Troisième Partie

 

Chapitre Premier

 

Elsa ouvre les yeux la première. Elle jette d’abord un regard effaré autour d’elle, puis murmure :

— Que s’est-il passé ?

— Vous avez dormi.

Soudain, elle réalise qu’elle est entièrement nue et rougit violemment. Je détourne la tête.

— Vos vêtements sont là. Dites-vous bien que je n’avais pas le choix. J’ai retrouvé Marfa Trant et Lydia Ray.

— Marfa et Lydia ? Où sont-elles ?

— Je n’ai pas voulu qu’elles descendent ici. Vous allez pouvoir les rejoindre tout de suite. Val 6 vous conduira.

J’ai toujours dans la poche de ma combinaison la bande d’enregistrement de Val 3, mais je ne veux plus qu’il joue les chiens de garde autour de moi, et je ne veux surtout pas qu’il puisse m’empêcher d’agir à ma guise sous prétexte que je vais prendre des risques.

— Vous pouvez vous retourner, Tarquin.

Elsa a endossé sa combinaison et son visage,

toujours un peu confus et rouge, se fait grave.

— Vous vous êtes débarrassé de nous, n’est-ce pas ? Nous vous gênions ?

— Pour ce que j’avais à entreprendre, oui... Enfin, je le pensais... Ça aurait pu être terriblement dangereux et ça n’a été qu’une simple formalité. Je ne pouvais pas le deviner.

— Moi, je peux le comprendre, mais je doute que votre ami...

— Je sais. Il vous a fait des confidences ?

— Certaines. Il vous reproche surtout de l’avoir tenu à l’écart. D’habitude, vous luttiez toujours ensemble.

— D’habitude, oui. Ici, ce n’était pas possible, car nous n’étions plus sur le même plan, ni à égalité. J’espère qu’il le comprendra, et que tout s’arrangera entre nous, ne serait-ce qu’avec le temps. Mes sentiments n’ont jamais changé pour Felton. Malheureusement, après mon passage sous la machine d’enseignement, je ne pouvais plus compter sur lui, comme sur moi-même. Il y avait trop de choses qu’il ignorait, et que je ne pouvais pas lui expliquer.

Je pousse un soupir et je m’approche du sarcophage que Felton occupe. Le liquide dans lequel il baignait commence à s’écouler lentement.

— Suivez Val 6, Elsa. Rejoignez Marfa et Lydia. Je vais essayer de m’expliquer avec Felton, et il est sans doute préférable que ce soit sans témoin.

Elle comprend et m’adresse un sourire. Mentalement, j’ordonne à Val 6 de la conduire à ses amies et j’ajoute à haute voix :

— Tous les habitants de Thana vont se réveiller d’ici à quelques jours. Selon mes calculs, trois ou quatre jours... Disons ce qui en reste, car, après plus de cinq mille ans, j’ai peur que le déchet soit considérable.

— Pourquoi trois ou quatre jours, alors que nous...

— Vous n’avez dormi que quelques heures.

Felton vient de remuer et, derrière Val 6,

Elsa quitte le caveau. Je m’assieds d’une fesse sur le bord du sarcophage qui vient de s’ouvrir, et je pense brusquement intensément à mon « double ». Je l’ai oublié, celui-là, et il va falloir que je découvre ce qu’il est devenu. Je me sens coupable de l’avoir négligé, terriblement coupable... Mais Felton s’éveille et je chasse de mon esprit tout ce qui ne le concerne pas.

Felton, c’est un aventurier comme moi, toujours sur ses gardes. Alors, il est instantanément lucide. Lui se rend compte immédiatement qu’il est nu et où il se trouve.

Il s’indigne :

— Tu as fait ça ?

— Il le fallait. Sois logique, je connais, sans pouvoir toujours les expliquer, tous les éléments de la civilisation thanienne. Toi, non, et je ne pouvais pas te faire passer sous la machine d’enseignement. Tu l’as vu..., elle a failli me rendre fou.

— Tu aurais pu...

— Quoi ? Te donner des ordres que tu n’aurais pas compris ? Te traiter comme un des robots que j’avais à ma disposition, et t’obliger à m’obéir même contre ta volonté avec les moyens dont je disposais ?

Son visage se renfrogne, ce qui est bon signe, car cela signifie qu’il comprend, et il me demandé :

— Il y a longtemps que tu m’as placé en état d’hibernation ?

— Seulement quelques heures. Elsa se trouvait dans le sarcophage voisin et elle s’est réveillée la première. Maintenant, il n’y a plus de problème. J’ai pu atteindre le temple de Vartosse et tous les anciens maîtres sont morts.

— Tu les as tués ?

— Non. Ils se sont détruits eux-mêmes. Je ne sais pas dans quelles circonstances, et je ne le saurai sans doute jamais. Je les ai trouvés tous les trois chez Klinia, la gorge tranchée..., par des robots.

Felton est sorti de son sarcophage et commence à s’habiller.

— Et les autres femmes ?

— Retrouvées, je te l’ai dit. Elsa est montée les rejoindre tout de suite.

— Plus rien ne s’oppose donc à ce que nous repartions ?

— Si... La barrière magnétique qu’Harrar a établie très loin autour de Thana. Mais je devrais trouver assez facilement la source d’énergie qui l’alimente. Il y a aussi le fait que des milliers, peut-être des millions de Thaniens vont se réveiller et qu’ils risquent d’avoir besoin de nous.

— Je me fiche de ces Thaniens. Nous sommes riches, Tarquin, très riches..., à cause du Tucson. Le reste ne nous importe pas.

— A moi, si.

Il me lance un regard de défi et je m’empresse de lui préciser :

— De toute façon, je ne t’empêcherai pas de repartir si tu le désires. Immédiatement, même, car, en ce moment, la barrière magnétique ne doit plus être alimentée, la machine du grand réveil drainant toute l’énergie disponible sur la planète pour la réanimation.

— Parce que toi..., tu veux rester ?

— Je voudrais surtout que nous restions. Nous ne nous sommes jamais quittés, Felton. Ce serait ridicule de commencer maintenant.

— Nous ne nous sommes jamais quittés sauf lorsque tu as décidé de te rendre au temple de Vartosse.

— Je t’ai fait enfermer dans ce sarcophage avec Elsa lorsque j’ai su que les maîtres avaient découvert que nous étions vivants. En aucun cas, tu n’aurais pu m’aider dans la lutte que j’allais entreprendre et je n’avais que ce moyen là de te sauver la vie, si les choses avaient mal tourné pour moi.

— Et si tu avais échoué, j’aurais été embarqué là-dedans pour combien de millénaires ?

En disant cela, il a un geste d’horreur en me désignant les sarcophages entassés dans le caveau.

— Tous les maîtres désiraient faire revivre leur planète. Donc, fatalement, ils t’auraient réveillé un jour.

Mal convaincu, il boucle son ceinturon et s’aperçoit que de nouvelles armes emplissent ses étuis. Son regard s’allume et il me jette, mi-figue, mi-raisin :

— Je me sens tout de même mieux avec ça.

— Alors, viens.

Il n’est pas encore tout à fait convaincu, mais presque, et il me suit. Les ascenseurs ne fonctionnent plus, faute d’énergie, et nous devons remonter par l’escalier en nous aidant de nos compensateurs de gravité.

Nous retrouvons Elsa, Marfa et Lydia sur la terrasse de la forteresse et, en les revoyant, je repense intensément à mon double. Il doit se trouver dans la forteresse de Klinia, puisque c’est là que tous les maîtres étaient réunis.

Sur place, je l’ai complètement oublié.

Je vais donc être obligé de retourner là-bas. Cette fois, je n’oublie pas de proposer à Felton de m’accompagner et, comme nous ne pouvons laisser les trois femmes seules, nous nous entassons tous dans la fusée qui nous a déjà conduits, puis ramenés de la forteresse de Klinia.

De nouveau se pose le problème de l’accélération. Je la réduis jusqu’à ce qu’elle soit supportable pour nos organes. Lydia a déjà fait le voyage, mais pour Elsa et Felton, ce départ a le charme d’une nouveauté. Seule, Marfa éprouve une certaine appréhension à l’idée de retourner dans la prison où elle a été retenue aussi longtemps.

Ce que je n’arrive pas à comprendre, puisque Klinia les détenait toutes les deux, c’est la raison pour laquelle elles n’ont jamais été réunies ?

Il me reste encore pas mal de mystères à élucider sur Thana. Assise à côté de moi, Elsa s’exclame soudain :

— Alors, tous les anciens habitants de cette planète vont revivre ?

— Du moins, c’est un fait que Harrar tenait pour acquis.

— Et vous ?

— Moi, je ne sais pas... Théoriquement, c’est très possible, mais tout cela est si vieux, maintenant.

— En admettant qu’ils se réveillent, comment nous accueilleront-ils ?

— Je l’ignore. Nous prendrons, bien entendu, beaucoup de précautions.

— Et si nous en trouvons déjà, là où nous allons maintenant ?

— Aucun risque. Normalement, il s'écoulera plusieurs semaines avant le premier réveil. Avec vous et Felton, ça a été très rapide, car vous veniez d’être endormis.

— Ces gens seront peut-être devenus fous, fous furieux ? grogne Felton.

— J’y ai pensé.

— Et alors ?

— Je te l’ai dit, nous prendrons des précautions. Je les prendrai même seul si jamais vous décidiez de repartir.

— Moi, je resterai, fait Lydia. Quoi qu’il puisse arriver.

— Comme moi, ajoute Marfa Trant. Je suis trop curieuse de voir ce qui va se passer ici. Si jamais les prévisions de Harrar se réalisent, nous assisterons tous à un spectacle prodigieux.

— Que je ne manquerai pour rien au monde, surenchérit Elsa Van Rolsen.

Du coup, je me tourne vers Felton.

— Et toi ?

— Tu me vois partir dans ces conditions ? D’ailleurs, je n’ai jamais protesté que pour la forme, et parce que tu avais des rapports..., disons secrets, avec Harrar. Au fond, j’étais jaloux. Mais nous devons tenir compte d’un nouvel élément.

— Lequel ?

— Si la machine du réveil draine toute l’énergie de la planète et que la barrière magnétique n’est, momentanément, plus alimentée, la flotte envoyée par le père d’Elsa va peut-être pouvoir nous rejoindre ?

— Ne te fais pas trop d’illusions de ce côté là. Cette flotte, dont les appareils ont été déroutés pendant des semaines, n’a certainement plus pris de risque, et je te parie qu’elle a remis le cap sur Soldivan dès que ça lui a été possible.

 

La forteresse de Klinia est en vue.

Rien de changé, sauf dans la salle où j’ai découvert les cadavres. Les robots chargés du nettoyage les ont enlevés et les ont incinérés. J’aurais dû m’y attendre, puisque, dans toutes les agglomérations, il existe un service d’entretien qui a fonctionné d’une façon impeccable depuis des millénaires.

J’imagine que les robots sont capables de se réparer ou de se reconstruire eux-mêmes.

Lorsque nous arrivons, un de ces robots se présente. J’ai la main sur la crosse de mon pistolet, mais je ne ressens aucune impression de paralysie. Au contraire, je me trouve presque tout de suite en communication mentale avec lui.

— Je suis à la recherche d’un autre être vivant qui devrait se trouver ici.

— Le prisonnier ?

— Tu détiens un prisonnier ?

— Dans le troisième niveau.

— D’où vient-il ?

— C’est Staran qui l’a amené ici après l’écrasement définitif des forces d’Harrar.

— Et il me ressemble ?

— Je ne sais pas ce que tu veux dire par-là.

Pour un robot, nous devons tous nous ressembler, car, en un sens, il ne nous « voit » pas... Il capte nos radiations et elles doivent être semblables.

— Conduis-nous.

Ici, comme partout sur la planète, les ascenseurs ne fonctionnent plus et, une fois de plus, nous devons utiliser nos compensateurs de gravité pour plonger dans les niveaux inférieurs de la forteresse.

Le robot qui nous a accueillis nous précède et lorsqu’il s’arrête, un pan de muraille s’escamote, dégageant une large ouverture carrée devant lui.

Elle débouche dans un assez vaste appartement où nous découvrons, allongé sur un lit de repos, un être hirsute dans lequel je reconnais mon « double ». Sa barbe a poussé, une barbe épaisse qui lui mange la moitié du visage.

Lorsque nous pénétrons dans la pièce où il se trouve, il se dresse, effrayé. Il saute en bas de son lit de repos pour se placer sous la protection du robot qui nous a amenés et dans lequel il paraît avoir une grande confiance.

En tout cas, il ne me reconnaît pas. Il ne reconnaît personne. Le robot doit lui « parler » mentalement, car il se calme progressivement, mais son regard reste atone. C’est un regard qui ne voit rien et, d’ailleurs, il referme tout de suite les yeux.

Si ce n’étaient sa barbe et sa taille, on le prendrait vraiment pour un nouveau-né. En tout cas, c’est au nouveau-né qu’il joue... J’explique à mes compagnons :

— La dernière fois que j’ai vu Harrar, peu avant sa mort, il m’a expliqué qu’il avait une mentalité de fœtus. Sa croissance physique a été accélérée, mais pas sa croissance mentale, ce qui a fait échouer le transfert. J’imagine que nous allons devoir attendre que son esprit se développe normalement, ce qui prendra plusieurs années.

En un sens, je suis assez satisfait qu’il ait laissé pousser sa barbe. Ainsi, au moins, il n’est plus mon portrait rajeuni de vingt ans.

Et, en l’apercevant, je n’aurai pas l’impression de me revoir continuellement.

La forteresse d’Harrar ayant été détruite, j’ai décidé d’installer notre quartier général à Transor. Je choisis cette ville, car, au temps de la splendeur de Thana, c’était la ville où se regroupaient les plus grands savants et c’est dans ses bibliothèques que s’entassent tous les documents scientifiques que je désire consulter.

Enfin, que je désirais consulter. Je n’en ai plus le même désir, tout à coup. Bizarre, comme sentiment... Evidemment, je n’ai jamais été un scientifique. On m’a toujours considéré plutôt comme un empirique et, en moi, maintenant, les deux tendances se combattent.

Avant de repartir, nous faisons tous une rapide inspection dans la ville dominée par la forteresse de Klinia. Dans chaque maison, nous trouvons des sarcophages transparents dans lesquels l’épais liquide argenté qui recouvre les corps est agité par de courtes vagues.

C’est le processus de réanimation qui a commencé. Mais, alors que l’opération n’a pris que deux heures pour Felton et Elsa, pour les autres, ce sera infiniment plus long.

Et peut-être inutile.

C’est cette idée qui me tracasse le plus. Si l’ancienne population ne devait pas ressusciter, ce serait terrible et je voudrais faire quelque chose pour tous ces inconnus. Ces inconnus dont je parle le langage et dont je partage, malgré moi, pas mal d’aspirations.

Je sais que la machine d’enseignement m’a appris toutes les techniques de réanimation, qu’elles sommeillent en moi et qu’il me suffirait de réveiller ces souvenirs latents, en étudiant, en prenant connaissance de tous les documents entassés à Transor. Je dois le faire, malgré ma répugnance.

Ce n’est pas une véritable répugnance que j’éprouve pour le savoir. Ce savoir-là qui est sans commune mesure avec celui de la civilisation à laquelle j’appartiens et à laquelle j’aspire, soudain, retourner.

Voilà... Je n’ai plus envie de savoir parce que je veux partir. Je réagis violemment. J’ai toujours eu l’habitude d’aller jusqu’au bout de ce que j’entreprenais. Je resterai. Il le faut.

Ces hommes, ces femmes et ces enfants qui dorment ont besoin de moi. Dans la mesure de mes possibilités, je ferai tout pour les sauver.

Cette décision que je prends ou plutôt que je m’impose, car j’ai besoin de toute ma volonté, me soulage.

— Qu’est-ce que tu as ? me demande soudain Felton.

— Rien. Qu’est-ce que je pourrais avoir ?

— On aurait dit que tu souffrais.

— Moi ?

J’éclate de rire.

— Tu te moques ?

— Non, fait Lydia. Vous avez réellement eu l’air de souffrir.

— Sans m’en rendre compte, alors.

Je me tourne vers le robot qui nous accompagne. Les robots, ils sont trois tout à coup, alors que je ne croyais avoir affaire qu’à un seul. Je bande ma volonté pour dominer la leur et en faire partir deux immédiatement.

Déjà, avec Val 3, j’ai eu l’impression que les machines étaient capables de m’influencer. Des robots?... Les deux que je viens de chasser s’éloignent.

Pour eux, depuis la mort des maîtres, nous devons passer pour des intrus, parce que nous n’avons pas les mêmes réactions qu’eux. Nous sommes indépendants, capables de nous mouvoir, et cela les déroute certainement.

La fusée nous emporte à nouveau en direction de Transor et, comme nous n’avons plus de robots avec nous, dès que j’ai réglé le pilotage automatique, je me tourne vers Felton et les trois femmes, mon « double » ne comptant pas... Pas encore.

— Tout à l’heure, dans la ville, j’ai eu l’impression que, à trois, les robots qui nous accompagnaient pesaient sur ma volonté.

— C’est impossible ! s’exclame Felton.

— Non. Dans une civilisation qui a atteint un tel degré de technique, tout est possible, au contraire. Vous n’avez pas éprouvé le même sentiment parce que vos esprits ne réagissent pas à leur forme de langage comme le mien. En quelque sorte, vous êtes provisoirement immunisés.

Lydia pose sa main sur mon bras et, dans son regard, je lis une sorte de panique.

— Si vous avez raison, c’est effrayant.

— Pas encore. Nous pouvons nous défendre, à condition de ne jamais leur laisser prendre l’avantage.

— En quoi cherchent-ils à t’influencer ? demande Felton.

— En me poussant à quitter Thana.

— Pourquoi ?

— Ça...

Confusément, je sais aussi qu’il existe un moyen de résister à cette influence, de la dominer, même. Mais, pour le moment, je ne vois pas lequel. Il faudrait qu’une occasion se présente.

Je poursuis :

— Quelque chose me pousse à quitter Thana et, en même temps, je sais que je veux assister à la résurrection de cette planète. Etrange, de penser à partir quand on veut absolument rester... J’ai dû bander toute mon énergie pour résister à ce désir soudain. Ça s’est passé au moment où tu as cru que je souffrais.

— Pourquoi n’as-tu rien dit à ce moment-là ?

— Je me trouvais un peu ridicule et je voulais réfléchir. Souvenez-vous... J’ai immédiatement chassé deux des robots et, tout de suite, je me suis senti comme libéré.

— Mais, pourquoi voudraient-ils nous faire partir ? s’étonne Elsa. En quoi notre présence peut-elle les déranger ? En un sens, elle leur donne même une raison d’exister.

— Ils ont été conditionnés pour servir des impotents et nous ne le sommes pas. De toute façon, il faut que vous soyez tous armés et si jamais l’un de vous devait éprouver la moindre impression d’une contrainte mentale, il devrait abattre sans pitié tous les robots présents en tirant dans l’œil de verre qu’ils portent sur la poitrine.

— Pas tous, remarque Marfa.

— Tous ceux qui restent en activité pour le moment. Les robots de combat dépendent des ordinateurs qui ne sont plus en mesure pour le moment de leur insuffler l’énergie dont ils ont besoin.

— Sauf Vor 6 et Vor 24.

— Exact... Ceux-là, Val 3 les a dotés de piles autonomes au moment où nous avons quitté la forteresse de Harrar. Je les désamorcerai dès que nous arriverons à Transor.

De nouveau, j’ai l’impression d’être environné de dangers, comme au temps des maîtres. Des dangers innombrables, car les robots sont légions dans les cités. Chaque maison en comptait plusieurs.

— Nous ne serons donc jamais en sécurité sur Thana, murmure Elsa.

— Jusqu’au grand réveil, nous devons nous montrer extrêmement circonspects. Après, il y aura trop d’êtres humains partout pour que les robots puissent continuer à se montrer dangereux.

— Alors, fait Lydia, au lieu de vivre dans la forteresse, où nous en côtoierons continuellement, installons-nous dans un transport que nous immobiliserons au-dessus de la jungle.

— Ce qui nous permettra d’organiser des expéditions de chasse pour nous procurer une nourriture plus conforme à nos goûts.

Cette solution ne m’empêchera pas de faire de courtes incursions dans les bibliothèques et dans les laboratoires de Transor pour me procurer les documents dont je pourrais avoir besoin.

— D’accord, c’est ce que nous ferons, Lydia. Un transport... Naturellement, il n’est pas question que j’oblige qui que ce soit à rester avec moi. Felton peut équiper un autre transport et il pourra regagner Soldivan avec celles qui le désirent... Marfa ?

— Je reste.

— Moi aussi, ajoute Elsa.

Quant à Lydia, elle se contente de serrer ma main. C’est mieux qu’une réponse.

Nous arrivons. La fusée se pose délicatement sur la terrasse du palais et, les uns après les autres, nous sautons tous à terre. Tous, sauf mon « double » qui paraît effrayé et que je dois aller chercher.

J’ai beaucoup de peine à le calmer et à lui faire descendre la passerelle. Tout le terrorise, la terrasse, l’air libre, un robot qui apparaît...

Il s’accroche désespérément à moi.

Pour avancer, je le protège en lui enveloppant les épaules de mon bras et c’est ainsi que nous gagnons l’escalier. Mais, brusquement, je sens que je m’engourdis...

Dans un mouvement désespéré, je tente de dégainer. Trop tard... Je n’arrive même pas à sortir mon pistolet de son étui. Felton aussi à essayé de dégager son arme... En vain.

Mon « double » s’est raidi le premier, dans mon bras. Puis, les trois femmes, les unes après les autres. Et je perds rapidement conscience...