Deuxième partie
Chapitre Premier
La chaleur est étouffante, car dans les quatre pièces que nous nous sommes réservées et dans la salle de l'ordinateur, on a coupé la climatisation.
Pour économiser l’énergie.
Le cercle s’est resserré inexorablement autour de notre retraite. Un peu comme une peau de chagrin. Je viens de me réveiller et je passe dans la salle de séjour commune.
Bien entendu, il n’est plus question d’utiliser le moindre bloc de régénérescence et nous devons nous laver à l’ancienne mode. Avec de l’eau dont, heureusement, nous ne manquons pas.
Nous ne manquons pas de sirop nutritif non plus et, lorsque je rejoins Elsa et Felton, ils achèvent leur repas. Ils sont mornes tous les deux. Je les comprends. Ça fait plus de trois semaines maintenant que nous vivons soit dans notre chambre à coucher, soit dans la salle de séjour, soit dans celle de l’ordinateur où nous n’allons du reste presque plus.
Sur les écrans, le spectacle est déprimant, car l’avance des forces « ennemies », il faut bien les appeler ainsi, est de plus en plus rapide. Sur douze, huit écrans se sont éteints.
Dès que je pénètre dans la pièce, Elsa demande :
— Où en est Harrar ?
Val 3 n’a jamais permis qu’elle descende jusqu’au caveau. A Felton, non plus. Personnellement, je m’y rends chaque jour. L’embryon humain a atteint l’âge adulte et c’est toujours avec une sorte de gêne que je le regarde, car, en grandissant, il a pris mon apparence exacte.
C’est un autre moi-même qui baigne dans l’espèce de mercure du sarcophage.
— Je ne suis pas encore descendu ce matin.
— Votre robot avait dit trois semaines, et il y a exactement vingt-cinq jours que nous sommes enfermés.
— Maintenant, l’expérience peut se terminer d’une seconde à l’autre.
Ça vaudrait mieux. Nous sommes tous au bout de notre résistance. Je n’avale que la moitié de mon sirop, car, à moi aussi, il commence à soulever le cœur.
Elsa s’est mise à marcher de long en large dans la salle pendant que Felton, assis devant la table, fait une patience avec des cartes qu’il a fabriquées lui-même à l’aide de morceaux de carton.
Nous ne nous parlons pratiquement plus. Juste les mots indispensables, et cela aussi nous use les nerfs. Dès que j’en ai assez de mon sirop, je passe dans la salle de l’ordinateur.
Dix pas. Seulement, vu la température, ils suffisent pour me mettre en nage. Val 3 est immobile devant l’énorme machine. Est-ce qu’il enregistre ? Est-ce qu’un robot peut faire preuve de curiosité ?
Bizarres, ces questions saugrenues qu’on arrive à se poser. En tout cas, je n’ai pas besoin qu’il me fasse un exposé de la situation.
Il me suffit de jeter un coup d’œil sur les écrans, les quatre derniers écrans. Cette fois, dehors, il fait grand jour et on reconnaît nettement les machines de guerre.
Sous la lumière du soleil, elles n’irradient plus aussi nettement. On a plutôt l’impression qu’elles sont touchées par de brefs éclairs.
Un gros char vient d’exploser et, automatiquement, tout le dispositif de défense décroche, dans un ordre parfait. L’avantage, avec les robots, c’est qu’ils ignorent la panique.
A un contre mille, ils opposent exactement la même résistance que s’il leur restait un espoir.
Je me tourne vers Val 3.
— Notre situation va vite devenir désespérée. Tu nous donnes encore combien de temps ?
— Quelques heures.
— Descendons dans le caveau.
La chaleur n’affecte pas Val 3. Du moins, il n’y paraît pas. Ensemble, nous gagnons le couloir que nous longeons jusqu’au premier ascenseur. Dans l’air raréfié de la cabine, la chaleur est encore plus insupportable qu’ailleurs.
Au début, lors de nos premières visites à Harrar, je bavardais avec le robot. Maintenant, dans la cabine, je reste silencieux. Adossé contre une paroi, je ne fume même plus.
C’est un cercle vicieux. Les cigares me donneraient soif, je boirais et la boisson me ferait suer toujours d’avantage.
Arrêt. Un dernier bout de couloir, et nous arrivons dans la salle des sarcophages. Tout de suite, je réalise qu’il y a du nouveau. Les couvercles des deux espèces de cuves achèvent de se rabattre et, à l’intérieur, le liquide argenté et brillant, épais comme du mercure, commence à s’écouler.
— Val 3 ?
— Que désirez-vous ?
Evidemment ! Pour lui, cet instant n’est pas plus sensationnel que n’importe lequel.
— L’expérience est terminée ?
— Et elle a réussi ?
— Ça, nous ne le savons pas encore.
Les deux corps étendus sont toujours immobiles et je les regarde, le cœur battant. Souvent, je me suis demandé pourquoi nous attendions cet instant avec autant d’impatience. Après tout, lorsque Harrar aura repris conscience dans sa nouvelle enveloppe, ça ne changera rien à la situation militaire. Il sera reclus comme nous.
Sa « résurrection ne changera rien ». Cent fois, j’ai questionné Val 3 à ce sujet, mais il n’a rien pu me dire. Avant de s’enfermer dans son sarcophage, Harrar ne lui a fait aucune confidence et il ne lui a donné aucune instruction concernant un lointain avenir.
Dans le second sarcophage, mon double vient de remuer. C’est exactement mon portrait lorsque j’étais un jeune adolescent. Les traits ont encore une douceur que n’ont plus les miens.
S’il ne me ressemblait pas autant, je dirais qu’il est beau, mais sur soi-même, on est trop mauvais juge. En tout cas, il est grand, athlétique. Et voilà qu’il ouvre les yeux.
Là, je suis franchement déçu. Son regard est morne et il a une sorte de moue désabusée. Val 3 s’avance pour l’aider à se relever. Il se laisse faire avec une certaine mauvaise grâce.
— L’expérience a réussi ?
Sur le visage de mon double passe une expression stupide et je fronce les sourcils pendant que, sur sa tête, Val 3 pose la main d’un de ses bras articulés. Je sais qu’il s’agit d’une sonde mentale.
Je m’impatiente :
— Alors ?
Il prend tout son temps, Val 3. L’œil unique
de sa poitrine scintille à plusieurs reprises, mais je ne sais pas ce que cela signifie ni comment cela doit s’interpréter.
Brusquement, lâchant mon double, il se propulse jusqu’au sarcophage dans lequel repose le corps inerte d’Harrar. Il appuie sur un bouton, et le liquide argenté qui s’était écoulé se met à sourdre de nouveau.
— Que se passe-t-il ?
— Le transfert n’a pas réussi.
— Comment ?
— Harrar II a un cerveau absolument vide, un cerveau qui n’a même pas reçu les premières impulsions d’intelligence d’un vulgaire fœtus.
— Comment est-ce possible ?
— La science, même celle d’Harrar, n’est pas infaillible. Aucune expérience de ce genre n’avait jamais été tentée.
Le corps d’Harrar est entièrement plongé dans l’épais liquide argenté et Val 3 lui a installé une sorte de support afin de maintenir sa tête.
Deux autres robots sont venus à la rescousse, des robots conditionnés pour la réanimation. Je les ai vus faire plusieurs piqûres dans le corps du gnome et il vient d’avoir un tressaillement.
Puis, il ouvre les yeux.
Tout de suite, je lis la panique dans son regard... Une folle terreur, mais ça ne dure qu’une seconde et il reprend immédiatement le contrôle de lui-même.
Il ferme à demi les yeux, pince les lèvres et, finalement, murmure d’une voix faible :
— Ainsi, j’ai échoué, et, en échouant, je me suis condamné. Pourtant les transferts sont scientifiquement possibles. J’ai laissé toutes les notes de travail dans mon laboratoire secret. Val 3 te les remettra et tu reprendras mes travaux.
— Moi?...
Ahuri, j’ai un grand geste d’impuissance.
— Je n’ai aucune qualité pour cela. Je ne suis même pas un scientifique.
— Tu le deviendras. Par la force des choses, car tu possèdes toutes les connaissances, sans le savoir. Elles ne peuvent pas se faire jour en toi immédiatement, mais, peu à peu, elles te deviendront aussi naturelles que ce que tu connais déjà.
— Je n’y crois pas.
— Ça se fera petit à petit. De toute façon, j’avais prévenu Val 3. Tu es mon dépositaire, mon successeur en quelque sorte.
Un étrange sourire lointain flotte sur ses lèvres. Il me parle par télépathie, ce qui lui demande sans doute un moins grand effort physique, car il me paraît aux limites de ses forces.
— Avant toute chose, tu dois te rendre au temple de Vartosse. Là, existe la plus formidable machine qui ait jamais existé dans tout l’Univers. Il te suffira de la connecter au réseau d’énergie. Et partout, dans toutes les villes, dans tous les villages, une population endormie depuis 5 000 ans se réveillera. Ce sera un moment tragique et prodigieux en même temps.
Tragique, parce qu’il y aura nécessairement un grand déchet et que ces hommes et ces femmes ne retrouveront plus le monde dans lequel ils se sont endormis. Prodigieux, car tu auras été en quelque sorte leur magicien. Partout la jungle a repris ses droits. Ce sera un terrible dépaysement pour ces gens qui devront tout recommencer, mais tu leur diras que tu viens d’une autre planète, d’un lointain système, et, pour eux, tu seras le sauveur.
De nouveau, il ferme les yeux. Ses joues se sont creusées et de lourds cernes noirs soulignent ses yeux immenses. Pour lui, la fin approche et il le sait.
Seulement, il a encore beaucoup de choses à me dire et il commence par une question :
— Où en sont Klinia, Staran et Talmon ?
— Ils nous assiègent, le cercle se referme de plus en plus étroitement autour de nous.
— Val 3...
Le robot, qui s’était reculé, s’avance immédiatement et Harrar s’enquiert :
— Nos défenses peuvent encore tenir combien de temps ?
— Maintenant que nous allons pouvoir disposer de l’énergie indispensable à la réanimation, cinq à six jours.
— Plus qu’il n’en faudra à Tarquin.
De nouveau, son regard accroche le mien.
— J’avais prévu ce qui arrive. Il existe un souterrain qui te permettra de quitter cette forteresse avec tes amis. Un souterrain qui se comblera automatiquement derrière toi de façon qu’on ne puisse pas te poursuivre, ou même deviner par quel chemin tu as fui, pour autant qu’on s’imagine que tu as pu le faire. Mes ennemis, qui sont désormais les tiens, perdront ta trace, mais ils trouveront mon corps et tu laisseras auprès de moi ton « double ». Ainsi, ils me croiront en leur possession, mais encore hébété par le transfert.
— Je ne peux pas leur abandonner cette image de moi.
— Ne te fais aucun souci pour ton double. Il leur sera sacré. Ils feront tout pour éveiller son intelligence dans l’espoir de connaître ne serait-ce qu'une partie de mes secrets.
Il émet un faible ricanement.
— Eux aussi connaissent les transferts de personnalité, mais leurs travaux sont infiniment moins avancés que les miens dans ce domaine. Je sais ce qui m’a fait échouer. J’aurais dû prendre les gènes d’un individu tout à fait primitif. Ce qui m’a rebuté, c’est l’apparence que j’aurais eu. Je suis une sorte de monstre et qu’est-ce que j’aurais gagné en devenant une sorte de singe ? Il y a toujours un prix à payer et, parfois, on refuse d’en acquitter le prix. C’est ce qui vient de m’arriver. Je me suis attaqué à l’impossible. Même sous l’apparence d’un grand singe, j’aurais été vivant, et j’aurais sans doute pu m’améliorer physiquement. En tout cas, j’aurais pu espérer cette amélioration pour mes descendants. Mais quand on a accroché l’immortalité, on ne rêve plus pour des descendants éventuels, on veut tout pour soi-même.
Un temps... Il a besoin de reprendre des forces avant de poursuivre :
— En toi, ensevelies dans ton subconscient, tu as toutes les connaissances de Thana, et tu es au courant de toutes leurs techniques. Toi, tu n’auras pas à payer le prix de ton immortalité. Elle te sera donnée pour rien à condition que tu parviennes au temple de Vartosse et que tu fasses revivre cette planète en la repeuplant, car, nulle part dans l’Univers, tu ne trouverais une race suffisamment évoluée pour te fournir les éléments indispensables au prolongement pratiquement infini de ta vie. Klinia, Staran et Talmon feront tout pour t’empêcher d’atteindre le temple.
— Pourquoi ?
— Le jour où la population de Thana se réveillera, ils auront de terribles comptes à rendre. On les fera passer en jugement. C’est nous quatre qui sommes responsables du long sommeil dans lequel ils ont été entretenus, et ils le savent.
Leur vengeance sera implacable quand ils réaliseront le temps qui s’est écoulé et les vides qui se seront creusés dans leurs rangs.
— C’est pour cela que tu voulais d’abord réaliser ton transfert, pour avoir une autre apparence.
— Et me présenter comme un sauveur venu d’une lointaine planète.
Je commence à comprendre. En un sens, Harrar ne valait pas mieux que les autres, mais c’est lui que j’ai rencontré.
Il doit suivre mes pensées par télépathie, car je le vois sourire et, finalement, il murmure :
— En ce moment, tu raisonnes en terrien, mais Terre O n’est déjà plus rien pour toi. En fait, tu appartiens à l’Univers tout entier. Tu découvriras vite que tu es de partout en même temps, comme tous les hommes, mais rarissimes sont ceux qui peuvent s’en rendre compte. Je ne veux te donner aucun conseil, sinon celui de te rendre à Vartosse. Ne le fais pas uniquement pour moi. Pense à ces millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui sont actuellement des morts vivants. Je sais que c’est là un état de chose capable de t’émouvoir, pour le moment en tout cas. Moi, j’étais bien au-delà de ces conceptions d’une sentimentalité négative.
Encore un sourire de plus en plus douloureux et, soudain, il se met à parler très vite :
— Je vais mourir. Je n’en ai plus que pour quelques instants. Heureusement, tu connais l'essentiel. Ne t’inquiète plus, tout ira bien pour toi, à condition que tu déjoues toutes les embûches dans lesquelles Klinia, Staran et Talmon essayeront de te faire tomber. Je ne suis pas heureux à l’idée de faire de toi mon héritier. Disons que je me résigne, et je te dois bien cela puisque, si mon transfert avait réussi, j’aurais été obligé de te mettre à mort.
— Comment ?
Je le fixe avec des yeux horrifiés.
— Il n’y aurait pas eu de place pour nous deux sur cette planète, Tarquin. Tu devrais le comprendre... A cause des connaissances que j’avais mises en toi. Fatalement, un jour tu te serais dressé contre moi comme un rival...
— Rien ne t’obligeait à m’instruire ?
— Si... L’éventualité d’un échec dont je devais tenir compte, et tu n’as rien à regretter aujourd’hui... Val 3 ?
Le robot tend un de ses bras articulés dans ma direction et je sursaute, touché par une formidable décharge électrique.
La voix d’Harrar, métallisée comme si elle sortait d’un haut-parleur, retentit dans ma tête :
— Je ne te veux aucun mal, Tarquin, et je ne t’ai fait aucun mal. Il fallait seulement créer en toi un choc psychologique. Maintenant, tu vas assimiler très vite les éléments que la machine à enseigner a mis en toi. Je t’ai fait horreur lorsque je t’ai avoué que j’aurais dû te sacrifier si j’avais survécu. Je l’aurais fait sans joie, avec regret même. Mais tu apprendras vite qu’il y a des nécessités impérieuses devant lesquelles on est obligé de s’incliner. Avec ce que tu sais, tu deviendras probablement le maître de Thana auquel tu donneras le régime qui te conviendra. Si tu crées des assemblées, fais attention à la grande règle : Ne laisse les élus discuter que de ce qu’ils connaissent et ne laisse pas élire n’importe qui. Ne laisse jamais se créer une situation qui porte en elle des germes de destruction par le simple jeu des surenchères. N’oublie jamais que l’instruction ne résout rien. Elle ne fait pas qu’il y ait moins d’insensés, elle leur donne seulement plus d’importance. Les hiérarchies sont indispensables et elles doivent être rigides. Les hommes ont, avant tout, des devoirs. Les droits ne viennent qu’après. Ou alors, c’est l’anarchie.
Il s’arrête assez longuement, puis reprend d’une voix affaiblie malgré l’amplificateur qu’il utilise :
— Cette fois, je vais mourir. Je n’en ai plus que pour quelques secondes. Val 3 est remonté au niveau où tu as vécu avec tes amis. Il va les ramener ici. Tu peux les sauver en les emmenant avec toi par le souterrain dont je t’ai parlé. Il est temps. Les machines de guerre de nos ennemis entrent en ce moment dans la forteresse. L’ordinateur géant a reçu son complément d’énergie trop tard. Partout au-dessus de nos têtes, les cloisons étanches se referment, mais les robots y pratiquent des ouvertures par lesquelles ils vont faire passer des gaz anesthésiants. Ils nous veulent tous vivants. Selon eux, je dois passer en jugement, pour leur avoir caché ton arrivée sur Thana, et celle de ton compagnon. Au départ, nous avions décidé tous les quatre d’être solidaires dans n’importe quel cas. Aucun de nous n’a jamais cru à cette solidarité, mais, naturellement, ceux qui n’ont pas eu la chance avec eux sont obligés de condamner celui qui l’a eue.
Encore un temps d’arrêt, puis :
» Dès que Val 3 arrivera, tu seras délivré de ton ankylosé. Moi, je serai mort. N’oublie pas de laisser ton « double » avec moi. Staran le prendra pour toi, ça te laissera un répit. Et ne crains rien pour ma création. Ils la couveront tous dans l’espoir d’éveiller son intelligence, qu’ils prendront pour la mienne.
Il se tait. Le silence se fait oppressant et je suis pris d’une folle angoisse, car, dans mon état, je suis totalement impuissant..., et dans l’obscurité la plus complète, car tout vient subitement de s’éteindre autour de moi.
Brusquement, je me sens délivré et la lumière revient. Il me faut cependant pas mal de temps avant de m’en rendre compte. Une minute, deux peut-être. Puis, je reconnais la voix d’Elsa pendant qu’on me secoue par l’épaule.
— Tarquin... Réveillez-vous... Il le faut.
J’ouvre les yeux..., enfin, pas exactement. Ils
étaient déjà ouverts, mais je ne voyais rien, flottant dans une sorte de léthargie. Je suis toujours dans le caveau, étendu sur le sol à côté du sarcophage. Elsa est agenouillée à côté de moi et, derrière elle, j’aperçois mon « double » qui sourit niaisement.
— Où est Felton ?
Il avance pour se placer dans mon champ de vision.
— Je suis là. Ne t’inquiète pas.
Avec un sourire, il se baisse pour m’aider à me relever. Val 3 est présent également. Immobile et indifférent, il se tient devant la porte du couloir.
D’une voix affolée, Elsa ajoute :
— Nous allons tomber entre les mains des assaillants. En haut, nous entendions le bruit qu’ils faisaient en défonçant les murs.
— Ne vous inquiétez pas. Je connais le moyen de nous faire sortir d’ici.
Je me tourne vers Val 3 :
— De combien de temps disposons-nous encore ?
— Avant qu’on arrive jusqu’ici?... Au moins dix heures.
— Parfait.
Dans son sarcophage, le corps minuscule d’Harrar s’est encore recroquevillé et son visage s’est complètement ridé.
Elsa frissonne.
— C’est lui ?
— Harrar?... Oui, et il est mort.
Je lui montre mon double.
— Et voilà à quoi il aurait ressemblé si le transfert avait réussi.
— A vous ?
— Oui.
— A vous, mais... il paraît bizarre.
— Il l’est. Il a le cerveau d’un fœtus. Nous allons le laisser ici. Nos adversaires se chargeront de lui. Ils ont les moyens d’éveiller son intelligence.
Je sais que nous déboucherons en pleine jungle, donc qu’il nous faut des armes. Je sais!... Bizarre, de connaître ainsi des choses qu’on a l’impression de n’avoir jamais apprises.
A ma ceinture, j’ai toujours mon pistolet à balles et mon fulgurant. C’est nettement insuffisant. Machinalement, je me tourne vers Val 3 pour lui demander où se trouve l’arsenal de la forteresse, mais je n’ai pas besoin de parler pour me faire comprendre.
Il y a un transfert télépathique de mes pensées, et il se dirige immédiatement vers le couloir. Ahuri, je regarde Felton et Elsa, mais avec eux pas de télépathie possible. Ni dans un sens ni dans l’autre. Il n’est pas question que je communique mentalement avec eux.
Ça m’oblige à parler. Leur désignant Val 3 du doigt, je dis :
— Suivons-le.
J’arrête mon « double » d’un geste et il demeure dans le caveau. Tout semble lui être absolument indifférent.
Des armes!... Ça a été ma première préoccupation, mais c’était un réflexe de Terrien. Sur
Thana, on n’utilise pas celles en usage sur Terre O.
Dès que nous arrivons dans l’arsenal, je me contente de choisir un disque-laser... Le même principe de base que celui qu’on connaît sur Terre O, mais d’une puissance sans commune mesure. Celui que je choisis est équipé à peu près comme une roulette de dentiste.
Grâce à cette roulette, on peut découper à cinq cents mètres le plus formidable bloc de granit qui puisse exister. Encore une chose que je sens... J’en donne une à Felton et je lui en explique le fonctionnement.
A Elsa, je confie mon fulgurant.
Puis, je réclame deux robots de combat à Val 3. Deux robots de combat... Je n’en avais jamais entendu parler, mais, dès que je les aperçois, j’en devine tous les secrets.
Ils sont plus minces que Val 3 et, sur leur poitrine, ils sont immatriculés Vor... Vor 6 et Vor 24. Plus minces et sans œil de verre, ce qui pourrait les rendre vulnérables.
Six bras à chaque épaule. A peu près ma taille. Ils se déplacent au-dessus du sol comme Val 3, mais ce n’est pas sur un coussin d’air. Maintenant, je sais qu’ils utilisent des compensateurs de gravité.
Je m’en procure également, pour Felton, pour
Elsa et pour moi. Je leur expliquerai plus tard comment on s’en sert. Pour le moment, il faut que nous quittions la forteresse le plus vite possible.
Au-dessus de nos têtes, nous entendons le bruit que font les machines de guerre en se frayant un passage à travers les couloirs après avoir défoncé les cloisons étanches de chaque niveau.
— Conduis-nous à la salle du trône.
La salle du trône où Harrar m’a reçu lors de notre premier entretien. Val 3 obéit immédiatement et je prends le bras d’Elsa pour la soutenir, car elle tremble de tous ses membres.
Elle se trouve au même niveau et nous y arrivons presque tout de suite. Je marche jusqu’au socle et je cherche des yeux... Une pierre, au centre d’un bas-relief représentant le combat d’un homme armé d’une lance avec un fauve géant... Un tigre.
Voilà la pierre que je cherche, c’est justement cette lance. Est-ce que je me trompe ?... Dès que je l’ai attirée à moi, le socle se met à trembler.
Puis, il pivote sur lui-même.