Chapitre III

 

Il nous a tous roulés, Staran, Klinia, Talmon et moi. Harrar... Pour moi, ça change tout. Ce n’est plus contre les robots que je vais devoir combattre, mais contre un des maîtres, le plus diabolique des quatre.

En un sens, tout est plus simple, seulement le danger sera beaucoup plus grand. Lutter contre des machines ne comportait que des embûches mécaniques. Contre une intelligence, c’est autre chose, surtout contre une intelligence qui domine de très loin la mienne.

Que suis-je, à côté d’Harrar ?... Il y a entre nous la différence qui existe entre un civilisé de Terre O. et un primitif des âges farouches, sur un plan plus élevé.

Le seul avantage que je puis avoir, c’est mon habitude de l’engagement physique dans le combat, mais c’est un avantage de primitif. Et aussi peut-être vais-je pouvoir agir par surprise. Je fixe le robot devant moi et, comme il me prend pour Harrar, je lui demande :

— Devais-tu me prévenir à Transor du succès de ta mission ?

— Oui.

— L’as-tu fait ?

— Non, puisque vous êtes ici.

— Comment devais-tu me prévenir ?

— En lançant un signal. Trois brèves et trois longues.

— Lance-les.

Un robot ne discute jamais et un minuscule voyant s’allume sur sa poitrine, pour les trois brèves, puis pour les trois longues. Dès que c’est fait, je le désamorce, car je crains qu’Harrar ne le rappelle.

Il va falloir jouer serré. Et vite, car j’imagine que, s’il a renvoyé Felton et les trois femmes dans l’espace, c’est plus pour s’en débarrasser que pour leur permettre d’atteindre Soldivan. Et mon cœur se serre à la pensée de ce qui pourrait arriver à Lydia.

Désamorcé, le Vor n’est plus dangereux, mais je lui enlève tout de même sa bande de conditionnement, sans la détruire, cette fois. Je la pose simplement à ses pieds.

Désormais, les robots ne sont plus mes ennemis, sauf, peut-être, Val 3 qu’Harrar avait conditionné à la fois pour m’influencer et me neutraliser. Pour tous les autres, je suis à égalité avec le maître. Moi aussi, je peux les commander.

Plus de temps à perdre. Te redescends au rez-de-chaussée et j’ouvre la porte donnant sur la savane. Devant moi se dresse presque tout de suite un ours monumental, un ours debout sur ses pattes de derrière, qui pousse un grognement avant de foncer dans ma direction.

Ses pattes de devant sont pourvues de longues griffes acérées. Je relève la main droite en repliant mon index et je donne le coup de pouce qui lâche le rayon mortel du laser. L’énorme bête est stoppée net.

Elle vacille devant moi en poussant un cri terrible, puis elle recule de quelques pas et s’abat dans les hautes herbes. Cet ours n’était pas seul. Une dizaine d’autres se tenaient en retrait. Ils ont comme une hésitation, puis s’enfuient.

C’est la première fois, depuis bien longtemps, que les grands fauves recommencent à fuir devant les hommes... C’est le début d’une nouvelle hégémonie sur Thana.

Je me mets en état d’apesanteur et, d’un coup de talon, je plonge au-dessus des hautes herbes en lançant mes rétrofusées. Très vite, j’atteins une assez grande vitesse en piquant droit au sud.

Une fois à Trasor, je ne sais pas encore comment j’agirai. Il faudra que je prenne Harrar par surprise. C’est ma seule chance, et j’espère que mon amplification psychique sera suffisante pour me permettre de résister à sa force mentale et même de la dominer.

J’ai toujours l’impression d’être plus grand que la normale et ça me donne confiance. De toute façon, Harrar doit me croire mort puisque le robot lui a donné le signal convenu. Cela devrait me donner un sérieux avantage.

L’effet de surprise jouera en ma faveur.

Oui... Je ne me fais tout de même pas trop d’illusions. En ce moment, je suis en train de me monter le bourrichon parce que j’ai peur... Peur, tout en n’ayant pas le droit de renoncer.

Je file à toute allure au-dessus de la savane, assez haut pour ne rien avoir à craindre des fauves, et suffisamment bas pour ne pas être trop facilement repérable.

Deux heures, m’a dit Val 46. Deux heures, mais j’ai perdu un peu de temps avec les deux Vor, ce qui me fera arriver après le milieu du jour.

J’imagine qu’Harrar a pris sa décision lors de notre premier entretien. Il avait, comme les autres maîtres de Thana, besoin d’un homme complètement étranger à la planète, car, en aucun cas, ils ne devaient se montrer à leurs ex-contemporains avec leur tête démesurée.

Ce développement exagéré de leurs crânes était sans doute dû à un accident et, comme Thana appartient à un système isolé, au centre d’une galaxie relativement lointaine par rapport à celle de Terre O., il a fallu des millénaires avant qu’un vaisseau passe à leur portée.

Le Tucson... Compte tenu de la formidable avance technique thanienne, j’imagine que ce sont les maîtres qui sont responsables de l’accident qui a détruit le vaisseau.

Ils ont dû penser que nous possédions, en cas d’accident, des systèmes de survie beaucoup plus efficaces que nos capsules et qu’ils récupéreraient un grand nombre des membres de l’équipage parmi lesquels ils pourraient choisir.

Au lieu de cela, seules trois femmes ont survécu à la catastrophe. Trois femmes qui ne pouvaient leur servir à rien puisqu’elles ne possédaient pas « l’étincelle de vie ».

Puis, Felton et moi sommes arrivés avec le Lata III, trop petit pour être détecté, ce qui nous a permis...

Plus question de me casser la tête sur ce qui a pu arriver, car j’approche de Trasor. Je reconnais la ville et la forteresse qui la domine. Je vole encore plus bas que précédemment, presqu’au ras des herbes, puis, dès que j’atteins les premières maisons, je me pose sur le sol.

La dernière manche va se jouer et je fais appel à mes instincts de vieux baroudeur. Il faut que j’atteigne la forteresse sans me faire remarquer. Tant pis pour les robots que je rencontrerai, il faudra que je les supprime.

En voilà un, justement... Il sort d’une des maisons sur ma droite. Type Val, Val 14. Dès que je l’ai en face de moi, je tends l’index vers son œil de verre, puis j’appuie du pouce sur la manette de mon arme en repliant le doigt.

Touchée à mort, la machine s’écroule..., et je la dépasse en rasant les murs.

La forteresse... Je suis arrivé jusqu’au bas de sa muraille sans ennui. Normalement, je n’aurais pas dû être repéré, mais ce n’est qu’une hypothèse. Dans ce genre de choses, on ne peut jamais être certain de quoi que ce soit.

Immense, la forteresse. Rien qu’extérieurement, elle compte une bonne douzaine de niveaux et un nombre incalculable de pièces, sans parler des couloirs. Et, en plus, il y a tous les niveaux inférieurs, une bonne trentaine.

Seulement, depuis qu’il a retrouvé une apparence normale, Harrar doit aimer le jour, l’air et la lumière. Le cœur battant, j'actionne mon compensateur de gravité et je m’élève silencieusement, en évitant de passer devant les fenêtres ou de couper un circuit de détection. J’y ai pensé à la dernière seconde, à ces circuits.

Il me suffirait de passer devant un seul pour que mon image soit automatiquement enregistrée et reproduite dans la salle de contrôle. Ça ne voudrait pas dire que je serais nécessairement repéré, car Harrar, n’a peut-être pas placé de robots dans cette salle, mais je préfère éviter tous les risques.

Je vais atteindre le sommet de la forteresse. Tout en restant en état d’apesanteur, je stoppe mon mouvement ascensionnel, puis je me hisse à la force des poignets pour regarder par-dessus le parapet.

Un simple coup d’œil me suffit. Je redescends immédiatement pour me dissimuler à nouveau. Harrar est là, et il ne m’a pas vu, car il me tournait le dos.

En tout cas, il ne se méfie absolument pas. Le message qu’il a reçu du dernier Vor l’a complètement rassuré. Mon cœur bat à grands coups. Ma volonté décuplée par l’amplificateur psychique..., décuplée ou centuplée... Je ne sais pas exactement.

Bien sûr, je pourrais tout simplement l’abattre avec mon laser avant qu’il se retourne, mais, si j’agissais ainsi, je ne saurais jamais, et je veux savoir, même au risque de ma vie...

Brusquement, je m’enlève, je dépasse le parapet, puis je saute sur la terrasse en coupant le contact de mon compensateur de gravité. Au bruit que je fais, Harrar se retourne.

— Tarquin!...

Ma surprise est aussi grande que la sienne, car il a terriblement changé..., enfin..., il a vieilli. Il n’a plus sa barbe et, désormais, ce n’est plus moi, il y a vingt ans, mais moi aujourd’hui...

Très vite, je me reprends. Sa volonté pèse sur la mienne, mais je résiste. Il jure :

— L’amplificateur...

Me tournant le dos, il bondit en direction de l’escalier conduisant à l’intérieur de la forteresse.

— Halte ! je fais. Halte, ou tu es mort !

Il doit sentir que je n’hésiterai pas, car il s’arrête et se retourne, le visage mauvais. J’ai déjà l’index de la main droite replié. Il me suffirait d’un petit coup de pouce pour le foudroyer.

— Si jamais un robot apparaissait sur cette terrasse, je commencerais par te tuer. Donc, tu n’as rien à espérer de ce côté-là.

— Et de toi ?

— Ça dépend. Ça dépend d’abord de ce que sont devenus Felton et les trois femmes qui sont avec lui.

— Ils sont en route pour Soldivan.

— Où ils n’arriveront jamais !

— Mais je peux les rappeler..., enfin, faire revenir leur vaisseau. Pour cela, il faut que tu m’accompagnes dans mon laboratoire.

Un risque que je ne peux pas prendre. A moins... Je marche sur lui, le regard planté dans le sien. Nos deux volontés sont terriblement bandées. Il essaye toujours de me dominer, de prendre le dessus...

Il suffirait que la volonté de l’un entame si peu que ce soit la résistance de l’autre pour qu’il remporte une victoire totale. On ne se remet généralement pas d’une prise de possession mentale obtenue dans de telles conditions.

Je suis tout près. Il ne peut rien contre moi, mais je ne peux rien contre lui, malgré toute la puissance de mon amplificateur. La sueur ruisselle sur son visage comme sur le mien. Comment prendre l’avantage ? Soudain, j’ai une illumination...

Lui, c’est un maître... Depuis des millénaires, il ne connaît plus la violence. II ne s’est jamais battu. Son esprit est entraîné, mais il ignore qu’un corps peut l’être aussi.

Subitement, d’un coup de talon, je lui écrase les orteils. Il pousse un véritable hurlement et, sous l’effet de la douleur se plie en deux. Je l’empoigne par les épaules et je lui redresse le visage pour accrocher à nouveau son regard.

Cette fois, il est en état de moindre résistance. Il paraît comprendre ce qui va se passer et je sens qu’il ramasse toute son énergie, mais je l’ai entamée. Et il craque d’un seul coup. En une seconde, je suis au cœur de ses pensées. Il est soudain, je le sens, à ma merci. Tout cède d’un seul coup. La force mentale est à la fois ce qu’un être a de plus fort et de plus fragile.

Même l’intelligence peut s’amollir comme un corps lorsqu’elle est durement frappée. Et c’est ce qui vient d’arriver pour Harrar. Plus jamais, il ne reprendra le dessus, désormais.

En tout cas, contre moi... Ça, je le sais. Il est devenu mon esclave, je suis son maître.

Un instant, je savoure ma victoire ou, plus

exactement, j’éprouve un étrange sentiment de soulagement. Pour moi, mais aussi pour Lydia, Elsa, Marfa et Felton, sans oublier les Thaniens qui vont sortir bientôt du grand sommeil et qu’Harrar voulait avoir à sa merci par le truchement des robots.

Lorsque j’ai pris possession de ses pensées, il est tombé par terre et il met assez longtemps avant de se relever. De nouveau, je le contrôle et il ne résiste plus.

Le vaisseau dans lequel se trouvent mes amis est destiné à se perdre dans la barrière magnétique qu’il a rétablie et, là, il errera indéfiniment, conduit par des instruments déréglés... Une agonie qui peut durer des années.

Avant toute chose, il faut que j’empêche cela.

— Descendons dans ton laboratoire.

Il me précède. Pour rétablir cette barrière, il a pris de l’énergie dans les réserves destinées à la machine du grand réveil, sacrifiant ainsi délibérément des millions de vies humaines. Mais il ne tenait pas à se retrouver face à un trop grand nombre de ressuscités.

Le laboratoire!... Il me suffit d’y entrer et de regarder autour de moi pour savoir ce que je dois y faire. La barrière magnétique est émise par une sorte de phare tournant, situé au sommet d’une sorte d’étroit donjon planté au milieu de la terrasse supérieure.

Il me suffit d’abaisser un levier pour couper le contact et renvoyer l’énergie captée au collecteur central. En agissant ainsi, je ne sauverai pas tous les êtres qu’Harrar avait condamnés, mais la plus grande partie tout de même.

II me fixe d’un œil morne.

— Comment cela a-t-il commencé ?

— Dans notre société, le grand sommeil était d’une pratique courante. Depuis des siècles, nous vivions par tranches. Nous nous faisions régulièrement endormir volontairement en choisissant la date de notre réveil, dix ou cent ans plus tard, peu importait. C’est pour cela qu’il existe des installations dans presque toutes les habitations et des nécropoles pour accueillir le surplus. Je suis un savant, un biologiste et, un jour, j’ai découvert un principe, un principe dont j’ai voulu tirer toutes les conséquences moi-même. Malheureusement, j’étais tributaire des progrès de la science qui ne vont pas toujours de pair avec la vie humaine. Je me suis donc toujours arrangé pour faire alterner avec des périodes de recherche, des périodes de grand sommeil qui me permettaient d’attendre que les techniques dont j’avais besoin se soient perfectionnées.

— Ce principe, c’était celui de l’immortalité ?

— Oui. Malheureusement, on ne peut pas la mettre à la portée de tous, car ce serait la fin de la vie. Il fallait la réserver à des élus et, en même temps, s’arranger pour que les autres, ceux que j’appellerai les humains sacrifiés, ne se doutent de rien.

— C’est ce qui t’a conduit à mettre au point la technique des transferts ?

— Exactement. Mais ces transferts aussi devaient être secrets. J’en ai réussi un parfaitement. Donc, il n’y avait pas de problème et, pour réaliser mon but, j’ai dû m’allier à Talmon, président du Conseil des Sages, soixante-dix ans, à Staran, directeur de la section de cybernétique, quatre-vingts ans, et à Klinia qui commandait la section de programmation des robots. Ce que nous voulions, c’était endormir pour environ un mois tous les habitants de Thana, de façon à pouvoir procéder en toute tranquillité à nos transferts et aux falsifications nécessaires pour que nous retrouvions dans la nouvelle société un rang comparable à celui que nous occupions avant notre transfert.

— Et c’est ce que vous avez fait ?

— Progressivement. Nous n’avons pas endormi tous les habitants de Thana d’un seul coup. Ça nous a pris deux ans. Et, dès que ça a été fait, nous avons éliminé tous ceux qui auraient pu nous gêner par la suite.

— C’est-à-dire ?

— Les savants, les techniciens d’un certain niveau et tous les hommes politiques.

— Donc, la population qui va se réveiller...

— Aurait été sans moyen de nous résister. Nous aurions établi un nouveau régime, avec la complicité des robots, qui nous obéissaient tous, et nous aurions régné en maîtres sur la planète. J’ai dit en maîtres, pas en tyrans...

— Continue. Que s’est-il passé qui ait empêché ce plan monstrueux de se réaliser ?

Son visage se fige.

— J’avais pensé à tout sauf que le grand sommeil libérerait une énergie infiniment plus puissante que celle dont j’avais disposé lors de ma première expérience.

— Et alors ?

— Le transfert accompli, nous étions tous les quatre devenus des monstres. Un corps inexistant, une tête monstrueuse. Il n’était plus question que nous osions nous montrer. La foule nous aurait immédiatement massacrés. D’abord, parce qu’elle ne nous aurait plus reconnus, ensuite parce qu’elle nous aurait accusés de tous les crimes.

— De tous les crimes que vous aviez commis.

— La question n’était pas là. Nous étions prisonniers de notre triomphe. Car, tu le sais, on ne peut pas procéder à des réveils partiaux. On le pouvait avant, plus à partir du moment où nous avions endormi la population tout entière, car nous avions dû modifier les installations. Et c’était irréversible.

— Vous avez donc attendu...

— Sans espoir. Nous ne connaissions, dans toute notre galaxie, aucune race susceptible d’atteindre un niveau technique capable, un jour, de leur donner la possibilité de voyager dans l’espace. Tu es venu, mais tu appartiens à une race issue d’une galaxie lointaine, et tu as mis cinq mille ans avant d’arriver. Est-ce que tu te représentes ce que c’est que cinq mille ans sans pouvoir bouger, cinq mille ans en n’étant plus qu’un pur esprit ? Naturellement, j’ai compris tout de suite l’erreur que j’avais commise, mais elle était irréparable, car nous n’avions plus d’« étincelle de vie » à notre disposition. L’« étincelle de vie », c’est ce que, dans ton langage, on nomme les gènes...

— J’avais compris.

— Cinq mille ans... Ça nous a donné à tous les quatre le temps de nous haïr à un point que tu ne peux pas imaginer. Seulement, nous ne pouvions rien, les uns contre les autres, rien, jusqu’au jour où tu es arrivé. La chance a voulu que tu te poses dans la zone que je commandais. Pour moi, il n’y a plus eu de problème. Tu m’apportais l’étincelle de vie dont j’avais besoin.

— J’apportais suffisamment d’étincelles de vie avec Felton pour vous sauver tous.

— Pas une seconde je n’ai envisagé cette solution. J’ai mis au point un plan. Tu le connais. J’ai procédé au transfert pendant que Talmon, Staran et Klinia m’attaquaient. Puis, je t’ai donné le moyen de fuir en laissant ce que tu prenais pour ton double auprès de mon cadavre. Klinia, Talmon et Staran s’y sont trompés comme toi. Et j’ai laissé pousser ma barbe pour que personne ne s’aperçoive que mon évolution n’était pas terminée à ce moment-là et qu’elle devait m’amener à devenir ton vivant portrait. Klinia m’a emmené dans sa forteresse, puis, avec Talmon et Harrar, ils se sont mis à votre recherche. Lorsque Klinia t’a fait l’offre que tu sais, Talmon et Staran étaient déjà morts. Et je l’ai fait tuer, elle, immédiatement après. Je ne pensais pas que tu parviendrais au temple de Vartosse, mais je n’ai rien fait pour t’empêcher d’y parvenir. Cela n’avait plus aucune importance pour moi. Le seul ennui pour moi, c’est que tu m’avais oublié, mais j’ai pu t’influencer à distance et tu es venu me rechercher. La suite, tu la connais.

— Je la connais, mais il reste deux choses que je ne comprends pas. D’abord, la raison pour laquelle tu m’as fait passer sous la machine d’enseignement. Si tu ne l’avais pas fait, jamais je n’aurais pu te vaincre.

— Il le fallait. Je ne savais pas si mes robots résisteraient assez longtemps contre la formidable pression exercée par les forces regroupées de Klinia, Staran et Talmon. S’ils avaient été vaincus trop vite, tu aurais emporté nos deux sarcophages dans ta fuite. Val 3 t’en aurait donné l’idée et, avec tes amis, tu m’aurais défendu désespérément jusqu’à la fin de mon transfert. Mais pour cela, il fallait que tu aies en toi les connaissances nécessaires.

— Et mes amis... Pourquoi ne les as-tu pas tout simplement exécutés au lieu de les envoyer dans l’espace ?

— Contrairement à ce que tu crois avec ta mentalité de Terrien, je ne suis pas un assassin. Je ne tue que par nécessité. Toi, il le fallait, à cause des connaissances qui étaient en toi. Pas eux. Une fois Thana réveillée, j’aurais supprimé la barrière et ils seraient parvenus à Soldivan où ils auraient raconté une histoire qu’ils n’auraient jamais pu prouver, car aucun vaisseau ne serait jamais revenu jusqu’ici.

Ce dialogue a été purement mental. Nous n’avons pas « parlé », au sens terrien du terme. Mais, soudain, j’ai l’impression que le cerveau d’Harrar se désagrège progressivement. Il me devient de plus en plus difficile d’obtenir des réponses aux questions que je me pose encore et, brusquement, mes pensées se trouvent en face d’un trou... Un vide.

L’œil se referme, la poitrine se soulève, puis, brusquement, c’est fini... Harrar s’écroule et je sais qu’il est mort. Au fond, c’est la puissance mentale que je dégage qui l’a tenu si longtemps. Je l’ai porté en quelque sorte à bout de pensée.

Mort... Me voilà seul sur Thana dont la population va se réveiller. Une population qui n’aura plus personne pour la guider, qui sera désemparée en découvrant un monde qui ne ressemble plus à celui qu’elle aura l’impression d’avoir quitté hier.

Il n’est pas question que je l’abandonne. La grande ambition de Harrar, je vais devoir la réaliser à mon profit. Il n’y a pas d’autre solution.

Je suis le maître, ou, plus exactement, le dépositaire, ce qui revient au même. Dubitatif, je remonte sur la terrasse. De plus, il n’est pas question que je laisse les Terriens venir jusqu’ici... Pas tout de suite, en tout cas.

Dès que je serai certain que le vaisseau qui emporte Felton et les femmes sera passé, je rétablirai la barrière, et je regretterai Lydia. Mais ce n’est pas à moi que je dois penser...

 J’ai désormais la responsabilité de toute une planète, et je ne sais pas encore ce que j’en ferai. Une planète où il n’y a plus de savants, plus de techniciens. Une planète dont toutes les connaissances sont concentrées en moi, sans que je le réalise entièrement. Ça se fera petit à petit, au fur et à mesure des besoins.

Mentalement, j’appelle un robot et c’est Val 3 qui se présente. Va-t-il faire la différence ? Est-il capable de deviner qui je suis réellement ?...

Non... Il attend mes ordres.

— Nous allons à la nécropole. Je veux savoir où en est le grand réveil.

— Trois hommes et une femme sont déjà sortis du sommeil. Pour le moment, ils sont hébétés et ne comprennent pas.

— Et des robots s’occupent de les réconforter ?

— Selon tes instructions.

Je lui désigne le cadavre d’Harrar et, tout de suite, il décrète :

— Le service d’entretien va s’en occuper.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VOLUME RÉALISÉ PAR P. I. E.

 

Palais de la Scala

MONTE-CARLO Principauté de MONACO

 

Publication mensuelle