Paul II comprit très certainement le danger d'un choix aussi hasardeux, et pour couper court à toute nouvelle sollicitation, il fit savoir le 14 janvier 1465 [396] qu'il venait de déléguer, pour remplir l'intérim de la légation d'Avignon, Constantin de Hérulis, évêque de Narni, recteur du Comtat, prélat d'une grande science, doué de toutes les vertus chrétiennes et confident du pape. Le bref qui portait cette nomination à la connaissance des Avignonnais fut reçu avec la plus grande satisfaction, et on en comprend les motifs.
Sollicités d'un côté par le roi de France, craignant de l'autre de déplaire au pape, ils se trouvaient ainsi délivrés de la lourde responsabilité qui leur incombait en cette occasion. Le bref pontifical fait savoir aux Avignonnais que le Saint Père a été avisé de la présence au palais d'Avignon de Pierre de Foix et de Jean, évêque d'Acqs, et de la teneur des négociations engagées entre les citoyens et les héritiers du cardinal. Il loue l'activité, la prudence et le zèle des habitants et leur dévouement au Saint-Siège. Il les avise en même temps qu'il vient de nommer lieutenant et gouverneur de la ville et autres lieux appartenant à la sainte Église l'évêque de Narni, jusqu'à l'arrivée du légat qu'il se proposait d'envoyer ultérieurement. Enfin, comme conclusion, Paul II engage les Avignonnais à prévenir Pierre de Foix et Jean, l'évêque d'Acqs, qu'ils aient à évacuer sans retard le grand palais et à le remettre aux mains de l'évêque de Narni: «Vobis præcipimus et mandamus ut episcopum et Petrum prædictos omni studio inducatis ut palatium nostrum quod ab eis teneri accepimus, dicto episcopo Narniensi sine dilatione consignent [397].»
La question de la possession du grand palais, ancienne résidence des papes, était grosse de difficultés. Pierre de Foix, l'évêque d'Acqs, et les Gascons armés faisaient bonne garde et refusaient de se retirer même devant la force. C'était malheureusement une tradition parmi les légats qu'à chaque décès du représentant du Saint-Siège à Avignon, ses héritiers et successeurs refusaient de rendre le palais aux ordres venus de Rome. Ému de cette situation et pour obvier à un nouveau scandale, le conseil de ville avait donné pour mission complémentaire à d'Ortigues (1464), de demander à Sa Sainteté qu'elle fît défense formelle, à l'avenir, à ses légats, d'habiter le grand palais, mais qu'elle voulût bien désigner un capitaine noble et un citoyen de la ville qui seraient chargés de la garde du palais, avec les émoluments que Sa Sainteté fixerait elle-même, à percevoir sur les revenus de la chambre apostolique d'Avignon [398].
C'était de la politique habile de ne désigner qu'un légat d'un caractère temporaire comme l'évêque de Narni [399]. Paul II laissait ainsi à Louis XI l'espoir de lui donner bientôt satisfaction et lui écrivait en même temps une lettre d'un caractère tout pacifique, exposant les raisons qui l'avaient amené à déléguer à titre provisoire l'évêque de Narni. Le souverain pontife, par un nouveau bref du 17 février 1465, tout en remerciant les Avignonnais de leur dévouement et de leur fidélité, leur faisait savoir qu'il avait confiance dans l'esprit religieux et catholique du roi de France, pour être certain que la tranquillité de ses États ne serait point troublée. Il ajoutait qu'en agissant comme il l'avait fait, il n'avait eu d'autre pensée que de sauvegarder l'honneur du Saint-Siège, le gouvernement des États de l'Église et le repos de la papauté [400]. Il recommandait à nouveau à la ville de livrer immédiatement le palais à son représentant. Les négociations entamées avec les héritiers du feu cardinal de Foix furent laborieuses et difficiles. Enfin, après de nouveaux pourparlers, les prélats installés dans le palais s'engagèrent par devant notaire [401], le 2 mars 1465, à remettre purement et simplement le palais apostolique au pape Paul II ou à son délégué. Ils quittèrent Avignon dans les premiers jours de mars et le conseil délibéra le 4 dudit mois, d'accompagner Pierre de Foix jusqu'en dehors des murailles et de lui présenter au nom de la ville une boîte d'or à dragées du poids de 15 marcs d'argent, laquelle coûta 112 écus, en le priant de protéger la ville tant auprès de son père que des princes dont il se trouvait l'allié [402]. Le 9 février 1465, le cardinal Alain de Coëtivy [403], évêque d'Avignon, répondant à une lettre que les consuls de cette ville lui avaient adressée à Rome, le 13 janvier précédent, les félicite de ce que le palais apostolique est revenu au pouvoir du souverain pontife, chose qui lui a été très agréable «car cela a fait qu'il n'y a plus eu qu'un seul troupeau et un seul pasteur».
Les visées de Louis XI, sur l'administration intérieure des domaines du Saint-Siège, se trouvaient cette fois encore déjouées; mais avec cette ténacité et cette persévérance qui caractérisent sa politique, l'habile monarque ne considérait pas la partie comme perdue et il allait prendre sa revanche en mettant en avant pour la légation vacante la candidature de son parent, Charles de Bourbon, archevêque de Lyon [404].
CHAPITRE VI
Louis XI et le conflit avec Jules de la
Rovere.
L'entrevue de Lyon (juin 1476)
et ses conséquences.
Vacance de la légation (1464-1470).—Agissements de Louis XI pour faire nommer à la légation d'Avignon l'archevêque de Lyon, Charles de Bourbon.—Satisfaction accordée au roi de France.—Conditions dans lesquelles Charles de Bourbon est pourvu de la légation (1470).—Engagements du roi et du légat vis-à-vis du Saint-Siège.—Révocation des pouvoirs du cardinal de Bourbon (13 mars 1476).—La légation est donnée à Jules de la Rovère, neveu de Sixte IV.—Mécontentement de Louis XI.—Origines du conflit.—Occupation du palais apostolique.—Les représentants du légat assiégés.—Intervention militaire de Louis XI (avril-mai 1476).—Entrevue de Lyon (juin 1476).—Les Avignonnais prêtent serment de fidélité au roi de France (26 juin 1476).—Succès de la politique royale.—Conséquences de l'entrevue de Lyon pour les sujets du Saint-Siège et pour le cardinal de Saint Pierre ad Vincula.—Son retour à Rome (octobre 1476).
La vacance de la légation, après la mort du cardinal de Foix, était pour Louis XI un encouragement à renouveler ses instances auprès du pape Paul II, en vue de le faire revenir sur son refus de pourvoir de cette charge le frère du maréchal d'Armagnac. Le roi n'y manqua pas. En effet, fort de la promesse de Pie II [405], Louis XI fit partir pour Rome une ambassade extraordinaire vers la fin de 1465 ou au commencement de 1466 [406]. Les envoyés du roi avaient pour mission de rappeler à Paul II toutes les démarches et sollicitations dont son prédécesseur avait été l'objet en faveur de l'archevêque d'Auch: «Erit ipsis oratoribus cura præcipua ne tot preces ac totiens pro archiepiscopo auxitano ad legationem avinionensem profusæ cadant incassùm, dicentque pontifici quid tranquillitas illius provinciæ, quid altitudo regis, quid conditio temporum, quid pollicitatio Pii (Pie II) pontificis flagitant [407].» Infructueuses restèrent les démarches de Louis XI, qui, dès lors, paraît avoir abandonné à son mauvais sort la candidature du frère de son ami le maréchal. Mais il ne renonçait pas pour cela à l'idée de faire prévaloir sa volonté à Rome. La même année, en effet, il adressait aux États du Venaissin une longue missive [408] pour leur recommander, comme personnage très apte à la légation, un prélat de sang royal, Charles de Bourbon, archevêque de Lyon, frère du duc de Bourbon et d'Auvergne, à qui Louis donna le gouvernement du Languedoc: «Nous avons jà par trois fois escript à nostre saint père le pape, affin quil vueille pourveoir à la dicte legacion et administration de Avignon et conte de Venysse, de la personne de nostre dit cousin comme de la personne que nous povons cognoistre ad ce plus utile et proffitable, et pour conserver et tenir en bon estat le fait et les droiz du Saint-Siège appostolique par deca et les subgectz estans soubz le patrimoine des diz ville et conté plus requise et nécessaire [409].» Après avoir fait de son cher et bien aimé cousin un éloge auquel contredisent plusieurs contemporains [410], le roi les avisait que cette candidature était désormais la sienne, à l'exclusion de toute autre et «pour ce quelque chose que nous pourrions avoir escript pour et en faveur d'aultruy». C'était, on le voit, une renonciation absolue à son ancien protégé l'archevêque d'Auch. Dans cette lettre, comme dans celles qu'il avait adressées aux Avignonnais en pareille occurrence, Louis XI cherchait à mettre dans son jeu le crédit dont les Avignonnais et les Comtadins disposaient à Rome pour assurer le succès de ses vues politiques: «Vous priant que y vueillez tenir la main de vostre part et, par votre ambassade, en escrire à nostre dit saint père, en la faveur de nostre dit cousin, et tellement que doresnavant vous en doyons avoir en plus grant amour et benivolence, laquelle vous pourrez avoir et entretenir de bien en mieulx [411].» En même temps qu'il sollicitait la recommandation des Avignonnais, en faveur de son parent, Louis XI envoyait comme ambassadeur à Rome Charles de Bourbon, avec mission de se présenter au pape, qui l'«aura pour recommandé et le préférera comme personnage qui est bien en tel cas à préférer à touz autres prélatz qui en pourroient faire poursuite [412]». Le roi avait adjoint à l'archevêque de Lyon, comme compagnon de route, Thibaud de Luxembourg, évêque du Mans, avec pouvoirs donnés par lettres datées d'Orléans, du 19 octobre 1466 [413]. On voit, par le rapprochement des dates, que l'habile monarque comptait sur l'effet produit par les lettres des Avignonnais sur l'esprit de Paul II, pour assurer le succès de sa mission. L'ambassade devait: 1o rappeler au nom du roi, à Paul II, son respect pour la papauté depuis sa jeunesse, en lui faisant savoir qu'il regrettait que son père ne se fût pas mieux comporté à l'égard du Saint-Siège; 2o montrer comment, pour être agréable au souverain pontife, Louis XI avait, contre l'opinion de tout son royaume, aboli la pragmatique sanction; 3o témoigner de sa pleine et entière obéissance au Saint-Siège et donner comme preuve la révocation des édits et prohibitions rendus à Poitiers; 4o le roi demande qu'en considération de ses services Sa Sainteté veuille pourvoir à certaines églises du royaume de France, jusqu'à vingt-cinq à son gré [414]; 5o enfin, Louis XI terminait par un exposé sommaire des obligations que l'Église et le Saint-Siège avaient à la royauté. Cette ambassade marquait d'une façon très apparente les dispositions bienveillantes de la Cour de France et son désir de voir appeler à l'administration d'Avignon et du comté l'archevêque de Lyon. Mais les envoyés du roi quittèrent Rome sans emporter autre chose que des promesse vagues et dilatoires.
Les Avignonnais essayèrent-ils quelque démarche en vue de complaire aux désirs exprimés dans la lettre royale? Les registres du conseil n'en portent aucune trace. Mais nous constatons que le retard apporté par la curie romaine à la nomination de Charles de Bourbon, n'altère en rien les bons rapports existants. Le 17 juin 1468, la ville d'Avignon envoya, avec un grand concours de citoyens, les consuls saluer au débarcadère du Rhône, Blanche-Marie Visconti, épouse de François Sforza, duc de Milan et de Gênes, que Louis XI «ne réputait pas seulement sœur, mais fille [415]». «Nous savons que tout ce que vous avez fait, leur écrivait-elle de Beaucaire, l'avez fait pour l'onneur du Roy.... nous luy en escripvons en l'en remerciant et scavons qu'il en scaura à tous ceulx de la ville tres grand gré et nous vous offrons que s'il est chose en quoy nous puissions pour le temps à venir faire plaisir à toutz de la dite ville, soit en général et en particulier, que nous le ferons de tres bon cuer [416]».
416 2: Arch. municip., Reg. des Conseils, du 17 juin 1468, t. III, fol. 200. Bonne de Savoie était sœur de Charlotte, reine de France. Elle épousa, le 9 mai 1468, Galéas-Marie Sforza, fils de François Sforza. Le mariage fut béni par le cardinal La Balue et en présence de Charles de Bourbon. Voy. Duclos, Hist. de Louis XI, V;—Péricaud, Rev. du Lyonnais, IX, X, p. 369;—Lettres de Louis XI, II, p. 222, note.
Vers la même époque, Louis XI ayant recommandé deux personnages, Monténart (?) et Bazille, s'en allant à Avignon, les consuls répondent qu'ils n'ont aucune nouvelle de Bazille; quant à Monténart, il avait quitté la ville après une maladie très grave et depuis on était sans nouvelles de lui. En faisant réponse au roi ils ajoutaient: «Pourtant sur ce autre chose est en quoy tant en commun que en particulier puissions vostre dicte Magesté servir et complaire, en le nous notiffiant, le ferons de tout nostre petit pouvoir et de tres bon cueur a l'ayde de nostre seigneur le quel tres haut et tres chrétien prince et tres redoubté seigneur vous doint bonne et longue vie et le accomplissement de voz tres haultz et tres nobles désirs [417].»
Divers actes de Louis XI montrent néanmoins que la candidature de l'archevêque de Lyon était toujours l'objet de ses préoccupations. Dans une lettre du 21 août 1469, à Falco de Sinnibaldi, envoyé du Saint-Siège, s'en retournant à Rome, Louis XI recommande, pour le chapeau de cardinal, l'ancien compagnon de voyage de Charles de Bourbon, Thibaud de Luxembourg, évêque du Mans, et on trouve cette phrase caractéristique: «Je le vous obliay à dire, quant je vous recommande le fait de la légation d'Avignon [418].» «Et pour tant que j'ay singulière confiance en vous et que vous emploirez voulentiers à conduire les matières pour les quelles nos diz ambassadeurs s'en vont par dela, mesmement en celles que cognoistrez que jay au cueur, je vous prie tant acertez et affectueusement comme je puis et surtout le service que faire me desirez que vous vueillez tellement emploier à tenir la main de vostre part envers Nostre dit Saint-Père que la chose sortisse à ceste fois son effet.»
L'influence de Sinnibaldi fut probablement de quelque poids sur la décision de Paul II, qui donna enfin la légation d'Avignon à Charles de Bourbon (septembre 1470), mais à titre absolument provisoire et avec les réserves dont Louis XI donne acte au Saint-Siège dans une lettre en latin, donnée à Amboise, le 26 septembre 1470, la seule de ce monarque que renferment les archives du Vatican [419]. Mais déjà temporaire et révocable, la provision de l'archevêque de Lyon se trouvait singulièrement menacée par la mort de Paul II et l'exaltation de Sixte IV.
En 1471, Louis XI et Sixte IV qui, sans être en rapports tendus jusqu'alors, se tenaient sur une réserve prudente, se rapprochent parce qu'ils ont besoin l'un de l'autre. Le pape voulait l'appui du roi pour une croisade; Louis XI comptait sur le Saint-Siège pour régler l'affaire de la Balue et faire refuser à son frère, Charles de Berry, la dispense nécessaire en vue d'épouser Marie de Bourgogne. Ce rapprochement amena Sixte IV à se montrer plus traitable sur la question de la légation d'Avignon qui n'avait été, comme nous l'avons vu, confiée qu'à titre provisoire par Paul II à l'archevêque de Lyon. Louis XI envoie, le 4 novembre 1471, à Sixte IV messire Guillaume Compaing, archidiacre d'Orléans, et maître Antoine Raquier, notaire, afin de conclure avec le pape un traité contre tous leurs ennemis communs. Dans cette ambassade il est encore question d'accorder à l'archevêque de Lyon, de la maison de Bourbon, la légation d'Avignon, avec le chapeau de cardinal [420].
Sixte IV ratifia le choix de son prédécesseur avec les mêmes réserves, auxquelles durent souscrire par acte signé le roi de France et son protégé, Charles de Bourbon. La lettre royale, qui reproduit les mêmes termes que celle du 26 novembre 1470, fut donnée pour Sixte IV à Saint-Florentin, le 15 juin 1472 [421]. On voit, d'après ce document, que l'archevêque de Bourbon exerçait la légation d'Avignon et du Venaissin avec le titre de légat a latere pour une durée qui était laissée à la convenance du pape et du Saint-Siège. Il promettait au pape que ledit légat s'acquitterait avec intégrité de sa charge et rendrait bonne et prompte justice à tous les vassaux du Saint-Siège. Il est à remarquer que pour la première fois, sans doute à la suite des grosses difficultés qu'avait soulevées l'occupation du palais apostolique à la mort du cardinal de Foix, l'obligation était faite au légat de rendre le palais avec tous les droits et prérogatives attachés à sa charge, soit au pape vivant, soit à ses successeurs, à première réquisition et sans différer, avec toute la déférence due à la personne du souverain pontife. Nous possédons également, grâce à la copie donnée par Fornéry [422], le texte de l'engagement juré par Charles de Bourbon, le 4 juillet 1472. Les conditions énumérées ne font que reproduire celles déjà relatées dans la lettre royale. Il s'engageait à remettre entre les mains de Sa Sainteté ou de ses successeurs «le palais», avec tous droits, sous peine d'excommunication et de parjure, sans contestation et sans attermoiement [423].
Bien que pourvu officiellement de la légation, Charles de Bourbon ne se pressa pas de prendre possession de son siège, qu'il n'occupa du reste que d'une façon très irrégulière. Annoncé dès le mois d'octobre 1470 [424], aux consuls d'Avignon par une lettre de Guillaume de Châlons, prince d'Orange, le légat ne se présenta pour occuper sa charge en personne qu'au mois de novembre 1473. La ville, pour fêter son arrivée, envoya au devant de sa grandeur un brigantin manœuvré par douze hommes, qui devait remonter le Rhône jusqu'au Pont-Saint-Esprit, en même temps qu'une ambassade, composée des consuls et notables de la ville, allait à cheval à la rencontre du légat jusqu'au même point. Le 11 novembre 1473 l'archevêque de Lyon, descendant le Rhône sur le brigantin envoyé par la ville, prit terre à quelque distance de la ville et s'installa au château du Pont de Sorgues avant d'occuper le grand palais [425].
Dans la pensée du pape, le caractère révocable de la provision donnée à Charles de Bourbon laissait-il entrevoir un remplacement à brève échéance, ou mieux encore Sixte IV fut-il, dans cette circonstance, l'instrument docile de son neveu, le célèbre Jules de la Rovère, que Jean de Serres appelle «instrument fatal des maux de l'Italie» et ailleurs «puissant d'amis, de réputation, de richesses, naturel farouche et terrible, inquiet, turbulent, mais magnifique et grand défenseur de liberté ecclésiastique» [426]? Il est difficile de se prononcer. Jules de la Rovère avait été appelé à l'évêché de Carpentras lorsque, à la mort d'Alain de Coëtivy, en 1474 [427], il fut transféré au siège d'Avignon que Sixte IV, par affection pour son neveu, érigea en archevêché par bulle du 22 novembre 1474 [428], avec les évêchés de Carpentras, de Cavaillon et de Vaison comme suffragants, alors qu'ils ressortissaient précédemment de l'archevêché d'Arles. Cette extension de l'autorité spirituelle de l'archevêque d'Avignon, sa parenté avec le souverain pontife, en faisaient un adversaire redoutable pour le légat, dont il contrebalançait l'influence: un conflit ne pouvait manquer de se produire lorsque, sollicité sans doute par son neveu, Sixte IV, sans penser aux conséquences d'une pareille mesure, révoqua la faculté accordée à Charles de Bourbon [429] et lui substitua son neveu Jules de la Rovère, par bulle du 13 mars 1475. Quelques auteurs ont prétendu que les pouvoirs conférés au nouveau légat étaient plus étendus que ceux de son prédécesseur; que son autorité devait se faire sentir jusqu'à Lyon; qu'il voulait rétablir la suzeraineté temporelle du Saint-Siège sur la rive droite du Rhône [430]. Rien dans la bulle pontificale n'autorise ces affirmations, et le texte même du document est conforme aux formules adoptées en pareil cas par la chancellerie pontificale [431]. Depuis le XIIIe siècle les légats représentant à Avignon le Saint-Siège avaient toujours porté les mêmes titres, qui n'étaient qu'une formule consacrée de diplomatique sans effet dans l'exercice de leurs fonctions. Du reste, les parlements se montraient d'une rigueur impitoyable quand il s'agissait de l'enregistrement de la bulle, et ils n'auraient pas toléré un empiètement sur les droits du pouvoir laïque.
Il y a là, selon nous, une confusion de la part des historiens, qui ont traité la question sans la bien connaître, et dont nous allons donner l'explication. L'archevêque d'Avignon avait juridiction sur tous les sujets royaux fixés dans les limites de son diocèse [432]; or, en ajoutant au diocèse du nouvel archevêque les évêchés de Cavaillon, de Valréas et de Vaison, Sixte IV donnait par le fait, au sens propre du mot, à son neveu «des pouvoirs plus étendus». Voilà ce qu'il faut entendre par cette phrase qui se retrouve dans Duclos, dans Legeay et les autres. C'est sans doute cette extension d'attribution qui motiva les plaintes de Charles de Bourbon au roi, car on ne comprendrait pas qu'il s'agît des attributions de Jules de la Rovère, légat, alors que la provision de ce dernier ne fut délivrée qu'en mars 1475 [433]. Or, dès le mois de janvier 1475, Louis XI, mécontent des agissements du pape, avait pris plusieurs ordonnances rigoureuses à l'adresse du Saint-Siège. Une première ordonnance du 8 janvier 1475 [434] instituait une commission pour examiner les bulles, brefs et rescrits pontificaux qui seraient contraires aux immunités et privilèges du royaume de France et en défendait l'enregistrement. En vue de la défense des libertés de l'église gallicane le roi soumettait au «placet» tous les actes pontificaux. En outre, sans doute pour effrayer Sixte IV, Louis XI fit écrire à tous les évêques de France pour leur dire qu'ils ne devaient pas quitter leur résidence, et ce, sous peine de confiscation et de privation du temporel [435].
En même temps, Louis XI, poussé secrètement par son allié, Laurent de Médicis, provoque une agitation anti-romaine et parle de la prochaine tenue d'un concile général pour la réforme de l'Église et l'élection régulière d'un pape à la place du pontife, dont la nomination était entachée de simonie. Il cherche à gagner à sa cause l'empereur Frédéric [436].
La bulle pontificale du 21 novembre 1474 était sans contredit un acte d'indépendance de la curie romaine et attentatoire aux libertés de l'Église gallicane, en ce sens qu'elle portait modification des circonscriptions ecclésiastiques du royaume de France, sans l'avis préalable du roi. En effet, de ce chef, la province ecclésiastique d'Avignon devenait indépendante de Vienne et d'Arles [437], et le rattachement de l'évêché de Vaison au diocèse de l'archevêché d'Avignon était une diminution de l'autorité de l'archevêque de Vienne et de Lyon «primat de France». Bien que plus incliné aux idées romaines que son père Charles VII, qui professait plutôt les idées gallicanes, Louis XI ne pouvait décemment rester indifférent en présence des prétentions de Sixte IV dont la faiblesse expliquait cet acte de népotisme. Si on ajoute à cette extension d'attributions l'autorité que le nouvel archevêque tenait de ses prédécesseurs, on conviendra que l'archevêque d'Avignon était, sinon le supérieur, du moins l'égal du légat, qui devait désormais compter avec lui. En effet, depuis 1178, par privilège de Frédéric II, empereur d'Allemagne, l'évêque d'Avignon était coseigneur de Barbentane, et avait juridiction temporelle sur ce port, une des principales escales de la navigation du Rhône [438]. En outre, depuis le Xe siècle, ledit évêque possédait, comme fiefs temporels sur la rive droite du Rhône, les localités ci-après avec leurs annexes: Roquemaure, Trueil (de Torcularibus), Montfaucon, Saint-Giniès de Comolas, Saint-Laurent-des-Arbres, Lirac, Tavel, Rochefort, Sazes, Pujaut (Podium altum), Sauveterre, Villeneuve, Les Angles et Saint-Étienne-de-Candals [439]. «De tout temps et d'ancienneté les prédécesseurs arcevesques du dit lieu ont tout droit de justice et juridiction ecclésiastique sur plusieurs nos subgectz, mananz et habitanz de plusieurs villes, villaiges et places nous appartenanz dedans nostre royaume estans du dit diocèse et arcevesché, et ont accoustumé selon droit commun les dits arcevesques du dit lieu d'Avignon, davoir toute juridiction cohercion et contrainte non seulement sur iceulx habitanz des villes de nostre royaume mais aussi de Provence, du conte de Venisse et dailleurs ou le dit droict se estant [440].» Ces lettres patentes de Louis XI ne peuvent laisser aucun doute sur la légitimité des pouvoirs de l'archevêque d'Avignon, en tant que juge temporel desdits fiefs enclavés dans le royaume de France. Or, dans de pareilles conditions, ou l'évêque devait se contenter d'une juridiction temporelle nominale, comme l'avaient fait la plupart des prédécesseurs de Jules de la Rovère, ou, s'il voulait prendre au pied de la lettre les droits qu'il tenait de ses fonctions, il devait se préparer à vivre en état de guerre avec les officiers royaux, sénéchaux de Beaucaire, maîtres des ports de Villeneuve ou leurs lieutenants, et le Parlement de Toulouse dont la rigueur était proverbiale. On comprend, en effet, que les sujets du roi, placés sous la juridiction temporelle des évêques d'Avignon et poursuivis pour crimes ou délits de droit commun, récusassent la juridiction temporelle de leur suzerain spirituel, pour chercher aide et protection auprès des agents royaux et échapper ainsi à toute pénalité. De là des conflits incessants, des protestations, et comme conclusion, des lettres de représailles qui empêchaient l'évêque d'exercer en toute liberté son droit de juridiction.
Quant à la question de conflit à propos de certains territoires riverains du Rhône, dont la délimitation et les droits «de pâturage et de bûcherage» étaient contestés entre les officiers royaux et le représentant du Saint-Siège [441], Jules de la Rovère ne pouvait en avoir la responsabilité, attendu que depuis longtemps des dissentiments existaient entre le sénéchal de Beaucaire et de Nîmes et les officiers pontificaux. Des attaques à main armée avaient été dirigées par les sénéchaux de Beaucaire et de Nîmes contre le terroir d'Avignon, sous forme de représailles et de droits de marque, sous prétexte d'une dette que les papalins auraient refusé de solder à Gabriel de Bernes, alors qu'il était constant que la cité d'Avignon n'avait jamais refusé de se libérer [442]. Enfin, la ville se plaignait avec quelque apparence de raison que les officiers du roi s'opposassent, par vexation, à la construction de «pallières et taudis» sur la rive gauche du Rhône dont le courant impétueux ne cessait de menacer les remparts et fortifications qui garantissaient la sécurité de la ville et de son territoire.
Les conflits entre riverains prirent même, au cours de l'année 1475, un caractère tel de violence que le conseil de ville décida d'en référer au pape, avec menace des censures ecclésiastiques [443]. De leur côté les officiers du Languedoc, défenseurs des droits du roi, maintenaient énergiquement leurs revendications et le juge-mage de Beaucaire écrivait à Jean Bourré, président des États du Languedoc, «touchant l'occupation que ceulx d'Avignon veullent faire du Rosne et des isles d'icelluy [444]». Il montrait pour le roi l'importance qu'il y avait à conserver la possession des terrains limitrophes du fleuve et des îles voisines, «et le bon droit que le roy a». Le 9 juillet 1475 [445], Sixte IV adressait à Louis XI une nouvelle lettre plus pressante, dans laquelle il l'engageait à donner des ordres immédiats pour que ses officiers du Languedoc cessassent d'inquiéter et de molester les vassaux du Saint-Siège. Le roi de France n'ayant pris aucune mesure pour donner satisfaction au souverain pontife, celui-ci fulmina contre les officiers royaux une sentence d'excommunication (9 décembre 1475) [446].
Ces explications étaient indispensables pour montrer l'origine du conflit à propos des limites du Rhône, au moment où Sixte IV allait appeler son neveu à la légation d'Avignon, et permettent de démêler ce qu'il y a de fondé dans les accusations portées par les historiens contre Jules de la Rovère sur ce point. Lorsque donc, quelques mois plus tard, le cardinal de Saint-Pierre aux Liens se rendit à Lyon pour porter ses doléances à Louis XI, il ne faisait que lui exposer des griefs déjà anciens et qu'il n'avait en rien contribué à susciter. Enfin, s'il se plaignait au roi de la sévérité outrée du Parlement de Toulouse à l'égard des sujets pontificaux, lorsque quelque atteinte était portée par eux aux prérogatives royales, ces plaintes étaient de tout point fondées [447].
En réalité, toutes les explications données jusqu'ici, pour justifier le mécontentement du roi du retrait de la légation à Charles de Bourbon, ne sont que de peu de poids et ne suffiraient pas pour rendre plausible l'hostilité de la Cour de France et le parti pris de recourir aux voies de fait contre le Saint-Siège dans la personne de son légat et dans son propre domaine. Ce que Louis XI ne pouvait pardonner à Sixte IV, c'était d'avoir manqué à ses engagements vis-à-vis du roi et d'avoir porté une grave atteinte à l'influence française dans les terres qui confinaient à la Provence, au moment où Louis XI espérait mettre la main sur l'héritage du roi René. Désormais, au lieu d'avoir à Avignon un représentant dévoué à ses intérêts, la France allait se heurter à un ennemi habile, implacable, que l'on accusait encore sans preuves d'entretenir avec le Téméraire des intelligences secrètes, et de favoriser la cession des domaines de la maison d'Anjou au duc de Bourgogne [448]. Tous les calculs politiques de Louis XI se trouvaient ainsi déjoués, par suite de la mauvaise volonté du pape, et on comprend qu'il en conçut une vive irritation. . Cependant l'administration du cardinal de Bourbon, ou plutôt de ses représentants à Avignon et à Carpentras, n'allait pas sans quelques difficultés. Absent depuis plusieurs mois du siège de sa légation, l'archevêque de Lyon avait délégué comme lieutenant à Carpentras l'évêque de Narbonne [449]. A Avignon, il avait constitué comme son fondé de pouvoir Édouard de Messiaco, abbé de l'Isle-Barbe (13 décembre 1475). Les rapports entre le conseil de ville et les délégués du légat étaient assez tendus par suite de quelques questions d'ordre local. Le représentant du légat reprochait au conseil: 1o de n'avoir pas procédé, comme le voulait la charte municipale de 1411, au renouvellement annuel des conseillers [450]; 2o de n'avoir pas voté au légat le présent annuel de 500 florins, qui selon la tradition lui était offert la veille de la Noël [451]; 3o il se plaignait en outre de ce que des officiers avaient été créés directement par le Saint-Siège, sans autorisation du légat; 4o de ce que les Florentins avaient obtenu du Saint-Siège une exemption, au mépris du légat; 5o de ce qu'un bref apostolique avait interdit à l'évêque de Narbonne de s'immiscer dans les affaires intérieures du Gouvernement451. L'évêque de Cavaillon se fit, auprès du conseil, l'organe de ces plaintes. Celui-ci, qui louvoyait entre les deux influences, décida le 13 décembre de surseoir à toute décision jusqu'au retour des consuls et d'une partie des conseillers que la peste tenait pour le moment éloignés de la ville. Quelques jours après, l'assemblée municipale se réunit (le 18 décembre) [452] et la mutation des conseillers fut opérée en présence de l'abbé de l'Isle de Barbe, délégué du légat, et par son ordre. Le 10 janvier 1476, le conseil décida de prendre des informations à Rome au sujet de la bulle concernant la mutation des conseillers, qu'une rature avait rendue suspecte de fausseté, et où le mois précédent on avait délégué à cet effet Pierre Baroncelli comme ambassadeur extraordinaire [453]. Le 24 janvier, le conseil procède à la nomination des capitaines des paroisses, en vertu d'un bref que Pierre Baroncelli avait rapporté de Rome avec des lettres de Jules de la Rovère, archevêque d'Avignon. Il est probable que Baroncelli avait été chargé par Jules de la Rovère d'une mission secrète pour le conseil et les États, peut-être de leur faire pressentir la prochaine venue du cardinal en qualité de légat, car dès son arrivée, et par ordre de l'évêque de Carcassonne, Pierre Baroncelli avait été jeté en prison. La ville députa aussitôt auprès de l'évêque Pierre de Merulis, primicier de l'Université, et Jean Martini, bourgeois, pour obtenir l'élargissement de l'ambassadeur. D'autre part, le 3 février, le conseil fit de pressantes instances auprès de l'abbé de l'Isle Barbe dans le même but. Sixte IV lui-même, dans un bref menaçant, informa les consuls qu'il avait donné l'ordre de relâcher sans délai Pierre Baroncelli [454], se réservant de faire châtier l'auteur de l'emprisonnement [455]. Le conflit était désormais inévitable entre le Saint-Siège et son légat à Avignon, et forcément la Cour de France allait être amenée à soutenir ce dernier contre le pape et contre son rival et successeur désigné, Jules de la Rovère. Louis XI, toujours à l'affût des desseins secrets de la Cour de Rome, s'efforçait de provoquer une certaine agitation dans le clergé de France et parmi les cardinaux du sacré collège. Au mois de mars 1476, pendant que Jules de la Rovère se rendait à Avignon, on trouva affichée à la porte de la basilique de Saint-Pierre une proclamation du roi de France enjoignant à tous cardinaux, prélats et évêques de se trouver à Lyon, le 1er mai, afin d'y délibérer sur la tenue d'un concile [456]. Une ambassade française fut même envoyée à Rome, à ce sujet, au mois d'avril 1476 [457], mais Sixte IV refusa de la recevoir. Comme le fait justement observer Pastor, il y a une corrélation indiscutable entre ces tentatives de pression et d'intimidation que Louis XI cherchait à exercer sur les membres de l'Église et l'envoi en France de Jules de la Rovère [458]. Ce dernier avait quitté Rome le 19 février 1476.
La guerre devenait dès lors inévitable, et les partis commençaient à s'y préparer. Le 12 mars 1476, le conseil est avisé de la prochaine venue de Jules de la Rovère à Avignon, mais l'assemblée ignorait encore la nouvelle, tenue secrète, du remplacement de l'archevêque de Lyon à la légation. Celui-ci, mis au courant de ce qui se tramait à Rome contre son autorité, avait pris les devants, et le 17 avril [459] 1476, on annonçait l'arrivée à Avignon, par le Rhône, d'une grande barque chargée de douze tonneaux de vin et de vingt à vingt-cinq salmées de blé, destinés à l'approvisionnement du grand palais. Avisé aussitôt, le conseil décide que le tout sera mis en entrepôt et en lieu sûr, attendu que cette affectation de se servir d'une voie étrangère pour les denrées dont il a besoin ne fait rien augurer de bon pour la ville, d'autant plus qu'on sait qu'il donne certains signaux par des feux allumés du haut de la tour de Trolhas [460].
Le 19 avril 1476, le conseil est informé de l'approche de Jules de la Rovère, neveu du pape, archevêque d'Avignon, en qualité de légat gouverneur d'Avignon et du Comtat, et de son intention d'occuper le grand palais, et d'en faire sortir incontinent ceux qui le détiennent pour le compte de l'archevêque de Lyon. Le conseil délibère aussitôt que les consuls et douze députés des plus notables auront plein pouvoir pour établir une garnison aux portes et aux autres points de la ville où besoin sera, et que des mesures seront prises incessamment pour pourvoir à la sécurité de la ville et de ses habitants. Les députés désignés furent: Louis Merulis, primicier de l'Université; Guillaume Ricci, docteur; Antoine Ortigues, Girard de Sades, François Malépine, Baptiste de Brancas, Pierre Baroncelli, Louis Pérussis, Antoine Simonis, Veran Malhardi, Étienne de Gubernatis et Jean Martini. Le 29 avril suivant [461], le conseil décide de notifier cette décision à l'archevêque de Vienne, pro-lieutenant du cardinal de Bourbon, et députe une ambassade au seigneur de Beaujeu [462], et à l'archevêque de Narbonne, qui étaient au pont de Sorgues, pour tâcher de pacifier les choses. C'est au milieu de cette agitation que le nouveau légat pontifical arriva à Avignon, où il fut reçu avec la déférence que commandaient ses nouvelles fonctions et sa parenté avec la personne du souverain pontife.
De son côté, Louis XI n'était pas resté inactif, et son intervention, à ce moment, avait, s'il faut en croire Belleforest [463], un double but; intimider le pape et peser sur l'esprit du roi René dont les ambassadeurs étaient partis secrètement pour aller offrir au duc de Bourgogne son héritage, après avoir rejeté et divulgué audit duc toutes les propositions à lui faites par Louis XI [464]. Mais on sait comment la défaite du Téméraire à Granson détacha du duc de Bourgogne tous ses alliés, et René, dont les ambassadeurs avaient été pris et les projets dévoilés, n'avait plus qu'à solliciter son pardon. Ce fut l'épilogue du combat de Granson (1476).
Mais Louis XI n'avait pas attendu une solution que donnât à ses visées politiques le sort des armes. Au mois d'avril 1476, par ordre du roi, des troupes du Languedoc furent mises en mouvement et portées sur la rive droite du Rhône, avec ordre d'amasser une grande quantité de vivres et d'approvisionnements de toutes sortes à Villeneuve-lès-Avignon [465]. L'avant-garde de l'armée royale, commandée par le capitaine Bertrand de Codolet, se présenta au pont du Rhône pour attaquer le terroir d'Avignon. Quant au représentant du légat, l'archevêque de Lyon, il avait fait occuper le palais apostolique par une garnison de soixante hommes, archers et arbalétriers, fournis par le roi de France et à la solde de 4 livres par jour. Dans cette forteresse inexpugnable la petite garnison française entretenait des signaux avec les soldats de l'armée royale campés sur la rive droite du Rhône, et leur fournissait des renseignements utiles pour l'attaque des remparts. Vers la même date, et pour appuyer les troupes massées sur la rive droite du fleuve, Louis XI faisait diriger par voie rapide toute son artillerie disponible, traînée par plus de quarante-quatre chevaux, sur Avignon [466]. L'amiral de Bourbon, frère de l'archevêque de Lyon, avait été chargé du commandement de l'armée «laquelle nous avions envoyée ès marches de par dellà et près de la dite ville pour obvier à la mauvaise entreprinse du dit cardinal alyé à nos ennemis [467]».
Aucun des historiens, en mentionnant cette prise d'armes du roi de France contre les domaines du Saint-Siège, n'a connu réellement les faits tels qu'ils se sont passés. Presque tous affirment que Louis XI occupa Avignon et le comté, et ne sont pas éloignés de croire que, dans la pensée du roi, cette tentative d'occupation à main armée n'était que le prélude d'une annexion définitive, et que le Saint-Siège fut même menacé de perdre Avignon par la faute de son légat [468]. Il y a là une exagération évidente, conséquence de l'ignorance des archives locales, qui vont nous permettre de mettre, pour la première fois, sous leur vrai jour, les événements politiques et militaires si peu connus de cette période de l'histoire des États citramontains de l'Église.
Un document inédit et de la plus incontestable authenticité, renfermé dans la caisse d'Avignon, parmi les papiers constituant le fonds de l'inventaire de la Chambre des Comptes de Grenoble, nous apporte sur les agissements de Jules de la Rovère, dans les événements qui vont suivre, des renseignements forts curieux, que quelques historiens ont soupçonnés, et qui n'expliquent que trop les griefs de Louis XI contre la curie romaine et son représentant, le cardinal de Saint-Pierre ad Vincula. Un certain Jean Aubert, dit de Montclus, seigneur et chevalier de Montclus, avait été laissé à Avignon comme agent secret du légat Charles de Bourbon, avec mission de le renseigner sur tout ce qu'il pourrait saisir des desseins de Jules de la Rovère. Grâce à un espionnage savamment dissimulé, ledit de Montclus ne tarda pas à apprendre que le nouveau légat avait envoyé auprès de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, son vicaire à Avignon, le sieur de Lyennans, «lequel était revenu porteur de certaines lettres de créance et instructions signées et scellées du seing et scel du dit duc de Bourgogne adreçans au pape et au dit cardinal lesquelles lettres et instructions estoient au grand dangier et préjudice [469]» de la personne du roi et du royaume de France; que, pour mettre à exécution ces mauvais desseins et entreprises, certaine alliance avait été contractée entre ledit cardinal, le duc de Bourgogne et d'autres ennemis du royaume (et ce disant, Louis XI fait évidemment allusion au roi René). Au dire de Louis XI, le cardinal de Saint-Pierre aux Liens était venu en Avignon pour mettre la main sur le palais apostolique, en chasser la garnison française que le légat Charles de Bourbon avait préposée à sa garde, et par la possession de cette forteresse inexpugnable, barrer aux armées royales la route de Provence. On ne saurait, en cette occurence, mettre en doute les accusations de Louis XI contre le cardinal de Saint-Pierre ad Vincula, car ce sont ces projets secrets que Baroncelli avait dû communiquer aux différents corps élus d'Avignon et du comté, et qui motivèrent la délibération du conseil de ville d'Avignon du 17 avril 1476 [470].
Louis XI, informé de ce qui se tramait à Avignon par ledit seigneur de Montclus, voulut intimider la curie romaine en mandant à Lyon, où il se trouvait (mai 1476), le sieur de Montclus et le propre vicaire de Jules de la Rovère, de Lyennans, les invitant à venir se justifier auprès de lui. Le cardinal de Saint-Pierre aux Liens, dont la trahison à l'égard de Louis XI n'était pas douteuse, pour empêcher son vicaire de rien divulguer de la mission secrète qu'il avait remplie auprès du duc de Bourgogne, s'empressa de faire incarcérer ledit de Lyennans, comme témoin compromettant. Puis, sachant que le seigneur de Montclus, en sa qualité de représentant de Charles de Bourbon, avait des intelligences avec le capitaine qui gardait le palais, il tenta par des promesses et toutes sortes de moyens de le gagner à sa cause. N'ayant pu réussir dans son dessein, Jules de la Rovère, très irrité contre le sieur de Montclus, le fit venir au petit palais [471], en présence de l'évêque de Cavaillon, des évêques italiens qui avaient accompagné le nouveau légat, des consuls et autres personnages notables de la ville, et devant tous les assistants le cardinal entra dans une violente colère, déclarant au sieur Montclus que s'il ne lui faisait pas remettre incontinent le palais apostolique en obligeant les gens de Charles de Bourbon à l'évacuer, «il luy feroit coupper la teste et qu'il ne luy tenoit à guères qu'il ne le fist gecter par la fenestre en la rivière du Rosne et que c'estoit le dit suppliant qui les y avait mis et que par luy se conduisoient [472]». De Montclus, sans s'intimider des menaces du cardinal, répondit que c'était à tort qu'on l'accusait de maintenir dans le palais la garnison française; qu'il n'avait point charge de traiter cette question, et que le mieux était pour le cardinal de s'entendre avec les ambassadeurs du roi de France, qui se trouvaient en ce moment à Avignon. Mécontent de cette réponse et aveuglé par la colère, Jules de la Rovère donna l'ordre de s'emparer sur-le-champ de la personne dudit de Montclus, et de l'enfermer dans la prison du petit palais; il le fit lier et attacher avec de gros fers aux pieds, et «loger en une grosse tour estroitement et durement detenu en grant detresse de sa personne, couchier sur le plastre comme s'il estoit ennemy de la foy et mecréant, garder par certains habitans de la dite ville, piller et desrober tous ses biens meubles qui estoient de bonne valeur estans en certaine maison qu'il avoit au dit Avignon. Et contre toute forme de justice inhumainement et cruellement feist tourmenter et mettre en gehayne et torture le dit suppliant cuidant par ce moyen recouvrer le dit palais et que pour éviter la mort du dit suppliant le capitaine et autres estans de dans le dit palais eussent rendu au dit cardinal le dit palais et que faire ne vouloirent [473]».
Cependant, comprenant que la détention dudit Montclus était illégale, et que la ville et les habitants d'Avignon pourraient supporter les conséquences d'un aussi grave abus d'autorité, au moment où l'armée envoyée par Louis XI approchait de la ville [474], Jules de la Rovère laissa entendre que de Montclus n'avait été mis en prison que pour obtenir le recouvrement du palais indûment retenu, puisque, en exécution des engagements pris par le roi et le légat en 1472, ledit palais devait être rendu à première réquisition du Saint-Siège. Il ajoutait, en outre, que ce faisant il avait voulu complaire à un certain nombre d'habitants d'Avignon, ennemis du roi de France, qui étaient débiteurs vis-à-vis de lui de certaines sommes qu'il avait donné charge d'aller recueillir, en vertu d'une obligation déjà ancienne, et après sommation faite par lettres patentes aux officiers du Saint-Siège. Sous ce dernier prétexte, Jules de la Rovère fit appliquer la torture audit sieur de Montclus, pour le forcer à déclarer que lesdites lettres obligatoires adressées par Louis XI à la ville «estoient induement faictes et forgées», alors que lesdites obligations avaient été souscrites par la ville avant la naissance dudit de Montclus et ne le touchaient en quoi que ce soit [475]. La torture, appliquée avec tous les raffinements en usage chez les bourreaux du Saint-Siège, alla jusqu'à la séparation des membres pour contraindre Montclus à dire des choses «à l'appétit et vouloir» de ses persécuteurs. Le malheureux prisonnier faillit en mourir. Ce que voyant, le cardinal de Saint-Pierre ad Vincula, les habitants et consuls de la ville d'Avignon, émus sans doute à l'idée qu'un traitement aussi barbare et le trépas qui s'en suivrait engageaient gravement la responsabilité de la ville aux yeux du roi de France, cessèrent de torturer leur prisonnier. Quant à Jules de la Rovère, il trouva moyen de parlementer avec l'amiral de Bourbon, commandant l'armée royale, et partit d'Avignon pour venir à Lyon trouver le roi.
Mais les consuls et les habitants d'Avignon comprenant enfin tout l'odieux de leur conduite, afin d'apaiser la colère du roi «et les dites deshonnestes faultes assoupper», envoyèrent auprès dudit de Montclus, enfermé dans la tour de l'auditeur, une délégation qui se composait de maître Tulle, docteur et juge de ladite ville, de maître Accurse Meynier et d'Etienne Sedile, notaire de la cour de Saint-Pierre et autres officiers, et de plusieurs autres notables citoyens. Le juge de Saint-Pierre délivra sur-le-champ ledit de Montclus comme innocent et sans charge aucune, en lui en donnant acte par lettres que ledit suppliant avait requises «pour sa descharge et s'en aider en temps et lieu». Tels sont les événements qui se passaient à Avignon au moment où Louis XI, déjà très mécontent, dirigeait des forces sur les terres du Saint-Siège, et on comprend dès lors que l'accueil fait par lui à Jules de la Rovère n'ait pas été précisément très amical.
A l'annonce des mouvements de troupes qui se dessinaient de l'autre côté du Rhône, et des préparatifs de siège du palais apostolique, le conseil de ville d'Avignon décida de faire garder les portes et les remparts par une garnison de soixante hommes d'armes pendant huit jours, et de leur payer à cette occasion 60 florins. Le soin de constituer cette force armée fut confié à Marot Borgognon qui, ne trouvant personne dans le pays, fut obligé d'envoyer quérir à Tarascon, à Aix et à Marseille, des aventuriers pour concourir à la défense de la ville [476]. Gaspard de Sarrachani et son frère Thomas furent chargés de couvrir tous les passages du Rhône qui mettaient en communication le terroir d'Avignon avec la rive languedocienne [477]. Les bacs à traille notamment devaient être l'objet d'une surveillance rigoureuse. Quant à l'intérieur de la ville, les consuls avaient pris toutes leurs mesures pour la mettre à l'abri d'un coup de main. Le conseil avait fait fabriquer neuf couleuvrines qu'il avait placées dans l'hôtel de ville [478], en refusant énergiquement de les laisser transporter au grand palais [479]. Comme le bruit s'était répandu qu'un assaut devait être livré au palais, les consuls donnèrent charge à Marot Borgognon et à Antoine Simon, avec un certain nombre de compagnons, de garder les passages près de la tour Trolhas par où pouvaient s'introduire des troupes royales destinées à renforcer la petite garnison fidèle à Charles de Bourbon. Borgognon et Simon avec leurs hommes d'armes veillèrent pendant quinze jours et quinze nuits, et outre les désagréments d'une pareille faction, ils encoururent la disgrâce du seigneur de Lyon (Charles de Bourbon) [480].
Tels sont, dans toute leur simplicité, les événements militaires dont les États du Saint-Siège furent le théâtre en avril-mai 1476, et auxquels on avait donné une portée et un caractère contraires de tous points à la vérité historique. S'il n'y eut pas, en réalité, occupation manu militari du comté et d'Avignon par les troupes du roi de France, toutes les mesures furent prises pour l'effectuer. L'attitude du roi René [481] d'abord, et de Jules de la Rovère ensuite, suspendit les préparatifs belliqueux de Louis XI et donna aux événements une tournure pacifique. Dès le 11 avril 1476, René d'Anjou promit aux ambassadeurs du roi de n'avoir jamais plus d'intelligence avec Charles le Téméraire, ni avec les autres ennemis de la couronne. Il prit l'engagement de se rendre à Lyon pour assister à l'entrevue à laquelle l'avait convié Louis XI, et prépara l'entrevue de Jules de la Rovère avec le monarque. Les troupes royales furent incontinent rappelées [482], et nous voyons quelques jours après les Avignonnais se porter caution pour l'archevêque de Lyon, Charles de Bourbon, d'une somme de 3,200 livres que ledit cardinal devait payer au roi de France. Charles de Bourbon figure dans l'acte avec les titres de gubernator civitatis Avinionensis et Comitatûs et avec le titre de legatus a latere [483]. Le 9 mai, le roi René qui, en passant, avait eu un entretien avec Jules de la Rovère, arrivait à Lyon, où Louis XI lui fit les honneurs d'une hospitalité vraiment royale. Les deux rois vécurent dans la plus grande intimité, se montrant ensemble à la foire avec les plus belles dames de la ville [484], et parurent parfaitement réconciliés. Les compagnons du roi René, entre autres Palamède de Forbin, reçurent des cadeaux des deux côtés. Celui-ci eut même du roi René 4,000 livres de pension annuelle, et c'est en reconnaissance de ces gracieusetés que les ambassadeurs provençaux s'employèrent de leur mieux pour amener une cessation d'hostilités entre Louis XI et Sixte IV [485].
C'est au milieu de ces démonstrations d'amitié sincère entre les deux rois que Jules de la Rovère arriva à Lyon, pour s'entretenir avec Louis XI des difficultés pendantes avec le Saint-Siège. Le roi le reçut fort mal d'abord [486], mais finit par l'écouter, sur les instances du roi René, et exigea en premier lieu: 1o que Jules de la Rovère renoncerait à sa légation et restituerait à Charles de Bourbon la provision que le pape lui avait retirée au mois de mars 1476, et 2o que les Avignonnais enverraient à Lyon une députation chargée de prêter, au nom de la ville, serment de fidélité à la couronne [487].
L'orgueilleux cardinal-légat s'humilia pour ménager le Saint-Siège et les domaines de l'Église, et le 10 juin il fit tenir aux consuls d'Avignon des lettres patentes leur enjoignant de reconnaître pour légat Charles de Bourbon, archevêque et comte de Lyon [488]. Quelques jours plus tard, le 18 juin 1476, Jules de la Rovère écrivait de nouveau aux consuls [489] pour les informer que le serment de fidélité exigé par le roi avait été prêté suivant la formule convenue, mais que sa majesté entendait qu'il fût prêté en outre par le conseil de ville comme représentant de la collectivité des habitants. En conséquence, il leur faisait tenir une copie dudit serment, qui devait être adressée à lui-même, revêtue de la signature des membres du conseil, avec défense expresse d'y introduire la moindre variante [490]. «Et ont juré Guillaume Ricci, François Peruzzi, Antoine Ortigues, Antoine de Damiani, en présence de l'archevêque de Lyon, de M. l'admiral de France, son frère, que dans la ville d'Avignon on ne souffrira aucune personne qui puisse nuire au roi et à ses États, et on n'y prendra point parti pour ses ennemys déclarés qui sont le duc de Bourgogne, le roi Fernand, le roi d'Aragon et le roi d'Espagne, son fils, au moyen de quoy le dit amiral et le vice-chancelier ont promis au nom du roi de France de garantir la ville d'Avignon de toute oppression qu'on pourrait vouloir faire aux sujets de Notre Saint Père, ainsi que des attaques de ses ennemis». Les consuls et conseillers firent également le même serment, sauf toutefois certaines réserves en ce qui touchait l'obéissance et la fidélité au pape et son droit de souveraineté. Bien que cette condition ne fût point stipulée dans l'acte, le grand palais d'Avignon devait être occupé provisoirement, au nom du légat Charles de Bourbon, par une garnison de soldats royaux, ce qui était pour la cité papale une humiliante obligation, en même temps qu'une perpétuelle cause de conflits. Quant au caractère même et à la portée du serment des Avignonnais prêté à un souverain qui n'était pas le leur, il ne faut pas s'y méprendre; il liait l'un vis-à-vis de l'autre les contractants par acte public, et les Avignonnais ne manqueront pas de s'en prévaloir dans une circonstance où la tranquillité de la ville et la sûreté de ses citoyens se trouvent menacées par les attaques du sacrilège Bernard de Gorland (1479-1480). Et il faut dire, à l'éloge de Louis XI, que le roi de France ne faillit pas aux engagements pris à Lyon [491].
La question de la légation elle-même était laissée en suspens, mais Jules de la Rovère promettait tacitement au roi et à son rival, l'archevêque de Lyon de se rendre prochainement à Rome pour solliciter de son oncle Sixte IV le chapeau de cardinal en faveur de Charles de Bourbon, qui ne demandait rien de plus. L'entrevue de Lyon (mai-juin 1476) fut pour la politique de Louis XI un triomphe complet. Il avait obtenu du roi René, sinon la substitution du roi de France à Charles du Maine comme héritier de la Provence, au moins un engagement tacite dont Palamède de Forbins fut le garant [492]. René ne voulut pas se lier par un acte, contrairement à ce qu'affirme l'auteur de l'histoire des Célestins [493], mais c'était le bruit public que le vieux roi avait donné à Louis XI la promesse formelle de la cession de la Provence à la couronne, à la mort de Charles du Maine, institué héritier par testament du 28 juillet 1475 [494]. Comblé de présents et d'honneurs, René avait quitté Lyon le 9 juin 1476, laissant Jules de la Rovère débattre avec Louis XI les questions qui intéressaient spécialement les états pontificaux et la légation [495].
Le rusé cardinal n'eut pas lieu de se plaindre des procédés de Louis XI à son égard, car il obtenait de lui plus qu'il ne pouvait espérer, surtout après la réception qui lui avait été faite. Son ton résolu et prompt à la riposte, sa rouerie diplomatique, dissimulée sous une apparente soumission, avaient produit sur l'esprit du roi une impression très favorable, et Louis XI, après ces quelques semaines d'entrevue, n'hésitait pas à appeler le cardinal de Saint-Pierre aux Liens son «très cher et grant amy». Par lettres patentes données à Lyon le 15 juin 1476, le roi «voulant mettre un terme aux grans faultes, fraudes, abuz, déceptions et exactions de toute espèce qui se commettoient à la Cour de Rome au détriment de tous ceux qui venoient à besougner à cause de la diversité des personnages auxquels ils s'adressaient, déclare que désormais toutes les personnes qui auront à se pourvoir en Cour de Rome se addressent a son très cher et grant amy le cardinal de Saint-Pierre ad Vincula [496]». Louis XI accordait en outre à Jules de la Rovère l'autorisation d'exercer dans le royaume ses facultés de légat, bien que ledit légat «ne luy en ait demandé la permission, comme il est de coutume, et sans qu'il soit tiré à conséquence [497]». En outre, par d'autres lettres patentes, données à Lyon le 21 juin 1476, Louis XI autorisait le cardinal de Saint-Pierre ad Vincula à posséder dans le royaume de France tous les bénéfices dont il avait été ou pouvait être pourvu, archevêchés, évêchés, abbayes et autres dignités et bénéfices quelconques, et à quelque valeur et estimation qu'ils pussent monter. Dans les raisons qui poussaient le roi à octroyer cette faveur, Louis XI parlait «de la grant et singulière amour et amitié que avons a lui. Et en faveur de plusieurs grans louables et notables services dignes de recommandacion qu'il nous a faiz et espérons qu'il nous face au temps advenir [498]». Enfin, six semaines après l'entrevue de Lyon, Jules de la Rovère affermissait encore ses bons rapports avec le roi de France en accordant la dispense pour le mariage de Louis d'Orléans (futur Louis XII) avec Jeanne de France, fille de Louis XI [499].