrant la sucette ; c' un gosse. Les subtilités de l'existence ne lui sont pas enc perceptibles, Dieu merci.
- C'est un cadeau qui, venant d'un garçon comme vo inquiète une mère, rétorque
Eve Mirale.
Il rougit.
- J'ai peut-être fait des expériences homosexuelles, mais ne suis pas pédéraste.
- Voilà qui me rassure, répond ironiquement la journalis Ainsi vous me suivez?
Il hausse les épaules.
- Disons que je me trouve au même endroit que vous.
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
155
- Eh bien, j'aimerais considérer cette rencontre comme une simple coÔncidence,
monsieur Plante.
- Alors, je peux la manger? coupe Boby.
Sa mère lui accorde la permission d'un sourire.
- Vous permettez ? fait Eric en s'asseyant sur le banc.
Il croise les jambes. Il ne s'est pas rasé et trimbale une gueule déjetée de
bringueur à l'aff˚t d'un taxi.
- Si vous avez quelque chose à me dire, profitez-en, car je dois rentrer le petit.
- Je n'ai rien à vous dire.
- Vous venez simplement m'apitoyer avec vos airs à la Raskolnikov ?
- Je ne pense pas que vous soyez une femme compatissante. Je crois même que vous
êtes carrément impitoyable.
- Vous n'êtes pas ici sans motif!
- En effet.
Eh bien, j'écoute ?
J'avais une irrésistible envie de vous voir.
- Pourquoi?
- Pour rien, ou plutôt si : pour vous regarder. Je n'ai pas fermé l'oeil.
Votre
foutu papier va déclencher un drame dans ma vie; c'est imminent. Avant de subir
cette tempête, je tenais àvérifier une chose qui, si elle se confirme, va m'aider à la supporter.
Il ajoute
- Elle se confirme.
- De quoi s'agit-il ? demande Eve.
Il la regarde. Elle est très belle dans un gros pull blanc à col épais, jupe de
gros tissu à carreaux noirs et blancs, veste de cuir noir fourrée, bottes noires. Elle s'est arrangé une queue de cheval comme beaucoup de femmes quand
elles sont pressées.
L'air vif donne à ses joues les teintes de la vie. Elle parait beaucoup plus
jeune ainsi et évoque quelque étudiante potassant ses cours.
- Si je vous le dis, vous allez m'envoyer faire foutre, dit Eric.
Elle ricane :
- Je crois savoir que vous y allez tout seul!
La garce! L'odieuse! Te vous tuerait père et mère pour ne pas rater un trait
d'esprit! Eric manque d'air. Un flot de bile lui grimpe au gosier.
Il ferme les yeux, renverse la tête en arrière.
- Jadis, les pamphlétaires étaient des gros bonshommes Béraud, Janson, Léon Daudet. Pourquoi à présent, sont-ce de jolies femmes ?
Pourquoi a-t-on envie de faire l'amour à son bourreau ?
Il se tourne soudain vers elle et insiste violemment
- Hein, madame Mirale, pourquoi? Pourquoi? Vous vouliez connaître la raison de
ma présence ici ? Eh bien vous l'avez. Vous me plaisez! J'ai envie de vous!
Bouchez les oreilles de votre môme, je n'ai pas fini. Vous me fascinez!
Croyez-
vous que
156
ma vengeance à moto, si je peux employer un tel euphémisme je l'aurais appliquée
à un de vos confrères, malgré les moeurs dont vous m'accusez avec tant d'acharnement, à croire que vous débarquez de dix avant-guerres? Et non seulement vous me plaisez mais vous me hantez! Et ça veut dire quoi, madame de
Sévigné de mes couilles, quand une femme hante l'homme sur lequel elle s'acharne
? Hein ? Réfléchissez un peu à cela!
Il se lève et part, très vite, les poings crispés à blanc au fond de ses poches,
sans se retourner.
Il pense au traitement homéopathique que lui avait ordonné un vieux toubib
lyonnais et qui consistait en soixante prises d'un poudre blanche préparée dans
des sachets numérotés. Chaque matin, après s'être brossé les dents, il absorbait
le contenu de l'un des sachets.
" Je viens de lui administrer le premier sachet ", songe-t-il en s'éloignant.
Un grand rire intérieur le fait frissonner d'aise.
V
Eve est perplexe en reconduisant son fils à la maison. Elle flaire quelque nouvelle machination du Président et de son protégé. Vont-ils entretenir une
vendetta sans fin, tous les trois ?
Malgré cette appréhension, une suave émotion la gagne. Plus que la déclaration
inattendue d'Eric, à l'instant, elle est troublée d'une façon indéfinissable par
son geste de la nuit, quand, s'étant agenouillé sur le trottoir, il a posé
sa
joue contre la jambe d'Eve. En outre, elle pense à tout moment à la folle équipée sur la moto; le temps passant, la cruauté de la chose s'obscurcit pour
laisser dans sa mémoire un confus sentiment de culpabilité voluptueuse.
Loin
d'apaiser son aversion pour Plante, ces nostalgies équivoques le lui rendent
plus odieux. Elle voudrait pouvoir le fouetter à un pilori jusqu'à ce que sa
peau éclate et qu'il crie gr‚ce.
Boby continue de croquer l'énorme sucette. Il rogne les bords avec ses quenottes
branlantes, maintenant la sucette ressemble au museau d'un poisson-scie.
Avant
qu'ils n'arrivent à la maison, Boby déclare qu'il ne veut plus de la friandise.
Soulagée, Eve s'empresse de l'évacuer par la portière. Ce faisant, elle a la
confortante impression de rejeter un bizarre tourment.
Eric passe rue Saint-Benoît avant d'aller rejoindre le Président. Il a besoin de
se raser. Besoin, surtout, de s'assurer que son père n'a pas encore réagi à
l'article. Son vieux Charlot! Il sent à quel point son géniteur est fiché
dans
sa poitrine, comme un second coeur. C'est l'être qu'il aime le plus au monde. Il
ne trouve que deux billets assez semblables d'inspiration. Le premier est de
Boulou : " Ne sois pas vache : appelle-moi, je suis dingue de toi. " Le second
est d'un vieux copain pour qui il a eu " des complaisances coupables ", à
savoir
qu'il lui est arrivé de le sodomiser, puisqu'on se dit tout et qu'à quoi bon
fuir les réalités qui nous cernent ? Tartufe est le plus odieux personnage LES CLEFS DU POU
de la comédie humaine (pas de majuscules : il ne s'agit pas celle de Balzac). Un
mot, une signature. Méchant! Jean-Lo
Eric flanque les deux poulets à la poubelle. Il a du succès to azimut. Mais cela
le laisse de marbre. Etre aimé, pour lui, e accessoire. Ce qui importe c'est
d'aimer. En dehors de son vie Charlot et aussi du Président, il n'aime personne.
Surtout p lui! Sera-t-il capable de baiser Eve, le moment venu? Il pense.
Elle a
ce quelque chose d'indéfinissable susceptib d'éveiller les désirs d'autrefois.
Ne l'a-t-elle pas fait jouir, sur moto ? Bon, d'accord, il y avait la conjoncture insolite : vitesse, l'excitation du kidnapping, l'esprit de vengeance, pou tant...
Avant de se raser, il sort la corde du tiroir o˘ elle attend sc heure. Le chiffon encore imbibé d'huile lui tient compagnie. décide d'opérer un nouveau "
traitement ". Un objectif de c importance ne peut gésir au fond du subconscient.
Il faut ramener à la lumière éclatante de la volonté.
Eric masse longuement la corde. A travers la peau du chiffo le frottement lui
br˚le la main. Il fredonne une chanson de Tir que chantonnait son Vieux Charlot
autrefois.
Le Président a promis de faire de lui un député s'il devena l'amant d'Eve Mirale. Il est incroyable, ce type! Presque aus dingue que lui dans son genre. A
preuve : la manière dont il comporte avec la petite NoÎlle.
Elle a choisi de s'installer à l'arrière de la C X noire officiell Horace lui a
sorti un vieux plaid écossais du coffre. 1 couverture sent la botte de caoutchouc. NoÎlle s'est placée e chien de fusil sur le plancher.
Enveloppée du
plaid, elle se se bien, à peu près heureuse sous ses disgr‚ces. Une ombre derrièi la vitre attire son attention. C'est un agent qui essaie de regard à
l'intérieur de la voiture. Devant son insistance, elle se dresse baisse à
demi
la vitre. Le gars a un léger sursaut en la trouva défigurée. Il est tout embêté.
- Mande pardon, fait-il, je croyais que c'était un chie Une bagnole à cocarde, tu parles qu'il y va molo, le frangin
- Ce n'est pas un chien, mais une chienne, lui répond NoÎll Le flic s'efforce de rire. Pourtant, il a une arrière-pensé Trouver une petite
gonzesse drapée dans une couvrante à bor d'une voiture officielle, hein ?
Surtout qu'il la devine presque poil, là-dessous. Il a l'oeil, Bourdu.
Pendant
trois ans il était d ronde à la lisière du Bois. Alors les petites séances d'amazone, t ne peux rien lui apprendre. La pipe voiturée n'a pas de secr pour
lui.
Vous faites quoi dans cette voiture, en somme ? s'inform t-il.
J'attends son propriétaire.
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
159
Ce qui le tarabuste, c'est la cocarde, évidemment, et aussi que cette petite
soit br˚lée.
L'arrivée inopinée d'Eric venu rejoindre le Président au Sénat arrange les affaires.
- Des problèmes, monsieur l'agent ?
Il a déjà la voix tranchante et le regard fier et dominateur du Français selon
de Gaulle. Le gardien de la paix baisse pavillon.
- Pas du tout, c'est cette jeune fille qui m'intriguait, elle dormait sur le
plancher de la voiture.
- Oui?
Eric s'exerce à prendre l'oeil mauvais.
- Non, non, rien, assure le flic éperdu.
- C'est la voiture du Président Tumelat, précise Plante, il ne va pas tarder, au
cas o˘ vous auriez des objections à lui faire.
L'agent opine à plusieurs reprises, salue militairement - et s'éloigne en essayant que ça ne ressemble pas trop à une fuite.
Le secrétaire monte à la place du mort et s'adosse à la portière pour ne pas
tourner le dos à NoÎlle. Elle l'intimide, à cause de son histoire dramatique. En
outre il est impressionné par le rôle mystérieux qu'elle joue auprès du Président. Depuis son installation à l'appartement, leurs relations, à Eric et
elle se sont bornées à des saluts conventionnels.
Il ne pense pas lui être sympathique. Leurs rapports ne peuvent que demeurer
ambigus, comme ceux des gens vivant en état de rivalité.
Vous avez déjeuné? questionne le jeune homme.
Non.
Il jette un oeil à la montre de bord. Dix-sept heures. Tumelat a laissé
croupir
son esclave dans cette bagnole depuis neuf heures du matin! Se passer de bouffer
n'est pas un exploit; mais ne pouvoir souscrire aux exigences de nature, voilà
qui est autrement impressionnant.
Gêné, il s'informe
- Vous n'avez pas besoin d'aller aux toilettes ?
- J'y suis allée.
- O˘ ça?
- Chez une concierge.
Il rit.
Elle a d˚ être surprise?
- Il n'y a rien de surprenant à cela.
- J'entends : surprise de vous voir en peignoir de bain.
- Je ne pense pas qu'elle ait remarqué que c'était un peignoir de bain, ma figure l'impressionnait davantage.
Eric est frappé par le ton résigné, presque serein.
Une bouffée d'admiration sincère l'exalte.
- Je trouve magnifique la façon dont vous l'aimez, fait-il.
Elle continue de regarder ailleurs, on ne sait trop o˘, probablement au-dedans
d'elle-même ?
160
LES CLEFS D U POU
On aime comme on sent, et ce n'est jamais admira soupire NoÎlle.
Elle ajoute :
- Vous aussi, vous l'aimez.
- Ah, vous l'avez compris? dit Eric, confus.
- «a se voit : vous commencez à lui ressembler. La man dont vous avez rabroué
l'agent, à l'instant, on aurait j l'entendre...
Eric prend cette déclaration pour un ineffable compliment lui enchaleure l'‚me.
- Voulez-vous que j'aille vous chercher un sandwich?
- Non, merci.
Il se sent bien, pour la première fois depuis la parution de horrible torchon.
En sécurité. La confuse rivalité qu'il cro deviner entre NoÎlle et lui se change
en une complicité tout a mystérieuse. Ils sont liés par leur fanatisme commun.
Tum règne sur leurs jeunes existences, dispensant l'espoir, le réc fort d'un
présent soyeux. Justement, il sort du Sénat, escort plusieurs personnalités qui paraissent à sa botte. Ces messie palabrent entre
les factionnaires : mines sérieuses de gens sachant regardés, gestes mesurés. Tu
croirais qu'ils refon France.
Les deux jeunes gens observent le manège depuis l'auto bile.
C'est en le voyant parmi les autres que l'on compren qui le différencie d'eux,
murmure Eric.
Elle approuve d'un sourire béat.
- C'est un mec, quoi! Et ils le sentent. Magistral b homme, pourri de défauts
qui se changent en charme. Auc ambition ne serait trop grande pour lui.
Il se tait, tend la main à NoÎlle :
- C'est chouette que nous l'aimions, non ?
- Oui, répond-elle en prenant et pressant cette de spontanément brandie.
Un étrange accord vient d'être scellé.
Le Président arrive à pas appuyés. Il leur adresse un clin d' de maquignon venant d'empailler des cultivateurs. Avec
c'est l'air des halliers qui pénètre dans l'auto.
- Ce qui fait notre force, mes enfants, c'est que les gens prennent au sérieux,
assure-t-il en s'installant au volant. On p tout obtenir de quelqu'un qui se
prend au sérieux, n'oubl jamais cela et restez simples.
Il démarre nerveusement. Au feu suivant, il cherche No dans le rétroviseur :
- «a va, l'Ange ? Tu ne te pèles pas trop?
Elle lui fait non de la tête, en cachant sa partie la plus br˚ avec la main, car
elle n'a pas eu le temps de chausser ses lunet protectrices.
- Je ne t'oubliais pas, tu sais, continue Horace. Te sach SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
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là, à m'attendre, j'étais dopé. Tout homme rêve de la femme capable de l'attendre pendant des heures, des jours, sans se permettre autre chose que de
guetter sa venue. Mentalité de tyran, vous ne trouvez pas, Fiston? Le vilain
loup croquant à belles dents la vie du gentil Chaperon Rouge.
Tumelat sort son agenda Hermès usé, gonflé, pareil à un crapaud noir, et le tend
à Eric.
- J'ai promis à Francisque Collomb d'aller inaugurer je ne sais plus quoi dans
sa bonne ville de Lyon, le 19 mars. Notez, notez! J'aime bien Lyon, et j'aime
bien Collomb également : ils sont aussi sages l'un que l'autre. O˘ allonsnous,
maintenant ? Ah! oui : saluer le nouvel archevêque. A quelle heure, petit ?
Eric compulse le carnet sacré, comme s'il s'agissait d'un livre saint.
- A dix-huit heures, monsieur le Président.
Tumelat mate sa Rolex or (oyster perpetual). Il est dix-sept heures dix. Il pense qu'il a le temps de passer chez MarieGermaine de Castro, fille galante de
luxe, pour une pipe de relaxation. Hymne à la vie, comprends-tu? Sa bourrique de
femme a vidé les lieux pour se rabattre sur leur maison de Gambais. Il a téléphoné à Juan-Carlos, au cours du déjeuner afin de s'assurer de la chose.
César a opéré le transbordement à l'aide de la Mercedes. Armes et bagages.
Horace adore cette expression. S'il était romancier, il la choisirait comme titre d'un bouquin.
Soixante-deux ans, et toute la vie devant soi. La mort aussi, mais il va bien
trouver un moyen de décomposer le temps, le Président. L'amplifier de façon à ce
qu'une année classique procure une sensation de décade. La présence de ces deux
jeunes représente une jouvence. Il a une pensée furtive pour Ginette Alcazar et
son cancer. " Bien placé, Seigneur! Bravo! Il y a des moments o˘ vous ne mettez
pas à côté de la plaque. Si quelqu'un méritait une telle charognerie, c'est bien
cette charogne de femme. "
Nouveau regard à NoÎlle, dans le rétro. Elle l'a mise dans un bel état, la gueuse infecte! quel désir pouvait-il avoir de cette cavale en rut, quand il la
fourrait sur la peau d'ours blanc de sa chambre, en levrette, s'il vous plait,
en grand seigneur! Curieux comme nos transes amoureuses deviennent sans signification dans le prisme du souvenir. Le reniement est sédatif. L'homme refuse ses hontes passées et les déclare nulles et non avenues. Pour vivre correctement, il convient avant tout de s'arranger avec soi-même. Les autres
oublient tout de nous, alors que notre souvenir s'aiguise avec le temps.
- Il me semble que c'est la première fois que nous sommes réunis dans une bagnole, tous les trois, non ?
" Oui ", répondent ensemble les " petits ".
- On est bien, vous ne trouvez pas? On " les " emmerde!
162
LES CLEFS DU POU
C'est vrai, ils sont bien. Peut-être parce qu'ils se sentent de leurs tendresses
réciproques ?
Horace va aux yeux de NoÎlle dans le miroir rectangul
- Tu voudras bien m'attendre encore, comme aujourd'
- Tous les jours, promet-elle.
- Longtemps? risque en plaisantant gris le bonhomme.
- Toute la vie, fait-elle.
Et c'est quoi, toute la vie, pour toi, l'Ange ?
- C'est toute la mienne, assure NoÎlle sans une o d'emphase ni de gêne.
- Et que feras-tu, entre la fin de la mienne ei la fin c tienne ? s'acharne le
mironton.
Elle n'hésite pas :
- Eh bien, je vous attendrai.
Putain, il boufferait des montagnes, Horace! Les voici de le domicile de la dispensatrice de plaisirs.
- Une visite d'un quart d'heure, fait le Président, laconi occupez-vous de la
bagnole, Fiston.
Il s'enfonce dans l'immeuble. Marie-Germaine habite un de-chaussée sur cour,
sombre mais luxueux. C'est elle qui
délourder, blonde, suave, belle et vaporeuse dans des v flous qui laissent deviner sa chatte. Elle sourit obséquieuserr Si l'illustre veut bien patienter
dans le salon parme : e quelqu'un en train (c'est l'expression qu'elle emploie,
m convient de l'excuser car elle est suédoise).
En guise de réponse, le Président ouvre sa braguett s'adosse à la porte. Il n'a
pas le temps d'attendre. Respectu des prérogatives d'Etat, Marie-Germaine de
Castro s'ageno et recueille le gland du Président.
Dans le parloir de la prison Saint-Gratien, l'abbé Chassel t d'expliquer à
Ginette Alcazar que le Président a été très émi l'annonce de sa maladie. Il regrette, hélas, de ne pot accourir, car il part en mission d'information au
Japon, m réglera les frais.
Après avoir réfléchi un court instant, Ginette dit au p qu'ils peuvent aller se
faire enculer, lui et le Président, et qu usera des moyens de rétorsion dont
elle dispose.
L'estomac de NoÎlle émet des gargouillis gênants, ce qui e manière de crier famine.
Eric pense à son vieux Charlot.
Eve Mirale est en train d'accepter l'invitation à dîne Mathieu Glandin, le directeur du Réveil. Repas à quatre
les conjoints) dans une boîte russe ancien style Les Bateliers Vodka (chants et
danses d'Ukraine, caviar à (et pour) gogo Elle b‚ille moralement à l'idée de
sacrifier une soirée à la fe du big boss, espèce de jument archibourgeoise dont
les com taires font davantage pour la classe ouvrière que tous les disc de Georges Marchais.
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
163
A l'Archevêché, le nouveau Monseigneur se fait iire le curriculum vitae du Président Tumelat par un secrétaire avant de le recevoir.
Le Président décharge avec gr‚ce dans la bouche scandinave de Marie-Machinchouette de Castro. Tout va bien. Et si je m'arrêtais là, ce serait une
belle histoire.
1
VI
Et alors, je vais te dire.
T'expliquer un peu l'ambiance d'avant-guerre (laquelle ?) règne ici. Je me rappelle, petit gars de Bourgoin-Jallieu (Is la cérémonie annuelle des timbres
antituberculeux. On nou donnait à vendre par carnets de vingt et pendant deux ou
jours, on plumait la famille, les amis, les voisins avec vignettes. Nous aimions
assez cette corvée qui, toujours,
permettait d'affurer un peu de fraîche supplémentaire, ce qu valut très tôt de
comprendre que, pour obtenir du fric, il avant toute chose avoir l'occasion d'en
manipuler. L'homme est à une quelconque intersection de pognon en conserve fa
ment une partie pour lui. Je m'explique mal la relative mé crité des caissiers
de banque et trouve impossible qu'ils n'a pas appris le coup du rendez-moi.
J'ai
des échappées ple d'immoralité parfois, comme tout le monde. Elles me lais perplexe et je me demande comment j'aurais tourné si je n'a eu très tôt les moyens d'être " foncièrement honnête ". Fon rement honnête est un état auquel on
s'habitue et dans leque se complaît. Tu te piques au jeu. Bien des saints sont
deve saints uniquement pour s'être piqués au jeu. Moi, j'appartie l'honnestécratie, davantage par confort moral que par voca profonde, et il m'arrive de trouver que c'est dommage parce je suis certain de posséder des dons
d'arnaqueur dont l'inem me rend un peu triste.
Mais je te reviens à l'ambiance de cette boîte russe o˘ Ev son directeur caviardent en compagnie de leurs extrêmem conjoints.
Si je me suis permis une échappée sur le timbre antitube leux d'autrefois, c'est parce que ces vignettes donnaient toujo une image de vie
salubre ; elles représentaient des gosses pét de santé sur parterre d'edelweiss,
ou des fillettes blondes soleil. Aux Bateliers de la Vodka (jeu de mots) c'est
tou contraire. Un lieu sans ouvertures, donc sans air et qui, pis tout, est entièrement capitonné de velours pompeux gonflés poussière. Tu te croirais dans
un vieil écrin pour bijou ré
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
i
165
Atmosphère étouffante, sensation de claustrophobie. Lieu aux artifices gourmés,
pour archiducs comploteurs, propre à. entamer les poumons de Marguerite Gauthier
et à donner une définitive couleur d'endive à ceux, serveurs et musiciens, qui
viennent y gagner la vie d'une famille richement achalandée en bactéries.
Une profusion d'icônes et de tableaux moscovites témoignent des fastes de la
Vieille Russie, au temps o˘ elle était Sainte. Une petite piste de danse est
surmontée d'une gigantesque tiare dorée, soutenue par des colonnettes gainées de
velours. L'orchestre se compose de quatre violonistes en habit, aux plastrons
comme de la p‚te d'hostie moisie. Le plus jeune des musiciens a passé la cinquantaine et les cent kilos. Il est le seul à avoir des couleurs, et celles-ci s'accordent au grenat fatigué des tentures. Ses compagnons sont peut-
être des
princes en exil : ils ont l'‚ge requis. Cheveux de neige, rides noires dans des
faces blêmes, regards dont la fièvre n'est plus que de la température, ils crincrinent comme au temps des Strauss, avec des arrondis de bras, des effets de
crinières, des langourades de cinéma muet.
Un maître d'hôtel qui est leur contemporain dirige une nuée de serveurs dont
plus un seul ne parle le russe.
Massif, l'oeil couvert, la m‚choire caucasienne, il morigène d'un mot, d'un geste, d'un hochement de menton, omniprésent, prêt à sourire au client et à
fustiger l'ancillaire. C'est lui qui sert le caviar qu'on lui présente sur un
plateau massif, et il procède avec onction, conscient de donner la communion
noire aux bienheureux venus ce soir à la messe tzariste.
M,e Glandin, que son mari appelle Adi et le Tout-Paris Adides-Conneries, déclare
à très haute et (malheureusement) intelligible voix, que l'on savoure ici un
caviar inoui; à coup s˚r le meilleur de la capitale. Elle ne peut en manger d'autre, les blinis qui l'accompagnent sont déments et la vodka servie en carafe
ne lui cause aucune br˚lure d'estomac.
Eve acquiesce en essayant d'y mettre quelque conviction. Les Glandin posent,
plus que tout autre, le mystère du couple. Lui est un homme brillant, d'un intelligence spontanée et son autorité infaillible fait merveille ; il devient
creux et fat en présence de son épouse, à croire que, stolfquement et par amour,
il endosse la sottise de cette grande gourdasse bavarde qui ne sait parler que
d'elle, de ses biens, de ses bonnes. " Comment a-t-il pu aimer un jour cette
poupée-qui-dit-maman-et-fait-pipi ? " songe Eve en regardant se pavaner la paonne née à l'instant d'un coiffeur et d'un couturier. La soirée sera rude.
L'orchestre joue Le temps du muguet. Eve donne un coup de genou à Luc pour l'arracher à l'indifférence morose dans laquelle il stagne volontairement quand
ils ont un dîner " de son côté à elle ".
Il ne s'est jamais habitué au rôle de prince consort dans ces circonstances-là.
Ses hôtes ont beau s'appliquer à parler de sujets généraux, insensiblement la
conversation devient professionnelle, l'exilant en somme.
Glandin, certes, a commencé pair lui demander si la crise ne le 166
LES CLEFS DU POUVOII
faisait pas trop souffrir. Et il a répondu que pas pour le moment d'un ton qui
souhaitait tourner court. Le directeur du Réveil sE fout copieusement des Etablissements Miracle; seul son journa. l'intéresse. Lue est en train de le
haÔr pour détournement de mère de famille. C'est à cause de ce foutu bonhomme et
de soin canard que Boby se couche si souvent sans le baiser de maman.
Le coup de genou le ramène à de bons sentiments. D'autant que ce n'est pas exactement " un coup ", mais un frottement de genou. Il se dit que la vodka met
le cul en fête. En rentrant, ils feront l'amour " comme des tigres ".
L'expression leur est restée des confidences d'une vieille amie bancroche, tarte
à ne plus en pouvoir qui prétendait que son chétif bonhomme d'époux lui faisait
l'amour comme un tigre.
Le maître d'hôtel a achevé sa distribution de Belluga à gros grains.
L'endroit
est cher, mais les portions sont copieuses. Il souhaite " Un bon appétit ", avec
cet accent qui assure le charme de l'établissement et lui sert de cachet d'authenticité. Un des serveurs verse la vodka. Une gangue de glace enrobe la
carafe. Les bougies des chandeliers flambent sagement, accentuant la gr‚ce des
visages féminins.
Adi tonitrue la nouvelle collection de Georges Rech.
Eve s'efforce de l'écouter, mais elle éprouve brusquement une sensation de gêne,
le sentiment d'être regardée. Discrètement, elle cherche dans la salle, pardessus l'épaule de son mari. Il ne lui faut pas longtemps pour découvrir Eric
Plante à une table voisine. Un coup de vape la suffoque.
S'agit-il d'une rencontre fortuite ? Comment pouvait-il savoir qu'elle dînait
chez les Russes, ce soir? Il est seul à une petite table, il lui fait face.
Ayant obtenu son regard, il lui sourit. Eve plante carrément ses yeux dans ceux
d'Eric, des yeux qu'elle veut de glace. Il finit par détourner les siens.
Soulagée par cette première victoire, elle décide de ne plus s'occuper de lui.
Exercice difficile. quoi de plus attirant qu'un regard attaché. à vous et qui
s'enroule à vos gestes ? Elle enrage, car par instants, cédant à des sollicitations incontrôlables, elle est obligée de jeter un oeil sur le garçon.
Il porte un smoking de velours bleu nuit, une chemise à jabot et ressemble à un
dandy du siècle dernier. La lueur des bougies accentue l'indéniable romantisme
de son visage. Il est seul. Seul pour la soirée, car il mange, nonchalant et
raffiné. Elle se dit : " Comme il est rare de voir quelqu'un manger harmonieusement! " Elle ne peut se défendre de penser ainsi. Non plus que de le
contempler en essayant de fuir le piège de ses yeux. Elle n'entend plus rien, ni
la jacassante Adi et ses perrucheries, ni le boss qui envisage d'ouvrir ses colonnes à tous les candidats de la future campagne présidentielle, sans distinction d'opinion. Luc s'empresse de lui objecter que cette tribune libre
aurait un côté un peu démago. Eve sourit, niaisement croitelle, pour éviter de
construire des phrases. " Il " est là, qui la fixe. Bon Dieu! ses compagnons
vont bien finir par s'en apercevoir, en tout cas Mathieu Glandin, assis à
son
côté sur. la
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
167
banquette pelucheuse. Pénombre ou pas, ce bel éphèbe, braqué sur elle comme un
canon, ne peut passer inaperçu. Glandin a vu des photos du lascar et risque de
le reconnaitre; il a l'oeil.
Non : pas de crème aigre sur les blinis, de beurre salé non plus. Tel quel!
Le
caviar se suffit à lui-même. Elle dit n'importe quoi de plausible, sur n'importe
quel ton passe-partout.
Elle n'avait jamais remarqué le modelé de ce visage. Marais dans lEternel Retour. Il porte merveilleusement la toilette (banalité). Elle pense à son sexe
qu'elle a tenu dans sa main, si dur et si vibrant; son sexe de jeune fou qui a
explosé entre ses doigts. Un atroce désir la saisit, elle si réservée physiquement.
Elle ne va pas avoir envie de ce sale type, tout de même! Ainsi il a décidé
de
s'acharner sur elle ? De la poursuivre, de la hanter ? Pour arriver à quoi, bougre de pédé ? La musique, merci bien, si tu espères lutter contre le vague à
l'‚me avec leur crincrin moscovite! Tout y passe : le folklore de brasserie, les
grandes rengaines larmicheuses! Sanglots longs des violons... Crème Chantilly
sonore.
Elle voudrait oublier la moto. L'instant o˘ il l'a abandonnée au bord de la route déserte. Elle avait la main pleine de foutre. Son foutre à lui, là-bas,
qui la regarde! Le beau démon blond. Au fait, il a d˚ se faire éclaircir!
Petite
frappe! Elle l'imagine chez un coiffeur plus pédé encore que lui.
- Eh bien, Eve, vous ne mangez pas ?
Oh! si... Voilà, elle mange! Exquis, ce caviar. C'est vrai, Adi : ces blinis
sont incomparables! Elle a essuyé sa main dans l'herbe froide. Le sperme du beau
démon blond, blond-teint, blond-pédale ! O˘ est passée sa répulsion?
Pourquoi
s'obstinet-elle à ramener ce moment, qu'elle jugeait maudit, à la surface du
réel ? Adi parle, parle. Adi déconne. quand elle a la bouche pleine, son époux
s'empresse de proférer des choses sensées manière de calmer le jeu. Luc a bénéficié d'une ouverture. A un moment donné, il est question d'enfants, alors
il monte à l'essai, Boby sous le bras. L'école du môme, ses prouesses, mots d'enfant, habitudes... C'est sa folie, Boby, au prince consort. Son bien exclusif. quand le môme fait une maladie infantile, il revient deux ou trois
fois de son usine pour lui t‚ter le pouls, vérifier que Maryse lui administre
bien ses médicaments aux heures prévues.
Eve croise le fer avec Eric. Les yeux du jeune homme sont plus langoureux que
les violons. Elle veille à garder les siens hostiles à souhait.
Après le caviar, c'est l'attraction des chachliks sur des brochettes en flammes... Le serveur qui la sert en premier (sur un signe de Glandin) lui chuchote : " Si Madame pouvait se rendre aux lavabos " dans un souffle.
Travail
de professionnel! Personne à la table n'a pu surprendre une syllabe de ce murmure intelligible pour elle seule. Mais elle est courroucée! Effrayée aussi.
Le toupet d'Eric Plante n'a donc pas de limites!
168
LES CLEFS DU POUVOII;
Furieuse, elle le fixe. Il lui adresse un imperceptible signe d'acquiescement
afin de ponctuer l'invite.
" Tu peux toujours compter là-dessus, aristo de pissotières! " Eve aimerait lui
jeter le contenu de son verre de vodka dans les yeux, qu'il cille enfin, loubar
de luxe! Il suffirait seulement qu'elle le désigne à son mari en lui disant qui
il est et la manière dont il se met à la pourchasser pour que Plante se retrouve
sur le trottoir les quatres fers en l'air avec son beau smoking. C'est une bête,
Luc, quand il est jaloux. Elle tente de se raccrocher aux niaiseries de la mère
Glandin. Tiens, elle ressemble à une autruche, au fait! Même regard au bout d'ur
cou. Yeux pesant sur la paupière, comme deux larmes sur le point de couler, écrirait mon camarade Proust, le champion di trot assis littéraire. Elle narre
sa bonne portugaise : Maria. Elle s'appellent toutes Maria. Propre et dévouée,
mais qui boit. Ad Glandin a trouvé une parade fantastique (elle pouffe) : "
Vous
ne savez pas, ma chérie ? Je fais une marque sur l'étiquette de la bouteille! "
Son mari, vachement gêné, essaie de caser Mitterrand qui a toutes ses chances,
enfin, enfin, enfin! aux présidentielles. La manière dont il a baisé le turbulent Rocard qui lui pompait l'air! Alors que le petit étudiant mal grandi,
mal étoffi, se croyait déjà en haut de l'affiche! Non, mais vous avez vu?
Tchlag, tchlag! Au pied, Médot! A présent, le révérend père François lance sa
casquette et Michou court la ramasser! Un vieux de la vieille, Mitterrand.
L'obstination paie, toujours! Grande leçon! Ne jamais baisser les bras.
Tant
qu'il y a de la vie, etc, etc.
Juste alors, les converses s'interrompent because les musicos viennent d'attaquer Joyeux anniversaire! T'as beau trouver ça con, automatiquement tu la
fermes pour regarder qui donc, dans l'assistance, a un carat de plus to day.
Depuis le fond de la salle, le maître d'hôtel russe blanc se pointe, d'une démarche de lordmaire, en tenant à deux mains un plateau d'argent.
Sur le plateau un g‚teau. Mais vraiment un g‚teau à la con, je te jure.
Tout
petit, disons de la dimension d'une soucoupe. Les violoneux forment cortège derrière lui. Vingt-huit bougies vacillent sur le g‚teau, leurs flammes conjuguées éclairent la frite compassée du maitre d'hôtel.
Les cinq birthdays men se rendent à la table d'Eric Plante. La salle regarde et
continue à se taire, saisie par la qualité de l'instant; tu ne peux pas croire
comme c'est beau et tragique, ce petit g‚teau d'anniversaire constellé de flammèches, présenté à un garçon seul. Insolite, sauvage. Attends, je voudrais
tellement te faire sentir le côté clownesque et ravissant de la cérémonie.
Les
convives applaudissent. Eric se lève et salue, comme sur scène un chanteur ovationné. Il a un p‚le sourire, plein d'une ironie désenchantée. Et c'est très
exactement à partir de cette seconde inoubliable qu'Eve Mirale comprend qu'elle
l'aime
L'orchestre achève Joyeux anniversaire. Eric glisse un bifto de cent points sous
les cordes du premier violon. Les musico
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
169
ne
Ôe.
ur
e.
remercient d'une quadruple courbette et se retirent. Le maître d'hôtel attend
qu'Eric ait éteint ses bougies pour les ôter et servir le g‚teau. Eric souffle,
sans gonfler ses joues, ce qui aurait,, pu le rendre ridicule.
Luc déclare qu7il laut q. de la santé -" pour se laÔre têter de la sorte, en
solitaire.
Glandin affirme qu'il a déjà vu ce garçon quelque part et le classe "
comédien
". Adi assure qu'il est très beau et d'une élégance raffinée. Son époux prononce
le mot " pédé " d'un ton qui cherche à exprimer l'impossible, à savoir la tolérance et la réprobation.
Eve assure qu'elle raffole de cette céréale que les Russes servent avec la viande et qui s'appelle " kacha ", ou " cacha " ? Elle décide de se rendre aux
lavabos après le chachlik. Glandin réclame une seconde bouteille de champagne
rosé (Adi trouve le champagne rosé " à mourir "). Luc recommence à
s'ennuyer. Il
est pressé de rentrer faire l'amour.
C'est l'instant o˘ les musicos passent de table en table pour demander aux convives ce qu'ils souhaitent entendre. Eve qui a cessé de manger, prie ses compagnons de l'excuser et s'empare de son sac à main posé sur le large dosseret
de la banquette. Elle préfère emprunter un parcours plus long afin de ne pas
passer devant la table d'Eric. Une fois aux toilettes, elle se refarde et se
regarde un moment dans la glace - en copine critique qui peut tout se dire.
Elle
se trouve belle, mais son regard abrite une lueur inconnue qu'il va falloir dissimuler à son mari.
Comme elle sort du compartiment " dames ", le serveur chuchoteur lui présente un
billet sur un plateau. Visage neutre, il a la gueule de l'oubli avec effet immédiat. On l'a " àrrosé " en conséquence et il en a vu d'autres, beaucoup d'autres. Eve s'empare du billet sans remercier, comme s'il s'agissait d'un ustensile de table. Le serveur n'est déjà plus là. La jeune femme décachette la
petite enveloppe blanche, format carte de visite.
A l'intérieur, un bristol non imprimé, avec ces quelques mots tracés d'une belle
écriture frémissante
Une supposition que je t'aime ?
Eric P.
Eve déchire le billet menu et le jette dans la corbeille à déchets.
De nouveau, elle affronte le miroir. Elle sait qu'il vient d'arriver un malheur
à cette femme qui la fixe, un immense et merveilleux malheur.
Cette fois, elle retourne à sa table en passant devant celle d'Eric.
Elle ne lui accorde pas un regard et réussit le tour de force de ne plus porter
les yeux sur lui jusqu'à la fin de la soirée.
VII
- Tu ne vas pas la laisser tomber comme ça, plaide Ma Germaine de sa grosse voix
haletante. La manière qu'elle coi en se branlant, je peux pas dormir. Je la boufferais bien, - qu' soit sage, mais avec mon asthme, tu peux courir, même s
serais dans une prairie je trouverais pas mon souffle!
Ginette ne répond rien. Attitude de gisant sur son lit, d l'imperceptible clarté
tombant de la lucarne. Roide en chemise de nuit à fleurs. Bras le long du corps,
le reg ouvert sur les ténèbres, les pensées bloquées par la rancoe durement chaste, ce soir, Alcazar. Depuis cette fin de n recevoir du Président (fin de
non-recevoir opposée à un car en bonne et due forme, ce qu'il faut être sombre
fumier!) t est aigu, tout grince en elle comme une lame de scie circul dans un
noeud de chêne. Elle ressasse! Mijote! Combine!
reste ainsi prostrée, farouche. Elle s'est vengée une premi fois, et durement,
on a pu le constater. Elle va se venger enc Elle dispose des moyens ad hoc.
Une
jolie toile d'araigné tisser. Et les mailles seront serrées, résistantes.
Sur sa couchette inférieure, Martine se masturbe comme perdue, sans parvenir à
la moindre conclusion. Ses mouvemc frénétiques font trembler le bat-flanc supportant son mai matelas. Elle a imploré les bons offices de Ginette, mais
cell ne l'a pas prise en pitié. Alors elle s'active dans l'espoir d guérir du
manque ainsi infligé. Ses gémissements s'élèvent d le silence de la prison.
- T'es vache, Gigi, déclare sévèrement Mamie Germai cette gosse, c'est une nature ; elle a besoin d'être bouffée et p à la ligne, quoi, merde! Fallait pas
lui contracter l'habitude présent tu la laisses en rade, c'est naturel que les
sens prennent!
Silence obstiné de Ginette.
La vieille s'assoit sur le bord de sa couche, énorme comme poire pourrissante.
Sa poitrine lourde et flasque, la tire en aw Elle a du mal à porter sa vie, une
lente asphyxie lui me carcasse en abandon progressif. Elle étend le bras pour
rafler
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
171
sa console l'espèce de vaporisateur qui lui permet de se pulvériser du soulagement dans les voies respiratoires. On entend les petits " pschiiit, pschiiit de l'appareil. Mamie Germalne tente de respirer plus largement, mais
les résultats ne sont guère fameux. Elle annonce qu'elle crèvera dans cette cellule. Pour une fois qu'elle était parvenue à s'endormir. Et la Martine qui
entre en transe, la chatte en délire! Y a pas à l'en bl‚mer. Elle se rappelle,
Mamie Germaine, ses émois nocturnes de jadis, au temps de M. Lucien qu'elle réveillait de la bonne manière, le pompant en plein sommeil pour se faire calcer; ce dont il s'acquittait sans seulement se réveiller, l'amour.
Lonchant
en état second, par coeur. Un fameux cosaque, toujours la verge en avant, à
dispose, service de nuit assuré! Perpétuellement de garde comme les pharmacies
des drugstores.
Sa complainte des enfilades du temps jadis, jointe aux r‚les de la suifeuse Martine, achève de démolir Ginette Alcazar. Elle se soulève sur un coude.
- Moui! l'encourage Mamie Germaine, sois chouette, ma grande, gougnote-moi cette
enfant! C'est l'affaire de cinq minutes dans l'état que'je la vois.
Alcazar se lève, et puis pousse un hurlement qui se faufile sous toutes les portes du quartier des femmes et va alerter la matonne de nuit. Ginette bafouille quelque chose d'à peu près inaudible et s'écroule, inanimée. Pour lors, Martine cesse de se branler. La vieille se traine jusqu'à la porte et y
frappe à coups redoublés.
La matonne se pointe, pas fraiche dans sa blouse bleue froissée. Elle voit Ginette jetée au sol, les traits gris et lacérés par la douleur, le regard quasi
vitreux. Affolée, elle court téléphoner à la Chef qui dort auprès de son mari, à
quelques kilomètres de là, dans une H.L.M. sinistros qu'il vaut presque mieux
habiter que regarder. La Chef est une fille de décision; depuis son domicile
elle prévient l'hosto. «a devait arriver. Le cas Alcazar aurait d˚ être solutionné plus vite! De rapport en rapport, il s'éternise, mais la patiente
pas. La Chef se fringue vitement. Une plombe plus tard, elle escorte les ambulanciers jusqu'à lHôtel Dieu o˘ Ginette est hospitalisée en réanimation.
Monique Morin s'occupe des paperasseries, elle a eu la bonne idée d'amener les
radios d'Alcazar : l'interne de garde fait la grimace en les examinant. Il demande à soeur Anne de la Contemplation d'administrer à la malade une piq˚re de
Kamikazé 12'suractivé.
Mais, quand la brave religieuse parvient au lit de la nouvelle, sa petite cuvette en inox à la main, elle le trouve vide.
Une garde de nuit martiniquaise dira un peu plus tard qu'elle a croisé dans l'escalier une femme ceinte d'un tablier de toile cirée et qui trimbalait un
aspirateur.
Ginette Alcazar avait vu à la tévé La Vache et le Prisonnier.
172
LES CLEFS DU POUVOIR
Maintenant, elle est au bord de la Seine, étourdie par la simplicité de son évasion. D'une facilité à n'y pas croire. N'at-elle pas rêvé cela ? Mais non,
elle déambule bel et bien sur le quai, devant des boîtes de bouquinistes closes.
Les sandales à semelles de bois dénichées dans le réduit aux accessoires, près
de la bouche d'incendie, claquent comme des noix brisées sur l'asphalte.
Elle
s'obstine à charrier le lourd aspirateur,, pensant qu'il justifie sa mise incongrue.
Elle devrait être satisfaite, elle ne l'est pas. Comme elle n'est pas non plus
inquiète de se retrouver dans cet appareil, sans argent et bientôt pourchassée.
C'est un instant comme ça, et puis voilà. Un moment par lequel elle devait obligatoirement passer pour atteindre son objectif.
O˘ va-t-elle ?
Simple! Chez elle! Tout connement. Son appartement est fermé depuis qu'elle a
été arrêtée. On prélève le loyer sur son compte en banque de même que le gaz,
l'électricité et le téléphone. qui donc viendra la chercher là ? Pour ne pas
être vue du concierge, elle entrera par le garage souterrain. Après quoi, elle
prendra l'ascenseur jusqu'à son étage. Bien s˚r, elle ne possède pas la clé
de
chez elle qui se trouve au greffe, mais elle opérera comme le fit cet abruti de
Jérôme, un jour qu'ils s'étaient trouvés " enfermés dehors " comme disait le
gros porc. Il passa par la fenêtre du palier donnant sur la * cour. Aucun danger
à craindre, la cage de l'ascenseur ayant été installée en additif à
l'extérieur
de l'immeuble, il existe à chaque étage une espèce de plate-forme de ciment pour
la soutenir. Une fois sur la plate-forme, il lui suffira de briser l'un des carreaux de sa fenêtre de salle de bains, d'actionner l'espagnolette et de se
hisser par l'ouverture.
Elle combine chacun de ses gestes, sans anxiété. Elle ne doute pas de la réussite de son plan. Ce qui est simple à concevoir se réalise toujours sans
problème. Et la voici qui s'éloigne de la Seine pour piquer en direction de Montparnasse. L'aspirateur est de plus en plus lourd. Son ventre la fait souffrir. Elle doit s'arrêter fréquemment afin de rassembler son énergie.
Au cours d'une de ses haltes, elle repense à la môme Martine, drôlement déconfite à présent que Ginette s'en est allée. Elle espère sincèrement qu'on la
remplacera par une luronne portée sur les sens ou, en tout cas, compatissante.
VIII
La sonnerie du téléphone retentit, précédant d'une ou deux secondes à peine celle de son réveil-radio. Eric est branché sur France-Musique, bien qu'il ne
soit pas trop mélomane, car il préfère être réveillé musicalement plutôt que de
sursauter à des pubes tonitruantes ou à des commentaires politiques.
Son subconscient s'était déjà préparé car il n'éprouve aucune difficulté à
ouvrir les ~eux et à placer sa lucidité. Il décroche, reconnaît la voix de JeanLou et regrette aussitôt son geste. La radio diffuse un air d'opéra qui fait
tout de suite chier Plante.
Se sachant réticent pour se * lever, il a eu la sagesse de placer le éveil à l'autre bout de la chambre, de manière à ne pouvoir le fermer d'un geste engourdi pour se rendormir aussitôt.
- Tu permets, dit-il à Jean-Lou, je vais éteindre le poste.
Son interlocuteur qui démarrait dans des pleurnichages est un peu frustré
et
rate son effet.
- Bon, je t'écoute?
- Tu n'es qu'un misérable. Je viens de voir des photos affreuses dans Satiricos.
Ainsi tu te fais ce vieux marchand de boniments!
La voix humide de Jean-Lou flanque des frissons au garçon. Le plus fort c'est
que son ex-ami a au moins l'‚ge du Président. Genre jockey-club, le très cher.
Racé, sublimement élégant, il gère un " Comptoir " d'agent de change en étage du
côté de la Bourse.
- Je ne me fais personne, répond Eric en b‚illant. Plus personne. La Trappe! Et
quand je me referai quelqu'un, ce quelqu'un aura deux nichons et une fente entre
les jambes.
Jean-Lou part en jérémiades. Agacé, Eric aboie
- Pardonne-moi, pépé : on m'appelle sur une autre ligne.
D'un geste rageur, il coupe la communication et laisse J'appareil décroché.
quand il se rend à la cuisine, il avise une enveloppe surtimbrée, avec le papillon des " Express " collé de travers. La concierge est venue la glisser
sous sa porte. En se baissant pour la ramasser, il lit le tampon postal d'origine, fortement encré :
174
LES CLEFS DU POUVO
Tournon. Alors son sang se retire de ses mains et il a du ma s'emparer de l'enveloppe, comme lorsqu'on a les extrémités doigts dévitalisées par l'onglée.
Des nouvelles du Vieux Charles!
Et c'est la première fois que celui-ci lui écrit en " express " emporte la missive dans la cuisinette o˘ rôdassent des sente de denrées inconsommées.
Du pied, il dégage un tabouret de sous la tablette rabatta qui sert de table.
" Bon, c'était prévu, songe-t-il. Cela ne pouvait pas ne pas produire. " Il faut
se soumettre à l'inéluctable. S'offrir à comme au peloton d'exécution, sinon on
prend les bal n'importe o˘ et on meurt mal. "
Il décachette l'enveloppe et retire la feuille de l'heb comportant les deux f‚cheuses photographies et le texte perfi d'Eve Miracle. Jamais il ne l'a tant
haÔe, cette commère merde !
Le Vieux Charlot a écrit, au feutre rouge, par-dessus le text " J'attends ta
visite. " Au-dessus, il a tracé un énorme po d'interrogation. Aucun mot n'a été
joint. L'envoi est suffisa ment éloquent.
Eric contemple les images, puis les caractères penchés de s père. Il se rappelle
un jour lointain, il avait treize ou quato ans, il se masturbait aux vouatères.
Il avait cru tirer le verrou la porte, mais la petite tige métallique ne s'était
pas logée dan g‚chette et son père l'avait trouvé, bite en main, culotte tomb le
regard ailleurs, assis sur l'abattant de la lunette. Il avait jeté regard rapide
et murmuré : " Pardon " avant de refermer. E était resté un temps infini dans
les chiottes avant d'oser ressort Et voilà qu'il retrouve la même épouvante, la
même confusi insupportable...
Il prépare son café dans la cafetière italienne. En attend que le breuvage soit
prêt, il retourne au téléphone et, s perdre de temps compose le numéro de "
là-
bas " qu'il conn par coeur.
Deux sonneries, et c'est le Vieux Charlot qui répond. Sa v chaude fait resurgir
le passé, le rend tout à coup presq palpable.
- Papa ?
Eric se lance avec une vivacité nonchalante. Il va jouer désinvolture et le mépris, plaider la cabale, la jalousie certains petits confrères que son ascension enrogne. Lorsque s père l'avait pris en flagrant délit de branlette,
jadis, il lui av dit, peu après, tandis qu'Eric tremblait de l'affronter :
"
t'inquiète pas, fils : je suis passé par là. " Seulement, cette fo la confrontation est autrement plus redoutable.
- Salut, fils! répond son père.
- Je viens te rassurer, il s'agit de.
- Je t'attends, coupe le Vieux Charlot.
- D'accord, j'irai te voir dès que...
175
Non, pas dès que... je t'attends!
- Ecoute, papa, laisse-moi au moins t'expliquer...
- Je t'attends, répète pour la troisième fois M. Plante.
Et il raccroche.
Eric fait comme les acteurs dans les films " B " qui considèrent longuement le
combiné avant de raccrocher pour souligner leur désarroi. Il pense : " je fais
comme au cinoche ", et dépose le combiné sur sa fourche. La sonnerie retentit
presque immédiatement. C'est encore Jean-Lou qui doit composer et recomposer
inlassablement son numéro depuis tout à l'heure.
- Ecoute, pépé, je t'en supplie, ne m'emmerde plus, balbutie ' Eric. Bute-toi,
si tu as trop de peine. On ne se bute pas assez. Le suicide devrait entrer davantage dans les moeurs, car là est le seul pouvoir mis à la disposition de
l'homme. Bute-toi, JeanLou, ne serait-ce que pour ne plus m'importuner. Je te
préfère mort qu'importun, et là tu m'importunes, vieux mec. Tout le monde m'abîme, en ce moment, sauf un bonhomme auquel je me raccroche, en tout bien,
tout honneur. Tu es présentable, tu as de la classe, du pognon, tu n'auras aucun
mal à trouver un giton rue Sainte-Anne ou ailleurs. Attends, je vais te dire la
vérité : je ne suis pas homo. C'était pour voir, pour rire, pour trouver un gentleman-agreement avec mes complexes. Fausse donne, pépé; non, attends que je
te fasse rire : fausse mise! C'est pas drôle, ça ? Allez, bonne bourre.
J'ignore
si tu as classé mon numéro dans les " E " ou dans les " P ", mais fais-moi un
beau cadeau d'adieu : raye-le!
Il raccroche, attend un peu, pour voir si Jean-Lou va encore le faire tarter. Le
téléphone demeure silencieux. Eric se résigne à boire son café.
Il ne perd pas la page de journal du regard. Les caractères rouges du Vieux Charles semblent avoir été tracés avec du sang. Le café est trop fort. Il le
préfère léger.
" Je t'attends " a dit et redit son père. Ce n'est pas une formule, et c'est
davantage qu'un ordre. Le Vieux Charlot l'attend VRAIMENT.
Eric boit une seconde gorgée de caoua. Une réflexion sotte lui vient : " Ne serais-je pas un surdoué ? " Il pense tellement vite, avec tant de force.
Un
être moyen, voire plutôt intelligent, fait-il preuve d'une pareille agilité
d'esprit ? Voilà que, pour la première fois de sa vie, il se " regarde "
penser
et s'en trouve impressionné.
Il rit.
La soirée de la veille lui revient en mémoire, chatoyante, indécise. quel grand
moment! Il a senti l'émoi d'Eve Mirale. Il a tout su de ce qu'elle éprouvait.
Elle est " ferrée ". «a n'aura pas traîné. Une fille pareille, si lucide, si
caustique, marcher dans un roman-photo! Toutes des midinettes! Plus elles se
piquent d'intellectualisme, plus elles sont bonnes clientes question culen-fleurs. Il devait être surprenant devant les vingt-huit bougies de son g
‚teau;
rayonnant de séduction. Il se sentait s˚r de soi.
176
Cette démonstration a touché Eve. Faire ce que les aut songeront jamais à
faire,
là est le secret. Oser. La dev Président! Oser! Toujours, partout, avec tout le
monde.
Il biche son carnet et va composer le numéro de l'appart d'Eve. Avant de livrer
assaut, il a centralisé un maximi renseignements sur elle, suivant le conseil de
Tumelai bonhomme quitte leur hôtel particulier à huit heures ving déposer leur
môme à l'école. Donc, elle est seule.
Une vieille voix féminine lui répond. Il se prétend du Ré déclare qu'il doit
parler d'urgence à Madame. La vieille IV lui demande d'attendre. Madame est dans
sa salle de bain va l'avertir...
Effectivement, c'est une femme sortant de l'eau qui ré Elle a le ton mouillé et
ce souffle un peu haletan baigneurs.
- Oui, j'écoute?
- Bonjour, chuchote-t-il, intimidé.
Elle ne répond rien. Va-t-elle interrompre la communica La respiration d'Eve
contient une question, et des aveux doute.
- Je vais vous parler, annonce Eric. Mais la seule chos je vous demande, d'est
de ne pas prononcer un mot. Lo j'aurai terminé, je raccrocherai, et ensuite, ce
sera à vo décider...
Il avale difficilement sa salive.
- Vos articles m'ont épouvanté à cause de mon père. «a sembler idiot, mais c'est
ainsi, il est des instants o˘ il faut c les idioties. Il vient de m'enjoindre de
rentrer, pour m'expli, Or, je ne vais pas y aller seul. Vous viendrez avec moi.
Voi direz que vous êtes l'auteur de ces papiers, mais qu'ils sont fondement. Mon
père habite dans l'Ardèche. Nous quittc Paris cet après-midi à seize heures.
Rendez-vous devant moi, rue Saint-Benoît. Nous arriverons dans la nuit, et ce
très bien. Il me reste à ajouter une chose : à seize heures qu si vous n'êtes
pas venue, je monterai chez moi et je me tu Naturellement, vous ne me croyez
pas. Je vous prie ceper de vous demander quels seraient vos sentiments demain r
en apprenant qu'un type s'est buté à cause de vous. Je vous sur la vie de mon
père que je ferai ce que j'annonce. Il me re ajouter que je vous aime.
Aussi
extravagant que cela pare vous êtes la rencontre de ma vie. Au revoir, Eve.
Ou
ac
Il raccroche et éclate de rire.
Un rire forcé, un rire féroce, un rire fou. Un rire qui le stii au point qu'il
va se placer devant une glace pour le voir, tt de le comprendre. Il rit la vie,
Eric Plante! Sa démes sottise! Tout ce magma de sentiments, de contraintes, pc
misères, souffrances, quiproquos. Vive Ubu roi! Tout n'est larmes et bouffonnerie ! Tout n'est que plaintes et foutre ! ' n'est que haine et amour
avec une frontière indiscernable
177
obtiendra tout, et à l'oeil, parce qu'il ne désire rien réellement, Il joue de
l'insolence et du cynisme pour cacher une indicible plaie. Il s'apostrophe dans
le miroir :
- Et alors, Triboulet, heureux ?
lx
Le Président occupe les cagoinsses de sa salle de bains, rapport à reliure spirale dans les mains. Tout en déféquant, il cet avant-projet concernant la
lutte contre le chômage. Une id qu'il a débattue avec Pierre Bayeur et que ce
dernier fignole avec " l'équipe technique " si, après étude de ce résŸmé, le t
boss lui donne le feu vert.
Horace croit percevoir le grésillement de son téléphone secrg ligne hautement
privée dont pas plus de cinq personnes pos~ dent le numéro.
- Tu veux répondre! crie-t-il à NoÎlle.
Il cherche parmi les ultra-intimes lequel peut bien l'appel d'aussi bonne heure.
Bayeur, probablement. Ils phosphore dur, en ce moment, tous les deux.
Tumelat
reste hanté par perspective de poser sa candidature aux présidentielles. S4
dauphin le freine, redoutant un " bide " sévère qui amoindrin le parti R.A.S.
Tout comme Eric, il fait valoir à Hora l'avantage qu'il retirerait à se poser en
arbitre. Seulement, 1 grands battants comme le Président croient en leur étoile
(sin( ils n'auraient jamais fait carrière) et ont en eux une aveug confiance qui
leur fait dédaigner les pronostics, sondage probabilités, voire la simple raison.
Tumelat referme le mince dossier. Trop tarabiscoté, tr( fumeux. Pour que cesse
le chômage, il faut un changement ( conjoncture. Une guerre constituerait le
remède radical. Me qui envisagerait de mourir pour assurer pendant une générati(
le confort des rescapés ?
- Monsieur le Président!
La petite voix de NoÎlle lui semble anxieuse.
- qui est-ce ? demande-t-il.
Au lieu de donner le nom du correspondant, la jeune fil murmure :
- Vous pouvez venir ?
Il répond que dans deux minutes, accouche d'une dernièi crotte en bonne et due
forme, se torche avec application fait déferler le Niagara de la chasse.
179
Machinalement, il file un petit coup de déodorant à l'essence de pin : tchouc
tchouc, pour jeter un doute sur ce qu'il vient de faire et retourne dans sa chambre.
NoÎlle a l'air effrayée. Elle tient le combiné fortement appliqué contre son
peignoir éponge, comme si des insectes nocifs risquaient de jaillir des orifices.
Tumelat la questionne du regard.
- C'est " elle ", fait la petite.
Horace se méprend
- Ma femme?
- Non : votre ancienne secrétaire.
Alors, là, il en reste baba, le Président. Alcazar au bigophone! On peut donc
téléphoner de prison à présent ? Il est vrai qu'étant très malade, elle bénéficie probablement d'un régime spécial.
Il chope le combiné des doigts meurtris de NoÎlle.
- J'écoute!
La follingue roucoule un cri de colombe. Son vieux prince charmant! Lui qui la
faisait rougir et mouiller d'un regard! Enfin sa chère, belle, et noble voix qui
devrait chanter l'opéra mieux que ne le firent jamais Caruso, ni Chaliapine.
L'indicible! Le monarque! Son idole! Sa queue rayonnante! Les miches de Ginette
gardent le souvenir de ses va-et-vient supraterrestres! Wagnérien, quand il le
fallait! Mozardesque aussi! Il devinait tout, le preux! Se plantait, accomplissait de fausses sorties à bite de velours pour réintégrer en fougue! 0
le savant biteur! 0 l'admirable vergeur qu'il y avait là!
A l'écoute du timbre enchanté, la rage vengeresse d'Alcazar fond. Son ‚me redevient bleue comme le froid.
- Mon aimé! Mon tout grand! jette-t-èlle.
Et lui, plus sec qu'un quignon de pain
- D'o˘ appelez-vous ?
- De chez moi! Mais ne le répétez pas, car je me suis sauvée. Vous n'avez donc
pas entendu à la radio ce matin? Ils l'ont annoncé sur Europun : leur téléphone
rouge! Ginette Alcazar, la pyromane, ex-secrétaire du Président Tumelat, s'est
évadée cette nuit de l'Hôtel-Dieu! Evadée! Moi, Ginette. Pour vous, mon Roi!
Il est tout de suite à cent degrés, le Président, voire au moins à 90, comme
l'angle droit! L'immonde fumelle! Dégoulinante d'un amour sanieux qui suppure.
Il voudrait recracher ce qu'il entend d'elle. Comment se peut-il qu'elle soit à
nouveau en mesure de le tourmenter, lui qui tant accueillait l'annonce de son
cancer avec euphorie ? Elle allait enfin déblayer le terrain, la pourriture!
S'évacuer de son destin comme une diarrhée fétide d'un honnête ventre. Eh bien
non, tu vois : on joue " Alcazar revient! " Seconde époque!
- Evadée! marmonne-t-il (à moins que tu ne préfères " marmotte-t-il ", c'est le
même prix?) Evadée ! C'est malin! Et vous vous planquez chez vous, tout bêtement!
- Je vous y attends, faites vite! Oh! vous revoir, me toucher! Je mets une culotte noire pour vous accueillir, rappelez-vous de celle qui était diaboliquement fendue, grand fou ?
Complètement hors circuit, la bique galeuse! Tumelat p sent des calamités pour
très vite. Les nuages noirs se rass blent. Et dire que cinq minutes plus tôt il
envisageait de brig la Présidence, la Grande, la Vraie.
- Malheureusement..., commence-t-il.
Elle le coupe d'une stridence.
- Non! Non! Pas de " malheureusement ", mon bel am~ Vous venez! Vous accourez!
Sinon je perds la tête. Dix-1 mois de prison avec des malheureuses sans la moindre éducal ébranlent le cerveau. De plus, l'aumônier vous l'a dit : j'ai
cancer, oui, mon beau Président; un vrai cancer probablem inguérissable, alors
vous voyez qu'il serait fou de me contrar. Vous allez me rejoindre aussi vite
que vous le pourrez; sin croyez-moi, vous regretteriez de m'avoir déçue.
Le Président est débordé par la houri; il décèle dans menaces des inflexions de
certitude qui, mine de rien, lui filen pétoche. que manigance-t-elle encore,
celle-là ? Elle est genre poison à vie et encore post mortem. Tu veux parier
qu't lui a mijoté un brouet à la merde pour " après ? " Elle en ter il aura encore des retombées de sa follerie sur la gueule, malheureux! Il existe des
êtres vénéneux et indélébiles. Ils souillent à perpétuité, te saccagent la vie
avec une applicati démoniaque. C'est du sans espoir...
Horace écoute, réfléchit en trombe, décide mal, lui toujoi fougueux quant à
la
conduite à adopter. Lui qui sait rapidement trancher les mauvais liens et s'en
dépêtrer... pense : " Elle s'est évadée, on va la reprendre fatalement. Si la
vois dans l'intervalle, ce sera un nouveau scandale, pl considérable que le premier, et dont ma carrière ne se relèvt pas. L'envoyer aux prunes est encore
la meilleure solution. 1 quoi peut-elle me menacer ? C'est là que la chose grince. E paraît si s˚re de son fait, la mégère en délire! "
- En voilà un curieux langage! dit-il, mi-figue, mi-machi chose, je regretterais
de vous avoir déçue, dites-vous, Alcazai De quoi diantre me menaceriez-vous en
parlant ainsi ?
Elle a un rire comme un filet de vinaigre sur des oeufs au pli
- Vous rappelez-vous le petit fichier de bois blanc que vo aviez surnommé
votre
" boîte à malices " parce qu'il conteni de répugnants secrets d'Etat ?
Touché! Tumelat se chope une glotte grosse comme un ballc de rugby. Ne peut plus
déglutir, pour lors, et encore moii parler. Il cherche le regard de NoÎlle, mais
elle est sort discrètement. La boite à malices! Il l'a mise en lieu s˚r. El contient de la dynamite. Une collection de saloperies : compri missions, prévarications, outrages aux bonnes moeurs dont ~ sont rendus coupables quelques-uns des plus grands parmi It
181
tout grands. Ce fichier remonte à la période o˘ il fut ministre de l'Intérieur.
- Et alors? demande le Président, tant bien que mal.
- Lorsque vous avez commencé à me trahir, vous vous êtes empressé d'évacuer le
fichier, grand coquin! Seulement, la petite Ginette, depuis belle lurette, avait
photocopié les fiches. Supposez que je profite de ma liberté pour semer une grande pagaille en votre nom ?
" Seigneur ", fait intérieurement le pauvre homme qui a conservé de son enfance
bretonne l'habitude d'utiliser Dieu comme trousse de secours dans les cas d'urgence, " Seigneur (donc), as-tu bien le droit de laisser se perpétrer des
vies aussi néfastes, abusives et dégueulasses ? Pourquoi me flanques-tu un cancer pantouflard à cette vachasse, au lieu de me la foudroyer d'une belle et
saine rupture d'anévrisme, si proprette ! " Mais enfin, l'heure n'est pas à
morigéner le Seigneur dont tout le monde sait bien que les desseins sont impénétrables.
- Dites donc, dites donc, ma petite Ginette, vos projets ne sont guère compatibles avec l'amour que vous prétendez me porter, proteste le Président.
- Ce ne sont pas des projets, mais une monnaie d'échange, mon chéri. Je vous
veux, je vous attends. Pressez-vous. Ah! que je vous dise : je n'ai pas les clés
de mon appartement, il vous faudra donc faire quelque exercice en passant par la
fenêtre du palier. Vous accéderez ainsi à une plate-forme, et de là à la fenêtre
de ma salle de bains. Prenez garde qu'on ne vous voie pas. Allons, allons, h‚tez-vous, monsieur le grand vilain Président, votre Gigi va mettre sa culotte
de pute dont vous raffoliez!
Elle gazouille un baiser et raccroche.
Tumelat également.
- Pourriture! dit-il seulement, mais avec une telle intensité que sa ferveur de
haine l'illumine un bref instant de l'intérieur tel un tube au néon.
que va-t-il faire ? Impossible d'aller là-bas. Et puis d'abord, tu le vois escalader des fenêtres, façon Arsène Lupin, lui, l'un des pairs de France ?
Non,
mais tu imagines la frime du voisin qui le surprendrait. Seulement, s'il ne donne pas suite aux exigences de la folle, il est certain qu'elle agira.
Elle a
déjà démontré ce dont elle était capable.
Blessé, le grand homme. Sa force souveraine se décompose.
Il enfile sa robe de chambre et passe dans son cabinet de travail o˘ Eric s'occupe déjà du courrier.
Ils se serrent la main, distraitement.
- J'ai un service à vous demander, monsieur le Président, il s , agit de mon
père. Il s'est manifesté, comme prévu, et exige que j'aille le voir. J'ai calculé qu'en partant dans le milieu de l'aprèsmidi et en roulant...
- Oui, oui, coupe Tumelat.
Il se laisse tomber dans un fauteuil. Eric est soudain alarmé en constatant la
p‚leur du boss.
182
- Vous avez un malaise, monsieur le Président?
- Pire qu'un malaise, Fiston : j'ai une bombe poche !
Et il relate à son secrétaire le vilain tour que lui devancière. Plante écoute
comme un élève studieux suit particulièrement captivant.
- Pensez-vous que cette femme détienne les fiches cl
- Je l'ignore. Mais c'est probable. Si elles se trouvW un coffre bancaire, il ne
lui serait pas possible d'y avi puisqu'elle est recherchée.
Le téléphone sonne. Eric décroche, écoute.
- Ne quittez pas!
Et, au Président :
--m- Le divisionnaire Lecharme souhaiterait vous en Tumelat pressent à l'avance ce qui va lui être dit.
- Mes respects, monsieur le Président; connaissez nouvelle ?
- quelle nouvelle?
- La femme Alcazar, votre ancienne secrétaire, s'esi de l'Hôtel-Dieu cette nuit.
Le vieux mec croit bon de chiquer la surprise.
- Allons donc!
- Etant donné son attitude vengeresse envers vous, rais que vous preniez quelques précautions : verriez-i inconvénient à ce que j'attache un ou deux hommes sécurité en attendant qu'elle soit reprise ?
- Croyez-vous que ce soit très utile ?
- Oui, monsieur le Président, car il est probable, tenu de la psychologie de la
détenue, qu'elle va tenter contacter...
- En ce cas, faites au mieux.
- Je vous sais gré de votre compréhension, mons Président. Cela dit, vous qui
l'avez connue...
Le divisionnaire marque un léger temps.
- ... auriez-vous une idée de l'endroit o˘ elle a pu alle était sans vêtements
de ville et sans argent.
- Je crois me rappeler qu'elle avait une nièce à Suresn, certaine... Hélène Laffont.
- Merci du tuyau, monsieur le Président, bien enter vous tiendrai personnellement au courant de nos recherc] pense que les choses rentreront très
vite dans l'ordre.
Tumelat remercie. Il est en sueur. Comme chaque n pareille heure, l'aspirateur
de Juan-Carlos bourdonnt l'appartement. Il va faire beau, le soleil tape aux car
- Vous avouerez que c'est bien la super-merde, gronde Horace.
- Mais non, répond Eric; il s'agit de faire vite, voilà
Il va ouvrir la porte donnant sur le hall et débranche h électrique de l'aspirateur, lequel s'arrête aussitôt. Surp domestique se retourne.
183
- Juan-Carlos! lui lance le jeune homme, pourriez-vous me prêter une paire
de gants : les blancs que vous enfilez pour le service feront l'affaire.
L'Espingo opine, un peu sidéré sur les bords, mais quoi, larbin, t'as rien
à moufter. Surtout quand tu sers chez un grand de France, un presque monarque.
- Tout de suite, Monsieur.
Tandis que le valet s'empresse, Eric revient à son patron.
- Je vais aller récupérer vos fiches, monsieur le Président.
Tumelat n'ose comprendre.
- Chez elle?
- Bien s˚r.
- Eric, la chose est terriblement risquée.
- Je sais, mais entrevoyez-vous une autre solution ?
Le Président lui pose la main sur la nuque et, très loyalement, répond que
non.
X
Comme il est bon de prendre un bain, un vrai, avec » " réellement " chaude et de
la mousse jusqu'au plafond. 9 s'abandonne dans ce nuage aux senteurs de rose
chimique avait bien une " salle d'eau " à la prison, mais qui p produit désinfectant et ressemblait à des chiottes publiqu prisonnières en obtenaient
l'usage une fois par semaine teintée par la rouille des tuyauteries n'arrivait
jamais température convenable, le temps d'emploi se trouvait li toute intimité
était impossible.
Elle n'a pas actionné la lumière pour ne pas risquer repérée. Après quelques
heures de repos dans son gr déconjugalisé par l'absence de ses locataires, elle
savc bonheur de se baigner luxueusement, en attendant I'f. vénéré.
Son mal, certes, la tenaille, mais l'étrange bonne 1 apprend à exister avec ce
sale compagnon.
Elle accepte la perspective de finir tôt. Mourir ne l'effra A vrai dire, c'est
un concept qui lui échappe, comme la échappe aux menteurs endurcis. Elle est
trop obnubilée f projets imminents pour s'inquiéter d'un futur excédant le vivre.
Le Président va radiner, beau, vif, puissant, odorant a belle queue plongeante,
et elle se fera fourrer-princesse, j la noble garde des beaux roustons à
poils
durs. Elle se care peu la chaglatte, à clapotis lamartiniens, sous la couc mousse crissante. Le bonheur absolu. Pas un instant e songe à l'arrivée possible
de la police. C'est tellement éi qu'elle soit venue se terrer chez elle, tellement peu cr qu'ils n'envisageront même pas une visite à son domicile.
E en
sécurité, sous condition de prendre quelques préca élémentaires. Pas de télé, la
radio en sourdine dans sa & située au fond de l'appartement, la lumière seulement dan! pièce, une fois tirés les lourds doubles rideaux (ce con de à
avait exigé qu'on couse de la feutrine noire entre le tissu doublure, car le
moindre filet de lumière l'incommodable
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
185
subsiste dans le placard de la cuisine suffisamment de conserves pour lui permettre de tenir quelques jours si besoin est. D'ailleurs, elle ne s'alimente
presque plus. Elle se fera cuire un peu de riz, ou bien des p‚tes sans beurre,
avec un léger filet d'huile. Pour un peu, elle retrouverait l'appétit à
évoquer
ces richesses.
S'étant bien fourbie, ointe, récurée, poncée, elle s'inonde d'eau de Cologne. La
baignoire se vide en produisant bien s˚r un bruit inévitable d'écoulement, mais
l'immeuble est ancien, donc bien fait, possédant des murs de pierre et de vrais
plafonds, pouvant servir de planchers aux gens du dessus! Elle rit. que sa joie
demeure! Pourquoi ne s'est-elle pas évadée plus vite? Ce fut si simple !
Elle va explorer sa commode pour récupérer la fameuse culotte noire, arachnéenne, avec fente en tranche de potiron à l'entrejambe, et canailles rubans de velours sur les côtés. Ce sous-vêtement, dit " suggestif ", plaisait
beaucoup au Président qui aimait la baiser à travers cet accessoire mutin, parce
que les m‚les, présidents ou lampistes, sont ainsi, et que veux-tu que j'y fasse
?
Elle passe la putasse culotte, se plante devant la glace de sa penderie pour s'y
livrer à des effets préparatoires. Ainsi, elle lève une jambe, ravie de la moue
que fait sa chatte dans le mouvement, ou bien elle se place dos au miroir, jambes écartées et se penche pour regarder son cul béant par en dessous.
Bon
Dieu qu'il est beau! Bien velu, fendu rose! Merci, papa, merci, maman! Elle a
beaucoup maigri ces derniers mois, mais tout ce que tu voudras . le cul résiste.
Ultime bastion de la féminité. La dunette du bateau. S'il n'en reste qu'un, il
est celui-là.
Doit-elle mettre un soutien-gorge ? Un noir, naturellement Ses seins en ont pris
un coup. Le mal ne les a pas à la bonne Deux petites aumônières flasques.
Un
soutien-loloches leur redonnera quelque apparence. Elle s'attife. Reste à
choisir une robe de chambre ad hoc. Ou plutôt non, attends : un déshabillé
vaporeux. Elle en possède un made in U.S.A. qui vaudra une fortune un jour au
musée de la prostitution. Rose nuage, transparent, semé de menues étoiles noires, en savants lambeaux du bas, manches kimono fendues. Allez, zou! Oh!
la
belle salope! qui pourrait résister? Il ne lui reste plus qu'à se farder, et à
ne pas pleurer la marchandise étant donné qu'elle est un tantisoit cadavérique,
Gigi.
Alors, à sa coiffeuse, elle exécute une oeuvre d'art, tu peux m'en croire.
Les
danseuses de Bali, tu les prendrais pour des femmes de ménage polonaises en comparaison! Elle ne se farde pas : elle peint un tableau. Rouge à lèvres ocré,
fond de teint couleur terre de Sienne (elle utilise sa mine plombée pour mieux
la combattre) du vert-bleu aux paupières. Des paillettes imperceptibles juste
sous les cils inférieurs. Coups de crayons bruns aux cils. Elle devrait les épiler un peu, mais n'a pas le courage de s'atteler à une t‚che aussi minutieuse. Elle est suffisamment
186
LES CLEFS DU POL
" réussie " comme cela. Surtout que le Président ne i tarder.
Ginette retourne à la salle de bains et s'installe sur le ta de plastique, le
dos contre le porte-serviettes chauffant. E mais ravie. Anxieuse de retrouver
l'incomparable amant.
ce dont elle a envie ? Elle veut le faire coucher dans son 1 place qu'occupait
Jérôme. Et puis le chevaucher à la lango sur l'air de Promenade dans la forêt
viennoise. Abandonnéi attente, elle éprouve les espèces de profonds frissons qui
p dans ses entrailles, un peu comme un courant électrique. 1 la grignote.
Elle
lui sourit, attendrie peut-être comme o par la présence d'un animal familier qui
turbule autour (
Une somnolence la biche, la mère Alcazar. Elle se tn plan d'action pour les jours à venir : reséduire pleinern Président, qu'il soit fou d'elle, ce beau
saligaud; ensuit( obtienne sa libération officielle. Après quoi elle ira à
G~
chercher son mari, pour l'emmener en promenade et fou petite voiture sous un
camion. Des années qu'elle miji chose, la peaufine, la vit de tout son être en
apportant c', fois de légères variantes judicieuses. Elle choisira une r pente,
s'engagera sagement sur un passage protégé. Il y au témoins. Elle trébuchera et,
ce faisant, propulsera la calèc ce porc sous un lourd véhicule. Peut-être un
autobus, qu ça retarderait d'honnêtes voyageurs... Un camion serait 1
rable.
Elle veut voir Jérôme écrasé, mort, gueule ouverte, b sanglante, yeux en vitre
dépolie. Cette mission accomplic cancer fera d'elle ce qu'il voudra.
Un grincement la rend au réel. Elle se dresse si rapide que son mal la fouaille,
car il se met à détester les î brusques. A travers les verres opaques de la fenêtre, elle d une ombre, alors elle ouvre. Stupeur! Ce n'est pas le Prési D'emblée, elle reconnaît Eric Plante qu'elle a vu à l'époque essayait de faire
chanter le Président. Elle a appris qu . remplacée auprès d'Horace, aussi éprouve-t-elle pour le j homme une haine infinie.
Sous son maquillage de scène, ses traits deviennent hi(
- que venez-vous faire ici ? demande-t-elle à voix bas sifflante.
Il pose son doigt sur ses lèvres
- Chut! Je viens ouvrir la porte au Président; dites, voi pensez pas qu'il va se
mettre à escalader des fenêtres en
jour. J'ai apporté ce qu'il faut!
Il montre une trousse noire, genre trousse à outils automobiliste, qu'il a attachée avec une sangle pour la pom bandoulière. La trousse accrédite ses dires. Ginette comp parfaitement que le Président est un tout célèbre, qu'il a
fra la barre des soixante piges et qu'il ne peut guère en effet se Il à des rétablissements. Son porte-coton va s'arranger pour toi SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
187
la lourde. Alors Tumelat n'aura plus qu'à se jeter dans l'appartement.
Elle opine et tend la main à Eric pour l'aider. Il trouve le contact répugnant
et en use le plus rapidement possible.
Le voici dans la place. Il referme prompto la fenêtre, puis regarde Alcazar dans
les yeux.
- Bonjour, lui dit-il en s'efforçant d'être enjoué.
Elle l'effraie. Visage dantesque! C'est la mort travestie en folle peinturlurée.
Ce corps décharné sous le voile ténu du déshabillé le répugne. " Elle ne fait
pas vrai, songe Plante, on dirait un personnage pour film baroque! "
- Allez vite lui ouvrir, implore Ginette.
- Pas tout de suite : la concierge est occupée à laver l'escalier.
- Ah! bon.
Elle l'entraîne dans sa chambre en lui expliquant que c'est l'endroit de l'appartement représentant la plus grande sécurité. Puisqu'il vient les aider,
son ressentiment à l'endroit d'Eric disparaît. Elle le considère même avec une
certaine complaisance, et même convoitise.
- Alors, vous m'avez remplacée? demande-t-elle en s'asseyant au bord du lit, les
bras en appui derrière le corps pour rendre celui-ci plus provocant.
- Vous êtes irremplaçable, répond sagement le garçon, disons que j'assiste le
Président en attendant que vous soyez en mesure de reprendre vos fonctions.
Un hymne d'amour flamboie dans les yeux de Ginette. Il va la reprendre ?
Tout
recommencera ? Elle ouvre un peu les jambes.
Vous avez changé, note-t-elle.
Vous me connaissiez ?
Je vous avais vu à l'enterrement de l'oncle du Président. Je vous trouve beaucoup mieux maintenant. Vous êtes devenu bel homme, à l'époque vous faisiez
un peu vermine, ça ne vous f‚che pas 9
Au contraire, vos remarques confirment ce que j'éprouve.
Bon, ce n'est pas pour marivauder qu'il est venu. Le temps presse. Eric se sent
calme. Il est en service commandé! Il prend des risques considérables pour le
Président. A cet instant, il découvre l'exaltation du sacrifice. Il est prêt à
tout. Et ce n'est pas difficile d'être prêt à tout pour servir un être qui vous
subjugue.
- Vous me plaisez beaucoup, affirme Ginette. J'aimerais vous sucer en attendant
qu'on puisse ouvrir la porte. Je suce merveilleusement, vous savez, aussi bien
qu'un homme, ajoutet-elle, mutine.
Eric se contient difficilement.
N'appartenez-vous pas au Président ? objecte-t-il.
Elle rebiffe
- Certes oui, mais n'est-ce pas une grande preuve d'amour que de vouloir aff˚ter
mes charmes, comme on aiguise une lame,
188
LES CLEFS DU POUVC
pour combler l'homme que j'adore ? Ne vous y trompez pas, vous propose une pipe
par esprit d'immolation, la manoeuvre votre queue, mon petit ami, constituerait
des gammes.
Elle éclate d'un grand rire fou :
- Le grand dadais! qu'allait-il s'imaginer?
Eric répond à son rire par un autre.
- Vous êtes extraordinaire, madame Alcazar. Cela dit, sont ces fiches dont vous
menacez votre Grand amour?
Sec, la grande tarte se met à moroser d'importance.
- De quoi?
- Le Président n'a pas apprécié ce chantage, indigne l'amour qui vous lie l'un à
l'autre; la seule façon de calmer rancoeur, c'est de lui remettre ces fiches
avant qu'il n'entre il Donnez-les-moi, quand j'aurai ouvert la porte, je les lui
portei dans la voiture o˘ il m'attend, et alors, cette mesquine hypoth que étant
levée, il accourra, fou de bonheur.
Les yeux de Ginette lui rendent fidèlement compte du peu portée de ses paroles.
Elle est dingue mais pas conne. Il lui vei de la salade trop grossière, une gamine de dix ans hausserait 1, épaules. Pas un instant il n'a espéré
qu'elle
couperait à cet vanne absurde, seulement, il lui fallait une sorte de préambul
même stupide, avant d'entrer en action. Cette fois, il est pré
- C'est pour ça que tu es venu, petit misérable! murmuri t-elle, sonnée par la
déception.
- Yes, madame. Donnez-moi les fiches!
- Tu peux toujours courir, pédé!
Eric lui lance son pied dans l'estomac. Alcazar tombe à renverse, d'un bloc,
sans un cri. Il attend, elle est aux limites d l'évanouissement. Elle ne bouge
pas. Son regard est comm celui des Chinois : oblique. Le jeune homme imbrique
les doigi de ses mains afin d'ajuster les gants de Juan-Carlos, trop granc pour
lui. Les secondes sifflent à ses oreilles comme le vent dar les cheminées de
ferme. Il semble à Plante qu'il assiste à la scèn de loin, de très loin, à
l'aide d'une lunette d'approche. L rythme de sa respiration suffit à faire trembler l'image. Il n ressent aucune pitié pour cette femme terrassée.
Elle eç
l'horreur personnifiée! Sa vie est horrible, sa mort également e plus horrible
que tout, le souvenir qui traînera d'elle dans l~ mémoire.
Un jour, avec son Vieux Charlot, ils se promenaient dans ui paysage désertique
de la Haute Ardèche; fatigués, ils s'étaien assis sur un muret de pierres plates, à demi écroulé. Il buvait à h gourde de vin coupé d'eau de son père,
lorsque tout à coup Ic Vieux Charlot l'avait fait basculer en arrière en poussant un er de Sioux. Une tragique effervescence avait suivi. quand Eri(
s'était relevé, il avait découvert dans l'herbe galeuse une vipère ci la tête
écrasée. Elle fouettait le sol de son agonie, décrivant millE figures changeantes ; mais son oeil continuait de le fixer et il avail fini par se sauver en pleurant.
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
i
189
En ce moment, Ginette Alcazar, malgré son immobilité absolue, lui rappelle la
vipère tuée par le Vieux Charlot.
Elle l'épouvante au-delà du supportable. D'instinct, il se recule, comme si elle
devait bondir, Il attend encore. Il murmure, tout bas :
- O˘ sont les fiches, madame Alcazar?
Il pourrait entreprendre de fouiller l'appartement, mais il se sent incapable
d'explorer le nid de la vipère crevante. Chaque meuble, le moindre objet l'incommodent. Ginette ne réagit toujours pas, se peut-il qu'il l'ait meurtrie à
ce point ? Non : il s'agit d'une ruse de sale bête blessée. Il attend encore,
mais en vain.
Alors, une idée lui vient " à rusé, rusé et demi " disait leur vieille bonne.
- Oh ~ bon, ~e me casse et ~e P'£éNiendrai la police ~ tait-il.
Il quitte la pièce en claquant la porte. Marche bruyamment dans le vestibule,
quitte ses chaussures et revient à pas de loup. Eric regarde ce qu'il peut voir
de la chambre par le trou de serrure. Il dispose d'un angle assez large.
Ginette est déjà debout. Elle va en se tenant le ventre à deux mains jusqu'à tin
guéridon louis-philippard supportant un vase d'opaline bleue et un album de photographies à couverture de velours cramoisi et fermoir d'argent. Elle prend
l'album et le presse sur son coeur. Hagarde, elle trotte jusqu'à la porte, l'ouvre et se trouve nez à nez avec Eric. Il profite de sa surprise pour lui
décocher un nouveau coup de pied au ventre. Comme on talonne de sa botte une
vipère : la vipère d'autrefois, sur le muret de pierres br˚lantes. Elle s'abat.
Il lui arrache l'album des mains. Ce dernier contient de très anciennes photographies sépia représentant des gens d'une autre vie. Chacune d'elles est
fixée dans des encoches ouvragées. Il en arrache une et constate qu'un rectangle
de papier a été collé à son verso. Il s'agit d'un texte photocopié. Il lit le
nom d'un ancien président du Sénat qui défraya la chronique en son temps.
La vipère suit ses faits et gestes de son oeil fascinateur. Eric pense qu'il a
obtenu gain de cause. Il peut partir. Mais la folle est capable de tout. Il s'approche d'elle, la surplombe. C'est plus fort que lui, de toutes ses forces,
il plante son talon dans le ventre, une fois, deux fois. En silence. Elle subit
sans gémir. L'instant est atroce à cause de ce silence haineux. Le serpent et la
mangouste! Combat inégal : c'est toujours le serpent qui meurt, c'est-à-dire le
vilain, la mangouste appartenant au gentil règne des mammifères. Eric administre
un nouveau coup de talon dans du mou. Il est sans chaussures et sa viande éprouve davantage l'horreur de cette autre viande.
Ginette ferme les yeux. Son souffle est rauque. Eric passe au living, avise une
table roulante dont le plateau inférieur est lesté de bouteilles. Il opte pour
un grand flacon de chartreuse verte. Il aime la chartreuse! Vénérables pères
Chartreux, chassés de votre monastère jadis par une République inique!
Réfugiés
en
190
LES CLEFS DU POI
Espagne o˘ vous continu‚tes votre noble industrie dt benoîtement poivrots.
Il verse du breuvage dans la bouche entrouverte d'A Elle s'étouffe, déglutit,
toussote. Pas morte, la vipère. Ii ble. Eric verse encore, elle tousse de plus
rechef, mais t mal gré, avale une partie du liquide. Eric s'obstine. El toujours. Il veut qu'elle finisse cette bouteille sacrî révérends pères pionards. Elle y met du sien. Sa docilité ef impressionnante que son silence.
Les gants de fils de lE sont devenus verd‚tres et poisseux.
La bouteille est vide ! Alcazar ferme les yeux. Eric lui pi main droite et la
fait enserrer le goulot. Ils sont devant la de la cuisine. L'évadée gît sur la
moquette r‚pée, out p( bon. Eric reprend l'album qu'il avait déposé sur une chai
besogne est faite, il peut se retirer. C'est la partie h périlleuse de "
l'opération ", car si quelqu'un le voit escalo fenêtre du palier, ce sera catastrophique.
Eric contemple, perplexe, Ginette Alcazar en état de éthylique. Aucune compassion ne lui venant, il va ouvi robinets de la cuisinière à gaz.
Il écoute le chuintement continu.
L'odeur caoutchouteuse n'est pas tellement désagréable xi
Il entre, gauchement, impressionné par un luxe qu'il s'est exercé à halfr et à
combattre (à combattre parce qu'il l'intimide), sans parvenir à juguler un intense contentement logé sous ses testicules, à l'idée que sa fille bien-aimée
existe au milieu de ce faste, qu'elle en jouit et qu'elle finit probablement par
le trouver banal.
Oui, il entre gauchement, Victor Réglisson, car gauche il est. Gauche de naissance. A gauche d'idées, faute de mieux, bien résolu à combattre ceux qui
possèdent ce qu'il n'aura jamais. Tel est l'esprit de justice, bien souvent ; il
nous induit à dénier aux autres ce qui nous manque et à leur infliger des privations qui ne nous sont même pas profitables. Et des nombreux que je sais ou
ignore vont me clamer de droite, alors que personne ne se sent plus à
gauche que
moi quand je me trouve avec des individus de droite, l'inverse n'étant pas toujours vrai. Et moi, depuis mon aube et jusqu'à mon crépuscule, d'écouter les
clameurs de ceux qui pensent penser et exigent que l'on pense comme eux.
Gens de
ci, gens de là, petites gens de la haute, grandes gens du terroir, nés pour mourir mais qui tiennent à garnir les poches de leurs linceuls, à
enrubanner les
revers de leurs vestes-suaires et à prouver aux foules indifférentes qu'ils furent du bois dont on fait les belles bières. Et moi, je me retire de la foule,
comme un paf d'un cul lorsqu'il débande ; moi, soigneusement débandé par la vie,
que, merci bien : je te la laisse! Cadeau! Bénédiction. Je te vous bénis tous,
mes bons, pauvres et saints cons! Je vous trace un magistral signe de croix sur
la connerie, que vous le vouliez ou pas, que ça vous arrange ou non. Je ne suis
pas l'Esprit-Saint, mais seulement sain d'esprit, ce qui m'autorise.
Beaucoup
trop saint d'esprit pour couper à toutes les névroses, turpitudes et bavardages
de l'époque honteuse sans crier gare.
Tout ce que je devrais dire encore et tais, par impuissance à convaincre!
M'affale au bord de la route, l'espoir exsangue, assis en tailleur, à
regarder
pendre ma brave chère queue dont les caprices m'ont si fortement diverti, et
tant de fois puni. J'ai acheté des masques à Venise, mon pays d'‚me, ces masques
dont
192
LES CLEFS DU POU
la doucereuse horreur funèbre me fascine. Et je sais qu'ils représentation fidèle de ma gueule écoeurée. Tellement c mes, ces masques, qu'on devra en déposer un, le premier sur mon visage de premier venu, à ma mort. Je le de expressément, ceci est l'une de mes avant-dernières vo Mais ne laissons pas mijoter le pauvre Victor dans le c de travail du Président.
Il y est tellement mal à l'aise, son b cul au bord du fauteuil de cuir! Un éternuement l'en fera veux-tu parier? Le coeur chamadant de détresse, le regar
comme le signe du dollar, biffé par la timidité dégobi Le valet en gilet d'abeille l'a introduit. Il est seul, du m croit-il, car sa
fille, sachant le rendez-vous, s'est coulée avi entrée sous le bureau de Tumelat. De plus en plus elle d chienne, NoÎlle, et se complait au sol, dans des
niches m
mes. Elle reste immobile, le menton aux genoux, les pau baissées. Elle entend la
respiration de papa, son gros souff puissant que celui de sa locomotive, laquelle est électriqu ne ressent pas d'attendrissement, non plus que de pitié.
El retirée à tout jamais de l'univers Réglisson. Ses parents tiennent désormais
à du temps mort. Elle n'a même pas l'i les aimer. La pomme aime-t-elle le pommier d'o˘ elle a
Le bruit caractéristique de la porte du fond, ouver Horace. Lui seul peut marquer autant d'esprit de détermi par le truchement d'un loquet. Ses jambes
entrent d champ. Se rapprochent du meuble. Les pieds s'allong droit en biais, le
gauche battant la mesure de son impa
En entrant, il a lancé un claironnant : " Bonjour, cher auquel Victor a répondu
par un gargouillis de chéneau en
Le Président ne s'est pas encore aperçu de la présence petite chienne à ses pieds car, par jeu, NoÎlle s'efface 1 possible. Elle regarde les chevilles musclées de son " ma les plis du pantalon gris soir d'un tissu exceptionnel, les
g parfaitement ronds sous l'étoffe, et la fourche des terminée par une braguette rebondie. Lors de leur grand a il la prenait sans
parvenir à se rassasier d'elle. NoÎlle épr une extase qui n'était pas tellement
physique, c'était l'ivre don de soi jusqu'à l'anéantissement. Elle avait dix-sept a peu d'expérience de l'acte. Depuis, elle a changé. E devenue femme puisqu'elle a perdu l'insouciance; fe puisqu'elle a souffert dans sa chair.
Elle
a m˚ri puisqu connu le chagrin. L'amour fanatique qui continue de 1'l prend une
autre forme. La sensualité naît. Elle contemple volume des testicules présidentiels et sent rôder le désir de son ventre.
Chaque nuit, elle éprouve des langueurs, des émo délicieux malaise qui devient
lancinant. Il lui est souvent de vouloir quitter la niche de feu Talfaut pour
aller rejoir monarque dans sa couche baldaquine. La crainte d compromettre l'en
a empêchée.
- Je suis bien aise de vous voir, mon cher ami, déc SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
193
Président qui n'en pense pas un mot et ne songe qu'à se défaire au plus vite de
l'importun. J'ai des nouvelles excellentes à vous donner de NoÎlle, elle a parfaitement surmonté sa déprime et va bien. Malheureusement, elle est sortie ce
matin pour suivre son traitement de neige carbonique chez le professeur Goncier.
Un crack de la chirurgie faciale.
Il parle pour déborder le bonhomme, sachant bien qu'il est venu troubler leur
quiétude d'une manière ou d'une autre. Le roule dans la farine de son verbe enchanteur avant de le faire frire.
Il raconte les journées de NoÎlle, ses occupations. Il brode! C'est un fignoleur. Il ne ment qu'à bon escient, mais alors cela devient du grand art.
Les phrases sont riches, les expressions ponctuantes, le ton radiogénique.
Victor acquiesce, balbutie des " oh, je sais, oh! bien s˚r ". Pourtant, une lueur déterminée se lit au fond de son regard timide.
Lorsque son hôte se tait, Réglisson rassemble son courage.
- Je pense que ma NoÎlle est restée assez longtemps chez vous, monsieur le Président, et qu'elle doit rentrer!
Horace sourcille. Ce petit misérable voudrait le faire chier? User de ses prérogatives paternelles pour flanquer des b‚tons dans les roues de sa félicité?
Eh! Pas de ça, l'ami! NoÎlle a remplacé TaÔaut. Elle est LA présence rêvée!
Elle
ne le quitte plus, de jour pas davantage que de nuit. Elle habite la niche, elle
habite la Mercedes. Elle habite...
Pris d'une idée, il avance son pied gauche avec précaution et sent le corps de
la jeune fille à la pointe de sa semelle. Un sourire ravi le réchauffe.
Elle est
là, sous le bureau. Il laisse glisser sa main pour lui adresser un signe de joie.
Voyons, Réglisson, pourquoi diantre rentrerait-elle puisqu'elle est heureuse ici
?
- Ce serait...
- Oui ?
- Ce serait plus...
- Oui ?
Victor a le feu de toutes les détresses au front.
- Plus convenable.
- Pourquoi, convenable ?
Alors, le malheureux crache le morcif
- Ecoutez, monsieur le Président, madame est venue nous voir, hier au soir.
- Ouelle madame? Mon épouse?
- Oui. Elle nous a dit... Enfin, nous a expliqué...
Il respire par saccades, terrorisé par ces yeux rivés à lui et qui noircissent.
Son terlocuteur ne lui porte pas secours; il le laisse s'enferrer, immobile,
glacial.
Sous le bureau, NoÎlle avance la main vers la cuisse du Président, les doigts
légers de madone italienne effleurent le tissu, se posent sur la braguette.
L'imperceptible glissement se
194
LES CLEFS DU POU
change en caresse. Et Tumelat, bon client, de se mettre à comme un fou, tu penses, cézigue, toujours à fleur de depuis qu'il touchait les filles dans les
chiottes de l'école mi Corentin (Finistère). L'insolence de la situation l'am
outrance, Horace. Le lampiste venu chialer son mal de p sa fifille, à moins de
deux mètres, palpant les bas morc Glorieux! La vie, je te vous jure, y a des
moments, elle
qu'on soit venu y faire un tour!
- Madame prétend que le comportement de ma NoÎll pas correct. D'un autre côté,
comme j'ai le mal de cette enf vaut mieux qu'on la reprenne.
Il a balancé une triple zéro, avant de s'engager dans l'i ble, et des filaments argentés festonnent à son revers. Co du dimanche.
Chemise
bleue à fleurettes jaunes, col o maillot de corps moutarde. Il pue l'eau de Cologne achet " promotion " dans une Grande Surface.
Il rit mou, manière d'atténuer son audace.
Le Président dégrafe mine de rien la fermeture de sa bra sous le bureau.
NoÎlle
va cueillir délicatement son tout be raidi dans les méandres de son slip brodé.
Victor Réglisson ajoute :
- Je ne voudrais pas que vous nous en veuillez.
Horace décline le verbe " vouloir ", mentalement pour fier, tandis que son zob
est dégagé de sa culotte.
approche sa joue intacte, si douce, de cette tête de noeu douce encore. Les deux
têtes refont connaissance. Ra Président voudrait faire basculer son beau burlingue mani découvrir le spectacle au cher papa.
Des secondes s'agglutinent, silencieuses. On perçoit les de l'extérieur, ceux de
la maison, presque ténus (ils font du luxe ambiant).
- Ecoutez, finit-il par déclarer.
Il se tait parce que la langue de NoÎlle lui parcourt malad ment le filet.
Tiens, tiens, si elle entend jouer à ce jeu-là l'éduquer, sa levrette. Le moment
de la pipe finit toujou arriver pour une fille! Sinon elle tourne gourdasse frigide, n'arrange personne.
Mais quand tu y songes, c'est triste, hein ? Amer. Nos p filles-ballons-rouges,
qui ne touchent pas terre, qui rient de s'extasient de tout, sautillent pardessus les nuages... Nos p filles de gr‚ce et de printemps : une bite en bouche,
g d'amour! Fumelles! Oh! merde...
Tumelat a dit : " Ecoutez. " Et Réglisson ne demande q lui : d'écouter.
Mais il
a beau tendre l'oreille, il n'entend
Poli, parce que terriblement impressionné par la person et la gloire de son vis-
à-vis, il se garde de toute interve
Horace caresse le menton de NoÎlle et le guide jusqu' sexe, à l'aplomb, bien lui
faire piger le comment du pourqu saisis? Mais bon, il faut se débarrasser de ce
hotu, non?
- Ecoutez, mon cher ami, dans la vie, il convient de savoir SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
1
195
que l'on veut. C'est vous-même qui nous avez téléphoné pour nous signaler que
NoÎlle avait besoin de moi. J'ai souscrit à votre requête et maintenant elle m'a
; elle est heureuse. N'écoutez pas les ragots de mon épouse : la jalousie, mon
bon, cette noire jalousie qui met des piquants partout! Ma femme est collet monté, c'est une infecte bourgeoise qu'un rien choque. D'ailleurs, je l'ai priée
de décamper car nous n'avons plus grandchose en commun si ce n'est mon nom que
j'espère bien lui retirer un jour... Vous me dites que la petite vous manque :
je le conçois. Mais les enfants sont faits pour s'envoler, n'est-ce pas ?
C'est
dans l'ordre imbécile des choses. Vous devez vous effacer devant son bonheur.
Puiser dans celui-ci la force de la séparation. Séparation du reste relative, et
provisoire, car les filles nous quittent pour mieux revenir. Je vous promets
qu'elle vous fera visite bientôt. On pourrait même envisager qu'elle aille prendre un repas chez vous une fois par semaine, hmrn ? que pensezvous de mon
idée ?
Ce qu'il en pense, Victor ? Ce qu'il en pense, tu veux le savoir ? Il pense que
le Président est un beau cynique; un vieux dégueulasse infect. Il reconnait bien
en lui le valet du capital. Fils du peuple qui a mis sa bonhomie naturelle au
service des banques pour mieux filouter le gogo! Salaud! La colère lui monte.
Président, son cul! Vérole déambulatoire! Voleur de jeunesse ! Parce que c'est
puissant, ça s'arroge tous les droits! «a bafoue les valeurs les plus naturelles, les mieux ancrées. Comment a-t-il dit, ce bas-fumier. " On pourrait
même envisager qu'elle aille prendre un repas chez vous une fois par semaine. "
C'est bien cela, mot pour mot, hein ? Tu l'as entendu comme lui. " On pourrait
envisager! " Non, mais ça ne va pas, la tronche ! Il condescendrait à
laisser la
propre fille de Réglisson visiter ses parents, comme les dadames de la haute,
que le zob n'intéresse plus, vont visiter les malades dans les hôpitaux pour
pouvoir obtenir la Légion d'Honneur! Il se monte à toute vibure, le driveur de
durs.
- Dites, c'est ma fille ! objecte-t-il.
L'argument suprême, pour lui. SA NoÎlle! Dix-huit ans et plus qu'il la contemple
comme le gardien de phare regarde la mer!
Dix-huit ans qu'il l'admire, qu'il frémit, qu'il la porte jusqu'au bout de ses
jours et qu'il prie, oui, lui, ancien membre du P.C., il prie pour NoÎlle, le
matin, en allant au boulot, dans sa petite voiture, le soir, au lit, avant de
s'endormir. Il dit " Seigneur, et NoÎlle ". Pas davantage. Sa prière c'est d'associer ces deux mots. Il sent l'éloquence infinie du laconisme, le gars Victor. Les pères, ça renifle les grandes vérités lorsqu'il s'agit de leurs mômes.
- Personne ne songe à le contester, répond le, Président avec un sourire indéfinissable, justement parce que la fille à ce connard vient de fermer ses
lèvres autour de son noeud. Vive la France éternelle !
196
LES CLEFS DU POU
J'ai besoin d'elle, c'est ma fille, ma NoÎlle! Et sa aussi a besoin d'elle.
Depuis qu'elle n'est plus à la maison, o sait plus comment vivre, vous comprenez
? On est là, o regarde, on se cause à peine ; parfois Mme Réglisson se m 13leurer, et j'en fais autant. Je veux la voir! Je veux qu' rentre !
Il commence à lui battre les couilles, ce grotesque, Président. Non, mais des
fois!
- Dites, monsieur Réglisson, votre fille est légale majeure, n'est-ce pas ?
Elle
a le droit de vivre o˘ bon lui sern
- Il faut que je la voie! déclare Victor. Si elle ne veut plu nous, il faut qu'elle me le dise elle-même.
La réplique amène un léger remue-ménage sous le bur Le Président s'efforce de le
contenir, mais il ne le peut et No sort de sa cachette, chiffonnée, congestionnée, ses br˚lures laides que d'habitude, avec un regard comme son papa
chér lui a encore jamais vu. Il est incrédule, Réglisson. Comme Elle se tenait
là, aux pieds du Vieux, sans broncher à écoute qui se disait. Elle a eu le sombre courage de ne pas sauter au de son père!
Il voit combien elle est loin de lui désormais, combien il lui devenu étranger;
et à quel point le cher passé dans la H.L.M. mort. Ni jours passés ni les amours
reviennent... Un père berne! Le voici veuf de sa fille. Plus de NoÎlle, autrement sur des photos prises par des appareils à deux francs! Victor devenu
instantanément vieux, très vieux, plus vieux que l'était son grand-père qu'il
embrassait sans appétit, jadis, qu on le conduisait dans leur campagne natale,
aux Régliss
Il est devenu plus malheureux que le malheur! Il songe femme qui l'attend dans
leur bagnole, sur le boulevard, à c mètres. Georgette s'est habillée grand luxe,
pour le cas o˘ on demanderait de monter.
- qu'est-ce que tu faisais là-dessous ? demande-t-il.
Elle hoche la tête. Tu la croirais droguée, NoÎlle... C absence, une misère!
- Hein, NoÎlle! Réponds-moi!
- J'étais bien, dit-elle. Je me mets toujours là, maintena
- Mais nom de Dieu, qu'est-ce qu'il t'a fait, ce type!
Ce type! Il vient de qualifier le Président Tumelat de " type là, chez lui, en
criant.
- Laisse-moi, papa, je t'en prie. Rentre! Tu me chasses ? Je te dis de rentrer.
- Tu as bu ? Tu t'es camée ?
Tumelat intervient :
- Je crois que vous vous oubliez, mon cher! Prendriez-v ma maison pour un tripot
de Katmandou? NoÎlle est d'u sobriété totale et si je la voyais fumer le moindre
joint je interdirais ma maison. Laissez-la à sa convalescence. Elle SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
197
dans de bonnes mains. Vous aurez ré2ulièrement de ses nouvelles, je vous le promets.
Eperdu, Réglisson crie
- NoÎlle
Sur le ton de " au secours ", tu comprends ?
Il s'attend à ce qu'elle se vrécivite dans ses bras. Elle reste immobile, l'oeil flottant.
- Ne te mets Pas en colère. Je veux rester ici. Et Vv resterai tant qu'il voudra de moi.
- Et moi ? gémit Victor. Hein, ma toute petite, et moi ? Et moi, la nuit, quand
je me lève pour aller boire un verre d'eau et
i
que j'ouvre la porte de ta chambre vide ?
Deux belles larmes d'homme ennoblissent ses ioues.
- Dis, ma NoÎlle, et moi, quand je suis à tablé, en face de ta mère sans ton
couvert? Mais tu ne comprends donc pas?
Elle voit la détresse de son père, elle écoute la voix du chagrin. Non, elle ne
comprend pas, ne peut pas comprendre car cela la
laisse indifférente
Elle n'est qu'ennuyée. Ennuyée à cause du Président qui a autre chose à
foutre
aujourd'hui que de regarder chialer un minus.
lui.
- Je te verrai 13lus tard. oromet-elle nour se débarrasser de Le Président se dresse.
L'a-t-il fait exprès ? Il n'a pas refermé sa braguette. Simplement, sa queue a
été remisée, mais sa chemise et son slip passent par l'échancrure. Il se montre
ainsi, laissant comprendre à Réglisson le triste manège qui s'opérait sous le
bureau au cours de ses jérémiances. Victor voit. Victor réalise et blêmit.
- Votre femme a raison : vous êtes une vieille dégueulasserie! murmure-t-il.
Le Président sonne le valet de chambre. D'un geste mesuré, peinard, ostentatoire, il clôt son pantalon, titille ses burnes avec deux doigts afin de narachever la mise en nlace.
Juan-Carlos se montre.
- Raccompagnez monsieur! lui ordonne le tribun.
L'Espingo qui pige tout, va se planter devant Victor pour lui signifier qu'il doit déguerpir.
Réglisson hoche la tête à petits coups tout vieux. Bon pour l'hospice. A quelle heure couche-t-on les vieillards ?
jamais, à personne!
- Tu sais oÎlle...
Puis il renonce. Il n'a plus rien à dire. N'aura plus rien à dire Il se laisse virguler par le larbin. Ne voit pas que l'ascenseur est à
l'étage
et descend mollement le somptueux escalier à tapis rouge, tringles de laiton,
plantes vertes, lanternes opulentes.
Il regagne sa chiotte. Georgette écoutait les infos, ce qui pompe la batterie quand la tire est arrêtée, chacun sait.
Alors, tu l'as vue ? demande-t-elle.
Oui rénond Victor : elle va bien.
XII
Dès que le bonhomme est sorti du cabinet de tra Président pousse NoÎlle vers sa
chambre. Il tremble d'exci Cette séance sous le bureau, tu ne peux savoir dans
quel é nous l'a mis. Le miracle s'est enfin produit : il a cessé sensible aux
plaies de la jeune fille. Il ne les voit plus! Il que cet instant béni viendrait. que l'accoutumance jo réparerait les dég‚ts infligés à cette ravissante adolescent des médecins et de tous leurs onguents. L'habitude triomphe de ces disgr‚ces physiques. Il a pris son temps, gredin. N'a rien brusqué. Il suffisait d'attendre, de laisser la promiscuité. Une vie nouvelle va
s'ouvrir pour eux. Sa chienne d'agrément va devenir sa chienne tout court.
Il la conduit jusqu'au lit que l'on a déjà fait. L'y ét trousse, la dévêt de ce
qu'il juge opportun; ouvre ses jam les lui pliant à souhait. Elle est redevenue
belle, et émo Elle est pleinement à lui. Il dégage son sexe précipita remballé
sous le bureau et le lui plante sans s'être dév soudard, en violeur. Et c'est
plus merveilleux qu'à leurs (il allait penser " qu'autrefois ", tant cette période lui éloignée). Elle participe en femme. Elle est femme dés Elle jouit
comme une vraie femme, avec des r‚les, des pl des griffures convulsives.
La sublime métamorphose! Il en est ébloui jusqu'à la m cher Tumelat. Un triomphe
de plus à son actif. Il savo oeuvre. Gueule comme un ‚ne en se libérant, lui to
silencieux. NoÎlle reste sur le lit, déjà un bras en parade son visage abîmé,
haletante, comblée, soumise comme femelle ne le fut jamais à aucun m‚le.
Un rafraîchissement express pour Tumelat, contraire ses habitudes. Les gens qui
furent privés d'hygiène à leurs ne se rassasient plus de propreté ; j'en sais
quelque chos l'auteur de Bourgoin-Jallieu : vingt-cinq ans d'évier po jour, me
retrouver à la tête de vingt-deux salles de bains, revends, progressivement, les
ayant possédées, afin de te ma crasse sous le pommeau d'une simple douche.
Président, cette fois, titubant d'éblouissement, ne s'astiqu 198
SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
trop le fourbi génital. Un petit coup pour l'essentiel, sans même ôter son bénouze. Les ablutions du soudard, après la copulation crapuleuse.
Il retourne à son cabinet de travail o˘ il trouve Eric, p‚le et sublime, avec un
album de photos contenant le passé des familles Alcazar et Montier réunies.
Il a
déposé le superbe classeur sur le bureau. A son geste qui le lui désigne, Tumelat comprend que l'expédition est positive.
- C'est là ? demande-t-il.
- Au dos des photos.
- «'a été difficile à obtenir.
- Assez : j'ai d˚ lui flanquer quelques coups de pied dans le ventre.
- Vous avez bien fait, approuve le Président.
Il ne se doute pas qu'il passera le restant de sa vie à regretter ces paroles,
voire à les expier.
Pour l'instant il rit.
Tout lui est bonheur, comme dit la mère Paris.
- Vous ne m'avez pas entendu crier, il y a un instant? questionne le président,
non sans coquetterie.
- C'était vous, monsieur le Président ?
- Figure-toi, Fiston, que je prenais le pied du siècle avec la petite NoÎlle.
Comment tu expliques ça ?
Eric a rougi, comme chaque fois qu'il s'agit de sexe.
Je l'explique par l'amour, monsieur le Président : elle est folle de vous, et
vous-même...
Horace l'interrompt :
- Moi : le panard, mon garçon. Seulement le panard! Mon unique religion. Le coeur, ça suffit, j'ai dépassé la limite de tolérance, à présent il me faut du
cul. Pas n'importe quel cul plus ou moins vénal, non : du cul à façon. Du cul à
ma botte!
Il pouffe. Voilà, il avait besoin de parler de " l'événement " à Eric.
Besoin de
dire à ce jeunot équivoque que lui, le vieux sabreur, il bramait l'amour en besognant les dix-huit printemps (non ignifugés) de NoÎlle. Simple intermède.
Vantardise de bouc fier de grimper une chevrette.
Content de sa confidence, il questionne
- La follingue est restée dans son appartement ?
- Oui.
- Comment est-elle?
- Abattue, prostrée. Elle parlait de suicide.
- que Dieu lui donne le courage de mettre ses projets à exécution !
Eric est vaguement outré par la réaction de Tumelat. Pourtant, s'il y réfléchit,
elle reste conforme au personnage. C'est un être pratique. Un homme de simplification, qui n'a pas peur du pire quand le pire devient la meilleure solution de ses problèmes.
- Monsieur le Président, il me faudrait absolument quarante-huit heures pour que
j'aille voir mon père, déclare-t-il.
- Prends-les, Fiston. Et sois fort, explique à ton géniteur que 199
200
LES CLEFS DU POU
la vie de Paris ne ressemble pas à celle de l'Ardèche. Veux-tu que je lui fasse
un mot?
Eric réfléchit.
- Ce serait bien, mais votre proposition me gêne, Monsieur.
Déjà son patron s'installe au bureau, puisant dans un une feuille de papier-parchemin, fait pour des traités royaux dirait-on, en haut de laquelle son nom
est gravé en anglaise verte. Sans le moindre temps mort, il se met à écrire au
stylo, le bruit de la plume compose une musiquette rassurante robinet magique
sortent des mots magiques, Eric les accueille comme une rédemption.
- Vous n'avez vraiment pas l'air d'être dans votre ass dit la grosse Artémis à
Eve.
Eve répond par une moue incertaine. Les femmes, hein ? physique ressemble à
leur
moral, il est mouvant, malléable jour très belles, sans raison spéciale, un autre presque laides fards n'y font rien; ne travestissent rien. quand le mora
moche, ils ne le réparent pas, mais l'accusent au contr comme la couleur accuse
les traits burlesques d'un mas
Depuis une plombe elle chiade son papier, la chère ch Connaissant des affres
d'écriture qui ne laissent rien présag bon. Un pamphlétaire ne bricole pas mais
se livre dan jaillissement. Le toréador ne saurait planter sa banderille geste
mou, toute flèche a besoin de propulsion, donc de rapi Elle est en train de fignoler quelque chose sur Giscard, à p
de sa candidature qui n'a pas encore été déclarée. Elle vou démontrer le machiavélisme de cette attitude équivoque c tant à ne pas admettre comme certaine une position personne ne doute. Elle reste privée de verve, découvra
sans grande surprise d'ailleurs - que le Président d République ne lui inspire
pas la moindre antipathie et qu'el fout éperdument de son septennat passé.
Comment ve
vitrioler quelqu'un avec de l'eau tiède ?
Elle griffonne un paragraphe, le relit et s'empresse de le à grandes ratures
rageuses. Putain que c'est mou, tout ça pensée n'a pas quitté Eric Plante depuis
son coup de télép du matin. Elle se sent irrésistiblement attirée par la personn
chatoyante du garçon. Elle devine en lui un nouveau rom que, quelqu'un qui tranche sur la monotonie des Fra d'aujourd'hui. Il est capable de tout.
Elle se
demande s déclarations d'amour cachent un piège ou si elles sont sine Cruel dilemme ; d'autant plus angoissant qu'elle est amour Elle ne sait que penser de
l'ultimatum d'Eric. Ce voyage qu propose, de. but en blanc, avec la menace de
son suicide po cas o˘ elle refuserait de l'accompagner. De la folie! Mais q folie! Funambule léger et tragique. Il y a du desperad SONT DANS LA BîTE ¿ GANTS
201
lui. Il appartient à cette catégorie de jeunes capables de déposer un engin piégé sous une estrade officielle, au risque de voler en éclats. Eve le revoit,
à sa table du restaurant russe, devant le g‚teau couronné de bougies.
Combien y
en avait-il, au fait ? Les musiciens ringards jouaient Joyeux anniversaire.
Lui
saluait sans aucune gêne la salle qui l'applaudissait. Et elle l'a trouvé
si
noble, si infiniment touchant, si somptueusement seul qu'elle s'est prise à
l'aimer; à l'aimer comme elle ignorait qu'on p˚t aimer.
Il lui faut écrire, elle doit pondre absolument. On attend son article. Une petite surface du Réveil lui est destinée; un emplacement immuable qui rendrait
le journal bancal s'il était remplacé par autre chose. C'est si fragile, un quotidien. Ses lecteurs ont besoin de s'v sentir chez eux, d'y pénétrer comme
ils entrent dans leur appartement ou leur lieu de travail. Un rien suffit à
dérouter, à fausser l'atmosphère d'accueil.
Bien, alors Giscard... Elle essaie de se monter le bourrichon contre lui.
S'invente des rancoeurs, le grève de mille maux. Il se fout de la gueule du monde, en créant un faux suspense. Bien dans ses manières. N'a-t-il pas gouverné
ainsi ? A pas feutrés. " Mes chères Françaises, mes chers Français " ; son septennat un parcours de golf. Allez, ma grande, voilà l'angle d'attaque. "
Au
moment d'aborder le dix-huitième trou, le golfeur Giscard... "
Eve s'arrête. Le mot trou a quelque chose d'équivoque. Il fait sourire n'importe
qui dans ce pays polisson o˘ tout devient allusif et o˘ on cherche toujours dans
un mot, une seconde signification prêtant au ricanement.
Elle jette sa feuille dans la corbeille déjà pleine.
" Au moment d'achever son parcours, le golfeur Giscard... " Et si Eric se tuait?
Serait-elle fautive ? Est-il logique de céder à un chantage de ce genre par crainte qu'un jeune dandy mette fin à ses jours ? Il la conduirait aux pires
extrémités en usant de ce stratagème. Petit con, va. Garnement! Pédale!
Elle ne
lui donnera pas signe de vie. Pour mettre une barrière entre sa décision et sa
volonté fléchissante, elle téléphone à son mari, lequel est en grande discussion
d'affaires, cela se sent à la façon impersonnelle dont il lui répond.
- Luc, tu ne voudrais pas t'arranger pour me payer une toile, cet aprèsmidi?
J'ai très envie de voir Shining; on irait à la séance de seize heures et ensuite...
- quelle idée! riposte l'époux : je croule sous les rendezvous et justement, je
ne pourrai pas rentrer à la maison avant 20 heures.
- Dommage!
On essaiera d'arranger ça pour demain, promet le brave Luc, contrit de la décevoir.
- Demain, ce sera demain, répond Eve.
Elle raccroche. Un moment de flottement suit. Elle est fascinée par sa phrase
écrite large sur l'appétissant papier blanc,
202
si propice, qui d'ordinaire stimule son inspiration. Ecrire, c dessiner.
Eve
aime le graphisme de son écriture; elle reconnaît en lui et sent que le tracé
l'exprime sans dc davantage que l'expression qu'il contient.
" Au moment d'achever son parcours, le golfeur Giscard.. alors? quoi, le golfeur
Giscard? Il suit sa tactique, non accomplit son destin, non ? Comme les autres,
empêtrés d leurs carrières, leurs ambitions, leurs espoirs. Ils ont faim Pouvoir, tous. Et cela les conduit à quoi, au juste ? A formidables tracasseries. A la critique acerbe de millions d'il vidus incontentables. A des
périls. A la privation de leur lib( d'homme. Le Pouvoir, cet asservissement!
Elle englobe postulants dans une même pitié. Voilà ce quelle aimerait écr ce
matin, la corrosive Eve Mirale. Seulement que dirait Math Glandin ? Tu imagines
sa frime si elle se met à philosopher su vanité du Pouvoir et à traiter tous les
candidats à l'Elysée s distinction de chimériques b‚tisseurs d'eux-mêmes ?
Comment va-t-elle s'empêcher d'aller au rendez-vous d'Er Un élan si puissant la
porte vers lui. Il lui faut lutter contre irrésistible appel, sa quiétude en
dépend. Eve veut neutrali co˚te que co˚te la tentation. Pour cela, un seul moyen
: cc qu'elle a voulu utiliser en appelant son mari à l'aide et consiste à
se
créer une obligation assez forte pour qu'il ne plus question d'aller rue SaintBenoît à 16 heures.
Elle appelle Glandin, prétexte qu'elle a " des choses imp tantes " à
débattre
avec lui et Mortillon, le rédacteur en chef la page politique. Peut-il la recevoir dans le milieu de l'apr midi?
Chance inouÔe, Mathieu Glandin propose 16 heures. A cro que le destin met son
grain de sel dans l'affaire. Soulagée, E revient au golfeur Giscard qui, achevant son parcours...
Son tonus lui est revenu, teinté de mélancolie profonde. Ell su se protéger.
Elle est forte.
XIII
C'est la première fois qu'ils se voient en " terrain neutre ", c'est-à-dire dans
un lieu qui n'est ni la prison ni le domicile des Morin.
Comme cela urgeait, l'aumônier a donné rendez-vous à la Chef dans un bistrot de
Vaugirard, à deux pas d'une petite maison de retraite pour curés, sorte de mouroir o˘ l'on agonise encore en latin et qui a des relents de vieille sacristie.
Monique porte ses bottes cirées, sa jupe bleue, une sorte de blazer bordeaux
agrémenté d'un écusson pseudo-britannique. Elle a omis de fignoler son maquillage et deux traits de rouge à lèvres posés sur sa bouche comme au travers
d'un chèque, donnent à son visage énergique l'aspect troublant d'un mannequin
pour boutique de prêt-à-porter.
Elle a des larmes dans la gorge. Larmes de rage. Elle en veut au monde entier, à
commencer par elle. Son p…emier " loup " en une dizaine d'années de carrière
irréprochable. Jusqu'alors, elle avait mené sa mission tambour battant, avec
humanité mais énergie et en haut lieu on la citait en exemple. Et puis voilà que
cette évasion, dont elle s'avoue entièrement responsable, vient souiller son
pedigree de matonne.
Elle souffle sur un café trop chaud lorsque Chassel prend place en face d'elle.
Peu de clients à cet instant de la journée; c'est un petit bistrot de l'ancien
temps, à la bonne franquette, tenu par un couple dodu qui semble plutôt vous
recevoir dans son appartement, sans doute à cause du papier peint des murs et du
réchaud à gaz posé sur une table de cuisine, au fond de la salle.
Le prêtre ignore la nouvelle, n'ayant pas écouté la radio. D'ailleurs, cette "
évasion " ne constitue pas un scoop; elle apparaît plutôt comme une fugue assez
banale, et si elle est mentionnée c'est uniquement parce que Ginette Alcazar fut
la secrétaire du Président Tumelat.
Monique Morin met Chassel au courant de ses avatars de la nuit. Il écoute sans
s'émouvoir.
- Il n'y a pas là de quoi vous flanquer la rate au court 204
LES CLEFS DU POUVOIR
bouillon, ma chère amie, dit-il. Ma parole, vous pleurez et à voir vos mains on
vous croirait atteinte de la maladie de Parkinson !
L'inertie de l'aumônier la met en boule.
- Vous ne vous rendez pas compte! Je n'ai jamais eu le moindre problème!
Il comprend la vraie raison de cette détresse et en conçoit un peu d'amertume.
Les hommes et leurs petits problèmes!
- Oh! oui, bien s˚r : vous tremblez pour votre avancement On va vous retirer des
bons points, hein ?
Elle se mord la lèvre inférieure.
- Ce n'est pas ça, curé, merde! Essayez de comprendre! Je me suis laissé
fabriquer comme une conne; mon autorité auprès de mes bonnes femmes va